11 septembre 2001, États-Unis. Quatre avions disparaissent des radars. À leur bord, des pirates de l’air s’apprêtent à commettre l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré sur le sol américain. Entre 8 et 10 heures du matin, le monde entier suit la tragédie en direct à la télévision. Les images des avions s’écrasant sur le World Trade Center et le Pentagone marquent toute une génération.
Les tours jumelles s’effondrent en 102 minutes à peine. L’incendie s’éteindra 100 jours plus tard. Pour les États-Unis, c’est le début d’une guerre de 20 ans.
L’historien Garrett M.Graff fait œuvre de mémoire. Grâce à plus de 500 témoignages sélectionnés parmi des milliers de transcriptions et d’enregistrements, le 11 septembre est raconté en direct, minute par minute, par ceux qui l’ont vécu.
Dans ce témoignage collectif exceptionnel se répondent les voix des pompiers, des occupants des tours, des passagers des avions détournés, des contrôleurs aériens et de l’entourage du président Bush.
« Mes souvenirs sont silencieux et au ralenti, mais je sais que le fracas était terrible, et que tout s’est déroulé à toute vitesse. »
Vanessa Lawrence, Tour Nord, 91e étage« Je m’en souviens encore parfaitement : le son de réacteurs tournant à vitesse maximale, propulsant l’avion vers le World Trade Center. »
Bruno Dellinger, Tour Nord, 47e étage
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jérôme Schmidt.
Dans Manhattan au moment de l’effondrement de la tour Sud, le 11 septembre 2001.
SUSAN MEISELAS/MAGNUM PHOTOS
« 11-Septembre. Une histoire orale » (The Only Plane in the Sky. An Oral History of 9/11), de Garrett M. Graff, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jérôme Schmidt, Les Arènes, 530 p., 24,90 €, numérique 14 € (en librairie le 9 septembre).
Au cours des vingt dernières années, beaucoup de choses ont été écrites, dites, filmées sur les attaques terroristes lancées aux Etats-Unis par l’organisation terroriste Al-Qaida le 11 septembre 2001, leur origine, leur déroulé, leurs répercussions militaires et géopolitiques sur l’Amérique et le reste du monde. Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, personne n’avait jamais rassemblé, de façon large, les souvenirs des acteurs, témoins directs ou indirects, pour raconter l’histoire à 360 degrés de ce qui s’est passé ce jour-là à New York, à Washington, en Pennsylvanie, à Sarasota (Floride) ou encore à bord d’Air Force One, l’avion présidentiel, le seul autorisé à sillonner le ciel des Etats-Unis après que l’ordre avait été donné de faire atterrir d’urgence tous les autres avions.
Jusqu’à aujourd’hui, personne n’avait jamais rassemblé les souvenirs des acteurs, témoins directs ou indirects, pour raconter l’histoire de ce qui s’est passé ce jour-là
Journaliste spécialisé dans les domaines du contre-terrorisme, de la cybersécurité et du renseignement, Garrett M. Graff a travaillé pendant deux ans avec l’historienne Jenny Pachucki, qui a consacré ses études aux histoires orales du 11-Septembre. Ensemble, ils ont trouvé près de 5 000 récits archivés dans tout le pays. Ils ont lu ou écouté environ 2 000 de ces histoires pour en retenir finalement près de 400, auxquelles s’ajoutent 80 entretiens menés par Garrett M. Graff. Ces témoignages sont complétés par la transcription d’enregistrements : messages vocaux, appels téléphoniques aux services d’urgence, captations audio…
L’ensemble compose une fresque d’une impressionnante puissance d’évocation, qui donne au lecteur le sentiment de revivre, minute par minute, cette journée tragique au cours de laquelle près de 3 000 personnes de 90 nationalités ont été tuées et 6 000 autres blessées. Pourtant, 11 septembre. Une histoire orale ne serait pas un livre aussi précieux si l’art du montage et du rythme dont fait preuve Garrett M. Graff n’inspirait un tel sentiment de proximité avec l’événement tel qu’il fut vécu – tel qu’il vit encore dans la mémoire des protagonistes. A ce titre, ce document exceptionnel est aussi un grand livre d’histoire immédiate, qui raconte les bouleversements du monde là où ils se produisent : au plus intime de l’expérience humaine.
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Par Marianne BLIMAN
Publié le 9 sept. 2021 à 17:12
Mis à jour le 10 sept. 2021 à 13:24
En près de 500 pages de témoignages courts, précis, ciselés, denses, l’historien et journaliste Garrett M. Graff nous (re)plonge, presque minute par minute, dans cette journée du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Des récits de proches de personnes disparues, de pompiers, de financiers, d’agents du FBI, de politiques, de témoins, qui font alterner scènes de terreur et – parfois – d’espoir, descriptions à la précision scientifique et émotions d’une intensité rare.
Des bruits, des odeurs, des sons, des atmosphères… Tout est palpable, on est au plus près, saisi dans sa chair. Impossible de détacher ses yeux des lignes, on est emporté dans le flot de ces textes qui, ensemble, forment comme une oeuvre chorale. « 11 Septembre, une histoire orale », un livre pour l’Histoire. Extraits.
Chute
« Ces images et ces sons, je ne les oublierai jamais. Le son d’un corps qui s’écrase, c’est atroce. »
« On entendait d’abord un sifflement, un bruit de frottement dans l’air, pffffiou, puis un son mat au moment de l’impact. Un des policiers s’est tourné vers moi : ‘C’était quoi, ça ?’ Je l’ai regardé droit dans les yeux : ‘Un être humain.’ »
« Dans la tour nord, les portes s’ouvraient automatiquement grâce à des détecteurs de mouvement. Elles ne cessaient de s’ouvrir et de se fermer à chaque fois qu’un corps s’écrasait devant. »
Secourus
« Il devait être 20 heures quand j’ai entendu deux voix non loin de nous : ‘Ici l’United States Marine Corps, il y a quelqu’un ?’ Je n’en revenais pas d’entendre des voix de nouveau. J’ai crié le plus fort possible : ‘Agents du PAPD ! Agents du PAPD !’ Ils répondaient : ‘Continuez de crier, on vous entend !’ Ils se sont approchés de nous, et j’ai distingué trois voix différentes. Ils disaient : ‘Qui est là ?’ Et moi je répondais : ‘Police de Port Authority ! Agent Jimeno ! Mon sergent est là aussi. On est plusieurs. Certains sont morts.’ Ils m’ont dit : ‘Tenez bon, mon vieux, on arrive.’ »
Dans les mémoires à jamais
« A chaque fois que je regarde l’heure, j’ai l’impression qu’il est 9 h 11, pile. Je me dis : ‘Ah tiens, encore 9/11.’ Ça arrive tout le temps, tout bêtement. »
« Si c’est une belle journée, je la compare toujours au matin du 11 Septembre. »
« J’ai gardé mon uniforme, dans un sac, depuis le 11 Septembre. Il y a encore les taches sur la chemise. C’est du kérosène d’un réservoir qui a explosé, mêlé à des débris. Les uniformes de l’armée sont très résistants, parce que j’étais littéralement en feu de la tête aux pieds. Il a résisté aux incendies du Pentagone, et il s’en est sorti. Je l’ai rangé sur une étagère. L’armée a repris sa vie, et nous aussi. »
VIDEO. 11 septembre 2001 : les 102 minutes qui ont changé la face du monde
D’une scène à l’autre, d’heure en heure, des témoins directs du 11 septembre 2001 apportent leur vision pour construire la mémoire collective de l’événement. Cet extrait décrit des scènes choquantes., nous préférons vous en avertir.
Au cœur de la catastrophe qui a touché le World Trade Center, il n’y a pas eu d’image plus forte et indélébile pour les sauveteurs, les autorités et les rescapés que ces victimes – coincées dans les étages supérieurs des tours, sans issue possible, au beau milieu de la fournaise et des fumées toxiques – qui sont tombées ou ont choisi de sauter dans le vide.
Wesley Wong, agent spécial adjoint, FBI, New York : Un pompier m’a donné un conseil que je n’ai pas compris immédiatement : « Faites attention aux corps qui tombent. » J’ai traversé West Street en me disant : c’est quoi cette histoire de corps qui tombent ? Je lui ai répondu : « On parle d’un incendie, là. » Alors que je m’approchais du bâtiment, le même pompier a hurlé dans mon dos : « Attention, courez ! Il y en a un qui tombe ! » Je me suis arrêté immédiatement, et j’ai levé les yeux au ciel, vers ce beau monochrome bleu azur. J’ai aperçu un type qui tombait du ciel, bras et jambes écartés, et qui m’arrivait droit dessus. Il portait un pantalon bleu marine, une chemise blanche et une cravate. Il avait des cheveux noirs. Je n’en croyais pas mes yeux.
Inspecteur David Brink, unité d’urgences, Camion 3, NYPD : Beaucoup de corps tombaient des bâtiments. J’ai vu un groupe de quatre personnes sauter par une fenêtre, en se tenant par la main. J’avais le regard fixé sur les étages supérieurs et je répétais : « Je vais vous aider, les gars. Tenez bon. S’il vous plaît, tenez bon », mais je savais que je ne pouvais rien y faire. Je me sentais tellement inutile et impuissant.
Docteur Charles Hirsch, médecin légiste en chef, New York : Ces images et ces bruits, je ne les oublierai jamais. Le son d’un corps qui s’écrase, c’est atroce.
Gregory Fried, chirurgien en chef, NYPD : On entendait d’abord un sifflement, un bruit de frottement dans l’air, pffffiou, puis un son mat au moment de l’impact. Un des policiers s’est tourné vers moi : « C’était quoi, ça ? » Je l’ai regardé droit dans les yeux : « Un être humain. »
Quentin DeMarco, policier, PAPD : Les vêtements de ceux qui sautaient faisaient le bruit d’un drapeau ou d’une voile qui claque dans la tempête.
Bill Spade, pompier, Secours 5, FDNY : Dans la tour Nord, les portes s’ouvraient automatiquement grâce à des détecteurs de mouvement. Elles ne cessaient de s’ouvrir et de se fermer chaque fois qu’un corps s’écrasait devant.
Peter Moog, policier, NYPD : J’ai vu un corps s’écraser sur un des pompiers, au croisement de Vesey Street et de West Street. J’ai appris plus tard que le pompier s’appelait Danny Suhr. Il faisait partie de l’équipe de football de sa caserne. Comme j’étais entraîneur de notre équipe du NYPD, j’avais déjà croisé Danny. Il a été l’un des premiers pompiers à mourir ce jour-là.
William Jimeno, policier, PAPD : L’image qui m’a le plus marqué – je peux encore zoomer, mes yeux braqués sur lui –, c’était celle d’un homme blond qui portait un pantalon de toile et une chemise rose clair. Quand il a sauté, il l’a fait les bras presque en croix, comme Jésus. Il a sauté, le regard vers le ciel, puis il est tombé.
Stanley Trojanowski, pompier, Fourgon 238, FDNY : Je me suis signé une cinquantaine de fois, chaque fois que quelqu’un sautait.
Bill Spade : On avait déjà été confrontés directement à la mort, mais cette fois, c’était vraiment différent. Il y en avait tellement.
Sergent Mike McGovern, chef adjoint, NYPD : Mon pantalon était couvert d’éclaboussures, c’était le sang de ceux qui sautaient des tours et s’écrasaient à terre.
Rudy Giuliani, maire de New York : Tout à coup, j’ai aperçu un homme à la fenêtre, aux alentours du 100e, du 101e ou du 102e étage de la tour Nord. Il a sauté. J’ai figé sur place et je l’ai regardé descendre jusqu’en bas. C’était très choquant, je n’avais jamais été témoin d’une telle scène. Je me suis tourné vers le directeur de la police à côté de moi : « C’est bien plus grave que je ne le pensais. On est en territoire inconnu. » Nous avions envisagé beaucoup de situations – attentat à l’anthrax, au gaz sarin, des écrasements d’avion, des effondrements d’immeubles, des prises d’otages, des trains qui déraillent, même le virus du Nil occidental. Je pensais franchement que nous étions la ville la mieux préparée à une situation d’urgence aux États-Unis, voire au monde. Mais là, c’était au-delà de tout ce qu’on avait pu imaginer.
Bernie Kerik, directeur, NYPD : J’étais dans le métier depuis 26 ans, et j’avais tout connu. Des fusillades. Des coéquipiers morts sous mes yeux. Mais là, je ne m’étais jamais senti aussi impuissant. On ne pouvait même pas crier à ces gens de ne pas sauter, ou amortir leur chute.
Melinda Murphy, journaliste info-trafic, WPIX-TV, survolant le port de New York : On avait de bonnes caméras. J’ai demandé : « C’est quoi ce truc qui tombe du bâtiment ? » On aurait dit un liquide qui gouttait depuis les tours. Mon cadreur, Chet, n’en savait rien non plus. Quand on a zoomé au maximum, on a vu les gens sauter. Comme on était en direct, j’ai tout de suite réagi : « C’est bon, c’est bon, dézoome, dézoome ! » Je ne voulais pas que nos téléspectateurs voient ça.
Sunny Mindel, directrice des communications du maire de New York, Rudy Giuliani : Je me souviens de mes collègues du service presse du NYPD entourés de caméras de télévision braquées vers le haut des tours, en direction des gens qui sautaient. Dans mon métier, une des premières choses que l’on nous apprend, c’est de ne jamais mettre la main devant l’objectif d’une caméra. C’est une violation pure et simple du premier amendement, ça revient à censurer la presse. J’étais tellement choquée de voir ces gens qui décidaient de sauter qu’instinctivement, j’ai pensé : c’est terrible de leur voler ce moment, le plus intime qui soit. J’ai avancé mes mains pour masquer les objectifs, mais je me suis arrêtée juste avant : non, il faut enregistrer ces images, pour la postérité. Je suis restée debout, sans bouger.
11 septembre – Une histoire orale
Garrett M. Graff
Les Arènes
529 pages
Qui est Garrett M. Graff
Journaliste, historien et auteur, Garrett M. Graff a passé plus d’une douzaine d’années à couvrir la politique, la technologie et la sécurité nationale. Il est aujourd’hui directeur du programme de cybersécurité et de technologie de l’Aspen Institute. Il a été rédacteur en chef du magazine Washingtonian et de Politico Magazine. Cet extrait décrit des scènes choquantes, nous préférons vous en avertir.
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