Emile Zola (1840 – 1902) a inauguré un nouveau mouvement qui lui-même a appelé naturalisme. Dans la préface de Thérèse Raquin, il parle de «groupe d’écrivains naturalistes auquel j’ai l’honneur d’appartenir.” On peut parler de bluff, car un tel groupe n’existait pas, ni le naturalisme, d’ailleurs, ou plutôt, ils commençaient seulement à exister.
La naturalisme était influencé par les sciences, la médecine expérimentale et les débuts de la psychiatrie. Ses principes visaient à renforcer certains caractères du réalisme, et à pouvoir vérifier de manière expérimentale le rôle sur l’individu et le groupe des déterminismes sociaux et biologique.
Zola a innové avec le naturalisme pour se distinguer de ses prédécesseurs. Cette distinction reposait principalement sur sa démarche scientifique. Il s’agissait d’observer des faits de manière objective selon leurs rapports de cause à effet.
Emile Zola écrit avec une rigueur scientifique Thérèse Raquin
Thérèse Raquin est l’un des romans de Zola où celui-ci applique à la littérature une méthode scientifique. Ce livre a reçu après la publication un torrent de critiques. Zola a été accusé de l’avoir écrit dans le seul but de dépeindre des scènes scandaleuses. Or, Thérèse Raquin est une «étude» dans laquelle la psychologie des personnages remonte à ses causes physiologiques. Dans la préface de la deuxième édition, Zola évoque « des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. » Il a voulu mettre en scène les « passions, les poussées de l’instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d’une crise nerveuse ».
Cette allusion à la typologie médicale des humeurs était populaire dans le milieu du dix-neuvième siècle où la constitution humaine pouvait être classée en plusieurs types. Les plus courants sont les sanguins (prédominance du sang) et les nerveux (les nerfs), puis les colériques (la bile jaune), les flegmatiques (le phlegme) et les mélancoliques (la bile noire, associée plus tard, avec les nerfs).
L’analyse de deux tempéraments opposés
Zola a voulu, par son “étude”, observer ce qui se produirait si deux tempéraments opposés mis en contact les amènerait à agir comme des aimants, les opposés s’attirant mutuellement.
Thérèse Raquin est une femme nerveuse. La vraie nature de son tempérament est cependant voilée par son mariage avec le flegmatique Camille et par l’environnement dans lequel ils évoluent : une boutique sombre, claustrophobique, qui évoque irrésistiblement un aquarium. Au fond d’elle-même cependant, Thérèse couve les passions les plus violentes.
Zola était également influencé par le travail de l’historien Hippolyte Taine. Dans son “Histoire de la littérature anglaise”, Taine avance que la nature d’une nation est déterminée par des lois comparables à celles du monde naturel. Chaque événement historique dépend selon lui de trois conditions : le milieu (environnement géographique et climat) ; la race (l’homme, son corps physique, sa place dans l’évolution biologique) ; le moment. Une méthode expérimentale comparable à celle utilisée en médecine peut servir à les étudier,
Zola a fait de ces concepts les déterminants d’une histoire individuelle : l’origine, le plan social et environnemental de l’action. Cette triade déterministe se reflète clairement dans Thérèse Raquin. Le tempérament nerveux du personnage de Thérèse, par exemple, est renforcé par des facteurs héréditaires : Thérèse est en effet d’origine africaine.
Au fil du déroulement de l’intrique, l’auteur explore les manœuvres utilisées par les deux protagonistes-tempéraments pour assouvir leurs désirs. Les passions de Thérèse et Laurent s’exacerbent, leurs actions deviennent de plus en plus téméraires, jusqu’à être sanctionnées par un acte impensable. Zola dissèque méticuleusement les pensées et actions du couple, ainsi que l’impact décisif de l’acte sur leur relation.
Les protagonistes s’enferment peu à peu dans une spirale vertigineuse où ils perdent tout contrôle d’eux-mêmes, se comportant de manière passionnelle et presque animale, entraînés dans ce désordre organique jusqu’à la dernière scène d’un horrible réalisme.
Thérèse raquin cours de seconde
12519
mots
51 pages
Nouveaux programmes de 2de
Objet d’étude : le roman et la nouvelle au XIXème siècle, Réalisme et Naturalisme.
Thérèse Raquin, Emile Zola 1867.
Édition de référence : GF, n°1377
Cette séquence a été réalisée par Mireille Reynaud et Christèle Dufour pour leurs élèves du lycée René Char, à Avignon.
|Présentation générale de la séquence |
Problématique : en quoi ce roman définit-il les bases de l’esthétique naturaliste ?
1) Biographie de l’auteur et mouvement littéraire.
2) Lectures analytiques.
Incipit : du début jusqu’à « couturée de cicatrices »
Chapitre V : la rencontre des deux héros : du début jusqu’à « Elle souffrait » (pp. 68-70)
Chapitre IX : le projet du meurtre de Camille, de « Maintenant, plus calme…un plan d’assassinat. » (pp.72- 73)
Chapitre XI : la scène du meurtre, de « Le crépuscule venait… Elle y resta pliée, pâmée, morte. » (pp.110-112)
Chapitre XXII : le sentiment de culpabilité des personnages : de « Ses remords… avec brutalité. » (pp.184-185)
Chapitre XXXII : la mort des héros « A ce moment là…de regards lourds »
3) Lectures cursives complémentaires.
a) Corpus de textes théoriques :
Texte 1 : Introduction à la médecine expérimentale, Claude Bernard (1865)
Texte 2 : Thérèse Raquin, préface (1868) – voir livre pp. 41-42, du début jusqu’à « puisque je l’ai voulu ainsi. »
Texte 3 : La Fortune des Rougon (1871) Préface
Texte 4 : Le Roman expérimental (1880)
b) Une nouvelle de Zola :
« Un mariage d’amour »(1866) (pages 267-271)
c) L’adaptation théâtrale de Thérèse Raquin (extrait) : le dénouement.
4) Connaissances abordées au cours de la séquence.
Un mouvement littéraire : le Naturalisme et ses personnages.
Le personnage de roman : fiche intitulée « Le personnage de roman » dans le manuel de français, page 252
Le thème de la culpabilité dans un vrai faux roman policier.
PRÉFACE
DE LA DEUXIÈME ÉDITION
J’avais naïvement cru que ce roman pouvait se passer de préface. Ayant l’habitude de dire tout haut ma pensée, d’appuyer même sur les moindres détails de ce que j’écris, j’espérais être compris et jugé sans explication préalable. Il paraît que je me suis trompé.
La critique a accueilli ce livre d’une voix brutale et indignée. Certaines gens vertueux, dans des journaux non moins vertueux, ont fait une grimace de dégoût, en le prenant avec des pincettes pour le jeter au feu. Les petites feuilles littéraires elles-mêmes, ces petites feuilles qui donnent chaque soir la gazette des alcôves et des cabinets particuliers, se sont bouché le nez en parlant d’ordure et de puanteur. Je ne me plains nullement de cet accueil ; au contraire, je suis charmé de constater que mes confrères ont des nerfs sensibles de jeune fille. Il est bien évident que mon œuvre appartient à mes juges, et qu’ils peuvent la trouver nauséabonde sans que j’aie le droit de réclamer. Ce dont je me plains, c’est que pas un des pudiques journalistes qui ont rougi en lisant Thérèse Raquin ne me paraît avoir compris ce roman. S’ils l’avaient compris, peut-être auraient-ils rougi davantage, mais au moins je goûterais à cette heure l’intime satisfaction de les voir écœurés à juste titre. Rien n’est plus irritant que d’entendre d’honnêtes écrivains crier à la dépravation, lorsqu’on est intimement persuadé qu’ils crient cela sans savoir à propos de quoi ils le crient.
Donc il faut que je présente moi-même mon œuvre à mes juges. Je le ferai en quelques lignes, uniquement pour éviter à l’avenir tout malentendu.
Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J’ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l’instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d’une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d’un besoin ; le meurtre qu’ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu’ils acceptent comme les loups acceptent l’assassinat des moutons ; enfin, ce que j’ai été obligé d’appeler leurs remords, consiste en un simple désordre organique, et une rébellion du système nerveux tendu à se rompre. L’âme est parfaitement absente, j’en conviens aisément, puisque je l’ai voulu ainsi.
On commence, j’espère, à comprendre que mon but a été un but scientifique avant tout. Lorsque mes deux personnages, Thérèse et Laurent, ont été créés, je me suis plu à me poser et à résoudre certains problèmes : ainsi, j’ai tenté d’expliquer l’union étrange qui peut se produire entre deux tempéraments différents, j’ai montré les troubles profonds d’une nature sanguine au contact d’une nature nerveuse. Qu’on lise le roman avec soin, on verra que chaque chapitre est l’étude d’un cas curieux de physiologie. En un mot, je n’ai eu qu’un désir : étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupuleusement les sensations et les actes de ces êtres. J’ai simplement fait sur deux corps vivants le travail analytique que les chirurgiens font sur des cadavres.
Avouez qu’il est dur, quand on sort d’un pareil travail, tout entier encore aux graves jouissances de la recherche du vrai, d’entendre des gens vous accuser d’avoir eu pour unique but la peinture de tableaux obscènes. Je me suis trouvé dans le cas de ces peintres qui copient des nudités, sans qu’un seul désir les effleure, et qui restent profondément surpris lorsqu’un critique se déclare scandalisé par les chairs vivantes de leur œuvre. Tant que j’ai écrit Thérèse Raquin, j’ai oublié le monde, je me suis perdu dans la copie exacte et minutieuse de la vie, me donnant tout entier à l’analyse du mécanisme humain, et je vous assure que les amours cruelles de Thérèse et de Laurent n’avaient pour moi rien d’immoral, rien qui puisse pousser aux passions mauvaises. L’humanité des modèles disparaissait comme elle disparaît aux yeux de l’artiste qui a une femme nue vautrée devant lui, et qui songe uniquement à mettre cette femme sur sa toile dans la vérité de ses formes et de ses colorations. Aussi ma surprise a-t-elle été grande quand j’ai entendu traiter mon œuvre de flaque de boue et de sang, d’égout, d’immondice, que sais-je ? Je connais le joli jeu de la critique, je l’ai joué moi-même ; mais j’avoue que l’ensemble de l’attaque m’a un peu déconcerté. Quoi ! il ne s’est pas trouvé un seul de mes confrères pour expliquer mon livre, sinon pour le défendre ! Parmi le concert de voix qui criaient : « L’auteur de Thérèse Raquin est un misérable hystérique qui se plaît à étaler des pornographies », j’ai vainement attendu une voix qui répondît : « Eh ! non, cet écrivain est un simple analyste, qui a pu s’oublier dans la pourriture humaine, mais qui s’y est oublié comme un médecin s’oublie dans un amphithéâtre. »
Remarquez que je ne demande nullement la sympathie de la presse pour une œuvre qui répugne, dit-elle, à ses sens délicats. Je n’ai point tant d’ambition. Je m’étonne seulement que mes confrères aient fait de moi une sorte d’égoutier littéraire, eux dont les yeux exercés devraient reconnaître en dix pages les intentions d’un romancier, et je me contente de les supplier humblement de vouloir bien à l’avenir me voir tel que je suis et me discuter pour ce que je suis.
Il était facile, cependant, de comprendre Thérèse Raquin, de se placer sur le terrain de l’observation et de l’analyse, de me montrer mes fautes véritables, sans aller ramasser une poignée de boue et me la jeter à la face au nom de la morale. Cela demandait un peu d’intelligence et quelques idées d’ensemble en vraie critique. Le reproche d’immoralité, en matière de science, ne prouve absolument rien. Je ne sais si mon roman est immoral, j’avoue que je ne me suis jamais inquiété de le rendre plus ou moins chaste. Ce que je sais, c’est que je n’ai pas songé un instant à y mettre les saletés qu’y découvrent les gens moraux ; c’est que j’en ai écrit chaque scène, même les plus fiévreuses, avec la seule curiosité du savant ; c’est que je défie mes juges d’y trouver une page réellement licencieuse, faite pour les lecteurs de ces petits livres roses, de ces indiscrétions de boudoir et de coulisses, qui se tirent à dix mille exemplaires et que recommandent chaudement les journaux auxquels les vérités de Thérèse Raquin ont donné la nausée.
Quelques injures, beaucoup de niaiseries, voilà donc tout ce que j’ai lu jusqu’à ce jour sur mon œuvre. Je le dis ici tranquillement, comme je le dirais à un ami qui me demanderait dans l’intimité ce que je pense de l’attitude de la critique à mon égard. Un écrivain de grand talent, auquel je me plaignais du peu de sympathie que je rencontre, m’a répondu cette parole profonde : « Vous avez un immense défaut qui vous fermera toutes les portes : vous ne pouvez causer deux minutes avec un imbécile sans lui faire comprendre qu’il est un imbécile. » Cela doit être ; je sens le tort que je me fais auprès de la critique en l’accusant d’inintelligence, et je ne puis pourtant m’empêcher de témoigner le dédain que j’éprouve pour son horizon borné et pour les jugements qu’elle rend à l’aveuglette, sans aucun esprit de méthode. Je parle, bien entendu, de la critique courante, de celle qui juge avec tous les préjugés littéraires des sots, ne pouvant se mettre au point de vue largement humain que demande une œuvre humaine pour être comprise. Jamais je n’ai vu pareille maladresse. Les quelques coups de poing que la petite critique m’a adressés à l’occasion de Thérèse Raquin se sont perdus, comme toujours, dans le vide. Elle frappe essentiellement à faux, applaudissant les entrechats d’une actrice enfarinée et criant ensuite à l’immoralité à propos d’une étude physiologique, ne comprenant rien, ne voulant rien comprendre et tapant toujours devant elle, si sa sottise prise de panique lui dit de taper. Il est exaspérant d’être battu pour une faute dont on n’est point coupable. Par moments, je regrette de n’avoir pas écrit des obscénités ; il me semble que je serais heureux de recevoir une bourrade méritée, au milieu de cette grêle de coups qui tombent bêtement sur ma tête, comme des tuiles, sans que je sache pourquoi.
Il n’y a guère, à notre époque, que deux ou trois hommes qui puissent lire, comprendre et juger un livre. De ceux-là je consens à recevoir des leçons, persuadé qu’ils ne parleront pas sans avoir pénétré mes intentions et apprécié les résultats de mes efforts. Ils se garderaient bien de prononcer les grands mots vides de moralité et de pudeur littéraire ; ils me reconnaîtraient le droit, en ces temps de liberté dans l’art, de choisir mes sujets où bon me semble, ne me demandant que des œuvres consciencieuses, sachant que la sottise seule nuit à la dignité des lettres. À coup sûr, l’analyse scientifique que j’ai tenté d’appliquer dans Thérèse Raquin ne les surprendrait pas ; ils y retrouveraient la méthode moderne, l’outil d’enquête universelle dont le siècle se sert avec tant de fièvre pour trouer l’avenir. Quelles que dussent être leurs conclusions, ils admettraient mon point de départ, l’étude du tempérament et des modifications profondes de l’organisme sous la pression des milieux et des circonstances. Je me trouverais en face de véritables juges, d’hommes cherchant de bonne foi la vérité, sans puérilité ni fausse honte, ne croyant pas devoir se montrer écœurés au spectacle de pièces d’anatomie nues et vivantes. L’étude sincère purifie tout, comme le feu. Certes, devant le tribunal que je me plais à rêver en ce moment, mon œuvre serait bien humble ; j’appellerais sur elle toute la sévérité des critiques, je voudrais qu’elle en sortît noire de ratures. Mais au moins j’aurais eu la joie profonde de me voir critiquer pour ce que j’ai tenté de faire, et non pour ce que je n’ai pas fait.
Il me semble que j’entends, dès maintenant, la sentence de la grande critique, de la critique méthodique et naturaliste qui a renouvelé les sciences, l’histoire et la littérature : « Thérèse Raquin est l’étude d’un cas trop exceptionnel ; le drame de la vie moderne est plus souple, moins enfermé dans l’horreur et la folie. De pareils cas se rejettent au second plan d’une œuvre. Le désir de ne rien perdre de ses observations a poussé l’auteur à mettre chaque détail en avant, ce qui a donné encore plus de tension et d’âpreté à l’ensemble. D’autre part, le style n’a pas la simplicité que demande un roman d’analyse. Il faudrait, en somme, pour que l’écrivain fît maintenant un bon roman, qu’il vît la société d’un coup d’œil plus large, qu’il la peignît sous ses aspects nombreux et variés, et surtout qu’il employât une langue nette et naturelle. »
Je voulais répondre en vingt lignes à des attaques irritantes par leur naïve mauvaise foi, et je m’aperçois que je me mets à causer avec moi-même, comme cela m’arrive toujours lorsque je garde trop longtemps une plume à la main. Je m’arrête, sachant que les lecteurs n’aiment pas cela. Si j’avais eu la volonté et le loisir d’écrire un manifeste, peut-être aurais-je essayé de défendre ce qu’un journaliste, en parlant de Thérèse Raquin, a nommé « la littérature putride ». D’ailleurs, à quoi bon ? Le groupe d’écrivains naturalistes auquel j’ai l’honneur d’appartenir a assez de courage et d’activité pour produire des œuvres fortes, portant en elles leur défense. Il faut tout le parti pris d’aveuglement d’une certaine critique pour forcer un romancier à faire une préface. Puisque, par amour de la clarté, j’ai commis la faute d’en écrire une, je réclame le pardon des gens d’intelligence, qui n’ont pas besoin, pour voir clair, qu’on leur allume une lanterne en plein jour.
Émile Zola
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15 avril 1868.
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