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Bon plaisir 3 lettres

DE LA FORMULE « CAR TEL EST NOTRE PLAISIR »

DANS LA CHANCELLERIE FRANÇAISE

La phrase suivante se trouve à la page 640 du tome Ier de la 3e édition de Y Art de vérifier les Dates : « François Ier est « l’auteur de la formule : Car tel est notre bon plaisir, qui « s’emploie dans la plupart des Edits ou Lettres royaux. »

Ainsi, dans la pensée des auteurs de ce magnifique ouvrage resté un chef-d’œuvre encore inimité., la formule du Bon plaisir a sanctionné la plupart des actes royaux de l’ancienne monarchie depuis le temps du roi François Ier jusqu’à la fin du xvme s. Et cette formule blessante, et justement décriée, se retrouverait non seulement au bas des simples Lettres patentes constatant des actes de la juridiction gracieuse et bienveillante, telles que les anoblissements et les concessions de titres nobiliaires, attribut exclusif et bien légitime delà souveraineté. Elle aurait été inscrite aussi au bas des actes les plus graves, les plus solennels, de l’objet le plus général et d’un intérêt public, car l’expression de Lettres Royaux désigne les Édits, les Ordonnances et les Déclarations, c’est-à-dire les Lois mêmes de l’Etat.

En lisant une pareille énonciation, sortie de la plume de savants généralement si exacts, si soigneux d’assurer sur les preuves leurs moindres assertions, comment ne pas croire et affirmer, sans autre vérification, que la plupart des Edits et des Lettres patentes rendus par le roi Louis XVI en l’an de grâce 1783 et autres années de son règne portaient en effet à la fin cette déclaration restrictive en même temps que confirmative : Car tel est notre bon plaisir. Comment ne pas excuser de très savants auteurs et après eux la foule des écrivains et du public

Since its inception in 1907 by French Dominicans, the Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques has been a journal intended for university researchers and scholars. The papers, interspersed with scholarly notes, contribute to the diverse discussions of philosophers and theologians. The second part of each issue includes numerous critical reviews of specialized studies and a systematic listing of a hundred or so international journals that stand out in the disciplines of philosophy and theology. Fondée en 1907 par les dominicains français, celle que les initiés appellent avec révérence la RSPT est depuis l’origine une revue destinée aux chercheurs et aux universitaires. Les articles, émaillés de notes savantes, contribuent aux débats divers des philosophes et des théologiens qui trouvent en seconde partie de chaque livraison de nombreuses recensions critiques d’ouvrages spécialisés et le dépouillement systématique d’une centaine de revues internationales qui s’imposent dans leur spécialité.

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    Autographe, 2 f. (16,3 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés ; numérotés “1” et (…)

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    René Pageau date cette lettre du mardi 2 août 1920 ; il s’agit plutôt du mardi 3 août 1920. Grandb (…)

1Mardi, [3] août 1920

2Mademoiselle Routier,

3Québec.

4Simone,

5Je ne devrais pas, Simone, vous écrire ce soir, dans l’état où je me trouve. Mais il me semble si doux de vous confier mes misères, à vous qui m’êtes tout, vous entendez, que vous pardonnerez à la pauvreté de mon âme.

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    Simone Routier est liée d’amitié, possiblement depuis 1916-1917, à l’une des sœurs d’Alain, Gabrie (…)

6Je n’ai pu, Simone, depuis votre départ, ni penser, ni réfléchir. J’ai crié, bêtement, ma souffrance, et toutes mes anciennes rancœurs, mes révoltes d’autrefois, me sont revenues. C’est que, voyez-vous, depuis l’âge où l’on sent les besoins et les appels du cœur, j’ai tant chanté, et pleuré, et appelé, de toutes les forces de ma jeunesse, l’Inconnue, vous, que maintenant, je n’en puis plus. Le coup a été trop rude, et puis à quoi bon lutter. Je Vous aime, Simone, depuis toujours. Vous êtes celle que j’ai aimée, confusément et follement depuis des années , avec le meilleur de mon être. Lorsque vous m’êtes apparue, si exquisément pure, je vous ai reconnue. Et je regrette maintenant, Simone, de vous avoir dit mon amour. Ne pas l’avoir dévoilé, avoir enfoui votre image, jalousement, en mon âme, souffrir en silence, et surtout, oh surtout, n’avoir point troublé votre quiétude de mes justes blasphèmes, de mon scepticisme fatal, raisonner, cela aurait été si beau, et tellement plus digne. Vous ne pouvez comprendre la haine que j’ai pour tout.

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    Dans des textes autobiographiques inachevés (« Cela peut faire bondir… » et « Lucette », Proses (…)

7Voici ce que maman me disait, hier soir, lorsque j’ai dirigé la conversation vers ce sujet : « Tu sembles avoir beaucoup de sympathie pour Mademoiselle Routier, je disais cela à ton père, ce matin, et il me répondait : “Tant mieux, s’il peut venir à aimer un jour, sa vie de cœur a été si vide jusqu’ici , que c’en est décourageant.” »

8N’est-ce pas merveilleux, tout ce que la vie renferme de paradoxal, d’ironique !

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    C’est-à-dire Dieu. Simone Routier songe alors à entrer en religion chez les Ursulines. En 1940, el (…)

9Ma tête est vide, vide, vide. Je n’ai même plus le courage d’analyser, de clarifier mes idées, et Dieu sait si j’en ressens le besoin. Je pense à Vous, à Toi, et puis je ne sais ce que je pense. Votre image est là, en mon cerveau, et vos yeux, vos cheveux, votre sourire triste, et tout tourne, un tas de choses noires, sombres, vides, avec des sanglots. Pourquoi vous avoir connue, et perdue, en vous connaissant ? Entre nous, il y a Lui , et je ne puis lutter contre Lui. Je suis sceptique, décavé, perdu, je ne crois plus mais je sais qu’il existe. Il est le plus fort.

10Simone, si vous entrez là-bas, priez pour moi ; vous n’aurez pas à le faire longtemps. Toutes ces choses brisent, cela doit finir par tuer, je crois. Et je ferai ainsi que je vous aurai aimée toujours, puisque ma vie, la vie du cœur, de l’âme, la vraie, aura commencé et… fini avec Vous. Je ne suis pas étonné de mon amour, du bouleversement qu’il apporte à tout mon moi ; j’ai toujours senti vaguement que s’il m’arrivait de rencontrer l’Aimée — oh l’ironie des mots — je souffrirais à en mourir. Dieu a dû faire ainsi certaines natures, pour payer le bonheur des autres. Seulement, je paye avec tout ce qu’il y a de bon en moi, cela s’épuise.

11Simone, voulez-vous me croire. Ce ne sont pas des phrases que j’écris. C’est mon âme, toute nue, que je remets entre vos mains. Lisez le tout avec la Vôtre, vous comprendrez.

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    Sainte-Anne-de-la-Pérade.

12Je ne pleure pas, cela me soulagerait tellement. Tenez, je vais danser, demain soir, à Sainte-Anne , et rire, et peut-être m’amuser.

13Mais voyez-vous, il y a quelque chose, que je ne danserai plus, quelque chose qui est cassé. Mon âme était la musique inquiète, banale, sauvage, étrange, folle et douée, l’Hawaïenne que les Noirs jouent, le soir, avec des sanglots, dans le crépuscule mourant. Quelquefois, la musique s’énerve, grandit, monte toujours, s’affole, s’exaspère ; l’âme en est brisée.

14Simone, aimez-moi, aimez-moi avec tout votre cœur, toute votre âme, et vous ne m’aimerez jamais comme je vous aime.

15Je baise vos yeux, avec tout mon amour.

16Alain

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    Autographe, 1 f. (16,3 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire, numéroté « 2 » à (…)

17Dimanche soir, le 8 [août] 1920.

18Mademoiselle Routier,

19Québec.

20Simone,

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    C’est-à-dire Loretteville, où les parents de Simone ont un chalet, le « Courcelette », sur les bor (…)

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    Ernest Routier, frère de Simone.

21Voulez-vous excuser cette courte lettre, Simone, je vous écrirai plus longuement demain. Depuis deux ou trois jours, j’ai un mal de tête affreux, et je suis d’une nervosité extrême. Je ne vous écrivais pas avant, me proposant d’aller à Lorette dimanche. Remerciez Ernest de son invitation, rien ne pouvait me faire plus plaisir — mais papa m’a jugé trop fatigué, et m’a conseillé de rester. Soyez sûre que je me reprendrai.

22Vous ne sauriez croire combien votre chère lettre m’a fait du bien. Elle m’est arrivée au moment où je désespérais le plus, et de sentir votre amour pénétrer mon âme, la confiance, la foi en la vie — en Vous — sont revenues.

23Vous seule, Simone, avez le pouvoir de panser mes blessures, par où s’échappe le meilleur de moi-même.

24Simone, j’ai peur de notre amour. Je vous aime trop, trop. Dites-moi que vous m’aimez, que ce n’est pas un autre « fort béguin ». Vous êtes très impressionnable, et j’ai peur de vous.

25Écrivez-moi, vous aussi, souvent. Envoyez-moi des photos, beaucoup, de vous.

26Encore une fois, Simone, excusez cette petite lettre. Je vous écrirai très longuement demain. Je ne peux plus, ce soir. Je vous aime trop.

27Je vous envoie toute mon âme.

28Alain

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    Autographe, 2 f. (16,3 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés, numérotés au cray (…)

29Mardi, [10 août] 1920.

30Mademoiselle Routier,

31Lorette.

32Simone,

33C’est encore moi qui vous reviens avec, à la fin, une grande peur de vous ennuyer. Tout ce que je puis vous dire, je vous aime. Et mon amour est trop grand, trop profond, pour que je m’amuse à le disséquer, à le philosopher, à bâtir des phrases avec.

34Vous êtes entrée chez moi, brutalement, comme une voleuse. Vous n’y avez laissé qu’un grand amour, un vide, une douleur. Je n’en ai pas été surpris, tout m’y préparait. J’ai souffert de crises morales trop violentes, trop fortes, depuis quelques années, surtout deux ans, qu’il fallait logiquement que cela vînt à finir, d’une façon ou d’une autre. L’autre, j’en ai peur, aurait été terrible. Il me fallait la Vie, ou la Fin. La Vie, Simone, c’est Vous. Vous l’êtes dans toute sa fraîcheur, sa pureté, et un peu, dans son désenchantement, parce que vous possédez, à un degré très rare, la conscience imminente des choses qui passent. Et cela me fait vous aimer d’autant plus, puisque cela me rapproche de vous. Vous avez la perception douloureuse de la vie, avant même d’avoir vécu.

35Peut-être sommes-nous un peu fous, de douter ; nous avons devant nous toute notre jeunesse, tout l’avenir, tout notre amour. Mais aussi, combien d’autres, qui ont aimé pleinement, follement, infiniment, et qui ont passé…

36Je ne comprends pas l’amour. Il y a là un mystère étrange, fatal, qui déconcerte et affole la raison. Pourquoi l’étincelle divine, allumée chez deux êtres, jeunes, confiants, s’éteint-elle subitement, pour faire des indifférents de ceux dont les âmes, sous la force de ce même amour, s’étaient fondues l’une dans l’autre, en soudant l’Infini ?

37Ne sommes-nous donc que des marionnettes ridicules, activées par une haine capricieuse, et dont de ces mêmes caprices dépendraient des immenses bonheurs ou des peines inguérissables ?

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    Selon René Pageau (Rencontres avec Simone Routier, p.214), il s’agirait d’une allusion à une note (…)

38Je vous aime tant, Simone, qu’il me semble que quelque chose finira par… finir. Vous me dites que vous m’aimez, et je sais que vous êtes sincère. Mais vous êtes femme, femme dans toute la beauté et la grandeur du mot, par conséquent très impressionnable, et sensible, et bonne, peut-être ne s’agit-il que d’une fougue sentimentale, provoquée par certaines circonstances, surtout par l’état d’âme dans lequel vous avait plongé le noir broyé depuis… Jean Minuit  !

39Si je vous fais de la peine, Simone, pardonnez-moi. Je voudrais tant vous rendre heureuse, vous donner, moi aussi, de ce bonheur infini que vous m’avez fait goûter, là-bas, pendant des minutes enchantées, et que je n’ai pas, hélas, su vous rendre.

40Je crois pouvoir monter à Québec samedi. Ne pourrais-je pas vous y rencontrer, l’après-midi, et puis nous parlerons de beaucoup de choses qu’il me serait plus facile d’exprimer, les yeux dans les yeux.

41Pourquoi ne m’écrivez-vous plus, Simone… Vous savez bien tout le plaisir — plaisir n’est pas le mot — que cela me ferait. Ne m’aimez-vous donc déjà plus, ou un autre a-t-il déjà ému votre… pitié ?

42Il est trois heures. La nuit commence déjà à pâlir, imperceptiblement. Pardonnez tout ce barbouillage. Toutes mes pensées, toute mon âme, dans cette journée commençante, sont à vous. Je vous aime, Simone, comme les Nonnes, autrefois, dans des chapelles ardentes et basses, avec des extases, adoraient la Vierge.

43Alain

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    Autographe, 2 f. (16,3 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés. Le premier feuill (…)

44Lundi, le 16 août 1920.

45Mademoiselle Routier,

46Lorette.

47Simone,

48Il me semble, Simone, que de vous écrire ce soir insulte à notre amour. Mon cœur, mon âme °sont tellement pleins de Vous, de tout l’amour que je vous y ai élevé, que je n’ai jamais senti comme en ce moment l’impossibilité, avec des mots, de vous rendre mon Adoration. Écoutez-moi, comme si j’étais dans l’ombre, prosterné à vos genoux, vous racontant, tout bas, mon bonheur et ma détresse. Vous comprendrez mieux, et tout. Je vous °aime plus, et mieux, que je ne vous ai jamais aimée. Je crois, Simone, en vous, et je crois en moi. Je sens que je ne peux plus vous perdre, jamais, que vous me tueriez, aussi sûrement qu’avec un revolver, le jour où vous me retireriez votre amour. Ce ne sont pas là de vaines paroles. Croyez-moi, Simone. Tout ce que je vous dis ce soir, je vous le dirais dans une église, à la face de Dieu.

49Mardi, le 17 [août 1920].

50Je ne pourrai plus, Simone, ne pas vous croire, ou plutôt ne pas croire en vos dates, puisque j’use du même moyen. Et je suis aussi sûr de vous que je le suis de moi.

51Je ne sais quoi vous dire. Mon amour est trop haut, trop pur, pour que je le nourrisse avec des mots. Ne riez pas de moi. Lorsque vous aimerez comme je vous aime, vous comprendrez que l’on peut mourir d’amour, ailleurs que dans les chansons. Nous avons tous, dans un coin de l’âme, des parcelles de l’Infini, des parcelles divines. On ne les fait pas vibrer impunément ; nous ne sommes point faits pour elles ; elles brûlent trop. Pourquoi les saints, autrefois, se mouraient-ils d’amour pour Dieu ? Et de quoi provenaient les extases ? Je voudrais, ce soir, Simone, que vous me parliez de °vous, très doucement. Je voudrais apprendre de votre vie, de votre âme, de votre amour. Je voudrais que rien ne nous sépare plus, que vous ayez confiance, que vous m’admettiez dans l’intimité de votre cœur. Je vous aime infiniment, douloureusement.

52Mercredi matin, 9hres [18 août 1920]

53Simone,

54Ma nuit a été pleine de vous. Il me semble que vous êtes un second moi, que vous êtes liée à mon être. Vous êtes dans toutes mes actions, dans toutes mes pensées.

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    Selon Simone Routier, Grandbois fait allusion à une soirée à Loretteville, où M. Bastien (surnommé (…)

55Vous ne pouvez savoir combien je souffre, intensément, de ne pouvoir baigner mes yeux dans vos prunelles aux « tendresses infinies ». Je vous aime comme je vous ai aimée, dimanche soir, désespérément. Que me faisaient alors les hurons, les statues, et les haches de guerre . Vous étiez là, près de moi, et tout ce que je m’étais promis de vous dire « les yeux dans les yeux », comme je le ressentais, follement.

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    Inscrit à l’Université Laval, Alain Grandbois habite alors en pension, rue Sainte-Anne à Québec. L (…)

56Simone, soyez franche avec moi. Vous le devez à notre amour. Ne m’écrivez que ce qui existe, réellement, et si vous vous sentez lasse, ou fatiguée, ne m’écrivez pas. Mon amour n’en est pas à une lettre près. Dites-moi si vous pouvez venir à Sainte-Anne . Parlez-moi de vous.

57Je vous rends votre dernier baiser. Il me brûle encore la main.

58Alain

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    Ernest Routier, frère de Simone.

    Variantes

    Autographe, 1 f. (18,4 x 20,9 cm), papier à en-tête : « M (…)

59P.S. Remerciez encore Ernest pour moi.

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    Autographe, 1 f. (16,3 x 26 cm) plié en deux, écrit à l’encre noire au verso d’une seule moitié ; (…)

60Mercredi matin, 2hres /2… [25 août 1920]

61Simone,

62Je crois que vous m’aimez. Le miracle s’est fait. L’amour appelle l’amour. Je vous aime depuis toujours pour toujours. Disposez de moi comme vous l’entendez, je suis à vous.

63Alain

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    Autographe, 2 f. (16,3 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés, numérotés « 6 » e (…)

64Samedi matin, 1 heure [28 août 1920].

65Ma Simone,

66Je reçois votre chère lettre, la plus chère de toutes. Vous m’aimez, puisque vous souffrez. L’on souffre tant que dure l’amour. Je souffrirai toujours. Et ma souffrance, depuis que vous m’aimez, m’est devenue si chère, puisque je souffre pour Vous. Je ne comprends pas plus l’Amour sans la souffrance, que l’amour sans vous. Et je crois que c’est ce qu’il y a de plus divinement sacré, la souffrance dans l’Amour. Je donnerais tout, toute ma vie, pour une minute, Simone, à pleurer d’amour, tous les deux. Comprenez ce que renferment ces mots, pleurer d’amour. Ce seraient nos âmes, enlacées infiniment, qui se mourraient presque, dans des sanglots. Une larme, tirée de tout l’affolement de l’être éperdu d’amour, vaut mille fois tous les baisers du monde.

67Mercredi soir, 1er sept. [1920]

68Simone,

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    De retour d’Europe en mai 1920, où il a voyagé avec ses parents, Grandbois aurait projeté de desce (…)

69Je vous envoie toutes mes tendresses, toutes mes adorations. Avez-vous souffert de mon silence ? Je n’ai pu vous écrire à mon retour. Peut-on expliquer l’infini avec des mots. Je n’ai gardé de mon voyage à Lorette que la saveur de vos baisers, la clarté de vos yeux. Je [me] relève d’une courte indisposition — serais-je toujours l’éternel infirme ? — qui m’a valu vingt heures de sommeil. L’apaisement s’est fait en moi, et je souffre moins. Je vous aime. Je n’irai pas aux Etats-Unis . Je vous avouerai franchement que je préfère qu’il [en] soit ainsi. Je n’aurais pu souffrir votre absence, et les « bleus » ne sont point bons compagnons de voyage. Aimez-moi, Simone. Si vous saviez comme je me sens peu digne de votre amour, de toi, Simone, et comme mon âme vieillie tremble devant la jeunesse de la Tienne. Vous êtes pour moi toute la vie, puisque vous êtes l’Amour. Et jamais je n’oublierai ce que Vous avez fait pour moi, parce que l’amour régénère tout, et vous m’avez fait aimer. Je vous aime, à genoux.

70Jeudi matin [2 septembre 1920].

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    Ses « petites sœurs » Gabrielle et Madeleine étaient toutes deux, comme Simone Routier, pensionnai (…)

71Je viens d’assister au départ des petites sœurs . Simone, les vacances sont finies. Me direz-vous que nos beaux jours le sont ?

72J’ai ressenti, ce matin, pour la première fois, toutes les angoisses et les tristesses de l’automne qui vient. Façonnons, Simone, notre amour de telle façon, que rien ne puisse le faire trembler. Qu’il se tienne droit, et fort, et puissant, contre tous et contre tout.

73Ma Simone, pour toujours. Je baise ton âme.

74Alain

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    Autographe, 2 f. (16,3 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés ; numérotés « 7 » (…)

75Jeudi soir, 2 sept. [1920]

76Mademoiselle Routier

77Québec.

78Simone,

79Si vous saviez comme je vous aime, Simone, ce soir. Et de ne pas savoir où vous êtes en ce moment, ce que vous faites, me trouble infiniment. Pensez-vous seulement un peu à moi ! Il me semble tellement que vous êtes très loin de moi, de mon âme, que votre pensée s’attiédit peu à peu à notre amour, que vous n’êtes plus toi, ce soir. Je vous aime à mourir. Quelquefois, il me prend des désirs brusques de tout casser, brutalement, de m’enfuir je ne sais où, d’oublier, dans des folies, l’Existence de ce qui me fait vivre, de ne plus penser jamais. Il me semble que vous ne m’aimez pas, que c’est une comédie, un jeu, une pitié. Tous mes doutes me reviennent, tous, en foule, et je vous aime, je t’aime, Simone.

80Vendredi soir. Minuit. [3 septembre 1920]

81Je reviens d’un très long et très fatigant voyage en auto. Je suis allé à Shawinigan, Grand-Mère, Trois-Rivières. Et en repassant le grand pont de cette dernière ville, j’ai revu le paysage sombre et désolé qui nous avait tant frappé. C’était la même chose, le rouge °sombre, noir, à l’horizon, toute la teinte lugubre, presque morbide, de l’eau pesante et assoupie, et la masse indistincte des cheminées et des forêts lointaines. J’ai pensé à notre amour, et j’ai eu peur.

82J’étais sûr, en arrivant, d’avoir une chère lettre… Rien ne m’est venu, que plus de tristesses. Vos toujours ont-ils déjà vécu ? Et je ne sais pourquoi, ce paysage de désolation me poursuit depuis ce soir. Je ne puis penser à vous sans que lui s’encadre derrière votre image, et puis vous vous effacez tous deux, très lentement, comme si cela reculait…

83Pardonnez toutes ces folies, Simone, je ne puis plus penser. Je suis très énervé, fatigué ! Je ne vois que vous, et je vous aime.

84Dimanche soir [5 septembre 1920].

85De penser, Simone, que dans quelques très petites heures, je ne pourrai plus vous aimer avec mes yeux, que je serai déjà loin de vous, me décourage presque. Pourquoi notre amour nous apporte-t-il si peu de bonheur ? Je vous aime pourtant avec tout ce que j’ai de meilleur : je ne peux pas plus vous aimer.

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    Alain Grandbois aurait donc été à Québec, le dimanche 5 septembre 1920.

    Variante

    ° sombre [R presque(…)

86Quand vous lirez ces lignes, je ne serai plus là  ; sentirez-vous toute mon âme vous entourer, vous pénétrer ?

87Elle sera toujours avec vous.

88Alain

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    Autographe, 1 f. (20,2 x 25,2 cm), d’abord plié en deux sur le sens de la longueur, puis en trois (…)

89Québec, dimanche, 1hre matin [5 septembre 1920]

90Ma petite Simone,

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    Les tramways qui parcouraient alors les rues de la ville de Québec.

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    Au Château Frontenac.

91Imaginez-vous que, ayant comme toujours la bad-luck à mes trousses, j’ai perdu mon train — cinq minutes de retard causé par vos fameux « p’tits chars  » — et me voilà sur le pavé de Québec, comme un corps sans âme — ne vous ai-je pas dit dans ma dernière qu’elle devait rester avec vous ! — La perspective de coucher dans les parcs, — même sous vos fenêtres, genre Roméo — me souriait assez peu. J’arrive ici , et à force d’insistance, j’hérite de la chambre d’une New-Yorkaise qui devait arriver ce soir, et… qui n’est pas venue, comme de raison.

92Et puis ma pensée est tellement pleine de vous — mes mains sont encore parfumées de la senteur des vôtres — qu’il me faut absolument vous écrire. Je gage que, à cette heure, vous reposez très doucement, à mille lieues de moi, que vos rêves vous promènent dans de longs couloirs très sombres, où glissent, les mains jointes, des formes blanches. Mes rêves à moi, tantôt, seront magnifiques, merveilleux, infinis, parce qu’ils seront toi.

93Je vous aime.

94Alain

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    Autographe, 1 f. (16,3 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 9 » à (…)

95Mardi, le 7 septembre 1920.

96Simone,

97Je reçois votre lettre, et je vous aime. Je puis juger de la profondeur de votre amour par l’Infini du mien… Et peut-être la mesure n’est-elle pas encore égale. Tout ce que mon âme peut disposer de force, de puissance, toutes les facultés de mon être, tous les battements de mon cœur, tout ce qui compose le moi, toutes les fibres secrètes et mystérieuses qui donnent et conservent la vie, se sont infiltrées, incarnées en vous. Il n’y a pas en moi une goutte de sang, une pensée, un geste, un souvenir, qui n’aient Vous pour mobile. Et je sais que si vous veniez à disparaître, d’une façon ou d’une autre, l’effondrement serait complet, irréparable. Je puise en vous les sources de la Vie.

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    « Révélation magnétique » (Edgar Allan Poe, Contes-Essais-Poèmes, édition établie par Claude Richa (…)

98Peut-être avez-vous lu ce conte d’Allan Poe — je ne crois pas qu’il existe d’auteur plus follement inquiet, d’un génie si affolé, si suraigu, qu’il en côtoie la folie — dans lequel il raconte l’histoire d’un malade mourant, que l’on magnétise. Il meurt, il est mort, mais il parle, il vit, comprenez-vous, par l’action souveraine, continue, de la volonté, de l’effroyable puissance de l’Autre. Mais au bout de °quelque six mois, ne voilà-t-il pas que celui-ci s’avise de le réveiller, de cette vie morte. À peine a-t-il réussi, après quelques passes magnétiques, que, en moins d’une minute, le Corps du patient se fond, s’émiette, se pourrit, en une putréfaction épouvantable. Il était mort, réellement, depuis ces six mois, mais l’énergie vitale, magnétique, surhumaine du spirite le pénétrait tout entier, lui infusait de la vie. Mon âme vit par la vôtre, Simone, s’y nourrit, y puise des forces nouvelles, inconnues jusqu’alors, ne l’éveillez pas.

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    Alain Grandbois devait accompagner ses parents en Europe, mais le départ, d’abord prévu pour l’hiv (…)

99Si vous saviez comme j’ai besoin d’appui, de soutien, de réconfort, ces jours-ci. Je suis désorienté, affaibli, sans volonté, comme une loque. Le mauvais temps m’est très pénible. Il agit sur moi très singulièrement. Le croiriez-vous, il me prend des peurs folles, irraisonnées, presque physiques, de l’automne qui vient, qui grandit, qui nous touche, à nous pénétrer, presque. Des frissons réels, inexplicables, alors que je suis chez moi, au chaud, me secouent tout entier, rien qu’à regarder, à travers les vitres, les choses mornes, sans vie déjà, les champs vieillis, le vent humide qui rage. Simone, ma Simone, soignez-vous, je vous en supplie, pour l’amour de notre Amour. Ma vie ne tient qu’à vous, vous le savez, vous devez le savoir. Je crois que je n’aurai jamais le courage de partir, cet hiver . Je vous aime, je vous aime, Simone.

100Alain

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    Autographe, 1 f. (16,3 x 26 cm) plié en deux, écrit à l’encre noire ; numéroté « 10 » à l’encre ve (…)

101Samedi, minuit, [11 septembre] 1920.

102Simone,

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    Le lac Clair (aujourd’hui Lac des Frères).

  • 30

    « Dans les années 20, la guitare électrique ou autre n’était pas chose courante et l’instrument do (…)

103Simone, Simone, j’arrive du berceau de notre amour . J’ai tout revu, tout. Et toutes ces choses étaient pleines, pleines de Vous, comme mon cœur. J’ai couru toute la nuit, en canot, dans la brume. J’ai revu le bouleau (te souviens-tu ?) où je n’osais… Toutes nos promenades, je les ai refaites, comme l’on accomplit un pieux pèlerinage. Et je vous voyais, là, dans le canot, avec vos grands yeux clairs dans la nuit . Je ne vous ai jamais aimée si intensément, si follement, et je pleurais presque. Croyez-moi, ma Simone, voulez-vous ? Je vous jure sur mon âme que je vous aime, que je vous aime. Il me semblait que vous étiez là, que vous me parliez, et la vision était si réelle, que quelquefois le son de mes paroles me réveillait. Et c’était un très doux rêve, et nous nous disions des choses, des choses que nos âmes se confiaient, très doucement, des choses que nous [ne] nous sommes jamais dites, Simone, et que nous [ne] nous dirions peut-être jamais. J’ai revécu toute notre nuit. J’ai vu, dans le matin, mourir les étoiles, et la brume courir sur les montagnes. Et puis j’ai senti vos lèvres se poser sur ma bouche, et la douleur fut si forte, que mes yeux se mouillèrent. Vous ne savez pas, Simone, combien je vous aime. Vous ne le pouvez pas, je le sens, m’aimer comme je vous aime. C’est impossible. Je le sens, par tout ce qui vibre en moi. Et je vous aime pour toujours.

104Alain

  • 31

    Autographe, 1 f. (16,3 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 12 » (…)

105Lundi soir, [13 septembre] 1920.

106Simone,

107Je regrette maintenant pour Vous, Simone, d’être dans votre vie. Je crois en votre amour, je ne crois pas au bonheur que vous puissiez retirer de moi. Notre amour jusqu’ici ne vous a apporté que souffrances et doutes. Et normalement, pour être logique avec ce même amour, ne devrions-nous pas être heureux, et confiants ? Vous m’avez donné du bonheur, plus de confiance en la vie, vous m’avez fait meilleur, que vous ai-je procuré en retour ? Mon scepticisme vous a rendu sceptique, mes doutes se sont infiltrés en vous, y ont pris corps, mon dégoût de la vie, mes idées malsaines ont fatigué la blancheur de votre âme ; de la tristesse, de la désespérance, c’est tout ce que je vous ai donné. Pourquoi m’aimez-vous ! Je vous le dis, je n’ai rien, rien. Je ne suis qu’un chaos d’idées incomplètes, illogiques, contradictoires. Je sais moins qu’un enfant, qui, lui, a la foi. A vingt ans, j’ai déjà trop vécu pour avoir confiance, même en moi. Oh, si j’avais le droit de vous dire tout, de soulever devant vos yeux effarés un coin du voile qui cache les misères, les pauvretés, les atrocités, les trahisons de ce pauvre monde, dont les convenances sont la seule vertu. Simone, que la vie est mauvaise, méchante, hypocrite. Vous ne le saurez jamais combien. Bonsoir Simone, je vous aime.

  • 32

    Autographe, 2 f. (16,3 x 26 cm) non paginés, à l’encre noire, numérotés « 11 » et « 11 bis » à l’e (…)

108Mardi, minuit [14-15 septembre 1920] .

109Pourquoi, Simone, toutes ces réticences, dans votre dernière lettre que je viens de relire ? Qu’y a-t-il entre nous, Simone ? Dites-moi tout, tout, de grâce. Que voulez-vous prévenir ? Pourquoi, si vous m’aimez, ne pas dire je vous aime ! Confiez-moi tout ce qui vous peine, tout ce qui vous chagrine, je vous en supplie. Vous ne pouvez savoir combien °je souffre de vous savoir malheureuse, et par moi. Et tout ce bonheur que nous gaspillons, par notre faute, notre seule faute. Il me vient quelquefois à l’idée que nous ne sommes pas faits pour aimer, tous les deux. Nous demandons trop à l’amour, et parce que nous sommes faits de matière, que notre puissance a des bornes, de par la nature même de nos moi, parce que nous voudrions, dans un regard, franchir l’éternelle barrière qui sépare les âmes, dans un « je vous aime », assurer l’éternité de notre amour, dans un baiser, épuiser l’infini, nous retombons découragés, inapaisés, désenchantés. La matière dont nous sommes pétris sera toujours l’empêchement imbécile, brutal, de ce que nous avons rêvé. Combien je me reproche, Simone, de vous avoir dit mon amour, parce qu’alors vous ne m’auriez pas aimé, ou vite oublié. Et vous ne seriez point aujourd’hui malheureuse. Que me fait mon bonheur, à moi, si je suis seul à le goûter !

110Je vous aime, Simone. Que vouliez-vous que je fasse pour vous rendre heureuse, dites-le moi. Répondez, de suite, à cette lettre, voulez-vous. J’en ferai autant pour la vôtre. Et surtout, ne me cachez rien, dites-moi tout. Dites-moi ce que vous pensiez, en écrivant votre chère dernière, Simone.

111Je vous aime.

112Alain

  • 33

    Autographe, 1 f. (16,3 x 26 cm) écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 12 » à l’encre vert (…)

113Vendredi, [24 septembre] 1920.

114Simone,

  • 34

    Francesco di Giorgio Martini (1439-1502), architecte, sculpteur et peintre italien, a surtout été (…)

115Je ne sais si je pourrai goûter le printemps de vos yeux, °samedi. Mais soyez sûre que toutl’automne, de ne pas vous voir de si longtemps, pleurera et frissonnera en moi. J’ai tellement besoin de vous, de votre présence, de votre sourire, de vos yeux, que je ne puis m’habituer à ne pas vous voir, °quoique le souvenir de tout votre vous soit gravé en mon cerveau, en mon cœur, et bien que je sache que rien ne changera, d’une visite ainsi manquée. Cependant, les habitudes qu’engendre l’amour sont, deviennent tellement fortes, que de les casser sonne presque faux, comme de noirs pressentiments. D’ailleurs, si c’est absolument impossible pour moi de m’absenter, croyez bien que je serai avec vous, toujours, et que mon amour vous enveloppera toute. Simone, ma toute °petite enfant, vous savez bien que vous n’êtes ni ridicule, ni primitive. Je vous ai aimée telle que vous êtes, et je souhaite que vous restiez ainsi, telle que je vous ai connue, toujours. Et soyez sûre que vous ne m’ennuyez jamais dans vos lettres, au contraire. Dites-moi tout ce que vous pensez, tout, les convenances — puisqu’il faut encore parler de ce masque — n’ont été inventées par des gens dont les pudibonderies surfaites en cachaient de bien belles. Et je ne vois pas du tout ce qu’il y a d’inconvenant — dans le vrai sens du mot — à ce que vous me disiez je vous aime, et moi de même. Simone, que ces deux jours vont être longs, et tristes, et désolants, loin de vous. J’ai lu et relu votre longue lettre, et je vous aime. Simone, ma petite fille, mon âme, ne pleurez pas. Vous savez bien que je vous aime, et pour la vie. C’est moi qui suis l’imbécile brutal, et je ne suis pas près de vous, pour sécher ces larmes, pour consoler votre peine, pour baiser vos yeux. Vous êtes la potiche authentique, précieuse et très rare, que peignit un Francesco di Giorgio, un Perroccio, un Lorenzetti , et qu’un maladroit casse, un jour. Il faut me pardonner toutes ces choses, petite Simone, parce que je vous aime et vous savez que le bonheur pour moi n’existe qu’en vous.

116Alain

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    Autographe, 1 f. (13,6 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 13 » (…)

117Saint-Casimir, jeudi [30 septembre 1920]

118Mademoiselle Routier,

119Québec.

120Ma Simone,

121Je vous aime, je vous aime, Simone, ce soir. J’ai passé trois très mauvais jours, de découragement, de lassitude, de doute. Je vous ai écrit deux longues lettres que j’ai déchirées aussitôt. À quoi bon ! ç’aurait été, si vous aimez, souffrance pour vous, et je m’étais promis de ne plus vous assombrir du noir de mes pensées — ou bien vous en auriez ri, croyant à des peurs ! Oh Simone, si vous saviez ce que c’est que le doute, celui qui surgit tout-à-coup, lorsqu’on est confiant, sans défense, le doute horrible, illogique, presque bas, que l’on ne peut mater, chasser, raisonner, et qui revient toujours plus fort, plus violent, alors que l’on s’en croit débarrassé à jamais, vous n’en ririez pas. Il est en moi, depuis trois jours, piétinant, ravageant tout, se gorgeant à même notre amour, et mon âme saigne par toutes ses blessures — parce que je vous aime.

122Je suis plus calme, ce soir. Cet après-midi, j’ai gardé la maison, n’étant pas très bien, et je me suis joué toute la musique — notre musique — du bon vieux temps. De revoir, à travers les notes, votre sourire et vos yeux m’ont presque guéri. Voyez-vous, toute ma vie, toute, je la donnerais pour vous.

123C’est bête à dire, c’est romanesque, cela se voit à toutes les pages de feuilletons, c’est ridicule, mais c’est ça — parce que je vous aime. La vie, ce n’est pas grand’chose, c’est presque rien, ça ne tient qu’à un fil — un revolver, un dixième de seconde — mais voyez-vous, il y a d’autre chose, qui n’est pas « pas grand’chose », il y a l’après, l’inconnu, le mystère, le lieu d’où l’on ne revient pas. Je m’y plongerais, les yeux fermés — parce que je vous aime. Et toute la distance qui existe entre la vie et le néant, le quelque chose et le rien, l’homme et le cadavre, ne m’empêcherait de vous aimer. J’ai reçu votre lettre hier. Lorsque l’on commence à aimer « beaucoup, beaucoup », l’on commence à ne plus aimer.

124Alain

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    Autographe, 2 f. (16,2 x 25,8 cm), écrits recto verso à l’encre noire ; d’abord numérotés de « 151 (…)

125Dimanche, 5 1 / 2 h. [3 octobre] 1920.

126Simone,

  • 37

    Le Château Frontenac de Québec.

127Je vous écris à l’heure où, probablement, si j’avais pu monter à Québec, nous serions à faire des petites farces, moelleusement et ridiculeusement assis dans un coin — coin qui n’en est pas un — de la rotonde du Château . Je crois que je suis plus avec vous — avec le vous que j’aime — seul, ce soir, dans ma chambre. Et pourtant, comme je voudrais vous voir. J’ai un tas de choses à vous dire, des choses non prévues, et qui m’assomment presque. J’ai passé une semaine très fatigante, et je n’ai pu seulement vous envoyer un mot. J’imagine que vous allez encore penser que je vous blague, que je ne tiens pas mes promesses, etc. Si vous saviez, ma Simone. Et comme tout m’accable, semble rire de moi. Vraiment, quelquefois, à regarder ma destinée, je ne puis m’empêcher d’en rire. De voir toute la contradiction entre mes désirs et ce qui arrive, et dans les plus petites comme dans les grandes choses, m’amuse énormément. Seulement, il y a que je suis en même temps et le spectateur et le bouffon. Je paie pour les deux. C’est inévitable, il me suffit à peine d’exprimer un désir quelconque, pour que le contraire me tombe dessus, et tout de suite, comme de raison, afin de ne point me laisser le petit plaisir de l’espérance. Vous croyez peut-être que j’exagère ; je n’ai pourtant jamais été moins porté à l’exagération. D’ailleurs, vous jugerez vous-même, et j’ai beaucoup à vous dire.

  • 38

    Simone Routier, pensionnaire au Couvent des Ursulines, devait faire lire son courrier par une reli (…)

128Votre grande lettre bleue m’est arrivée, et le petit sac de malle. J’ai un peu pensé que la petite religieuse a dû se trouver fort dépaysée , dans le petit sac scellé, en compagnie du télégramme à la musique d’amour. Je vous en remercie de tout mon cœur, de toute mon âme.

  • 39

    Selon René Pageau (Rencontres avec Simone Routier, p.214), Alain Grandbois aurait rencontré un prê (…)

129Je suis si malheureux, ma Simone, ces jours-ci. Jamais l’existence ne m’a plus pesé au cœur, à la tête. J’ai besoin de toute votre aide, de tout votre amour. Je n’ai plus d’énergie, de courage. Je suis seul, seul. Le Père Maillard est venu aujourd’hui. Il m’a demandé une demi-heure d’entretien. Et jamais, alors qu’il me parlait, je n’ai plus senti le vide, tout le vide de tout. Des phrases, des phrases. Je n’ai plus la foi, Simone. Je ne crois à rien, à personne. Le doute est une folie, je le sais, et je doute de tout. Je constate en moi toute l’étendue de mes erreurs, de mes faiblesses, et je n’y puis rien. J’ai été mal fait, et l’or ne se refait pas. Simone, aimez-moi. Aidez-moi, votre faiblesse est plus forte que ma force. Je vous aime.

130Alain

  • 40

    Autographe, 1 f. (16,3×26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 15 » à (…)

131Jeudi, [7] octobre 1920.

132Mademoiselle Routier

133Québec

134Simone,

  • 41

    Marc Grandbois, cousin d’Alain, avec qui il est allé au Petit Séminaire de Québec et qui effectue (…)

135Votre lettre m’est arrivée en même temps qu’une de Marc , et j’ai savouré tout le contraste de la… triste vie, et de la vie… triste, peut-être, parce que je vous aime, de ce que j’étais sans vous, et de ce que je suis devenu par vous. Il n’y a pas de plus sainte religion que l’amour, et vous en êtes le dieu très pur que j’adore à genoux. Petite Simone, vous ne pourrez jamais savoir combien vous m’avez fait vous aimer. Je me demande où j’en serais maintenant, si nos âmes ne s’étaient point rencontrées. Ma vie déborde tellement de vous, de votre pensée, de votre souvenir, que je ne puis imaginer ce qui aurait pu combler mon cœur, mon esprit, si je ne vous avais jamais connue. Et il suffit de si peu de choses pour changer la destinée : en trois petits jours, pris au milieu de tant d’autres qui s’écoulent, innombrables, inutiles, et c’est tout. Quand passerons-nous donc ensemble, ma Simone, quelques nouveaux trois jours, et des jours qui ne soient pas bordés d’asphalte, de théâtre, de boudoir !

  • 42

    Salle de cinéma située rue Saint-Jean à Québec. « L’Empire » était également le nom d’une des sall (…)

136Serez-vous à l’Empire samedi ? Je m’y rendrai à l’heure habituelle.

  • 43

    Cécile Marcotte, amie de Simone Routier. Ce paragraphe a été omis de l’édition de René Pageau, à l (…)

137J’ose espérer que notre chère Cécile aura passé de bonnes vacances, et que ses obligations sociales la rappelleront bientôt. D’ailleurs, si elle n’était pas partie, n’oubliez pas de lui dire que tous mes respects sont à ses… pieds. À vous, ma Simone, tout mon amour.

138Alain

  • 44

    Autographe, 1 f. (21,3 x 25.4 cm) sur papier bleu à en-tête « CHATEAU FRONTENAC, QUEBEC, CANADIAN (…)

139Jeudi matin, 2 heures, [octobre 1920]

140Simone,

  • 45

    L’hôtel King Edward, aujourd’hui disparu, était situé derrière l’Hôtel de Ville de Québec.

141Je n’ai pu me résoudre, avec tout votre souvenir en moi, à loger au King . J’ai maintenant une très jolie petite chambre qui, quand je partirai, restera parfumée de vos chers vœux que j’ai là…

142Je vous aime.

143Alain

  • 46

    Autographe, 2 f. (16,5 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés ; d’abord numéroté (…)

144Vendredi soir, [15 octobre] 1920.

145Mademoiselle Routier,

146Québec.

147Simone,

  • 47

    Alain Grandbois habite alors en chambre rue Sainte-Anne. Simone Routier habite chez ses parents, C (…)

148Je regrette tant, Simone, ce soir, de n’être pas °allé passer ma dernière soirée à Québec avec vous. J’ai vu combien cela me sera pénible, si je passe l’hiver en ville, de penser que vous êtes à cinq minutes de chez moi , et de ne pouvoir vous avoir, à moi, pour tous ces instants de ma vie. J’ai passé mercredi une soirée assommante. C’était la première, depuis que je vous connais que je passais sans vous, à Québec. Et combien d’autres, en perspective !

149Toute la journée, toute la nuit, j’ai pensé à vous, j’ai brassé un tas de choses, pas roses, et j’en ai conclu qu’il aurait mieux valu, pour vous, de ne s’être jamais rencontrés. Vous seriez peut-être heureuse, maintenant — en autant qu’on peut l’être — en goûtant la seule véritable Vie, en somme, la vie intérieure qui ne dépend que de l’Être, du Principe, de Dieu, comme vous l’entendrez. À défaut de bonheur, vous auriez eu la Paix. Qu’avez-vous maintenant ? Du bonheur ! De la Paix ! Non. Et toutes vos lettres en témoignent, et toutes sont imprégnées d’un très vague et très obscur désir, que vous ignorez — de quelque chose de meilleur, et de plus doux, qui vous apporterait le calme. Je n’ai pas su vous rendre heureuse, je n’ai jamais donné de bonheur, à personne. Et je donnerais toute ma vie, Simone, pour toi. Notre amour est bâti sur du sable, parce que nous sommes humains, et si toutes les lois humaines ne pouvaient nous empêcher de nous aimer, ces mêmes lois pourraient-elles vous faire m’aimer, si vous ne m’aimiez plus ! La vie est un °problème difficile, impossible à résoudre, parce qu’elle dépend d’une foule de circonstances, de détails, de hasards, et l’amour est plus que la vie, puisqu’il en est la source. De quoi dépend l’amour, où prend-il ses forces, quand cesse-t-il d’agir, et pourquoi ? Nous ne sommes rien, nous ne connaissons rien, rien n’est sûr, et voilà, ma Simone, où je vous ai emmenée, dans quel dédale mystérieux et très vague nous marchons, avec, pour nous guider, un fil plus ténu que celui °d’Ariane, notre amour.

  • 48

    Alain Grandbois écrit aussi parfois « Monne ».

    Variantes

    Autographe, 2 f. : le premier (13,2 x 21 cm (…)

150Je vous aime tant, Simone, ce soir. Il me semble qu’il y a des siècles que je ne vous ai vue, que je n’ai goûté la paix de vos yeux, la douceur de vos baisers. J’imagine, quelquefois, que le temps n’existe pas dans les limites fixées, qu’une heure, par exemple, peut être, réellement, pour quelqu’un, un an. Mesure-t-on la profondeur d’une émotion, la puissance d’un sentiment. Et le temps n’en est-il pas le mobile le plus intime, puisque c’est en lui qui nous vivons. Ce ne serait alors qu’un cadre, dont nos émotions, nos sentiments, nos pensées seraient la toile immense et magnifique, toile qui par le fond s’allongerait, s’étirerait infiniment, tout en restant dans les limites de la perspective tracée par ce cadre. On a vu des hommes vieillir de dix ans en des minutes, blanchir en une nuit. N’ont-ils pas réellement, par des phénomènes que l’on ne peut comprendre, vécu ces dix années, années pressées, ramassées, condensées à l’extrême, en ce que l’usage veut que ce soit quelques heures ! Je vous aime de toute ma vie, petite Moune .

151Alain

152Samedi soir, 5 hres [16 octobre 1920].

153Simone,

154Si vous saviez comme °l’automne est grand, et magnifique, ce soir. Du rouge, du vieux rose, du vert pâle, de l’orange, noyés dans une orgie de jaune.

155Et toute l’ombre du soir, qui descend, comme une tristesse immense. Je vous aime pour toujours.

156Alain

  • 49

    Autographe, 2 f. (16,5 x 26 cm) écrits recto verso à l’encre noire, non paginés ; numérotés « 18 » (…)

157Mercredi, [20-21 octobre] 1920.

158Simone,

159Je n’ai point eu encore la lettre « qui m’attendait ». Votre service postal doit valoir à peu près le mien : pas très sûr et très lent.

  • 50

    Rue commerciale, à Québec, où l’on trouve des boutiques, des cafés et restaurants, un cinéma.

160Nous avons gaspillé hier quelques heures qui auraient pu nous donner quelque illusion de bonheur. Nous sommes de très pauvres gens qui jetons de l’or par les fenêtres, pour la beauté du geste. Il y a des gestes qui coûtent souvent très cher. Mais il faut bien l’avouer, je n’ai jamais vu d’amour éternel se cimenter dans des salons, d’idylles bien profondes se nouer sur la rue Saint-Jean . L’amour ne s’accommode point en toilette basse ; il préfère l’indienne. Vous souvenez-vous comme l’on s’est aimé, jadis, au lac à Lorette. Je dis jadis, il me semble que ce temps est déjà si loin, où nous allions l’un vers l’autre, les mains tendues, avec du soleil dans l’âme. Et puis, alors, nous ne nous occupions pas le moins du monde de Mlle Chose, de Monsieur Machin. Nous nous suffisions. Maintenant, M. Machin, Mlle Chose nous ont pris notre solitude, tout le bonheur de notre amour. Il n’est point mort, notre amour, seulement, il est malade, un peu. Je crois qu’il souffre d’anémie. Il lui faudrait de l’air, des espaces, des horizons, et nous le bourrons de pilules de vaudeville, de [rue ?]. Ça ne lui va pas. Nous n’avons pas été forts en diagnostic ; ce fut là notre seule erreur.

  • 51

    L’Événement du 27 octobre 1920 (p. 7) signale qu’il y a eu chez Madame L.-A. Trudelle (plutôt que (…)

161Je ne sais si je pourrai descendre à Québec samedi. En tout cas, ne comptez pas sur moi. Je serai très fâché si vous manquiez la surprise de chez Trudel à cause de moi.

162Je ne crois pas pouvoir m’y rendre, et vous comprenez que je ne suis pas pour partir de St. Casimir, pour aller faire l’imbécile dans des escaliers et des passages, Maple Avenue, une nuit durant.

163M’écrivez-vous un peu, d’ici à ce temps-là ?

164Alain

  • 52

    Autographe, 1 f. (16,1 x 25,8 cm) plié en deux, à l’encre noire, numéroté « 18 bis » à l’encre ver (…)

165Jeudi matin. [Octobre 1920]

  • 53

    « Pedibus cum jambis » : « aller à pied ».

166Décidément, nous sommes gens d’ancien régime. Notre système de poste, cum pedibus , y gagnerait à être plus rapide. Point de nouvelles de votre lettre. Il pleut à torrents dehors, ce qui est très gai — j’aime beaucoup la pluie, mais pas les gens qui lui ressemblent. Vous, ils vous font bailler !

  • 54

    Autographe, 2 f. (16,5 x 26 cm) non paginés, écrits recto verso à l’encre noire ; numérotés « 19 » (…)

167Lundi soir, [1er] novembre [1920] .

168Petite Moune,

169Aimez-vous les contes ? Laissez-moi vous en dire un, et s’il est trop long — les grandes filles s’en lassent (sans jeu de mots, s.v.p.) si facilement — je vous laisse le droit de le lire en deux fois. Je suis généreux, n’est-ce pas ! Or donc :

170« Il y avait une fois une toute petite fille, qui était belle comme le jour, et blonde comme les épis, sous le soleil de juillet. Elle avait une toute petite âme blanche, qui s’égayait aux moindres choses. Tout le jour, elle sautait, et riait, et folâtrait, et le soir — petite tête blonde et rose dans la blancheur des oreillers — elle rêvait aux étoiles. Sa vie était un enchantement ; et comme ses désirs étaient bornés aux yeux bleus des jolies poupées, et que les problèmes psychologiques et l’analyse du cœur humain ne l’inquiétaient guère, elle était heureuse. Elle vivait à la façon des oiseaux, °et les dieux lui étaient favorables. Elle possédait la sagesse, qui est le dernier mot du bonheur. Elle n’en savait rien, mais qu’avait-elle besoin de savoir ? Comme elle était intelligente, et que sa jeune imagination trottinait déjà, elle avait jugé et classé une foule de choses ; et sans toutefois croire que les bateaux ont des pattes, elle imaginait tous les vieillards avec de très longues barbes, toutes les polices vilaines et méchantes, tous les lacs ronds comme des sous. Et elle croyait aussi que les saintes passaient leur vie sur des prie-Dieu, les mains jointes, en extase, et que de faire gras le vendredi était le plus épouvantable des gros péchés. Et elle pensait à toutes ces choses, comme pensent les très jeunes êtres ; quand elle était lasse de jouer.

171Mais un bon matin, il arriva que la toute petite fille, qui était belle comme le jour et blonde comme les épis de juillet, ne trouva plus d’intérêt aux yeux bleus des poupées. Elle avait grandi. Pourquoi les petites filles grandissent-elles ? Elle rêvait maintenant à des choses charmantes et très vagues, qu’elle ne pouvait définir, mais qui la troublaient, parfois, infiniment. Elle voyait peut-être — mais qui le saura jamais ? — quelque château lointain, baigné de lumière douce et blanche où quelque prince charmant, en se découvrant, °très bas, effleurait des lèvres le bout de ses doigts roses !

  • 55

    Simone Routier expliquera à René Pageau qu’il s’agit d’une « extravagante allusion à [son] ex-très (…)

172L’amour lui vint, un jour, en coup de foudre. Il avait les sourcils noirs, les lèvres rouges, la voix charmeuse. Il faisait maintenant partie de sa vie . Elle l’aimait de toute son âme blanche, et son cœur vierge frissonnait, délicieusement, à sa pensée. Elle était à lui, toute, et elle n’avait point songé que les voix charmeuses, les lèvres rouges et les sourcils noirs sont infidèles, quelquefois. Alors la petite fille pensa qu’elle allait mourir. Elle pleura toutes les larmes de ses yeux. Et elle l’appelait, cette mort, la priait, la suppliait de venir l’envelopper de ses plis, cette mort dont elle avait si peur, mais qu’elle préférait maintenant, à la vie. Et, chose étrange, elle se prit à détester, eux qui ne lui avaient rien fait, tous les hommes en général, alors qu’elle continuait d’aimer celui dont elle souffrait. Et son chagrin, et ses pleurs, et toutes ces pensées l’avaient rendue femme. Son amour ne diminuait point, mais, à la fin, à force d’énergie, et de volonté, elle réussit à l’endormir. Elle le croyait peut-être mort !

173Et il arriva qu’un autre vint à aimer la toute petite fille, qui avait été blonde comme les épis. Pourquoi l’aimait-il ? Pour tout, pour rien. Il l’aimait parce qu’il l’aimait. En vérité c’était bien simple. Mais il l’aimait tellement, que la petite fille se crut à son tour l’aimer. Son cœur avait beaucoup pleuré, mais elle était femme, et les cœurs de femme restent jeunes. Et elle croyait ainsi que l’autre ne reviendrait plus, jamais, et sur son premier amour qui sommeillait, elle en posa un second, mais si léger, que le premier n’en fut point atteint. Qui pourrait l’en blâmer ? Ils se disaient des choses très douces, sous la lune, et elle était sincère. Elle était sincère, mais cependant, oui, elle n’était pas heureuse comme elle avait rêvé, jadis, comme elle l’avait été ! Et lui le savait, et en souffrait, parce qu’il aurait donné pour elle tout son bonheur.

174Un jour, elle revit les lèvres rouges, les sourcils noirs, la voix charmeuse. Elle ne voulut point s’avouer qu’elle l’aimait, parce qu’elle était droite et juste, et qu’elle connaissait le prix des larmes, et elle chassait, et combattait ces pensées ; mais elle s’aperçut alors que la vie était drôle, et bête, et très étrange. Pourquoi trouvait-elle la vie étrange, et bête, et drôle ? Mais parce que… »

175Imaginez-vous, petite Moune, qu’on ne m’a point raconté la fin de cette histoire, et j’en suis fort navré, comme vous devez le penser. Je tâcherai de la savoir un jour.

176Alain

  • 56

    Autographe, 1 f. (16,5 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 20 » (…)

177Mardi matin. [9 novembre] 1920.

178Mademoiselle Routier

179En ville [Québec]

180Simone,

181Je vous ai promis de vous écrire aujourd’hui. Si je le fais, ne croyez pas que ce n’est que pour acquitter cette promesse, et que de vous écrire m’est une tâche. Vous avez, depuis quelque temps, un certain tour d’idées qui m’oblige, presque, à peser beaucoup ce que je dis. À plus forte raison, ce que j’écris. Je n’ai jamais bien aimé les périphrases (en grec : tourner autour) et, en amour, je crois que l’on en use quand on ne désire plus… autre chose. J’ai souvent constaté que l’amour était un très bon dîner, qui n’a de différence avec ce dernier, qu’il commence par le dessert. Le potage serait-il déjà servi ?

  • 57

    Alain Grandbois est alors inscrit au programme de baccalauréat à l’Université Laval.

182Ma nouvelle vie est assommante . Je suis les cours comme l’on marche au catéchisme, avec des envies de m’échapper. Je n’aurais même plus le temps, s’il fallait en croire tout l’ouvrage amoncelé derrière moi, de penser à vous. J’ose espérer que vous ne me croyez pas si… studieux. Quand il fait beau, je pense à vous ; quand il neige, je pense à vous, quand il pleut aussi. Quand il fait seulement sombre, je pense à moi. Et si vous me voyiez ces jours-là, vous auriez le plus pur échantillon de mon charmant caractère. Vous me demandez de vous dire ce qui en est, où nous en sommes. Il me semble seulement que quelque chose, que je ne puis définir, nous éloigne, très peu à peu, l’un de l’autre. Et je suis effrayé, lorsqu’il arrive de regarder en arrière, de voir tout le chemin qu’a parcouru notre amour, en… descendant. Pour cela, il me suffit d’assembler mes souvenirs, de relire certaines lettres !

  • 58

    Bal au Château Frontenac, à l’occasion de l’anniversaire de l’Armistice. L’Événement du 12 novembr (…)

183Quand pourrais je vous voir ? Vous allez au bal jeudi  ? Puisque vous vous rendez avec plaisir à des choses que vous détestez, serait-il impossible que vous vous rendiez avec ennui à des choses que vous aimez — moi, par exemple.

184Alain

  • 59

    Autographe, lf.(10,l x l6,3 cm), papier ligné, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 42 » (…)

185[1920?]

186Derniers seize ans, 24 m. 1917

187Il pleut dehors… Il pleut… Il pleut dans l’Infini

188Et dans mon cœur lassé… Il pleut partout… La terre

189Est morne sous ces pleurs… Le ciel qui désespère

190Sanglote, monotone, en mon cœur dégarni…

191C’est l’année qui finit en la désespérance…

192Ma seizième année s’achève en des sanglots…

193Oh, les jours clairs ou bruns, les tristes, les pâlots

194Les jours qui font pleurer, les longs jours de souffrance

195Et puis les heures, oh si rares, de bonheur

196Et les heures d’amour, les heures de langueur

197Les larmes des aveux, les heures où l’on s’aime

198Toutes, elles ont fui, laissant un creux sillon…

199Un vif sillon °sanglant, un long trait vermillon…

200Et c’est toute ma vie, ma vie qu’ainsi je sème…

201Simone,

202Voici quelque chose d’écrit lorsque j’étais jeune. Cela était écrit pour vous, ma Simone, et je ne vous connaissais pas.

203Alain

  • 60

    Autographe, 1 f. (16,3 x 25,7 cm) plié en deux, écrit à l’encre noire, non paginé ; numéroté « 37  (…)

204[1920]

205À Toi

206Mes douleurs sont en moi, plaintives, et je sens

207La tendresse éperdue de leurs pleurs qui m’émeuvent…

208Je les ai vues, ce soir, sous leurs voiles de veuves

209Avec des sanglots longs, tristes, infiniment…

210Je les ai vues passer, elles sont revenues

211Une à une, la main dans la main, et leurs yeux

212N’ont point quitté les miens. Comme au temps des adieux

213°Des larmes se mouraient sur leurs épaules nues.

214Mes Douleurs sont en moi, vivantes, pour toujours

215Et mon âme endeuillée, sous leurs mains maladives

216Frissonne longuement dans la Crainte des jours

217Oh, les grises Douleurs, par les nuits bleues, pensives…

218En sanglotant, je les vois sur moi se pencher,

219Car je vous aime plus de ne plus vous aimer.

  • 61

    « Alain, // Tes Douleurs, mon Alain, je les veux à moi toutes. // J’aime ce noir linceul sur leurs (…)

220Alain

221Une semaine après le 13.

  • 62

    Autographe, 1 f. (16,5 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 21 » (…)

222Mercredi, le 19 [janvier], 1921.

223Mademoiselle Routier

224Québec

225Petite Moune,

226Je ne lis point de livre où l’on chante le bonheur de vivre. Ils sont des menteurs qui déçoivent, et il n’est pas besoin de courir après les déceptions. Vous aurez été celle de ma vie. Vous aurez été celle de mon amour. Vous ne m’aimez plus. Vous êtes peut-être sincère en disant le contraire ; ce n’est pas moi que vous aimez, c’est le souvenir de ce que fut notre amour, et Dieu sait — ou ne sait pas — combien infiniment je vous ai aimée, adorée. Tôt ou tard, vous constaterez le vrai de ce que je vous dis, et, tout en songeant à vos amours nouvelles, heureuses, éternelles — les amours nouvelles sont toujours heureuses et éternelles — vous vous rirez, très doucement, de ce qui fut moi. Et cela, peut-être, avec un peu de pitié, d’attendrissement, car les souvenirs sont ce qu’il y a encore de plus puissant en nous, et je me suis laissé dire que quelques-uns ont encore le respect des morts. La vie est très peu de chose, et l’amour en est le bouffon tragique et décevant. Il n’y a que la mort qui compte, et encore faut-il vivre pour mourir. Et où cela nous conduit-il ? Les heureux de la vie sont des fous, des imbéciles ou des saints. Ils ne veulent point comprendre, ou ne peuvent point, ce qui revient au même. Je voudrais que vous puissiez calculer tout le bonheur que je vous ai donné, et toutes les peines que je vous ai apportées, si toutefois vous m’avez vraiment aimé. Alors vous verriez ce que vaut l’amour, ce que l’amour vous a valu. Dites-moi si vous me croyez, moi qui n’ai jamais cru, jamais.

227Alain

  • 63

    Autographe, 1 f. (16,5 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso ; numéroté « 22 » à l’encre verte (…)

228Mardi, [8 février] 1921.

229Ma Simone,

230C’est moi qui vous arrive. Pardonnez-moi, Moune, si je ne vous ai point écrit avant. Je ne sais plus écrire. Je voudrais vous avoir dans mes bras pour vous dire combien vous me manquez, combien votre absence me laisse seul, seul. Il me semble que je vous aimerais tant. Tous nos baisers, nos anciens baisers me brûlent, me torturent. Ils me sont entrés dans la chair, dans le sang, tous. Vous ne pouvez savoir combien j’en souffre, depuis que vous n’êtes plus là.

  • 64

    « Cher petit enfant, je viens de revoir toutes nos choses, tes lettres d’amour, tes dernières. C’e (…)

231Si je pouvais croire, Simone .

232Alain.

  • 65

    Autographe, 1 f. (8,1 x 13 cm), carton, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 25 » à l’en (…)

233Lundi, [été] 1921.

234Simone,

235J’attendais un peu un mot de vous aujourd’hui. Il n’est pas venu.

236Je pars à l’instant pour le lac, ayant pu me décider à secouer mon indolence. Je ne sais au juste combien de temps durera mon absence ; pas moins d’une semaine, deux mois au plus.

237Mais que vous importe ?

238Mes amitiés à tous,

  • 66

    Au cours de l’été de 1921, Alain Grandbois visite Londres, Paris, Berlin, Vienne, Gênes, Lucques, (…)

239Alain

  • 67

    Autographe, 1 f. (16,5 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 23 » (…)

240Saint-Casimir, le 25 [mai 1922].

241Simone,

242Je vous remercie infiniment d’avoir un peu pensé à moi. Vous êtes la seule, et vous ne pouvez croire combien je vous en sais gré. Il me semble avoir compris le muet reproche de l’enveloppe vide : je suis peut-être moins coupable que vous ne croyiez.

243Je crois sentir de plus en plus, avec le nombre grandissant des années, le poids de la vie s’appesantir en moi. J’ai cru voir, ce matin, toute une page de ma jeunesse, de ma très lointaine enfance déjà, se déchirer de mon cœur. J’ai souffert beaucoup depuis quelques jours, et je me suis senti très seul, devant la tristesse des choses. L’on naît comme l’on doit vivre : je suis né boiteux.

244Tout à vous,

245Alain

  • 68

    Autographe, 1 f. (17 x 25 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre violette ; numéroté « 24 » (…)

246Saint-Casimir, [5 juillet] 1922.

247Simone,

  • 69

    Rien ne permet de savoir si Alain Grandbois s’est effectivement rendu à Québec le samedi 8 juillet (…)

  • 70

    Voir supra, p. 550, n. 3.

248Écoutez-moi, Simone, je mets tout mon orgueil à vos pieds. Laissez-moi vous parler, ce soir, comme d’autres soirs, quand vous étiez ma Simone. Ne regardez pas aux phrases. Depuis, je n’ai pas écrit, et je n’ai plus l’habitude. Ne vous moquez pas non plus, car je pleure. Je voudrais, ce soir, mourir pour vous. Pourquoi n’avoir pas voulu, il y a deux automnes. Personne, maintenant, ne se souviendrait. Et nous serions si l’un à l’autre, là-bas, dans le grand mystère des temps infinis. Je suis dégoûté, lassé, malade. Je n’ai réussi qu’à faire de moi un neurasthénique, un détraqué. Je souffre, je souffre, Moune. Je ne sais plus rien, et je vois toujours votre bouche sur les lèvres d’un autre. Et je n’ai plus la force même de vous haïr. Je voudrais que vous m’écriviez des choses très douces, et qui sortiraient de votre cœur. Des choses vraies. Je vous ai aimée, un jour, et vous étiez encore toute meurtrie de votre premier amour, je viens à vous maintenant, et tout meurtri de notre amour. Je n’ai pas l’espoir des jours meilleurs : tout est si vide, et si noir, partout. Je ne peux pas penser, Simone, que vous ayez, quelquefois, pleuré par moi. Je vous aime. J’irai peut-être à Québec, samedi . Je serais alors à deux heures, à L’Empire . Mais rien de très sûr. Écrivez-moi, voulez-vous.

249Je prends vos lèvres, Simone.

  • 71

    Autographe, 1 f. (17 X 25 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 26 » à (…)

250Lundi, [juillet] 1922.

251Simone,

252Depuis huit jours, Simone, vous avez à plaisir tourné et retourné le fer dans la plaie. Le silence, le supplice du silence. Êtes-vous malade, ou aimez-vous un autre ? Pourquoi ce silence ? Pourquoi ne pas le dire ? J’ai souffert tout ce que l’on peut souffrir. Ma souffrance ne peut se dire avec des mots. J’ai quelquefois raconté des peines légères avec des mots très lourds, aujourd’hui ces mots sont trop légers pour le mal que j’ai enduré, que j’endure. C’est un mal physique, une douleur qui se touche du doigt. Quand je pense à vous, toute ma poitrine se serre, se serre à étouffer le cœur. Et je ne peux vous maudire, parce que je ne sais pas. Je ne sais pas, Simone et vous souffrez, peut-être. Dites-moi quelque chose, répondez-moi. Il faut que je sache. Je préfère tout, tout, à cela, à ce que je souffre. Vous me l’avez promis, un jour, que vous me diriez.

253Alain

  • 72

    Autographe, 1 f. (17 X 25 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 27 » à (…)

254Mardi soir. [25-26 juillet 1922]

255Simone,

256Je voudrais vous parler tout bas, ce soir, tout bas. Je voudrais vous parler avec mes larmes, avec mon cœur, je voudrais pleurer, la tête sur vos genoux. Je t’aime. Je t’aime comme je t’ai aimée déjà, mais plus encore. Je t’aime plus de toutes les larmes versées, de toutes les nuits atroces, de tous les matins désespérés. Je t’ai pleuré [comme] on pleure une morte, une qui ne revient plus, jamais. Si tu savais, si tu savais comme je t’aime, Monne. Je me suis révolté, dans tes bras, parce que je t’aimais, parce que j’avais le souvenir des autres, et que je ne voulais pas, pour toi. Comprends-moi, Monne. J’aurais voulu que nos baisers ne t’atteignent pas. C’est moi que je méprise. Je t’ai mise plus pure, dans mon cœur, que la Vierge. Tu es plus humaine.

257Que fais-tu ce soir, Simone, ma Simone ? Depuis mon départ de Lorette, je n’ai pensé qu’à toi. Quand je suis revenu, dans la nuit, j’avais les yeux pleins de toi, les lèvres pleines de la saveur de ta bouche, le cœur plein de notre amour. Je t’aime. Je voudrais que tu prennes mes forces, mon sang, ma vie, pour la vie de ton corps. Comme tu m’as fait mal, Simone. Je te jure que j’ai eu envie de me tuer, lorsque j’ai lu tes dernières lignes. Je t’aime, je t’aime de tout mon amour, de mon amour immense, infini. J’ai rêvé que tu me déchirais le sein avec tes dents. Mon amour me fait mal, mais je t’aime, je t’aime. Je ne sais plus dire autre chose. Veux-tu m’embrasser, Simone ? Je t’aime.

258Alain

  • 73

    Autographe, 1 f. (17 x 25 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 28 » au (…)

259Mardi [1922].

260Simone,

261Parce que la nuit profonde des douleurs

262a sangloté dans mon cœur ;

263Parce que j’ai souffert toutes les souffrances

264et pleuré toutes les larmes ;

265Parce que j’ai cru mourir de croire

266à la mort de ton cœur ;

267Parce que j’ai vu tes larmes, ce soir,

268sous les mots désenchantés,

269sous les mots tristes à mourir ;

270Parce que toutes les fibres de mon être

271ne vibrent que par toi — pour toi — ;

272Parce que toutes les gouttes de mon sang

273sont à toi ;

274Parce que je donnerais ma vie, ce soir,

275pour un baiser de tes lèvres ;

276Parce que ton image a creusé mon cerveau ;

277Parce que ton cœur a tout pris de mon cœur ;

278Parce que ton âme a étonné, et ravi, et fait

279pleurer mon âme ;

280Parce que tu es celle que j’aime ;

281Parce que je t’aime, je t’aime, je t’aime,

282J’ai peur, j’ai peur

283De l’heure qui pourrait être belle

284et ne reviendrait pas !…

285Alain

  • 74

    Autographe, 1 f. (20,3 x 26 cm), plié en deux, au crayon avec des corrections à l’encre violette ( (…)

286Vendredi soir. Quillet 1922]

  • 75

    Simone Routier confiera à René Pageau qu’elle avait été amoureuse d’un « ami protestant », à qui e (…)

287Je viens encore à toi, ce soir, parce que je t’aime. Je sens que tu m’as échappé, depuis deux ans, et que ton amour n’est plus le même. Tu as appris à me °connaître plus et tu ne me connais pas encore. Mais si tu ne connaissais de moi que mon amour, je sais que tu m’aimerais. J’ai attendu une lettre, aujourd’hui. Rien ne m’est venu. Je ne suis dans ta vie que la pensée de ta solitude, la pensée de tes tristesses. Tu m’aimes lorsque tu en as le temps. Tu n’as plus rien à me dire, tu ne sais plus m’écrire comme tu le faisais, autrefois. Autrefois, des jours qui ne reviendront plus, des heures qui ont vécu, qui ont passé, qui sont °mortes. Et des milliers d’êtres en ont souffert, en ont crié, de ces heures mortes, et qui sont mêlées, aujourd’hui, à la poussière des choses. À quoi cela sert-il, que je t’aime ? Dans dix ans, tu ne me reconnaîtras plus, parmi la foule des passants, dans la foule de ceux qui vivent. Et tu aurais été pour moi la vie de ma vie. Ce n’est pas vrai, il n’y a pas d’amour. Je ne crois pas, je ne crois à rien. Tu seras heureuse, un jour, et sa vie sera la tienne . Ses baisers te feront pleurer, et tu goûteras dans ses bras le bonheur des minutes qui °demeurent, des minutes infinies. Et si jamais tu penses à moi, ce sera avec un peu de pitié, et beaucoup de mépris. Et je n’aurai pas mérité l’oubli complet de ton cœur, parce que je t’aurai aimée plus que tout, plus que lui.

288Alain

  • 76

    Autographe, 2 f. (17 x 25 cm) écrits recto verso à l’encre violette ; numérotés « 31 » et « 31 bis (…)

289Vendredi, 1 heure du matin. [21 juillet 1922]

290Simone,

291Je vous ai attendue vainement, ces jours derniers. Vous n’êtes pas venue. J’ai souffert horriblement. Cela passera. Tout passe. Notre amour, qui aurait pu être, qui aurait dû être une aventure merveilleuse, et folle, et vraie, n’est plus. Il est des choses mortes qui ne revivent plus. Je n’ai jamais tant désiré que ce soir l’oubli, le néant. Ne plus être. Je vous aime. Et plus je vous aime, plus je souffre, dans mon cœur, dans ma chair, dans ma foi en vous. Je ne vous croirai jamais. Pourquoi vous ai-je connue ? Vous ne m’avez jamais rien donné de vous, rien, rien qui ne fût provoqué par mon amour. Vous ne m’avez jamais aimé pour moi, pour mon pauvre moi. Vous étiez seule, et triste, et femme, et vous aviez besoin d’amour. Vous n’avez jamais eu besoin de moi. Je vous jure que vous avez regretté, quelquefois, de vous être attachée à moi, parce que vous avez eu le désir des autres, de leurs caresses, de leurs baisers, de leur amour. Vous auriez été heureuse, parce que vous auriez aimé. Je vois, maintenant, plus clair que je ne voyais. Vous aviez droit au bonheur de vivre, au bonheur d’aimer, au bonheur d’aimer d’amour. Vous ne m’avez jamais aimé d’amour. Un autre vous a troublée, parce qu’il vous rencontrait, quelquefois, et qu’il vous causait d’amour, entre deux fox-trots. Et moi, pendant ce temps, j’étais à vous, je vous aimais, je vous aimais, j’aurais donné toutes les gouttes de mon sang, toute ma vie, pour vous. Si jamais vous aimez, vous ne connaîtrez pas la peur de mourir. Et vous prétendiez m’aimer, et lui vous troublait. Qu’aurait-ce été alors si les circonstances l’eussent rapproché de vous — lui et les autres — autant qu’elles l’ont fait pour moi ? Vous ne m’avez jamais aimé, jamais. Vous avez pleuré, mais vous avez pleuré votre rêve à vous, un rêve chimérique et très doux, un rêve d’amour que vous vous étiez forgé, dans votre cœur de petite fille. Vous ne m’avez jamais pleuré, moi. Et pourtant, si vous saviez comme je vous ai aimée, Simone. Ma petite Monne d’autrefois, au sourire doux, au sourire triste. Jamais, jamais je ne la reverrai, et je vous hais quand je pense à Elle. Elle est morte pour toujours, et c’est Elle que je pleure. Je ne peux pas vous aimer comme je vous ai aimée. Vous n’êtes plus ce que vous avez été. Vous n’êtes plus vous. J’ai peur de moi, quand je suis avec vous. Quand je pense à celle d’hier, il y a des choses d’aujourd’hui auxquelles je ne puis penser sans crier de honte, de douleur, dans mon cœur. Je vous ai dans ma chair, dans ma chair frissonnante, éperdue. Vous passez dans ma pensée, quelquefois, comme un songe mauvais. Comme je vous hais, comme je vous hais, quand je pense à ce que vous étiez. Je vous avais tellement élevée au-dessus des autres, au-dessus de toutes. Je vous aimais comme on aime un Dieu, avec des adorations infinies. Et je ne vous ai plus reconnue. Et je vous aime, et j’ai presque la honte de mon amour. Si vous saviez comme vous avez pris de ma vie. Depuis un an — je me souviendrai toujours du jour, du soir où je vous ai vue autre — depuis que je ne vous ai pas eue dans mon cœur, dans ma vie, il n’y a rien, rien. Il me semble que je n’ai pas vécu, que ma vie s’est arrêtée dans ses sources les plus profondes, que j’étais l’homme d’un autre homme. Je n’ai que des souvenirs de mémoire, je n’ai pas de souvenir de vie, de vie de cœur.

292Je ne sais pas si je vous aime, ou si j’aime celle qui n’est plus, celle que vous étiez, ou si je vous hais. Je ne sais pas, je ne sais pas. Mais j’ai besoin de vous. Je vous écris ces choses ce soir, je n’en aurai plus le courage demain, ni jamais.

293Alain

  • 77

    Autographe, 1 f. (20,2 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre violette (BNQ, 234/4/8)  (…)

294Jeudi soir. [27 juillet 1922]

295Simone,

296Tu ne sais pas, Simone, combien je désire, je veux ta présence, ce soir. °Je pense à toi, je pense à toi, je veux te voir, je te voudrais toute, pour toujours. Et je sais tant que cela est, que cela sera toujours impossible. Je ne peux rien faire. Mon amour est plus fort que tout, plus fort que ma vie. Il n’y a que toi et moi. Je te jure que personne ne t’aimera jamais comme je t’ai aimée, comme je t’aime, non pas que tu n’en sois pas digne, ma Simone, mais parce qu’on ne pourra pas. Comprends-moi, je t’aime. Le reste n’est rien, ne m’est rien. Tu es toute, dans ce que je suis. Je te sens en °moi, tu es mêlée à ce que j’ai de meilleur. Je sais que tu le sais, que je t’aime, que tu le sens, que tu le vois. Si je t’aimais moins, je te rendrais plus heureuse, et toute notre vie, notre pauvre vie, en serait peut-être illuminée. Je ne peux pas, je ne peux pas. Si je t’aimais plus, mon cerveau éclaterait. Je voudrais te voir, Monne. Je pleure d’être seul, ce soir. Je ne veux pas des autres, de leurs baisers, de leurs yeux qui mentent. Je voudrais te connaître comme je me connais, pour savoir, pour être sûr que tu m’aimes. Pourquoi m’aimes-tu ? Tu n’as jamais voulu me le °dire, tu ne l’as jamais su. Je voudrais être très loin, ou n’être plus, afin que la pensée de toi ne m’atteigne pas, ne m’atteigne plus jamais, parce que je t’aime. Je ne ferai jamais rien de bon, dans la vie. Je n’ai jamais vécu pour des choses extérieures, et ce sont celles qui comptent, aux yeux de tous, à tes yeux à toi, aussi, Monne. Je n’ai plus de mots pour te dire combien je t’aime, Simone. Simone tu ne sais pas combien de choses renferment ton nom, pour moi. Je voudrais tes lèvres, et tes bras autour de moi, et tous les frissons de ton corps, et tout ce que tu as, toute ton °âme, et je ne penserai peut-être plus que tu ne m’aimes pas.

297Alain

  • 78

    Autographe, 1 f. (17 x 25,2 cm) écrit à l’encre noire ; numéroté « 33 » à l’encre verte et daté «  (…)

298Vendredi, [28] juillet [1922].

299Simone,

300Je voudrais que tu sois heureuse, et souriante, et douce, afin que toute la paix de ton cœur rafraîchisse le mien qui brûle, qui brûle de tant de souffrances. Mais parce que tu t’attristes °et que tu souffres, il vaut mieux que mes peines me restent miennes, et que je garde, dans un cœur malade et fou, le désespoir tenace des mauvais jours. Et lorsque les autres jours, les belles nuits sereines et douces viendront, j’aurai peut-être l’apaisement du calme de ton âme, de la confiance de ton regard, de la douceur de ton sourire. Je voudrais °n’avoir à te dire que mon amour, parce que je t’aime. Et parce que je t’aime, je souffre, je souffre, Simone. Je voudrais mourir, afin que tu pleures, et que tout soit fini, tout. Et tu serais plus heureuse, à la fin, de ma mort que de ma vie, parce que ma vie t’a fait plus pleurer que tu ne pleurerais pour ma mort.

  • 79

    Les examens de fin de baccalauréat, auxquels Alain Grandbois s’est présenté afin de s’inscrire à l (…)

301Je t’aime de toutes les minutes des jours qui passent. Je n’ai rien fait, rien fait. Je ne peux pas étudier, et je n’ai plus qu’un mois, pour l’examen . Je vois toujours ta face pâle, et tes yeux tristes, que j’aime. J’ai peur de cet amour, que je ne connais pas. Je voudrais pleurer, quand je pense à toi : quand je pense à moi, je voudrais mourir. Si tu savais comme je t’aime, toi, tu ne m’aimes que lorsque tu es seule, lorsque tu pleures : je t’aime toujours.

302Alain

  • 80

    Autographe, 1 f. (13,2 χ 20,5 cm) plié en trois, écrit à l’encre violette ; numéroté « 30 » à l’en (…)

303Mardi soir. [22 août 1922]

304Simone,

305J’ai rêvé que tu étais à moi, toute, pour toujours, et que tu m’aimais. Mes réveils sont plus douloureux que les tiens.

306Alain

  • 81

    Autographe, 1 f. (17 x 25 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre noire ; numéroté « 32 » à (…)

307Samedi soir. [Septembre 1922]

308Simone,

  • 82

    Simone Routier confiera à René Pageau : « Mon goût de la Poésie est né de ma lecture de CONFERENCI (…)

309°J’ai reçu votre lettre. Je suis tellement inquiet de l’état de votre santé, Monne. Je vous en prie, soignez-vous. Il y a deux ans que vous devriez le faire, et vous retardez, vous retardez. Vous n’êtes plus qu’une toute petite chose frémissante à toutes les émotions, les moindres, qui passent. Vous ne devriez pas lire ce que vous lisez  : vous êtes trop sensible, trop impressionnable. Et je crois aussi que je ne devrais pas vous aimer, vous forcer, presque à m’aimer. Vous étiez tellement calme, et paisible, lorsque je vous ai connue. Et cette année, au camp, gaie, pleine de vie. Vous ne vous attristiez que lorsque les souvenirs anciens — les souvenirs anciens, bons ou mauvais, attristent toujours — revenaient à votre mémoire. J’ai été °égoïste et lâche, et vous me l’avez dit, un soir, là-bas. Mais j’ai été égoïste quand je vous ai reprise, et non quand nous nous sommes quittés, je vous le jure. Si vous saviez comme j’ai souffert, l’an passé, Simone, et de quelle façon j’ai endormi toutes ces souffrances qui me rongeaient le cœur. Et puis le calme était venu, parce que je vous avais chassée de ma pensée, comme une intruse, et que je ne pensais à vous que pour vous maudire. Et vous aussi, vous étiez guérie. Et aujourd’hui ! Aujourd’hui, nous sommes malades et fous, vous, plus malade que moi, moi, plus fou que vous.

310Et je vous aime, je vous aime. Il est °minuit, Simone. Je t’aime, je t’aime. Je veux que tu fermes les yeux, pour que je te prenne dans mes bras, et que je baise, si doucement tes paupières fatiguées. Je t’aime. Je t’aime de toutes les douleurs de ma vie, et pour toutes tes douleurs, à toi. Je voudrais m’endormir, ce soir, dans tes bras, mes lèvres sur ta bouche, et ne plus me réveiller, jamais, jamais, jamais.

311Alain

  • 83

    Autographe, 1 f. (18,5 x 28 cm) plié en deux, à l’encre violette ; numéroté « 34 » à l’encre verte (…)

312Québec, nov. 1922.

313Simone,

314Je ne sais plus rien, petite fille, tout ce que j’avais pensé, pesé, muri, tout ce à quoi j’avais réfléchi, et longuement, tout ce que ma raison me disait, me commandait pour ton bonheur, ta vie, pour toi, ma Simone, tout cela se désagrège, se brise, s’efface devant le grand bonheur de t’avoir un peu à moi, de regarder ton pauvre petit visage douloureux, de sentir tes lèvres sur les miennes. Et j’ai peur d’un autre bonheur que j’éloignerais de toi, que je t’enlèverais, le bonheur auquel tu as droit et que je ne t’ai jamais donné, le bonheur d’aimer et d’être heureuse, dans ton amour.

315Écoute-moi, Moune. Tu as été toute ma vie, toute ma pensée, je me suis agenouillé à tes pieds, et j’ai pleuré de toute la force de mon amour. Je t’ai aimée, je t’ai aimée. J’ai frissonné éperdument dans tes bras d’enfant, et j’ai cru, sur ta bouche, sentir monter la folie en mon cerveau. Je t’ai aimée de toute mon âme. Qu’en as-tu retiré ! J’ai meurtri ton cœur, ton cœur de femme, j’ai blessé ton orgueil, ta fierté, tes idées. Je t’ai pris ta confiance en la vie, ton enthousiasme, ta joie de vivre. Je t’ai volé ton bonheur. Puisque tu sais que je t’aime, tu dois comprendre pourquoi je dois agir, je devrais agir de la façon dont nous étions entendus. Il te faudrait un amour nouveau, pour que toutes ces choses, que je t’ai fait perdre, se relèvent, ressuscitent en toi. Il y a trop de tristesse, trop de larmes dans notre amour pour que tu en sois jamais heureuse. Et j’ai peur, j’ai peur de ces années qui viennent, de tous ces jours qui nous laissent seuls, séparés, de ces longs soirs où ta pensée est morte de moi, où ma pensée est morte de toi. Et nos cœurs qui se meurtrissent, qui se brisent, qui pleurent, qui pleurent. Et je t’aime, et tu m’aimes.

316Je ne sais plus que t’aimer, Simone. Et je t’aime si mal, si tristement, si douloureusement, aussi.

317Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

318Alain

  • 84

    Autographe, 1 f. (16 x 26 cm), écrit recto verso à l’encre bleue ; numéroté « 35 » à l’encre verte (…)

319St-Casimir, [27 décembre] 1922.

320Simone,

321Il me semble qu’un siècle me sépare de toi, un siècle où je n’aurais eu ni peines, ni joies, ni bonheur. Un siècle gris. Tu me parais loin, distraite, sans pensées, avec des souvenirs éteints où la douleur s’est habituée. Mais je t’aime mieux, chaque jour.

322Si l’idée de nous se matérialise un peu plus, un peu plus, chaque fois, l’idée que je me suis faite de toi, l’amour que j’ai pour toi, à côté de l’autre — de celui qui nous fait [nous] étreindre en frissonnant — s’épure infiniment et grandit et s’élève. Je t’aime. Je t’aime comme je t’aime lorsque je pense à toi, avec tout ce que j’ai de meilleur, de bon, je t’aime avec tout l’amour qui rend l’autre moins bas, plus sain. J’ai reperdu, de nouveau, l’habitude de t’écrire. Je ne peux plus prendre ta figure entière entre mes mains, devant moi, comme je le faisais naguère, et perdre tes yeux avec mes yeux, et te parler de mon amour, de cet amour qui m’a fait déjà si souffrir que mes souffrances d’aujourd’hui ne me semblent plus que de l’apaisement, dans le souvenir des autres. Tu ne sauras jamais, jamais comme tu m’as fait souffrir, et dans ma chair, et dans mon cœur, dans mon pauvre cœur où tu étais toute, avec tes sourires et tes larmes, tes baisers, et la pâleur de ton visage d’enfant. Et pourtant, mes peines d’alors m’étaient plus chères que mon calme d’aujourd’hui. J’ai vécu si pleinement, si douloureusement vrai. Nous nous sommes habitués aux autres, nous ne sommes plus seuls. Nous avons suivi, peu à peu, l’éternelle convention d’amour, et cet amour sauvage, farouche, intransigeant s’est fondu, goutte à goutte, dans le creuset banal de tous les autres. Tu ne m’aimes plus comme avant. Tu m’aimes moins pour moi que pour toi, plus pour mes baisers que pour les tiens, pour ceux que tu me donnes, quelquefois, si rarement, Moune. Je suis avec toi, toujours, depuis Noël. Tout cela m’a paru triste, et si long. J’aurais voulu te voir, t’avoir, tu me manques dans ma vie. J’ai communié avec toi, mais tu m’as semblé si loin, si frêle, si peu à moi. Si loin, dans le noir des choses, dans l’immensité infinie du reste, des autres, de la vie.

323Alain

  • 85

    Autographe, 1 f. (15,5 x 26 cm) plié en deux, écrit recto verso à l’encre bleue ; numéroté « 36 » (…)

32431 décembre 1922.

325Je t’aime, ma Moune, de toute la souffrance, de toute la tristesse de mon âme, dans l’effroi des minutes lourdes, lourdes comme des montagnes, de l’année finissante. Comment es-tu ? Si je pouvais savoir, un peu et ne plus penser que tu souffres, que tu souffres, et que je n’y puis rien, rien rien. Mon inquiétude m’est plus douloureuse que la douleur, plus angoissante que la vie. Cette nuit de l’année qui s’en va, envahissante, sinistrement sûre, dans la mort des heures, troublante, appelante comme des délires, et qui passe, qui passe, endeuillée et toi ma Moune, ma pauvre petite, qui souffre. Et je ne sais rien. L’incertitude me torture comme un enfer.

326Je viens de compter, un à un, les douze coups de l’année, de l’autre. Je t’aime, je t’aime. Entends-moi, comprends-moi. Dors-tu ? Si tu savais comme je t’aime. Je baise tes pauvres yeux malades, tes yeux rougis, tes yeux qui ont pleuré, et ceux qui furent heureux, si peu, hélas. Ne sois plus malade, ma petite. Il me semble que les douleurs se calment, lentement, et que toute la paix des choses, la paix douce, confiante, descend en moi. Tu es ma dernière pensée, ma première pensée de l’année. Je t’aime, je t’aime. J’ai vieilli ces quelques minutes avec toi. Il me semble que j’ai envie de pleurer, et de m’en aller, à l’infini. Les dernières heures m’ont été mauvaises. Je te veux heureuse. Je ne peux plus croire que tu sois malade. Je veux que tu dormes, et que mon amour te veille, et qu’il te soit doux, bienfaisant, meilleur. Je veux qu’il te veille pour toujours.

327Alain

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    Autographe, 1 f. (13,6 x 20,6 cm), au crayon et à l’encre violette, paginé I au centre de la marge (…)

328[1920-1922]

329J’ai été peiné de votre retard, et j’ai °pensé au retard qui viendra, un jour, au retard °définitif. Ce sera parce que tu ne pourras, parce que tu ne voudras plus, parce que tu te créeras de nouveaux devoirs, parce que tu regretteras, parce qu’on te séparera davantage de moi, ou tout simplement pour la raison que tu ne m’aimeras plus. °Je serai seul toute ma vie. Je verrai des choses que tu ne verras pas, tu verras des choses que je ne verrai pas, et nos yeux nous [seront] des étrangers. Tu vivras des minutes que je ne vivrai pas, des heures que je ne connaîtrai jamais, et nos vies s’ignoreront. Ta pensée se °détachera des mots qui nous ont été si chers, des mots que tu n’oses même plus écrire, par crainte, par pudeur, ou par droiture, et les [?] nouvelles de ton aimé [?] lentement, peu à peu, par l’oubli de ce qui a été, la beauté neuve de ce qui sera notre pauvre amour malheureux. Je serai un mort, pour toi. Et je n’ai jamais réalisé comme ce soir combien il serait préférable que ce retard se produise le plus tôt possible, pour toi. Nous ne serons jamais heureux, jamais, de cette [façon], et tu gâches °ta vie inutilement. Notre amour. °T’a-t-il donné du bonheur, notre amour, te rend-il meilleure, t’a-t-il jamais aidée à passer les heures tristes, les heures mauvaises ? Ma pauvre enfant. Il y a une chose que je me reproche toujours, c’est de t’avoir fait °souffrir, de t’avoir fait pleurer. Je t’ai enlevé la part de bonheur à laquelle tu avais droit. Et je t’aimais, et je t’aime. Il ne faut pas que cela dure, que cela continue. Tu me parles de choses indignes de moi. °Ma petite fille. Il y a une chose indigne de toi, indigne de ta jeunesse, de tes yeux lumineux, de ton âme fière, et c’est notre amour, mon amour. Je voudrais passer des jours avec toi, des jours entiers, des nuits °infinies, épuiser tout l’amour, toute la vie, toutes les larmes, te mêler à moi, te fondre en moi, me tordre de ta douleur, pleurer toute ma peine pour tes yeux, mourir, mourir de ta vie.

330Alain

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    Autographe, 1 f. (8,1 x 13 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue, inséré dans une envelop (…)

331Samedi. [Début juillet 1923]

332Simone,

333Je reviens du lac où j’ai tué quelques heures, en m’efforçant de penser que je les goûtais infiniment. On s’imagine toujours…

  • 88

    « Alain, // Ne soyez pas ennuyé, ni mauvais. Je ne viens pas vous harceler, ou essayer de te repre (…)

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    Selon Marcel Fortin, il s’agirait de Jeanne Pouliot, avec qui Simone Routier est allée à l’école p (…)

334Comment êtes-vous ? J’ai appris par Gaby — ma sœur — que vous étiez absente de la ville l’autre jour, quand elle vous a appelée au téléphone. Peut-être étiez-vous à Lorette, ou même à ce lac cher à Mademoiselle Pouliot , dont vous m’avez dit tant de bien ? J’espère beaucoup que vous prenez soin de vous-même, et que de cette façon vous vous portez à merveille. Faites de l’aviron, et du footing, et de l’automobile, et même de la danse, et tout cela vous vaudra mieux que dix mille vers, fussent-ils destinés à devenir immortels. Cela aide beaucoup plus à mourir qu’à vivre. Je vous verrai bientôt.

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    Simone Routier lui répondra : « Alain, // Je me suis réjouie de ce que le lac vous ait donné quelq (…)

335Votre meilleur ami .

336Alain

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    Autographe, 1 f. (16 χ 26 cm), écrit recto verso à l’encre bleue ; numéroté « 356 » à l’encre vert (…)

337[Décembre 1925 – Janvier 1926 ?]

338Simone,

339Permettez-moi de vous adresser, de ce Paris dont vous avez tant rêvé, mes meilleurs vœux de bonheur et de joie pour la nouvelle année.

340Alain G.

341P.S. Rappelez-moi au bon souvenir de M. et Mme Routier, Thérèse, Ernest et Robert.

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    Autographe, 1 f. (20,9 x 26,8 cm), papier à en-tête de la Légation canadienne à Paris, 1, rue Fran (…)

342[1926]

343Chère Gilberte,

  • 93

    En fait, Alain Grandbois ne retournera au Canada que l’année suivante. Il s’embarquera sur l’Ascan (…)

  • 94

    Inscrit à la Sorbonne et à l’École libre des sciences sociales de Paris, Alain Grandbois a entrepr (…)

344Je reçois votre lettre à l’instant ; c’est vous dire qu’il ne faut pas trop compter sur mes adresses pour avoir des réponses immédiates. Je regrette cependant d’avoir quitté Paris comme un sauvage, au printemps, sans faire suivre mon courrier. J’ai passé cinq semaines à St-Jean-de-Luz, et il m’eut été facile de vous voir à Biarritz, où je me trouvais assez fréquemment. Mais tout cela est passé. Je ne crois pas retourner au Canada avant quelques mois . J’ai beaucoup voyagé cet été, Hollande, Suisse, Allemagne, Espagne, etc., mais point travaillé . Je souffre d’une paresse, d’une nonchalance incroyables. Il faut espérer que cela reviendra. De ce cher désabusé <illisible>, point de nouvelles. Il m’est arrivé de rencontrer son cousin [Devervillers ?], avec lequel j’ai passé des heures point trop catholiques, dans des bars où le plaisir consiste à boire plus que de raison. — О horreur, raconter de telles choses à une jeune fille ! — Mais vous savez combien les hommes sont vilains.

345Veuillez m’excuser de ne parler que de moi, et de commencer toutes mes phrases par un « Je ». Cela est déplorable, mais très utile. J’espère que vous vous portez toujours bien, que vous êtes toujours optimiste, que vous vous gardez des amours, que la vie vous est facile, etc… et que j’aurai le plaisir de vous rencontrer à quelque carrefour des heures.

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    C’est-à-dire au Commissariat canadien, 17-19, boulevard des Capucines à Paris, qui deviendra la Lé (…)

346Envoyez-moi un mot de temps en temps, à cette adresse . Cela me ferait bien plaisir.

347Croyez-moi, votre « léger » ami,

348Alain Gr.

  • 96

    Autographe, 1f. (13,6 x 20,6 cm), au crayon et à l’encre violette, paginé I au centre de la marge (…)

349[fin décembre 1929]

  • 97

    L’Immortel Adolescent, Le Soleil, Québec, 1928. L’exemplaire de la bibliothèque d’Alain Grandbois (…)

350Permettez-moi de vous adresser mes meilleurs souhaits d’heureuse et bonne année. Et ainsi, veuillez m’excuser d’avoir été aussi paresseux (je suis indulgent pour moi-même, comme il convient) et de ne vous avoir pas encore remerciée de l’envoi de votre livre .

351Vous m’avez fait un très grand plaisir, d’autant que j’ai pu revivre, par certains vers, un passé déjà effroyablement lointain.

352Je désire pour vous tout le succès que vous méritez.

353Alain

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    Autographe, 6 f. (21 x 27 cm) paginés 1-5 au centre de la marge inférieure, papier pelure, au cray (…)

354Lettre d’amour pour

355Le cœur vide

356Janvier 24-25/32.

  • 99

    Au verso d’une photo de Sophie Jablonska, jointe à une lettre adressée de Djibouti et datée du 11 (…)

357Tu aurais choisi parmi mille blessures. Tu aurais imaginé de raffiner la plus dévastatrice. Puis de me l’offrir. Bien enveloppée de lueurs sombres, mortelles. Avec ton rire aigu . De me l’apporter avec tes mains franches. Tes seules mains. Et tu n’aurais pas mieux réussi à m’accabler, à me détruire, à faire de moi un désert froid.

358Je ne te reproche rien. Je n’ai rien à te reprocher. Tu es faite ainsi. Toi et moi, tu nous as placés sur le plan de l’orgueil. Tu vis par l’orgueil. Ton orgueil, ta chair. Tu tournes là-dedans, comme un écureuil dans sa cage. Je le savais. Je l’acceptais. Parce que je croyais voir, au fond, une lumière humaine. Parce que je t’aimais. Mais tu n’as jamais compris. Tu n’as jamais aimé que ta chair, ton orgueil. Tes mains franches m’ont menti. Elles mentiront aussi à cet homme quand tu le laisseras pour courir furtivement vers le bureau de poste, à Saigon. Quand tu liras ces lignes, ces mots mêmes que je trace lentement, un à un, cette nuit. Cette nuit dure, bleue, que j’imaginais encore, il y a une heure, nous rapprocher dans le temps, et qui vient de m’apprendre ta lâcheté. Quand tu souriras, avec encore sur toi, son odeur à lui.

359Chères mains malhabiles ! Chère âme.

360Mon Dieu ! Cette effarante comédie ! Ces tendres soins, ce dévouement ! Et ce manque d’habileté, habileté suprême. Déjà, tout chez toi m’attendrissait. Mon amour chassait mes fiertés. Tu t’emparais de moi. Je redevenais nu. Tu devenais ma poitrine, mes bras, mon souffle.

361Tu ne te souviens pas. Comment as-tu pu oublier ?

  • 100

    La « crise de phosphate » dont parle ici Grandbois pourrait bien être la conséquence d’un dérèglem (…)

362Tuer cela. Fuir. Sans un mot, comme une voleuse. J’ai bu à toi. Ma bouche s’est emplie de ton frisson, du tremblement de ton corps. Ta chair, entre tes cuisses chaudes, se soulevait jusqu’à ma gorge. Mon visage baignait dans ta joie, en était inondé. J’ai dormi toute une nuit, seul, sur le divan, avec, sur ma face, le voile séché de ta liqueur secrète. Mes mains pleines de toi te cherchaient, t’imploraient. Ma chair tendue m’a brûlé jusqu’à l’aube. Je ne voyais plus que ta chair ouverte dans ma bouche. Jamais, tu entends, jamais ma bouche n’avait touché la chair interne d’une femme. Ma crise de phosphate a eu lieu le lendemain. Le médecin m’avait formellement défendu de rester avec toi. Cela me tuait. Mais je t’aimais. Je te préférais à moi. À tout.

363Il aurait fallu, pour que tu comprennes, que je te dise tout. Et tu aurais ri. Avant de partir.

364Et toi, pendant tout ce temps, tu préparais ton évasion. Je n’étais qu’une étape, entre Krynica et Saigon. Une alerte. Une caresse entre deux caresses. Je te croyais plus courageuse. Un noble mensonge demande moins de force qu’une cruelle vérité. Peut-être aussi avais-tu pitié ? Tu savais que je t’aimais.

365Tu gardais ton monstrueux secret. Tu m’enchaînais. Tu resserrais les liens. Et tu me mentais comme à un enfant malade. Ta pitié me prêtait toutes les lâchetés. Tu as peut-être vu deux larmes, trois larmes. C’étaient des larmes d’amour. Le malheur me laisse les yeux secs. Cette nuit, je n’ai pas de larmes. Je n’en aurai pas demain, ni jamais. Tu as vu les dernières. Oublie-les. Leur souvenir me brûle de honte.

366Ne mens plus. Tout le mal est fait. Rien n’importe plus. Si tu m’avais aimé, tu ne serais pas partie. Le temps et l’espace nous séparaient déjà. Tu as reculé davantage les limites du temps et de l’espace. Tu ne reviendras plus. Je serai mort pour toi. Mort vivant ou mort mort. Tu es veuve de moi. Libre.

  • 101

    Dans sa lettre du 11 janvier 1932, Sophie Jablonska écrivait : « J’aide quoi me nourrir d’ici deux (…)

367Si tu m’avais aimé, tu aurais réfléchi. Et tu aurais pensé que l’époque où nous vivons ne crédite pas deux ans . Que deux ans signifient jamais. Que ce jamais se nourrit de ta vie, de la mienne, d’événements irrévocables, définitifs. Que la volonté ne peut rien sans l’espoir. Et que l’amour sans l’espoir devient une chose morte. Je n’ai plus d’espoir.

368Je ne t’écrirais pas ainsi si je ne t’aimais plus. Je t’aime. Mais je n’habite plus en toi. Tu as tout pris. Et tout rejeté. Il te manquait ma souffrance inutile. Tu l’as. Il te manquait aussi de me retirer cette confiance que ta tendresse avait fait germer en moi, qui s’accroissait chaque jour, et qui me poussait vers toi avec la lenteur et la force prodigieuse d’une marée. Et qui nous aurait soudés l’un à l’autre jusqu’à la poussière de nos os. Je n’ai plus rien.

369Je reprendrai ma route d’avant. Elle se perd déjà dans les ténèbres. Je ne marcherai pas longtemps. Les étoiles de ma nuit sont mortes. On perd pied, très vite. Agiter ses bras ne chasse pas l’ombre. Autant vaut se tourner vers le mur, tout de suite, et fermer les yeux. Et serrer les poings juste ce qu’il faut pour sentir la morsure de l’ongle. De ses ongles à soi. Et attendre que l’épaisseur de l’ombre vous écrase.

370Je ne lutte plus. Depuis mon arrivée, je luttais pour toi. Je voulais te faire la surprise d’un retour rapide. (Tordant !) J’avais peur du temps. Je craignais qu’une guerre nous empêchât de nous rejoindre, ou une révolution, si je tardais. La carte du monde est fragile. Je me hâtais. J’avais confiance en toi. J’espérais. J’étais sûr. Comme un soir, à Toulon.

371Je sais maintenant que nous ne nous reverrons jamais.

372Et tu l’as voulu. Tu avais le choix. Notre amour, l’aventure. Tu as choisi. C’était ton droit. Tu étais libre de te rendre plus libre. Tu ne le seras pas, mais tu l’as cru. Tu es perdue pour moi. Un autre te prodiguera les conseils, la sollicitude, te guidera. Cette joie de protéger, la seule virile dans un amour d’homme, tu me l’auras refusée jusqu’au bout.

373Je ne t’en veux pas. Tu m’as donné du bonheur. Tu m’as fait croire, pour un moment, à quelque chose de beau. Pour avoir cru, je saigne maintenant de toutes parts. C’est le jeu régulier. Je n’aurais pas dû jouer. J’ai perdu. C’est bien. Cette nuit, je devais boire du champagne. M’enivrer de toi. Il y a un mois. Seules, nos chairs nous séparaient. Noël.

374Je te souhaite, ma Virgule, tout le bonheur humain. Je le veux du fond de ma tristesse. De mon sourd enfer. Oublie ton orgueil. Choisis un cœur solide. Et retourne dans ton pays. Deux ans d’Orient t’épuiseront.

375Et pense quelquefois à moi, le soir, quand ta journée aura été heureuse. Avec douceur. Je serai si loin, si seul, si froid.

376Je t’embrasse.

377A.

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    Photocopie. Papier à en-tête : « Carlton Hotel Cannes » (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn H (…)

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    Lucienne Boucher (1894-1991) séjourne depuis la mi-juin au luxueux hôtel Carlton lorsqu’elle renco (…)

378Carlton Hotel, Cannes .

37910 septembre 32.

380Je vous attends au Bar —

381et je vous manque

382et je joue à imaginer que tu ne viendras pas, pour souffrir un peu

383et pour la joie que ta présence m’apportera.

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    Photocopie. Billet annoté par Lucienne Boucher : « Un soir à Cannes au Waikiki » (fonds privé Andr (…)

384Dimanche 11 sept. 1932

385Lucienne B.

386Je t’aime je t’aime

387je t’aime

388Alain Grandbois

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    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamothe-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

389[Cannes] Mercredi-jeudi [21-22 septembre 1932], 4hrs ½. Nuit.

390Lucienne,

391Je me réfugie en toi, cette nuit, comme dans le coin le plus doux, le plus secret, le plus obscur du monde. Je n’ai jamais été plus seul, plus nu. Jamais plus près de cette mortelle limite qui sépare la lumière de l’ombre. Je n’ai pas de larmes. J’écris avec des yeux secs. Mais je veux cette dernière illusion, ce dernier mirage : ton amour.

392Lis lentement. Comme je t’écris. Avec, entre chaque syllabe, des repos misérables. Le désespoir ne coule pas à pic, surnage. Des minutes. Laisse-moi ces minutes. Ne souris pas. Pleure si tu peux. Il me faut que, liés, nos doigts s’accrochent aux dernières épaves.

393Écoute-moi. Je ferme mes yeux. Je ne veux pas encore voir. Je ne suis pas encore résigné. Je sais que tu vas venir. Je sais que tu viens. (Lis doucement, lentement, avec ton cœur. Ne ris pas.) J’entends venir tes pas près de la porte. Je feindrai de dormir. Et tu me prendras dans tes bras. Et rien ne sera changé. Tout recommencera. J’entends tonpas. Tu sais bien que je l’entendrai toute la nuit.

394J’ai défendu que l’on fasse ma chambre. Elle est restée telle que tu l’as quittée. Le lit t’attend. Ton odeur flotte encore dans les plis du drap. Je t’attends. Je ne veux pas croire que tu ne viendras pas.

395Je veux imaginer que tu viendras. Je souffrirai encore un peu plus. Chaque jour, j’ai souffert davantage. Chacune de tes présences a ajouté à ma détresse. Je croyais que cette détresse était déjà trop lourde. Je ne savais rien. Rien n’est jamais assez lourd. Les morts seuls doivent connaître l’aveugle, le noir écrasement. Celui qui étouffe à jamais.

396Il est presque cinq heures. J’ai lu ton télégramme en entrant. Ton nom m’est encore si étranger. Lucienne ! Ton nom me rejette au bout du monde. Et parce que je t’aime, vingt ans de ta vie nous séparent. Le sens-tu assez, que je t’aime !

397Chaque heure que tu m’as donnée m’a enfoncé davantage dans mon amour, et dans ma solitude. Toutes ces raisons que, chaque jour, j’ai trouvées pour t’aimer mieux, toutes m’ont torturé un peu plus. Tu es trop vivante. Tu portes toute ta vie devant toi, aux coins de tes lèvres, au creux chaud de tes hanches. J’ai si souvent eu envie de te crier que tu me volais ton sourire, que tu me volais ta chaleur. Depuis vingt ans. Depuis toujours. Et je fermais les yeux, et je labourais ta chair, et tu gémissais doucement. Peut-être pour me faire plaisir. Comme nous sommes pauvres, et nus.

398Tu es près de moi. Il fait presque jour. J’entends le coq. Et le même moustique mord mon poignet. Il n’y a que le lit, plus large, derrière moi. Des cloches sonnent. Je commence à ne plus t’attendre. Il faut bien que tout finisse. Je n’ai pas encore souffert. Dans un moment, je me coucherai sur le ventre. Sans bouger. Nu. Comme si j’allais mourir. Pour des heures et des heures. Sans pleurer. Et ma douleur montera du plus profond, du plus sombre de mon être. Il faut payer.

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    Luxueux hôtel sur le boulevard de la Croisette, à Cannes, le Martinez est renommé pour son intérie (…)

  • 107

    Situé place Franklin-Roosevelt, à Cannes, le casino Palm-Beach (créé par Henri Luhl en 1929) est s (…)

399Je veux, avant cette fièvre, te raconter ce que j’ai fait après ton départ. J’ai d’abord porté ta lettre au Mart inez . Je suis revenu à l’hôtel. À huit heures, au Baccara. J’ai gagné huit mille francs. Avec des ruses de vendeur de cravates au rabais. (Je préfère être plongeur.) Puis je suis allé dîner à Juan. Je savais que si je revenais chez moi, je n’aurais pas le courage d’en sortir avant trois jours. Après dîner, je me suis rendu au baccara de Juan. Il n’y avait qu’une table, où des femmes vaguement seules et visiblement grises se disputaient des billets de dix francs. J’ai pris, par hasard, le plus gros banco de la soirée, qui s’élevait à quelque trois cents francs. Je l’ai naturellement gagné. Ce fut un tollé général. Alors j’ai repris la route du Palm-Beach . Et puis…

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    Cette femme d’origine roumaine aurait remporté un concours de beauté à Bucarest (Lettres à Lucienn (…)

  • 109

    Le metteur en scène Pière Colombier a réalisé notamment, avec René Pujol, Le Roi des resquilleurs (…)

400Tu sais déjà le reste. Je suis allé rejouer au Bac. Comme j’avais dix mille, j’ai négligé les rases du commis aux cravates. J’ai tout reperdu en cinq minutes. Les deux coudes sur la barre de cuivre, vêtue de bleu pâle, Laure J. me souriait. Je devais faire très millionnaire. J’ai obliqué vers le bar. J’ai bu deux whiskies. Et c’est alors que ton amie Moura est venue. Elle était accompagnée de la petite Goya et de M. Pière Colombier . Quand je lui ai appris ton départ, elle m’a fait le coup de la surprise. Très mal, d’ailleurs. Car elle ne possède même pas l’honnête talent de la petite bourgeoise de Marne-en-Loire lorsque, le matin où saisi d’une folle terreur à la pensée qu’il a oublié deux francs soixante-quinze centimes dans les poches de son veston d’intérieur, son cher mari revient brusquement à la maison pour la trouver dans les bras du garçon laitier. Et elle m’a invité à aller boire du champagne au Waikiki. Elle m’a dit aussi qu’elle demeurait encore une dizaine de jours à Cannes, que les soirées lui paraissaient longues, et que je pouvais lui téléphoner entre sept et neuf heures. Où as-tu jamais trouvé que les femmes étaient compliquées ?

401Mon amour, mon amour, j’ai donné des ordres pour que cette lettre parte ce matin, par avion. Quand tu la recevras, je serai encore couché sur le ventre, la face contre le mur. Pour nous survivre. Je ne saurai s’il fait jour ou nuit. Je souffrirai. Je paierai. Puis je commencerai de sentir que tu t’éloignes peu à peu de moi. Que tout est néant. Que ce fleuve qui avait fait tournoyer nos pitoyables êtres dans le même remous nous arrache des bras l’un de l’autre. que je suis plus nu que si l’on m’avait enlevé la peau. Et j’aurai des cris muets.

402Et je t’aimerai, toi si vivante, comme on aime une morte.

403Alain

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    Photocopie. Télégramme daté du 22 septembre 1932 par Lucienne Boucher (fonds privé Andrée Maillet (…)

404[Cannes, le jeudi 22 septembre 1932]

405SUIS AVEC TOI PLUS PROFONDES TENDRESSES

406ALAIN

  • 111

    Photocopie. Télégramme expédié de Cannes à « Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Pari (…)

407[Cannes, le samedi 24 septembre 1932]

408VU MÉDECIN DÉPART PROBABLE PORT-CROS MERCREDI AMOUR

409ALAIN

  • 112

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

410Dimanche-lundi [25 septembre 1932]. Nuit.

411Lucienne,

412Mon amour, je voudrais te bercer doucement, te consoler, te dire des mots tendres. Je mettrais tes mains sur mes yeux. La nuit vivrait autour de nous, sur nous. Nous serions seuls au monde. Il n’y aurait rien que le battement de ton cœur et du mien. Rien que nous.

413Pourquoi toute cette souffrance ? Sij’avais su. J’ai tenté d’être juste vis-à-vis de toi. J’ai essayé de voir clair. Il y avait deux solutions : notre amour, ta vie. Après l’amour, il reste la vie. C’est pourquoi j’ai choisi que tu partes. Mais tu ne connais pas mes moments de révolte, mes cris.

414Et je souhaite parfois que tu ne m’aimes pas. Des minutes de sagesse. Mais cela serait si affreux. J’ai besoin de toi. Telle que tu es, et tel que je suis. Peut-être demain, non. Tu montes l’échelle de ta vie. D’autres paysages te sollicitent. D’autres visages. Rien n’est stable. Moi aussi les heures me secouent, me changent, me diminuent ou m’augmentent. Mais ce soir, cette nuit, à cet instant où je t’écris, où je te pleure, où tu me laisses comme un infirme, comme un prisonnier froid entre quatre murs, j’ai besoin de toi comme mes poumons ont besoin d’air. Je t’aime. Je t’aime.

  • 113

    Ortega, un prisonnier « évadé de la Carcel Modelo de Barcelone », se serait joint au groupe d’amis (…)

  • 114

    « Alain voulait que nous fuyions au Caire, où il aurait été correspondant spécial pour un journal (…)

415L’effroyable est que tu es trop vivante. Tu brûles les sentiments. Tu passes du bonheur au désespoir avec une rapidité sans nom. Je me rappelle Ortega , ton désarroi, ta nudité. Et ce choix que tu n’osais pas faire, et cette hésitation dont je ne voulais pas profiter. Pourtant, si tu l’avais moins aimé, nous serions aujourd’hui au Caire . Tu m’aimerais dans la joie. Tu m’aimes maintenant dans la tristesse. Comme on aime un vaincu.

416Tu ne connais pas le repos. Tu es trop vivante. Et moi, j’ai besoin de quiétude. Je sais que je vais bientôt quitter tout cela, la mer, les êtres, le soleil, les nuits, les jours. J’ai tout absorbé. Je veux que mon soir me trouve détaché, dépouillé. Je veux mourir avec l’image d’une adorable porte d’or, qui ne finit pas de se refermer…

417Je sais aussi ce qui arrivera. Peu à peu. Avec les jours, les semaines. Avec le temps. Tu auras oublié de pleurer. Tu ne sentiras plus ton cœur. Tu souriras. Tes yeux s’ouvriront sur d’autres visages. Tu me chasseras de ton souvenir comme on chasse une guêpe qui bourdonne. Tout sera rentré dans l’ordre.

418Comme tu me connais mal, mon petit. Tu croyais que ce fut possible, Moura et moi, après toi. Nous avons parlé cinq minutes. Je ne suis pas allé au Waikiki. Je ne l’ai pas revue. Et même si je l’avais désirée (je te jure bien que non, et que je pense toujours ce que je t’ai déjà dit d’elle), comment aurais-je pu boire avec elle, rire, prononcer les mots d’usage, l’embrasser ? Et tout cela, dans les endroits où nous nous sommes aimés, où je découvrais mes flammes, mes mains, mon épouvante !

  • 115

    De son vrai nom Elena Vitiello, Francesca Bertini fut l’une des grandes vedettes du cinéma italien (…)

  • 116

    Le poète anglais Percy Β. Shelley (1792-1822), auteur de La Sensitive (1820), Á une alouette (1820 (…)

419J’ai fait une autre conquête. Je te l’offre, ma bien-aimée, en holocauste. C’est Francesca Bertini . Ce soir, dimanche — quel anniversaire ! — au baccara. (Je dois d’abord te dire que des 55 mille francs que j’avais apportés de Paris, et des 20 mille que j’ai fait venir par la suite, il me reste exactement deux mille cinq cents francs. Une phrase de toi m’avait frappé : « Il n’y a donc pas de Dieu pour les amoureux ! » Je me suis accroché à cela comme à une planche, le noyé. Si j’avais gagné un peu, j’aurais pris l’avion ce matin pour Paris, je t’aurais embrassée, nous aurions eu toute une nuit pour pleurer et rire ensemble, et je serais revenu dans mon trou.) Elle était au bar, avec un gros monsieur à chemise bleue. Ils parlaient italien. Je comprends un peu la langue. Il lui a dit quelque chose d’assez amusant. J’ai ri. Elle était à côté de moi. Elle s’est retournée, m’a regardé, et m’a demandé si j’avais entendu. Cela a engagé la conversation. Je buvais du whisky. Elle a commandé un sandwich. Le gros monsieur perdait de sa gaîté. Il buvait un jus d’orange. Alors il lui a dit soudain, dans un mauvais français — et à mon intention — qu’il ne comprenait pas « qu’une femme comme elle pût s’intéresser à de vagues gigolos, etc. » Ce fut sa perte. Nous avons tous éclaté de rire, Bertini, moi, et le barman qui était en face. Le monsieur s’est mis à bouder, puis a disparu dans la salle de jeu. Alors Bertini s’est découvert une soif impérieuse. Elle a commandé des whiskies. Elle m’a dit soudain qu’un metteur en scène de ses amis, à Rome, cherchait depuis un an un type pour remplir le rôle de Shelley , dont la vie doit être rendue au cinéma, et que j’étais exactement ce qu’il cherchait, et que le lendemain elle m’emmènerait chez son photographe. Je lui ai répondu qu’elle était fort aimable, mais que je partais au lever du jour pour Marseille, d’où je m’embarquais à destination des îles de l’Archipel, et que l’Europe ne me reverrait pas avant cinq ans. Là-dessus elle m’a pris les mains, et m’a dit « c’est dommage » d’une voix mouillée, et avec des yeux un peu fixes, car elle était un peu saoule. Et je suis revenu chez moi. Etje t’écris. Et je t’aime. Je t’aime.

420J’irai vendre ma « voiture » demain. Je partirai pour Port-Cros mercredi matin. Je t’écrirai dès que je serai arrivé là-bas. Peut-être t’y verrais-je, plus tard. Aurons-nous d’autres heures ? Si tu savais comme je t’aime. Et comme, surtout, je voudrais m’empêcher de te le dire. Mais je n’ai pas cette force, ce courage. Je suis plus las que si j’avais vécu mille ans.

421Alain

  • 117

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.41.

422Mardi [27 septembre 1932]. Automne.

423Lucienne,

424Il faut que je t’écrive un mot, un tout petit mot. Je t’aime.

425Ne regrette pas Cannes. Il pleut. Il n’y a plus personne. C’est un désert humide.

426Le plus grand désert est en moi, dans ma chair, dans mon cœur. Quelle place as-tu prise partout ? Et quel jeu cruel tu jouerais, si tu jouais.

427Je t’embrasse à pleine bouche, partout. Comme je t’aime.

428Alain

  • 118

    Ajout en marge de gauche.

429Tu es aussi renversée, près de moi, sans oreillers. Et mes deux bras serrent ton cou, serrent ton cou. Toute la détresse du monde, et toute la douceur .

  • 119

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

430[Port-Cros] Samedi [1er octobre 1932].

431Lucienne,

432Je ne t’écris pas aujourd’hui avec mon cœur. Comme je voudrais le faire. Comme j’aurais besoin de le faire. Il s’agit d’une chose plus importante. Il s’agit de toi, de ton immédiat, de ton proche avenir. Les plus jolies phrases du monde ne valent pas un moment de sage réflexion. Tentons de réfléchir. Tous les deux. (Oh, mon amour, comme je voudrais m’empêcher de t’écrire cela !)

433Et d’abord, ne prends pas en mauvaise part ce que je te dirai. J’essaie de voir clair, d’être juste. Je ne parle pas pour moi, mais pour toi. Cela ne signifie pas que je ne t’aime pas. Je ne t’ai jamais aimée mieux, ni plus. Et je t’aime assez pour « réaliser » que mon amour ne peut rien pour toi. Mais le moment est venu de refouler les mots d’amour, de raisonner. Comme si je n’étais pas un amant, mais un ami. Je te sens seule, entourée de tendresses distraites. Je sais que j’assume un rôle ingrat : celui de la raison. Mais puisqu’il me semble que personne ne le remplit…

434Tu me dis que Simard te rend la vie impossible, qu’il te menace, t’injurie. Et qu’il ne cesse de te répéter — c’est ici le point essentiel — que tu ne dois plus, pour l’avenir, compter sur lui. Je m’abstiens de commentaires. Lui n’est pas en question. Je te répète qu’il ne s’agit que de toi. Et maintenant, je ne comprends plus. Pourquoi continuer de le voir, d’aller chez lui, de l’écouter ?

435Tu le connais. C’est un faible, et un vaniteux. Il tient par conséquent à avoir raison. Il veut t’abattre pour t’avoir plus facilement. Quand il t’aura, c’est alors qu’il te jettera par-dessus bord, en triomphant. Ne lui laisse pas ce trop facile avantage. Tout ce que tu peux faire pour lui ne peut que te desservir. Quitte-le. Retourne chez ta mère. Refuse absolument de le voir. N’attends pas son départ. Il compte là-dessus °comme sur une délivrance. Laisse-le pleurnicher et frapper sa jolie tête contre les cloisons ! Et t’insulter, et se ronger les poings. Mais hors de ta présence. Chez la concierge ou sur le palier. Sans qu’il te voie. Crois-moi, j’ai appris chez les femmes à connaître les hommes. Et il n’y a rien de plus terrible, pour eux, que de savoir, là, à un mètre, la présence vivante d’un être, et de piétiner, à l’autre bout du mètre, dans leur propre néant.

  • 120

    On pourrait tout de même le rapprocher de la « Sixième exhortation du sage », intitulée « La fuite (…)

436Tu le perdras ? Mon Dieu, moins certainement que si, malgré toutes les avanies qu’il te prodigue, tu continues à demeurer près de lui. Il y a un proverbe arabe qui dit (tous les proverbes sont arabes à l’occasion) : « Tu sècheras tes os à ne point vouloir abandonner l’emplacement de la citerne tarie. » (Et puis non, j’aime autant te confesser tout de suite que je °viens de le fabriquer, ce proverbe . À ton intention. Souris. C’est un pauvre enfant issu de nous deux, de notre détresse. On lui a donné un nom, pour lui faciliter son entrée dans le monde.)

437De plus, j’ajoute que tu ne devrais considérer, sous aucun prétexte, la possibilité d’une entrevue, d’un rapprochement, sans exiger l’assurance de garanties matérielles immédiates. (Tu dois comprendre que ces choses-là me sont extrêmement pénibles à t’exprimer.) Mais ce sont des dettes à lui. Des dettes qu’il te doit. Je ne dis pas qu’il en viendra là. Je dis que s’il en venait là, tu devrais, à mon sens, agir de cette façon. Car il faut que tu commences enfin à penser à toi. Que tu ne te satisfasses plus de vagues promesses. Et que tu secoues ta nonchalance. (Je saisis l’équivoque de tout ceci. Si je devais vivre longtemps, je n’aurais pas le courage de tracer ces lignes. Je le fais parce que dans six mois, j’aurai cessé d’exister pour ce qu’on est convenu d’appeler le monde.) C’est avec des promesses que l’on finit par crever de faim. Et le fait qu’il clame et brame partout que tu es la cause de sa ruine n’est pas important. Ce qui importe, c’est qu’aujourd’hui, à la veille de cette fameuse rupture dont ce tyranneau domestique ne finit pas de te menacer, tu te trouves, toi, dépouillée, nue, sans rien. Après neuf ans ! Et trois liards de bijoux que tu as pu misérablement mettre à tes doigts, à ton bras.

438Il est possible aussi qu’il ne se contente que de veiller au grain, et qu’il se soit depuis longtemps décidé à retourner là-bas, afin de reprendre femme (riche). Alors il ne bougera pas. Il ne se mettra plus en frais de comédie. Il ménagera ses forces. Il ne jouera plus les collégiens. Mais il sera extrêmement mortifié. Tu l’auras lâché. Pour toi, maigre revanche ! Je sais, je sais. Mais enfin… Cela le fera peut-être taire. Car cet homme, qui ne me paraît pas posséder exagérément le sens des responsabilités — autrement qu’en paroles — possède peut-être (sobre) celui du ridicule.

  • 121

    Suzanne était la fille de Simard (Lettres à Lucienne, p.52, n. 9).

439Tu m’objecteras Suzanne . En effet. Il y a toujours des sacrifiés. Mais puisque tu me dis qu’elle est maintenant hors de danger, il me semble que tu pourrais lui faire comprendre, dans une certaine mesure, le « fatum » des événements et la nécessité de ton attitude. Je me doute bien qu’il essaiera de jouer d’elle pour t’attendrir, et qu’elle se prêtera volontiers, sans trop le savoir, à ce jeu. C’est là où il te faudra résister.

440Il y a aussi ta mère. C’est une femme de jugement, et qui l’a prouvé. Explique-lui exactement ce qui se passe entre lui et toi. Dans une conversation genre « affaires ». N’y mêle pas les sentiments. Les faits brutaux, concrets. Afin qu’elle puisse juger autrement que par les plaintes et les pleurnicheries de ce cher gentilhomme, de la précarité, de la réalité de ta situation. Elle te comprendra peut-être. Et si elle t’aime, comment ne pourrait-elle pas t’ouvrir ses bras ?

441Alors tu resteras chez elle. Mais chez elle, tu entends ! Il ne faudra pas retourner chez lui, ni partir en voyage. Cela prendrait des allures de fugues. Il crierait plus fort, ameuterait tout le monde, et tout le monde, depuis et avant les moutons de Panurge, donne toujours raison à celui qui hurle. Il faut qu’il y ait non pas fugue, mais séparation. C’est extrêmement différent.

  • 122

    Gizèle dirigeait une « maison de couture » (ibid., n. 12). Dans une lettre de décembre 1933 à Marc (…)

442Et il restera Gizèle . Je sais bien que tu ne peux, ni dois passer ta vie dans la « couture ». Ce sera provisoire. Mais c’est dans le provisoire que se préparent les états définitifs. Ce sera dur, les premiers jours ? Moins que tu ne crois. J’imagine même que cela t’amusera considérablement. (J’allais ajouter hélas.)

443J’allais aussi te parler du monsieur supérieur. De celui à qui tu as fait déjà des confidences. Je ne t’en parlerai pas. Je ne possède pas la patience d’un saint, ni son abnégation. Et d’autre part, je ne voudrais point finir cette lettre de « sagesse » sur une note de sarcasme, ou d’ironie. Je constate simplement mon impuissance à t’aider, et mes possibilités de souffrances. Et je les vois sans fin.

444Si tu t’arranges avec Gizèle, et si elle t’accorde un délai, demande-lui trois semaines. (Et tu ne viendrais pas avant son départ. Autrement, il aurait la partie trop belle.) Tu pourrais rentrer, par exemple, le douze ou le treize novembre, pour prendre tes fonctions le quinze. — Il est bien entendu qu’ici, tu es mon invitée. — Si tu ne peux t’arranger avec elle pour ce délai, ne viens pas. Tu ne dois pas sacrifier la chance d’une situation qui, dans les circonstances, est inespérée. Nous nous reverrons plus tard à Paris.

445Et pourtant !

446Si j’étais libre de te libérer, je ne t’écrirais pas tant de pages. Je sauterais à Paris, je carillonnerais à ta porte, j’entourerais ton cou de mes bras, et personne ne nous reverrait plus.

447Tu ne peux soupçonner ce que sont ici les nuits. Des heures d’ombre épaisse comme des murs. Le bruit de la mer enveloppe, protège le nœud même d’un silence profond, touffu, inimaginable. On devine les commencements du monde, avant les êtres, la vie. Et chacun de nos baisers rendrait dans ces nuits le son d’une chose étemelle. Ce serait trop beau. Nous n’avons pas de chance.

448Alain

  • 123

    Télégramme expédié de Salins d’Hyères, à « Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris (…)

449[3 octobre 1932]

450SANTÉ EXCELLENTE POSTES INTERROMPUS LETTRE SUIT MEILLEURES TENDRESSES

451ALAIN

  • 124

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // (10) rue Lamotte-Picquet (10) // Paris // XV  (…)

452Lundi soir [3 octobre 1932].

453Lucienne,

454Je reçois ta lettre, qui m’annonce des choses si belles. Celles que je croyais impossibles, que je désespérais de voir s’accomplir : tes mains, tes yeux, ta venue, Toi. Je me refusais de croire à ce bonheur. Et j’ai encore un peu peur.

455Viens aussi tôt que tu le pourras. Pour le temps que tu voudras. Je t’attends avec mon cœur, mes épaules, avec ce qui me reste de joie intacte. J’essaierai de te rendre heureuse. Nous chercherons la joie au-dessus de nous, là où s’agitent les rêves, où bat le sang même des étoiles.

456Mais il te faudra te munir d’indulgence. Je ne suis qu’un homme. Tu me connais mal. Tu me vois à travers ton amour. Les traits que tu me prêtes, tu les crées toi-même. Il y aura le tournant dangereux, celui où tes yeux de femme verront l’homme que je suis. Et nous sommes tous si laids, si pauvres.

457Télégraphie-moi trois jours d’avance. Ici, la ligne téléphonique est rompue. On téléphonait les télégrammes d’Hyères, maintenant, il faut attendre que le bateau les apporte. Tu prendras le train n° 15, qui part de Paris (gare de Lyon) à 17.40hrs, (5hrs40) le soir. Ce train est muni de couchettes, d’un wagon-restaurant. Il arrive à Toulon le matin, vers 7hrs 1/2. Je serai là. Puis nous prendrons un train — un tortillard — pour les Salins d’Hyères, où nous attendra le bateau qui fait le service de Port-Cros. Il faut surtout que tu ne rates pas le train de Paris.

458Apporte des lainages. (J’ai d’ailleurs un tricot pour toi.) Et des pyjamas, pour les beaux jours, et une ou deux petites robes, pour ceux où l’on ne peut sortir. J’aimerais aussi que tu apportes une robe du soir, car nous aurons certains anniversaires à célébrer. Je m’habillerai. Nous serons tous les deux. Nous dînerons au champagne, comme des parvenus, ou des Russes. Nous divaguerons. Nous serons un peu fous. Nous imaginerons des destins formidables, magnifiques, irréels. Nous sommes des vagabonds, tous les deux.

459Et puis nous nous aimerons. Mes doigts se crisperont à tes épaules. Nous plongerons aux profondeurs originelles.

460Viens vite, viens, viens. Je t’aime.

461Je t’aime.

462Alain

463Tes lettres sont mon pain quotidien.

464Apporte le phono.

465Je t’embrasse avec des cris.

466A.

  • 125

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

467Mercredi [5 octobre 1932].

468Lucienne,

469Cette méchante carte. Sale gosse. Mon amour.

470N’as-tu pas un peu honte ?

471Entre nous, déjà. Entre nous.

472Nous n’avons pas encore commencé de nous aimer. Nous sommes encore des étrangers, avec des doigts de lumière. Et la route devant nous, immense, vaste…

473Et tu écris comme si le cycle se refermait, comme si nous nous perdions déjà, au bas de la montagne, dans l’ombre des souvenirs éteints.

474Je ne t’embrasse pas, pour me punir de t’avoir si peu inspiré de confiance. Mais je t’aime.

475Alain

  • 126

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

476Vendredi-samedi [7-8] Octobre [1932].

477Lucienne,

478Comment exprimer tout ce qui monte en moi de douceur, de tendresse, de piété, d’attente. Les mots n’ont pas de force. Mais ferme tes yeux. Je te dis tout bas, dans l’ombre, dans la nuit, que je t’aime, que je t’aime.

479Je ne peux plus penser à rien qu’à toi, à nous. Chaque soir, je m’endors épuisé. Je te porte en moi comme une femme son enfant. Tu me fais mal. Parfois mon cœur arrête de battre, puis se précipite soudain, affolé. Je ne cesse de poursuivre ton image, les traits de ton visage, ton regard. Mais tout m’échappe. Tout est trop mobile, trop fuyant. Je me couche la tête dans mes bras. Il n’y a que le bruit de la mer, l’ombre. Je suis épouvantablement seul. Et cette solitude qui pèse sur moi de toutes parts, qui m’étouffe, je l’ai pourtant, jusqu’à ce jour, voulue, désirée, provoquée. Mon orgueil se jouait d’elle, la poursuivait, la traquait. Et je riais comme un homme au milieu d’une tempête, comme un homme sauvage avec un rire sauvage. N’ai-je plus d’orgueil, mon amour, mon amour !

480Mes doigts montent à tes joues, à tes tempes, sous les cheveux. Tu dors. Ton souffle réchauffe les paumes de mes mains. Et je voudrais qu’il n’y eût jamais plus de réveil. Jamais rien, rien.

481Alain

  • 127

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

482[Dimanche, le 9 octobre 1932]

483Lucienne,

484J’ai ouvert ta lettre avec appréhension. Je flairais le passage, le travail du temps. J’y ai trouvé une sorte d’allègre résignation — pour ne pas dire joyeuse — à ton sort actuel, une heureuse disposition à trouver la vie de Paris belle, un imperceptible mais net détachement de ce qui fut « nous ». Nous sommes encore « nous », mais sortis des profondeurs, du gouffre implacable où seuls nous pouvions nous déchirer, nous caresser, nous aimer. Il y a maintenant le flot de tes habitudes revenues. Il y a la vie normale, rationnelle. Vive Dieu ! Tu es sauvée, ma toute belle.

  • 128

    Le Studio des Ursulines, salle de cinéma située dans le Ve arrondissement de Paris, où l’on présen (…)

  • 129

    Cette phrase figure en épigraphe de « Réponse 2 », dans le recueil de poèmes de Marie Normand (pse (…)

485Nous voguerons maintenant en surface. Tout sera charmant. Nous nous écrirons des lettres bien écrites. Il y aura tous les accords, y compris ceux du subjonctif. Je ne ferai plus de fautes d’orthographe. Nous serons nuancés, délicats, et distingués, extrêmement. Nous serons des amants gens du monde. A Paris, nous irons même au cinéma des Ursulines , pour la version allemande. Tu me tromperas gentiment avec des messieurs bien mis, intelligents, supérieurs. Je comprendrai tout, tout . Car nous serons des amants modèles. Et sauf quelques centaines de milliers d’exemplaires, cette engeance ne court pas les rues.

486Ce sera très bien. Mais c’est un peu dommage. Je « t’espérais » autrement. Il y a ici le vent, la montagne, la nuit. Des choses dures, vraies, qu’il faut mériter, qu’il faut conquérir. Il y a même, pour attendrir le décor, une lune qui surgit brusquement, vers les huit heures du soir, du sombre mur de la forêt. Et tout le pays s’éclaire soudain de bleu pâle. Et la mer prend une douceur de lait.

487Et ton visage deviendrait grave et pâle. Comme je l’aime. Comme il faut qu’il soit, pour que je ne cesse plus de t’aimer.

488Mais je repousse doucement cette image, afin de m’habituer aux autres, à celles qui me font déjà moins souffrir.

489Alain

  • 130

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

490Lundi [10 octobre 1932].

491Lucienne,

492Hier, je t’ai écrit une lettre méchante. Il faut me la pardonner. La déception que m’a causée l’annonce de ton retard en était la raison. Il me semblait que j’attendais depuis si longtemps. Je tuais chaque minute, chaque heure, chaque jour. J’allais être enfin délivré. Puis j’apprends soudain qu’il faut tout recommencer, qu’il me faut me remettre à l’affût, rageusement, patiemment, que je dois m’acharner encore à ces meurtres inutiles, épuisants… C’est alors qu’est monté le flot des forces mauvaises.

493Pour « faire le point », je répondrai aux questions que tu me poses depuis quelques jours.

  1. Je n’aime pas du tout la photo 28. Je préfère la petite du Bois à celle du balcon. Tu as l’air d’une petite fille coupable qui veut se faire pardonner, mais qui sait surtout qu’elle le sera.
  2. J’ai acheté le tricot à Cannes avant mon départ. Il m’a plu parce qu’il m’a semblé un peu cocasse. Il y a trois losanges à la place du cœur, et deux à la ceinture. Je l’ai essayé, et il « allait ». Et comme les choses « qui me font te vont » (ça peut se chanter) encore mieux, je l’ai acheté pour toi, en pensant à Port-Cros.
  3. Apporte la robe noire.
  4. Comme cadeau, je te demanderais vivement un petit hôtel particulier avenue du Bois, une Rolls et un orgue, une petite ferme pour des chevaux et des chiens, et un petit château pour donner une certaine valeur à la petite ferme, un trois-mâts, sans moteur, pour courir les mers, et un petit avion, avec moteur, pour courir les cieux. Mais si tu n’as pas le temps d’effectuer ces quelques achats avant ton départ, apporte-moi tes deux mains, que tu poseras sur mes yeux. Elles vaudront les plus belles aventures du monde.

494Alain

495P.S. Ai-je oublié de te dire que je t’embrassais ?

496A.

  • 131

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

497Jeudi soir [13 octobre 1932].

498Lucienne,

499J’arrive de Toulon, où j’ai dû aller consulter un médecin pour mon cœur. On me remet ton télégramme. J’ai cru un moment, avant de l’ouvrir, qu’il allait m’annoncer ton arrivée. (Trois jours avant.) Il m’annonce la peine que je t’ai faite. Je recevrai ta lettre demain. Et demain, à ton tour, tu me feras souffrir. Je hais l’amour.

500Mais moins que je ne t’aime. Ces révoltes, ces sarcasmes, ce refus à m’adapter, de cœur, aux situations que ma raison comprend, accepte, puisqu’elle reconnaît mon impuissance à te fournir cette apparence, ce minimum de sécurité, comment peux-tu les interpréter autrement que comme des cris d’amour blessé ! La sagesse, l’amour, le duel, sans cesse. Et que tu sembles ne pas comprendre. Pourtant !

  • 132

    Voir la lettre du 1er octobre 1932, supra, p.123.

501Lorsque je pense à toi, uniquement à toi, lorsque je m’arrache de toi pour ne penser qu’à toi, et que je t’écris des choses que je crois raisonnables, tu te montres étonnée, surprise… Tu blâmes secrètement ce que tu appelles mon côté « pratique ». Et tu protestes que tu ne saurais agir en « courtisane » ! (J’aurais beaucoup à te dire sur ce point. D’abord, que tu es attachée à Simard beaucoup plus que tu ne le crois, ou que tu ne veux l’avouer.)

502Mais lorsque je pense à toi avec moi, à nous, à moi, à tes lèvres pour ma soif, à ton corps lisse, à ta chair ouverte pour le vertige de la mienne, comment peux-tu ne pas comprendre que certaines images me sautent à la gorge, m’étouffent. Que certains gestes, faciles à imaginer, me brûlent intolérablement.

503Si je ne t’aimais pas, tout serait si facile. Et mes lettres seraient tendres. (Je t’aimerais juste assez pour cela.) Avoir seulement l’illusion de l’amour ! Mais je t’aime. Tu entends, je t’aime. Et malgré ma volonté, je ne puis toujours fermer les yeux. Et je suis cruel parce que je t’aime. Comprends-tu. Comprends-tu ?

504Alain

  • 133

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

505Samedi [15 octobre 1932].

506Lucienne,

507Je t’envoie ce petit mot dans la plus grande hâte. La vedette part dans quelques minutes. J’ai demandé qu’on attende. Et on attend. J’écris à la vapeur.

508J’ai reçu ta lettre, méchante. Mais en même temps, la seconde. Et c’est celle-ci qui m’a le plus peiné. Mon petit, mon petit. Il ne faut pas que tu me portes un amour résigné. Oublie. Que les choses soient, entre nous, comme elles étaient il y a huit, il y a quinze jours. Il le faut. Sans cela, nous descendrons le versant. Et nous deviendrons mesquins. Du mépris se glissera entre nous. Ne regarde pas, ne vois pas ce qu’il y a en moi de mauvais. Laisse s’éloigner le nuage. Le reste du ciel est si bleu.

509Je t’embrasse et je t’aime. Et c’est parce que je t’aime au-delà de la limite de mes forces que je te fais souffrir. Et c’est parce que je ne puis t’embrasser que mon amour piétine, tourne en rond, s’aveugle. Mes nuits sont tendues vers toi. Ma chair t’appelle à coups durs, à battements douloureux. Mes mains cherchent ta chaleur, ton flanc, ton frisson. Et c’est le vide, toujours le vide. Embrasse-moi comme je t’embrasse.

510Alain

  • 134

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

511[Lundi, 17 octobre 1932]

512Lucienne,

513J’ai reçu ta photo, qui est ravissante. J’espère que tu vas pouvoir m’en donner une copie. Je t’expédie l’original — pas toi naturellement — par le courrier de cet après-midi.

514Il fait depuis deux jours un temps des dieux. Je rage à la pensée que tu serais ici, à côté de moi, si ce maudit retard n’avait eu lieu. Tout sent le printemps. Mais quand le soir tombe, les odeurs s’alourdissent, prennent la force des sèves mûries. Puis la première étoile se lève avec le vent de la mer. Je vois tes yeux, tes mains…

515Je n’ose plus penser à ta venue. Il me semble que tu ne viendras jamais. Me glisser près de toi, approcher mon corps du tien, te prendre dans mes bras, chercher tes lèvres — tu es immobile, tes yeux sont clos — et sentir, sous moi, tes genoux s’ouvrir lentement… Mon amour, mon amour, cette heure vivra-t-elle ?

516Je ne sais plus rien de toi. Tu rejoins les ombres de la légende. Je doute que tu vives. Dix femmes passent et repassent devant moi. Neuf possèdent tes traits, tes yeux, ta voix. La dixième m’échappe, fuit, voilée. Celle-là seule est la vraie. Je crois parfois la saisir dans la nuit. Mes bras retombent dans le vide. Où es-tu ?

517J’ai peur du bonheur.

518Alain

  • 135

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris XV ». Cach (…)

519Mercredi midi [19 octobre 1932].

520Lucienne,

521Ce petit mot est probablement le dernier que je t’adresse avant ton départ de Paris. Je ne m’occuperai à te dire que des choses « pratiques ». Le reste, c’est-à-dire ce qui compte, nous aurons toutes les heures du jour et de la nuit pour en deviser. Et le vivre. Répète-toi seulement que je t’aime.

  1. Au cas, très improbable d’ailleurs, où tu ne me verrais pas à la gare, à Toulon, le matin, tu devras prendre le train à 8.40, à cette même gare, pour les Salins d’Hyères, et à cet endroit, le bateau pour Port-Cros. Une seule chose pourrait m’empêcher d’aller à Toulon, c’est le gros temps. Car il n’y aurait pas de service.
  2. Je ne sais pas s’il serait très prudent de t’enregistrer ici sous mon nom . Ayant vu mon passeport, on sait que je suis célibataire. On pourrait jaser, intriguer. (Ce sont de drôles de « cocos », ici). D’autre part, il serait peut-être préférable qu’on ne sache pas ton identité réelle. Les hasards sont parfois si bêtes. Pourrais-tu trouver un « pseudonyme », par le moyen duquel tes amis correspondraient avec toi ? — Mais ce n’est qu’une suggestion. Fais comme tu veux.
  3. Nous aurons une sorte d’appartement. Deux chambres contiguës, et une salle de bain. Puis des balcons, la mer… (Nous aurons aussi un tas d’autres choses, que je te dirai plus bas, à l’oreille.)
  4. Le gilet est dans les teintes brunes. Je ne connais pas le nom des couleurs.
  5. J’ai souffert d’une petite crise cardiaque à la suite d’un séjour trop prolongé dans la mer, qui est déjà froide. Et j’ai passé par toutes les teintes sombres de l’arc-en-ciel. Je suis maintenant très bien.
  6. Pour terminer, je dois m’accuser d’une vilenie. J’ai souhaité, pour un moment, que ta grippe ne te laissât pas avant son départ.

522Et je dois m’accuser d’une chose plus grave. C’est que je le souhaite encore.

523Dépêche-toi, viens, viens !

524Alain

  • 137

    Photocopie ; Télégramme expédié de la gare de Toulon, à « Lucienne Boucher // 10 rue Lamothe Picqu (…)

525[Toulon, le 13 novembre 1932]

526SUIS AVEC TOI TOUTES TENDRESSES

527ALAIN

  • 138

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

528Dimanche [13 novembre 1932]. Soir.

529Lucienne,

530Je t’ai écrit deux ou trois lettres, que j’ai par la suite déchirées. Elles rendaient un son faux. La vérité est que je ne sais plus t’écrire. Il faudrait faire un choix, dire ceci ou °cela. Ou tout dire. Je ne le peux pas. Trop de choses se pressent en moi, oscillant entre deux pôles, et qui se heurtent, se contredisent. Je te crie « Reviens, Reviens », et je te crie « Je ne veux plus te revoir jamais ». Il n’y a pas de vérité du milieu. Tout tient dans les extrêmes, sauf pour les êtres morts. Réfléchir, c’est déjà faire des concessions, ronger le métal. Je suis vivant, et je te veux vivante. Je ne pense pas, je crie. Tu m’entends ? Mets tes mains sur tes genoux, et ferme les yeux. Voilà ! Et après ?

531Et après, il n’y a rien. C’est le jeu. On ne gagne pas, on ne perd pas. La vie marche, nous dedans. Le grand fleuve, les petits remous, tu sais tout cela.

532Je ne te dirai pas que je souffre, °parce que ça n’est pas vrai. Il me manque quelque chose comme un peu d’air, quelque chose comme un peu de pain, quelque chose comme un peu de sang. Je suis encore engourdi. Tu n’es ni loin ni près. Je puis même me rappeler avec calme certains souvenirs d’une douceur résolument cruelle.

  • 139

    En fait, le « Manoir d’Hélène », appelé ainsi en souvenir de l’héroïne de Jean à’Agrève (1897) de (…)

533Il me fallait refaire connaissance avec l’île. Je ne pouvais vivre avec elle en hostilités. Nous nous sommes ligués tous les deux contre toi. Nous t’avons sacrifiée. Je suis allé du côté de °la Plage du Sud, du côté du Château . J’ai eu la sensation d’effacer tes pas.

534Je sens que tu me pardonneras ces trahisons nécessaires. Je ne veux pas me laisser envahir. Je sais que la plus sombre, la plus folle détresse me guette. Je ruse pendant que j’en possède encore les moyens. En avion, au-dessus du plafond des nuages en tempête, tout peut aller. Jusqu’à ce qu’il faille redescendre. Alors vient le moment où la dernière étoile chavire.

535Je ne veux pas te répéter les mots qui me montent à la gorge, qui m’étouffent. Les mots d’amour ne doivent être prononcés que dans l’espoir.

536Alain

  • 140

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

537Lundi [14 novembre 1932].

538°Lucienne,

539La vedette n’est pas venue. Ma lettre de dimanche ne partira donc que demain. Avec celle-ci. Tu les recevras mercredi, peut-être jeudi. Déjà, tu seras redevenue « l’autre ». Celle dont j’ignore les gestes, les pensées, celle que je devine trop bien, ou trop mal.

540Ce matin je t’ai cherchée, je t’ai appelée. Le soleil brillait entre les lames des croisées. J’entendais le clapotis de l’eau. La petite fille aux cheveux blonds devait jouer avec le chat, son rire montait jusqu’à moi.

541Mais il faisait vraiment nuit quand je me suis réveillé pour la première fois. Le moteur d’un bateau ronflait doucement. Rien n’était changé. Tu dormais derrière la porte, comme aux premiers jours. Tu vivais, tu vivais. Vivante et endormie. °Il y eut aussi le chant du coq inconnu. Et le souffle d’un vent très léger enveloppait toute cette paix. Et nous étions protégés par une grande force douce. Et nous vivions depuis toujours pour toujours.

  • 141

    L’Hostellerie provençale, propriété de Marceline Jeanne Gaffet et Marcel Henry. L’hôtel est situé (…)

542Je suis complètement seul à l’hôtel . La porte de ta chambre qui donnait sur la mienne est fermée. Mais celle qui donne sur l’antichambre ne l’est pas. Et je respire encore un peu de ton odeur. Et notre amour m’étourdit, me submerge, me noie.

543Alain

  • 142

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

544[15 novembre 1932]

545Pigeon comme un baiser doux

546О Pigeon comme les plus doux baisers

547Pigeon avec une aile noire

548Pigeon, doux pigeon, doux doux pigeon

549Ô doux pigeon

550Ton aile noire comme aile blanche

551Ton aile blanche comme un murmure

552О doux pigeon, ô mon doux pigeon

553Oiseau plein de départs et de fuites

554Seule migration d’une course éperdue

555Seul battement d’ailes sans fin

556Voici la dernière manifestation de ce qui fut notre bonheur. Ce temps, déjà, ne nous appartient plus. Mais rien ne nous appartient !

557[Non signé]

  • 143

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

558[16 novembre 1932]

559Lucienne,

  • 144

    Grandbois travaille alors à Né à Québec.

    Variantes

    ° suis [R las,] fatigué, malade, dégoûté. Toutes (…)

560J’ai travaillé toute la journée. Je °suis fatigué, dégoûté, malade. Tant d’heures, qui pourraient être heureuses, pour cette chose médiocre, sans intérêt . Je viens ce soir à toi comme à une récompense. Je relis tes lettres, j’y retrouve un peu de ton amour. Mais comme je crains que tu ne te trompes. Tu ne me vois pas. Tu m’imagines, tu me crées. Ma jeunesse te fait illusion.

561Mon mal de gencives m’a repris. Je ne bois plus de vin, je m’empêche de fumer. Je dors mal. J’entre dans la tempête. L’horizon n’a jamais été aussi fermé, aussi sombre.

562Je ne me plains pas, je constate mon impuissance. Je ne puis rien que te rendre malheureuse. Toutes mes anciennes rancunes, tous mes anciens dégoûts me montent à la gorge, m’étouffent. Tant que tu étais là, j’oubliais, je vivais chaque minute sans songer à la suivante. Et celle-ci m’apportait la même douceur. Ainsi des heures, des jours.

563Je regrette chaque heure de sommeil qui m’a pris à toi, chaque page lue, chaque baiser non donné. Je ne me souviens plus du goût de ton baiser. Il y a si longtemps. Et maintenant je désire tes lèvres, même au moment où ma bouche s’emplit de sang.

564Je t’aime.

565Alain

  • 145

    Autographe, 4 f. (20,9 x 27 cm), papier de marque « The Perfect Paper — S.V.C. Lyon-Villeurbanne » (…)

  • 146

    Cette lettre est datée « Mercredi, le 15 nov. 32 ». Or, le 15 novembre 1932 est un mardi.

566Mercredi, le [16] nov. 32.

567Mon cher ami,

  • 147

    Bérengère Courteau (1900-1986), fille de Corinne Dugas, sœur de Marcel Dugas, et du docteur Gaspar (…)

568Merci pour votre lettre. Vous avez une nièce qui porte un bien joli nom . C’est frais, ça sent le printemps, etc. Par le temps qui court, un peu de printemps ne peut faire de tort à personne. Conservez-le le plus longtemps possible. Les loups parisiens ne sont pas plus à craindre que les loups de Montréal baptême (ou Christ, au choix). Veuillez présenter à cette jeune personne les lointains hommages d’un « oncle » inconnu.

  • 148

    Une carte d’affaires, dans le fonds Grandbois, se lit : « Major Norbert Morin M.D. Chevalier de la (…)

  • 149

    Après un voyage en Terre sainte, en mars et avril 1932, Grandbois se serait attardé au Moyen-Orien (…)

569Je ne suis pas brouillé avec Morin de Cannes. C’est plus compliqué que cela. Nous sommes des gens du monde, mon cher. — De quel monde, grands Dieux ! — Je suppose et j’espère que vous avez gardé le silence au sujet de ma retraite . C’est tout ce qu’il voulait savoir. Et encore non, ce n’est pas exactement cela qu’il voulait savoir. Et si vous ne le devinez pas, vous ne méritez pas que je vous le dise.

  • 150

    On peut croire qu’il s’agit d’un exemplaire d’un ouvrage de Paul Verlaine, que Norbert Morin aurai (…)

  • 151

    Anagramme de Paul Verlaine (Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Plé (…)

570Ne vous tourmentez pas exagérément à propos de votre Verlaine . Morin vous l’apportera, si le vinaigre réussit. Sinon, il est possible qu’à mon départ de Port-Cros, je fasse une fugue à Cannes. Et de retour à Paris, je vous rendrai heureux. Mais vous ne perdez rien pour attendre. Vous ne trouveriez pas en ce moment 100 francs pour la relique. Vous êtes le dernier prêtre de Lélian . On s’en fout. Le reste, les anniversaires, les articles, les chroniques, les discours, les lettres, les gloses, les hôpitaux, l’Angleterre et le petit Rimbaud, c’est de la littérature à tant la ligne. Soyez calme.

  • 152

    Nous n’avons pu identifier cette personne.

571Imaginez-vous que je suis malade. J’ai trop raillé la vie de cloporte que vous et vos quatre millions de congénères menez à Paris. Nous vivons à une époque où les mots vous reviennent sur la gueule. (A ce propos, j’aimerais assez voir celle de votre ami Ludwig qui s’est fait Genevois pour avoir la paix). Je suis malade, et je suis satisfait de l’être. Ça m’occupe. Et ça me donne un but dans la vie, qui est de guérir. Chacun ses ambitions.

  • 153

    Un Romantique canadien : Louis Fréchette, 1839-1908, de Marcel Dugas, paraîtra aux éditions de la (…)

  • 154

    « Soyez bon et que Dieu vous garde ».

572Quand publiez-vous Fréchette ? Et quand retournez-vous au Canada dont le front est ceint de fleurons glorieux ? Et quand aurais-je le plaisir de vous voir ? S.B. et que D.V.G .

573Alain Grandbois

  • 155

    Grandbois a décrit les habitués du café Les Deux Magots : « Il y avait des Canadiens […] Roy Roy (…)

574P.S. Faites mes amitiés à Royal et à son ami le Corse .

  • 156

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

575Vendredi [18 novembre 1932].

576Lucienne

577(mon doux doux °pigeon),

578J’aurais dû t’aider, t’encourager, te dire des mots de douceur, calmer ta peine. Je n’ai regardé que moi, je n’ai vu que ma propre misère. Il faut me pardonner, oublier.

579Des beaux jours reviendront peut-être. Fermons les yeux, attendons-les. Il ne faut pas trop se retourner en arrière. Je veux aussi que tu aies confiance. Je ne ferai jamais rien contre nous. Je tenterai de nous protéger. Mais où sont les forces lumineuses ?

580Je ne vois que ténèbres. J’ai les pieds et les mains liés. Mais toi tu as ton destin, ta vie. Et j’en arrive à souhaiter pour toi les choses qui me blessent au plus profond. Où est la vérité ?

581Je ne sais plus. Et tout ce que je sais m’est intolérablement douloureux. Je n’ai rien à te donner, rien. Pas même moi. Et il m’est enlevé le seul plaisir viril de l’amour : protéger. Tu es loin, à la merci des autres, des étrangers. Tu leur appartiens. Tu vis de leur vie. Vous partagez vos matins, vos soirs. A quoi peut-il servir que je t’aime, que tu m’aimes ? Notre étoile nous fuit.

582Ma solitude ne m’a jamais para plus désolée, plus °inutile. Je n’ai plus de repos. Je dois nourrir chaque heure du jour pour qu’elle ne m’écrase pas. Et la nuit, je sombre. Ô mon petit, je m’étais fait un si beau rempart de dédain, d’indifférence et de dur isolement. Et cela prend des années, avec toutes sortes de luttes et de cris pour en arriver là. Et tu es venue. Et je flairais le poison. Et j’ai pris le poison. Et tout est à recommencer.

583Si je savais au moins que tu es heureuse, que tu le seras. Mon tourment vient de toi. Je me priverais avec joie de ta présence, de toi, de toi que j’aime, si cette privation pouvait t’apporter la sécurité, la paix. Mais… Mais n’as-tu pas, au bout de tes doigts, une toute petite lumière, un reflet de lumière pour nous guider ? Moi seul, ça irait. J’ai l’habitude. Mais tu es en moi, je te porte. Et je ne sais plus rien que t’aimer.

584Alain

  • 157

    Photocopie. Télégramme adressé à « Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte Picquet Paris 104 » (fonds p (…)

585[Port-Cros, le 19 novembre 1932]

586MERCI POUR PHOTOS SOYEZ SANS INQUIÉTUDE RETARD COURRIER GROS TEMPS ANNONCÉ MEILLEURES & PROFONDES TENDRESSES

587ALAIN

  • 158

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.88-89.

588Samedi [19 novembre 1932].

589Mon amour,

590Le bateau, hier, n’est pas venu. Il est arrivé aujourd’hui, par gros temps. Il repart tout de suite. Je t’écris ce mot en courant.

591J’ai reçu tes deux lettres, ta photo. Comment te remercier ! Après tes lettres, j’ai eu envie de déchirer celle que je t’ai écrite hier, où je te laisse voir mon désarroi. Je te l’envoie quand même. Si tu savais comme je souffre ! Ne m’envie pas une solitude qui par moment devient intolérable. Il faut se battre à chaque minute avec chaque souvenir, avec chaque rappel. Puis la troupe des images mauvaises surgit. Comment se défendre soi-même, et défendre son amour ! Je voudrais tant, parmi tes attitudes fugitives, distinguer ton visage éternel.

592Alain

  • 159

    Depuis plusieurs années, Lucienne Boucher vit séparée de son premier mari, le musicien Alfred Lali (…)

593P.S. Ce qui m’avait tant plu (avec un t ?), quand tu me parlais de ton « entrevue  » avec Мgr, c’était les mots que tu lui disais : « Mon jeune amant ! ». Et je voyais son visage patelard, ses mains croisées sur son ventre, sa bouche immobile qui retenait les phrases onctueuses — la chair est faible — et ton visage de gosse, et ton enfantine diplomatie. Tu es si jeune, mon doux pigeon. Si jeune. Et j’aime chez toi ces coins intacts.

  • 160

    Voir la lettre du 15 novembre 1932, supra, p.138.

594Je n’ai pas signé le « poème  » parce que le « poème » est à toi, vient de moi, et que chaque mot le signe. Et parce qu’il est inachevé.

  • 161

    Photocopie, portant une variante (6e ligne) : « las [R d’écouter A de presser] les » (fonds privé (…)

595Dimanche [20 novembre 1932].

596Lucienne,

597doux doux pigeon

598Je veux t’écrire ce soir un poème du cœur

599Je suis fatigué de la logique et des constructions

600J’écris vite comme je pense et sans ordre aucun

601étant °las de presser les mots comme la meule le blé

602voulant te donner les mots avec la terre et l’écorce

603ceux qui craignent la nuque grasse du meunier

604et ceux de la semaine rougissant de sortir le dimanche

605Tu les garderas tous pour toi seule sans traduction

606peut-être ne signifient-ils pas grand’chose

607mais c’est reposant d’écrire un poème avec les mots du cœur

608ce qu’ils n’expriment pas tu le comprendras

609comme si tu étais dans mes bras ta tête

610sous mon menton tes yeux fermés

611et le ventre et les cuisses et les genoux et tout le corps

612éteint sous la belle fatigue d’avoir trop fait l’amour

613Car c’est un poème du cœur avec

614des mots du lundi au samedi

615les uns sont trop nus ou trop habillés

616les autres comme un troupeau de moutons difficile

617de distinguer celui-ci de celui-là

618mais fermant les yeux on avale tout le troupeau

619les plus mauvais même faisant le sang rouge

620Il faut seulement fermer les yeux sans orgueil

621alors les paupières closes voyant la montagne

622dans une région fermée aux géographies

623voyant la montagne et le plateau dessus

624avec le plateau peut-être une mare sous des saules

625peut-être un bois avec des arbres d’automne

626peut-être un chien qui aboie

627peut-être dans les lointains des brumes légères et bleues

628comme dans les tableaux florentins

629peut-être le silence quand se lèvent les paumes de la nuit

630peut-être tout ou rien de cela il n’importe

631Tu as vu la montagne ça suffit

632avec au bout du plateau la maison

633C’est pour cela seul que je t’écris un poème du cœur

634moi ce soir ici avec la mer tout autour

635et l’ombre de la mer et du ciel et l’ombre

636de ma main sur ce papier

637l’huile brûlant doucement sous le globe de la lampe

638et moi te portant doucement

639peut-être gênes-tu parfois ma respiration

640c’est pourquoi je lève un peu la tête pour respirer

641La maison du plateau tu la vois

642avec tes beaux yeux tristes de certains soirs

643elle a la couleur du sol originel

644des pierres non cimentées

645les pierres des vraies maisons n’étant pas hostiles

646s’appuyant l’une sur l’autre avec des mains d’amitié

647la maison s’élève comme l’humble croissance de la terre

648le toit n’atteignant pas la branche basse des grands arbres

649sans étage mais une pièce unique

650contenant le feu pour la nuit et le jour pour le jour

651c’est la maison du cœur au bout du plateau

652que reste-t-il à t’expliquer

653portant tes yeux dans mes yeux

654mais soulevant parfois mes épaules pour respirer

655nous sommes un c’est l’essentiel

  • 162

    Un poème de Lucienne Boucher s’intitule « Maison du vrai cœur » (Depuis longtemps déjà, p.69).

656La maison du vrai cœur n’a qu’une porte pour entrée

657la porte est ouverte sans battant

658ouverte que pour entrer sans défense et sans retour

659doux pigeon doux inutile de vouloir sortir

660une forteresse est moins forte qu’une porte ouverte sans battant

661personne ne s’en est jamais douté cependant

662il se peut aussi que les saules promènent

663des reflets mauves sur l’étang

664ou que la forêt balance la tête rouge des chênes

665ou que le chien jappe à la lune

666ou que la brume se change en fantôme d’or

667ou que la plus jeune étoile trouble le silence de la nuit

668qu’importe tu as vu la vraie porte du cœur

669Clos tes yeux tristes aussi pour la fenêtre

670par là tomberont toutes les nuits douces

671par là les jours clairs et les matins frais

672par là l’automne et l’été et l’hiver et le printemps

673— que tourne la roue des saisons ! —

674parfois nous deux seuls à la fenêtre

675suivant un petit nuage blanc sans presque bouger

676suivant un vol d’oiseau avec le lent mouvement du cou

677suivant le feu rose de la plus vieille étoile

678les doigts joints les épaules collées

679alors on veut croire que Dieu existe

680Tu vois les yeux clos la fenêtre du cœur

681un jeune arbre est tout contre frêle et jeune

682on peut compter ses feuilles le soleil passe à travers

683on voit dans le vert tendre les veines brunes comme des pattes [d’oiseau

684les soirs de tempête il s’abat aux carreaux gémissant

685le matin il s’égoutte comme une fleur

686le soleil lui fait mal ou va l’embrasser

687Par la fenêtre on sort puis on rentre par la porte

688c’est le cercle magique du cœur

689c’est important ce n’est pas tout

690Mes yeux dans tes yeux tu as vu la montagne et

691le reste et ce cercle et nous deux

692dans le cercle du cœur attends

693Clos encore tes yeux parce qu’il faut voir encore

694dans la plus grande ombre de la pièce

695le seul vrai lit secret du cœur

696avec tes bras et mes bras et tes jambes et mes jambes

697et tes mains descendant le long de ma poitrine

698et mes mains montant le long de tes genoux

699Clos tes yeux pour nos doigts pleurant de joie

700sur nos ventres attentifs et doux

701pour nos mains charnelles guettant le premier frisson

702ah bientôt toi fontaine ouverte et moi

703fiévreux emportement

704Clos tes yeux mon amour clos tes yeux pour mieux voir

705ce cœur éternel en délire que le silence soit parfait

706nous sommes seuls vivant dans un monde endormi

707et voici le moment où ta chair vivra par ma chair

708et nous voici roulant sur la plus belle houle de la mer

709nous voici roulant aux surfaces et profondeurs

710et nous voici plongeant jusqu’aux racines du sang

711Et nous voici les yeux durs comme des pierres criant mille [cris muets

712Roulons roulons toutes les houles de la chair

713brûlons brûlons jusqu’aux os ce splendide incendie

714plongeons plongeons jusqu’aux ténèbres du cœur

715Et clos tes yeux plus encore mon amour

716clos tes yeux comme des portes de fer

717pour mieux voir le fond du vrai cœur

718où tremble cet amour sombre et sacré

719Alain

  • 163

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

720Mardi [22 novembre 1932].

721Lucienne,

722Je viens de recevoir tes lettres. Je les ai lues à la course. Je ne puis te répondre tout de suite, le bateau repart à l’instant. Je t’écrirai ce soir.

723Tu touches enfin le nœud du problème. C’est ce qui a empoisonné les derniers jours que nous avons passés ensemble. Je savais que le moment viendrait où…

724Je m’étonne que tu n’aies pas vu alors ce qui me torturait. Ou bien avons-nous caché soigneusement, tous les deux, ce qui pouvait nous faire trop mal. Nous avons peut-être eu tort. Il eût mieux valu que nous tentions de voir clair l’un avec l’autre, avec les mêmes yeux. De loin, les mots prennent parfois de fausses significations, et °blessent à faux.

725Mais comment peux-tu douter de mon amour, ma Lucienne ? Mes jours et mes nuits sont pleins de toi. Et je n’ai jamais eu tant besoin de toi.

726Et si tu savais comment un « homme fort » peut être faible. Et sans défense, et muet comme un enfant effrayé. A ce soir. J’embrasse tout de toi.

727Alain

  • 164

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

728Mardi soir [22 novembre 1932].

729Lucienne,

730Il n’y a rien, dans ce que je vais t’écrire, que tu ne saches °déjà. Tu m’as questionné, je réponds, et au meilleur de ma connaissance, comme disent au témoin les juges d’instruction. Ces questions-là, sous d’autres formes et dans d’autres moments, tu me les as posées, ou tout au moins indiquées. Mais toutes ne peuvent se satisfaire d’un oui ou d’un non.

731Tu me demandes d’abord si je t’aime. J’aime autant te dire tout de suite que cette « première » question m’a attristé, et qu’il me semble que tu n’aies pas beaucoup réfléchi avant de l’écrire. Je sais que tous les amoureux la posent. Mais ils disent « M’aimes-tu » avec le sens de « Je t’aime ». Le ton que tu emploies est plus grave, et tu ajoutes « vraiment »… Mon tout petit, je ne sais pas si je t’aimerai dans dix ans ou dans vingt ans, mais je puis te dire qu’aujourd’hui une chose m’habite et me torture, et c’est l’existence en moi de cet amour dont tu doutes. Je dois t’avouer au surplus que j’ai pris un peu de temps à l’admettre. À Cannes, je ne pensais à rien, il y a eu cette pente, cette descente vertigineuse, qui enveloppaient tout. À ton départ, seul, j’ai vu. On commence à voir quand on commence à souffrir seul, et non quand on souffre à deux. Et puis il y a eu Port-Cros, et toi. Et déjà tu étais au fond de moi. Aujourd’hui, mon Dieu… Comment peux-tu, puisque tu m’aimes, ne pas voir que je t’aime !

732Maintenant, le nœud. J’ai lu ta lettre, comme tu me l’avais demandé, avec mon cœur. Mais il me faut bien te répondre autrement. Nous sommes dans une impasse, qui n’a rien à voir avec le cœur. Nous sommes devant des faits. Si je te parle rudement, et crûment, n’accuse que les circonstances et la vie. Je ne puis tout de même exposer une situation qui me blesse, et qui te blesse, avec des mots tendres.

733Un être normal qui aime désire et veut la possession intégrale de l’être aimé. C’est la loi légendaire du monde. C’est la plus ancienne et la plus forte. Je n’échappe pas à la loi. Je t’aime. Mais c’est aussi parce que je t’aime que je ne t’ai jamais demandé de te conserver jalousement pour moi. Si j’ai retenu mon élan, c’est que certaines raisons me le commandaient. Et ces raisons, je te les ai répétées cent fois. Si tu avais été libre matériellement, je te l’aurais demandé, je l’aurais exigé. C’est le droit de l’amour. Mais tu n’as rien, et je n’ai rien. Je ne peux même pas t’offrir la pauvreté. La pauvreté, c’est encore se nourrir, se vêtir, se loger, vivre enfin. Mais comprends donc que je ne sais pas ce que je ferai dans trois mois. Je n’ai pas peur de la réalité, je la vois. Et l’amour n’a pas que des droits. Je ne peux pas, dans les conditions présentes, je ne dois pas tenter d’influencer en quoi que ce soit la courbe de ta vie. Ce serait une faute, la plus grave. Parce que je n’ai rien à t’offrir en échange de ce que tu m’apporterais. Je ne pourrais pas te garder, comprends-tu ? Je m’en vais à l’aventure pour voir, essayer, trouver peut-être. Mais si l’aventure tourne mal !…

734Mais tu sais tout cela, tu connais tout cela, pourquoi retournes-tu toujours ce fer dans cette plaie ? Tu sais bien que je ne puis songer à accepter les sacrifices que tu me proposes ! Pourquoi me forcer à refuser ce que ma folie, dans les moments de faiblesse, retient et appelle ?

735Quoi que tu fasses, je comprendrai. Je souffrirai un peu plus, cela me concerne. Mais je souffrirais davantage de me sentir impuissant devant ta privation et ton dénuement.

736Mais il faudra que tu m’aides. Mes forces ont des limites. L’espoir pour nous, mon petit, je ne sais pas. Les rêves nous fuient sans cesse. Et cet espoir qui gîte tout au fond de moi, je n’ose le formuler.

737Je t’embrasse. C’est encore mon droit. Le droit d’amour !

738Alain

  • 165

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

739Jeudi [24 novembre 1932]. Soir.

740Lucienne,

741mon doux pigeon doux

742Aujourd’hui encore, le bateau n’est pas venu. Hier, il ne m’apportait rien de toi. Dans la soirée, j’ai reçu ton message. J’attends toujours la photo promise, des lettres. Ce soir, il souffle un vent d’Apocalypse. Le Mistral, le vrai. On imagine que tout va crouler. Et je songe avec pitié aux orgues de cinémas.

  • 166

    On n’a retrouvé qu’une seule version dactylographiée de Né à Québec et des fragments autographes d (…)

  • 167

    Pierre Dubois Davaugour (1615 ?-1664) fut gouverneur de la Nouvelle-France de 1661 à 1663 (voir Né (…)

  • 168

    Robert Satouta (? – 1637) fut le premier Algonquin à être élevé par les Jésuites (voir Né à Québec (…)

  • 169

    Jean de Brébeuf (1593-1649) fut canonisé le 29 juin 1930 par Pie XI, ce qui lui donne, en réalité, (…)

743Je travaille. Et plus je travaille, plus je vois s’allonger, reculer la fin de ce cauchemar. Je regrette maintenant d’avoir tout brûlé . Ce que je fais est aussi médiocre. J’ai parfois envie de tout faire sauter, de fuir. Alors je cours jusqu’au manoir. Puis je reviens à ma table, docile, résigné. Et je me remets à écrire avec application des niaiseries sur le haut baron du Bois d’Avaugour , le petit Algonquin Atouta , la belle Madame de Frontenac, le bienheureux de Brébeuf , la traite des fourrures, le traité de Saint-Germain, la baie d’Hudson, les filles du Roy, les castors, bref, sur tout ce qui a préparé jadis le glorieux avènement de la remarquable génération des jeunes mâcheurs de gomme — Wrigleys ou Chicklets — qui font actuellement l’orgueil et la joie des foyers canadiens.

  • 170

    Aucune chronologie ne fait mention de ce voyage : la ville de Braga est située au nord du Portugal

744Mes gencives se calment un jour, puis me donnent le diable le lendemain. Elles me fournissent depuis une semaine l’agrément de ce jeu précis et méthodique, et si j’étais ramolli, j’en ferais un système infaillible à l’usage du baccara. Touchons du bois, pour éviter le spectre de la chaise à roulettes. Et jurons le saint nom de Dieu dans sept langues, ce qui a pour effet d’adoucir la rigueur des destins. (Du moins, c’est un marin portugais qui me l’a affirmé, à Braga , par un petit matin froid d’avril 1931, alors que je n’avais pas mangé depuis deux jours.)

  • 171

    Claudie Balyne : voir infra, p.649, n. 1.

  • 172

    Octave Feuillet (1821-1890) mit en scène, dans ses romans, des personnages guidés à la fois par le (…)

  • 173

    Aimer de Paul Géraldy fut créé à l’Odéon en 1921. À l’automne de 1932, on présente à la Comédie-Fr (…)

745À propos de gencives — c’est un sujet si intéressant — je dois te dire que Madame Balyne , ayant eu vent de mes souffrances, est venue m’offrir un certain astringent, merveilleux paraît-il. Comme je l’en remerciais, étant d’un naturel plutôt poli avec les dames (quand toutefois je ne les viole pas), elle s’est assise près de moi, puis a profité de la conversation que nous avions engagée pour me raconter l’histoire véridique et complète de sa vie. Par timidité, je n’ai pas cru devoir prendre de notes. Mais j’ai tout, tout retenu. Et un jour — ou une nuit — où nous n’aurons plus rien à nous dire, je te servirai fidèlement cette tranche de beauté et d’amour. En somme, elle est sympathique. Et elle s’exprime d’une façon suave, ainsi que les personnages des romans d’Octave Feuillet — éditions expurgées pour personnes pieuses — et avec la voix de cette actrice, dont j’ai naturellement oublié le nom, qui joue Aimer de M. Paul Géraldy, les soirs de pluie, à l’illustre Comédie-Française .

  • 174

    Grandbois avait baptisé ainsi deux singes vivant sur l’île de Port-Cros (voir Lettres à Lucienne, (…)

746Je n’ai revu ni Olive ni Pépin . Parce que tu l’aimais, je m’attendrirais peut-être sur Olive, qui ne le mérite pas. Quant à Pépin, je le bousculerais parce que tu ne l’aimais pas. Et tout cela serait d’une monstrueuse injustice. Je vois encore cette chenille qui avançait, avançait…

  • 175

    Nom du capitaine qui effectuait la navette entre Port-Cros et la côte (ibid.).

747Ozenne est revenu hier, remorquant son petit-fils. Le petit-fils mesure environ 1 mètre 92. Comme il est encore plus maigre que moi, et que j’adore humilier ces jeunes « greluchons qui se croient tout permis », je me suis donné l’ultime satisfaction de faire des effets de torse, de reins, etc. Mais ce matin le greluchon m’a dit : « C’est bizarre, il me semble qu’il y a deux ans vous étiez moins… hem… fatigué, enfin plus, comment dire, plus… plus… costaud. » Le pauvre bafouillait. Car c’est aussi un jeune homme bien élevé. Et j’ai cessé mes effets de torse, de reins, etc.

748Le capitaine poète néglige de plus en plus son service. Je sens venir le temps où il ne viendra que dans les années bissextiles, le 29 février. Sa garçonnière l’occupe et le préoccupe. Il m’a dit hier : « C’est très joli, Monsieur, une garçonnière, très joli, mais ça ne va pas, non, non, c’est pas ça, ça ne va pas… »

749— Qu’avez-vous, capitaine, m’écriai-je, qu’avez-vous ?

750— Eh bien, Monsieur, me répondit-il, jetant un regard circulaire sur les alentours et baissant prudemment la voix, eh bien je m’aperçois que pour goûter pleinement les délices d’une garçonnière, il faut être garçon…

751— M. de La Palice n’aurait pas trouvé mieux, capitaine.

752— C’est encore un écrivain, ce M. de La Palice, m’a-t-il demandé, déjà flatté ?

753Je n’ai pas eu le courage de le détromper. Je lui ai même raconté que c’était un des plus grands poètes du xvie siècle. Alors il m’a dit qu’il fouillerait son Larousse le soir même.

  • 176

    Diminutif du prénom d’Alain Grandbois qu’emploie sa mère dans quelques-unes de ses lettres (voir s (…)

754— Vous ne trouverez rien dans Larousse, répondit Tit-Lin vivement. Ce grand poète a été victime d’une cabale effroyable. On l’a écrasé, ignoré. Larousse ne mentionne que ce La Palice qui a été tué à la bataille de Pavie, et qui était le père du grand. Et encore, on a même fait des chansons sur lui, par vengeance. La jalousie, vous savez…

755Et je me suis étendu longuement sur la jalousie qui règne, à l’état endémique, dans le gendelettre.

  • 177

    Gustave Routier, le frère de Simone Routier, avait épousé, à l’automne de 1920, Lucienne Quéniart, (…)

756J’aimerais bien que tu me fasses parvenir cette Bible dont tu m’as parlé. Un peu de sa lecture me reposerait des nourritures grossières que je dois assimiler ces temps-ci pour me garder dans l’atmosphère des coureurs de bois, nos aïeux, dont je retrace péniblement la vaine épopée. La Bible est d’ailleurs le bouquin le plus poétique qui soit. (En exceptant, bien entendu, les ouvrages de l’ex-belle-sœur de ta chère amie Lulu .) Mais avant de me l’envoyer, ferme les yeux, ouvre-la au hasard, puis tu indiqueras, par un trait au crayon, la page — que tu pourras même lire — où tes doigts se seront posés. C’est une vieille coutume saxonne. Mais il ne faut pas tricher, ni s’y reprendre à deux fois.

757Et ° voici la rubrique des faits extraordinaires qui se sont passés à Port-Cros depuis ton départ. Je °suis très las. Embrasse-moi. Encore. Et ne pleure pas, doux doux pigeon. C’est tellement inutile.

758Alain

  • 178

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

759Vendredi [25 novembre 1932]. Soir.

760Lucienne,

761J’ai reçu ta photo. Je l’ai mise sur ma table. Elle est là seule. Tu es seule aussi dans ma pensée, et au centre de mon cœur. Mais tu me fais souffrir comme si vous étiez mille.

  • 179

    Port-Man est l’une des forteresses de Port-Cros. Le fortin de la Vigie fut construit par Napoléon, (…)

762Je ne sors plus du tout. Je ne suis retourné ni à la Vigie, ni à Port-Man . Je travaille jusqu’à ce que la fatigue m’assomme. Et je possède peu de souffle. C’est encore trop lent. J’imagine que je n’étais fait que pour flâner, rire, goûter les heures les unes après les autres, auprès d’une femme aimée. La femme aimée, c’est °toi. Mais tu es si loin, si loin.

763Le Mistral s’est tu. Il n’y a plus que le léger clapotis de la mer. Je l’entends en ce moment, qui me parle de toi, des jours passés, des jours perdus à jamais. Et toi, où es-tu, que fais-tu ? Il est onze heures. Le monde est mort.

764Il y a quinze jours, c’était notre dernière nuit. Tu étais près de moi, vivante, ardente, folle. On s’attristait, puis on oubliait. Nous étions riches ! Et voici que ce soir, mes mains tendent inutilement vers toi. Mes mains sont vides.

765Le bonheur ne m’aime pas.

766Alain

767P.S. Je laisse pousser ma barbe.

  • 180

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

768Dimanche [27 novembre 1932].

769Lucienne,

770Ainsi, tu t’étais trompée °sur la valeur de ma « force ». Je regrette de ne t’avoir pas fourni avant ces derniers jours cette marque de pauvreté, de faiblesse. Tu serais aujourd’hui moins amèrement déçue. Je t’avais cependant prévenue que tu t’illusionnais sur ma modeste personnalité. Tu me donnes maintenant raison.

771C’est que tu commences simplement à me voir tel que je suis.

772Seulement, tu oublies une chose. Si j’avais possédé ces brillantes qualités dont tu constates chez moi l’absence, il est °extrêmement certain que nous ne nous serions jamais rencontrés à Paris, Cannes ou Port-Cros. Je serais quelque part dans le monde où l’on fait des affaires. Selon toutes probabilités, je serais même riche. Et j’aimerais les chiffres et les villes, les automobiles, les théâtreuses, le Ritz, et je fréquenterais les ministres et les bordels chic, je serais marié depuis un lustre et j’aurais un enfant snob, et je b… toutes les femmes, excepté la mienne. En somme, je serais un monsieur honorable et respecté, dans le genre de ceux dont on dit qu’ils possèdent des ambitions et qu’ils aiment la vie.

773Or, il arrive précisément que moi, je n’aime pas la vie. Que je m’en évade le plus possible. Que je fuis les hommes en général parce que je les méprise, et que je me fuis moi-même pour la même raison. De sorte que lorsqu’il me fut donné de choisir entre diverses carrières, puisque nous vivons dans une époque où il faut apparemment faire quelque chose — je me suis toujours demandé pourquoi d’ailleurs —, j’ai choisi celle qui me paraissait devoir me donner le plus de facilités à éviter le contact des hommes, mes chers semblables, et à oublier le plus possible le sentiment de ma propre existence. — Les conditions sont aujourd’hui différentes. Je suis pris au dépourvu. Il faudra bien faire quelque chose. Mais je ne puis décider de cela ce soir. ° Alors…

  • 181

    L’expression se trouve telle quelle dans l’« Avant-propos » de Regards sur le monde actuel de Paul (…)

774Tu me parles aussi de luttes et de batailles. C’est très joli. Mais pour se battre, il faut se trouver vis-à-vis de quelque chose de défini, de saisissable. Faute de mieux, don Quichotte avait trouvé les moulins à vent. Mais pourquoi répéter l’histoire. Le temps du monde fini commence (dixit Valéry ). D’ailleurs, je ne puis m’empêcher de te dire que tu es injuste. J’ai toujours cru qu’aimer signifiait autre chose que de faire de grands gestes. Oh ! je sais qu’il est puissamment romantique de tout chambarder, de couper tous les ponts derrière soi, de hurler sa passion sur le toit de l’Opéra, de se rouler tout nu sur le parquet de la chambre, de bondir sur les places publiques, un poignard dans les dents et deux revolvers aux poings, d’assassiner au besoin le frère et la tante, la grand’mère et la bonne d’étage, le neveu du concierge et la nièce du pape, bref d’agir comme un fou furieux. Et je sais aussi que les femmes appellent ça des preuves d’amour. Mais comme les femmes réfléchissent peu, et qu’elles ne voient que l’ampleur du geste, elles ne s’aperçoivent pas que le fou furieux n’aime que son adorable soi-même. (Je veux dire qu’elles ne s’en aperçoivent pas tout de suite. Mais le jour vient…) Aussi dois-tu m’excuser si je possède de l’amour des conceptions beaucoup plus humbles. Mais que je crois plus justes.

775Dans le cas qui nous occupe, je n’ai pas voulu, de crainte de me tromper, exercer sur toi une influence qui eût pu, si plus tard les événements s’étaient montrés défavorables, te blesser, te nuire, et ne te laisser que des regrets. Je t’ai laissée libre.

776Et si tu voulais te donner la peine d’examiner cinq minutes nos positions respectives, si tu te mettais à ma place pour un moment, peut-être finirais-tu par comprendre que ce que tu appelles un manque de force n’est après tout °qu’un modeste essai à vouloir observer, dans une certaine mesure, un minimum de justice et de loyauté. Mais tu ne le veux pas.

777Si je n’avais écouté que moi, si je n’avais pas pensé à toi, tu m’adorerais. Maintenant tu me méprises, tu me crois lâche. La vie est si bizarre qu’elle vaut la peine d’être vécue. Pour quelque temps. Car les trop longues plaisanteries deviennent intolérables.

778Alain

  • 182

    Autographe, 3 f. (20,9 x 26,9 cm), papier de marque « The Perfect Paper — S.V.C. Lyon-Villeurbanne (…)

779[Port-Cros] Lundi. [28] Novembre 32.

780Mon cher ami,

781Votre invite à retourner à Paris ne me séduit pas. Du moins pour le moment. Je suis fidèle à mes dégoûts. Je vous disais il y a trois ans que Paris ne m’intéressait plus, et je puis vous le répéter aujourd’hui sans mensonges. Mais alors vous ne me croyiez pas. (Il n’y a d’ailleurs pas que Paris qui me dégoûte.) Le seul regret que j’aie d’en rester éloigné me vient de ce qu’il me prive de votre amitié, dont je suis plus que vous ne pensez reconnaissant.

  • 183

    Voir la lettre du 16 novembre 1932 à Marcel Dugas, supra, p.140.

  • 184

    Allusion aux premiers vers de « Chanson d’automne » de Paul Verlaine (Poèmes saturniens) : « Les s (…)

782Vous vous êtes trompé sur Verlaine, ou je me suis mal expliqué . Je vous disais que vous demeuriez son dernier prêtre, mais non son unique admirateur. Je me flatte de compter parmi ceux qui le préfèrent encore au « dernier roman paru », malgré les sanglots longs de l’automne que turlutte avec amour et pudeur, de Saint-Lambert à Sorel, le bon petit jeune homme qui s’est découvert un profil de ténor et une petite amie.

  • 185

    Voir la lettre du 16 novembre 1932 à Marcel Dugas, supra, p.140.

783Mais je me flatte moins d’avoir produit sur votre nièce au nom de printemps cette sinistre impression de séducteur-né . Je ne croyais pas avoir l’air aussi profondément crétin. Je me console en pensant que ce jugement a été fait sur photo, et peut être sujet à révision. — Et conservez précieusement vos préjugés mon cher, et soyez illogique tant que vous le pourrez. Les meilleurs théologiens vous diront que c’est là la meilleure façon connue de gagner le ciel.

784Vous êtes bien aimable de feindre la curiosité à propos de Jolliet. Possédant peu d’illusions, et pas plus de vanité, je vous répondrai que je ne cherche pas à faire de ce récit un chef-d’œuvre, ni même une œuvre plus ou moins brillante, mais que je tâche seulement à corriger cet ennui qui suinte à travers les lignes, et qui donne au travail cette atmosphère de pensum dans laquelle il a été exécuté. C’est déjà bien ambitieux. Et je manque d’ambitions.

785Je ne me porte ni mieux, ni plus mal. Et vos médecins de Paris n’y peuvent rien. Je préfère mes pantoufles, qui du moins sont muettes. En outre, il m’est totalement indifférent de moisir ici ou là, de crever cette nuit, demain ou dans six mois. Je considère que j’ai pris ma bonne part des joies qui nous sont accessibles. (Et j’en remercie le Créateur de ce monde glorieux).

  • 186

    Après un voyage en Afrique, André Gide dénonça les excès du colonialisme (Voyage au Congo, 1927 ; (…)

786Gide vous a-t-il converti au bolchevisme  ?

787Soyez toujours bon.

788Alain Grandbois

  • 187

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

789Mercredi [30 novembre 1932].

790Lucienne,

791Je sombre dans le plus noir cafard. Rien n’existe plus. Je vis dans l’ombre, derrière le mur, comme un crustacé. Je ne bouge pas. C’est la crise.

792Je ne vois plus rien ni personne. Ton visage n’est plus vivant. Tu es devenue anonyme. Sauf aux moments où la souffrance se fait plus aiguë. Alors je te vois, lointaine et détachée. Tu es passive, tu donnes à qui insiste, demande. Tu es l’étrangère.

793Je sais qu’il te faut une présence matérielle, physique. Tu vis au gré des jours et des êtres. Tes sens te conduisent. Tu as une mentalité d’homme. L’amour d’un côté, le lit de l’autre, si l’amour n’est pas là. Et le lit détruit lentement l’amour.

794Je suis à bout de force. Il vaudrait mieux que nous ne pensions plus l’un à l’autre en tant qu’amants. Trop de forces s’érigent entre nous. Pourquoi résister ? Et rendre les armes aujourd’hui ou demain…

795Séparons-nous. C’est le seul geste que nous puissions faire qui ne soit complaisant, veule, ou contre les lois. Celles de la vie. Et celles auxquelles tu t’es depuis longtemps soumise. L’ennemi est en toi, au creux de ta chair. Ces libertés que tu t’es toujours octroyées t’ont enchaînée à jamais.

796Et je ne puis être ton maître.

797Alain

  • 188

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.125.

798[Port-Cros, le 1er décembre 1932]

799CHEER UP AND BE BRAVE KEEP TEARS FOR WORST DAYS DON’T FORGET SPRING ALWAYS COMES BACK LOVE

800ALAIN

  • 189

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p. 126-127.

    Varia

    (…)

801°Jeudi [1er décembre 1932]. Nuit.

802Lucienne,

803La tempête rage sur l’île. On ne voit pas à cinq mètres. Les vents viennent de l’est, frappent la montagne, rebondissent sur la baie. La mer, la pluie, tout hurle. On se sent perdus. Au bout du monde. Au commencement du monde. Je regarde ta photo. Tu es lointaine, irréelle, inexistante. Tu m’as abandonné. Et ce soir, demain…

804L’amère joie de la solitude ne me grise plus. J’avais mon orgueil. Tu me l’as enlevé. Tu m’as tout enlevé. Ces forces que l’on cultive patiemment, ces besoins que l’on chasse, ces désirs que l’on tue, ce cœur que l’on assèche, tout, tu m’as tout pris. Jusqu’à cette pénible estime de soi-même conservée jalousement pour les temps les plus difficiles. Je suis nu dans la tourmente. Et je cherche quelque chose autour de moi pour m’y accrocher, je cherche avec des mains d’aveugle.

805Cette nuit je suis entré dans ta chambre, j’ai ouvert la porte qui communique. Ton odeur est disparue. Tu n’es jamais venue. Où es-tu ? Dans quels rêves, dans quels bras ? Pour qui souris-tu, pour qui pleures-tu ?

806Ce n’est pas le désespoir. Le désespoir est vivant. Je m’agite parmi des formes éteintes. N’y a-t-il plus que le vent, la pluie, la nuit ?

807N’y a-t-il pas quelque part un trou, entre deux murailles, où l’on peut oublier, oublier ? Où l’on ne résiste plus !

808Alain

  • 190

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste-Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

809Vendredi midi [2 décembre 1932].

810Lucienne,

811Voici que je ne sais plus compter les jours. Je croyais qu’aujourd’hui était samedi. Hier, à 6 heures, je t’ai adressé un message. A la même heure, tu m’envoyais le tien.

812Je suis si malheureux, si malheureux, mon petit.

813Je viens de recevoir tes lettres de lundi et mardi. Ton « vieil ami » (G., je suppose) a dû te dire des choses peu aimables sur mon compte, puisque tu ne me les répètes pas. Mais un peu plus, un peu moins…

814Tu prêches un converti. Je sais depuis longtemps que les temps ne sont plus au « grand seigneur ». Mais tu t’illusionnes sur les possibilités de gagner son pain avec sa plume. Ils sont cent mille qui crèvent de faim. Les autres sont des gens « en place », qui pérorent et jugent. Et quelques-uns ont même du talent. Mais ils ont oublié — et je ne parle pas seulement des gens de lettres — toutes les intrigues, les protections, les avilissements, les prosternations, les flatteries, les bassesses auxquels ils ont dû se soumettre pour en arriver là. Ils ont oublié ou feignent d’avoir oublié. C’est pourquoi, et depuis longtemps, j’ai choisi de partir.

815Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, à nous deux. Ou j’ai peur de le savoir. Tous sont contre nous. Ils finiront par te convaincre. Peut-être ont-ils raison. C’est ainsi que vont les choses. Dans son fauteuil de cuir, le bourgeois est le maître. Il possède aussi les éditions de luxe de Verlaine, dont il s’enchante. Mais il l’a laissé crever à l’hôpital comme un chien. Ça n’a aucune importance d’ailleurs. La vie est courte. Il ne faut pas trop penser à soi.

816Alain

  • 191

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

817Dimanche [4 décembre 1932].

818Lucienne,

  • 192

    La première rencontre de Lucienne Boucher et d’Alain Grandbois a eu lieu le 4 septembre 1932, soit (…)

819C’est le 4 . Je voulais t’envoyer un message. Ce jour nous appartient. Quoi qu’il arrive. Mais la poste ne marche pas. Il pleut, avec du vent. Il y a un mois, tu étais dans mes bras.

820Il y a huit jours que je n’ai pas dormi. Il m’a été impossible de travailler. Une série de cauchemars, dans la fièvre, l’angoisse, le doute. La foi m’a abandonné. Tu es trop vivante pour moi. Cette dernière nuit a été épouvantable. Samedi. Je ne t’en veux pas, tu n’es pas responsable.

821Mais j’ai fait mon effort. Maintenant, je laisse tout aller. Je ne suis pas un saint. Cette lettre de rupture que je t’ai écrite, peut-être t’a-t-elle rejetée vers l’autre. Je croyais qu’il était de mon devoir de te l’écrire. Je n’en ai pas encore eu de réponse. Je ne sais pas ce que demain m’apportera. Je veux encore croire que tu as su résister. Avec tes seules forces, ton seul amour. Autrement, quelle misère pour nous. Je ne pourrais plus jamais te revoir.

822Je ne sais plus rien qu’une chose.

823Je t’aime.

824Alain

  • 193

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) : Lettres à Lucienne, p.132-133.

825Mardi [6 décembre 1932]. Midi.

826Lucienne,

827Je reçois cinq lettres à la fois. La plus ancienne est datée de jeudi, minuit. Et il y a les autres… Mon petit, mon petit !

828Mais comment n’as-tu pas reçu celles que je t’ai adressées Poste-Restante ? L’incertitude me tourmente trop. Je t’enverrai tout à l’heure un télégramme chez toi. Le recevras-tu ? Et ne déchaînera-t-il pas quelques nouvelles tempêtes ? Je préfère encore cela à l’idée que tu me parais avoir que je ne t’aime pas, que je ne t’aime plus. Qu’on puisse même formuler que je me moque de toi ! Mon amour, comment pourrais-je ? Ah ! si tu connaissais mes jours, mes nuits ici, depuis que je sais qu’« on » va venir, qu’« on » arrive…

829La menace de l’avenir m’avait entraîné loin du présent. Et voici que le présent se montre aussi riche en cauchemars, en détresse puissante et folle. Et je me sens enfoncer, couler à pic.

830Je ne te pardonnerais pas d’avoir un instant douté de mon amour, si je n’avais pas traversé les heures démentes que je viens de vivre, que je vis. — Et ton état de santé me désespère. Je tremble quand sonne le téléphone.

831Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Comprends-tu ? M’entends-tu ?

832Écris-moi, télégraphie-moi. Dis-moi que tu crois. Pleure pour moi, qui ne sais pas pleurer, que les larmes intérieures brûlent, qui t’aime avec les feux arides des déserts.

833Alain

834Oh, pigeon doux, frais, ne laisse pas tomber tes ailes.

  • 194

    Photocopie. Télégramme expédié de Port-Cros, le 6 décembre, 16h20, à « Lucienne Boucher 10 // RLam (…)

835[Port-Cros, le 6 décembre 1932]

836THANK YOU FOR LETTERS AM ALWAYS WITH YOU KEEP SMILING BE BRAVE LOVE

  • 195

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte-Picquet 10 // Paris // XV ». C (…)

837Jeudi [8 décembre 1932]. Midi.

838Lucienne,

839Je viens de lire tes deux lettres, datées de lundi et mardi. Et je vois que tu es rassérénée. Après tout, tu as peut-être raison. Mais je me méfie un peu de ton calme, qui est acceptation. Nous sommes des êtres de tempête. Tous les deux. Là était le danger, le poison. Les mêmes rafales nous collent l’un à l’autre, nous broient et nous mélangent. Les accalmies nous éloignent étrangement.

840Ce masochisme que tu me prêtes n’est en réalité que l’expression élémentaire d’un défi, d’un blasphème ou d’une révolte. Et tant que je serai vivant… Mais nous plongeons aux forces secrètes. Et c’est bien inutile. Il y a devant nous les faits, les réalités, la vie quotidienne. Et c’est ici où je ne comprends plus bien, je veux dire, où tu m’échappes. Tu devrais me dire où tu en es. « On » a accepté « l’amitié », puis « on » a fait des scènes, puis il m’apparaît que la vie continue tant bien que mal, puis ce voyage au Canada, puis… Tout cela est terriblement illogique. « L’amitié » ne peut exister s’il y a désir contrarié d’une part. Par ailleurs, il y a la vie « matérielle ». Mais si celle-ci n’est plus assurée, ou… Mon Dieu, comprends-moi ! Et tâche de m’expliquer. Et ne crains pas de me faire mal. Dis-moi, parle. Tu ne dois pourtant pas perdre à ce point le sens de ta propre liberté. Si les raisons pour lesquelles tu t’enchaînais n’existent plus, pourquoi tout cela, pourquoi ? Qu’espères-tu ? Qu’attends-tu ?

  • 196

    La Fontaine, « La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf », Fables, Livre premier, (…)

841Je viens de recevoir des lettres du Canada, qui ne sont pas très heureuses. L’ombre s’avance sur le monde. Cette terre s’obscurcit. Nos misérables tempêtes intérieures seront bientôt noyées dans un formidable tourbillon. Nos rires et nos pleurs ne perceront pas le tumulte. Nous redeviendrons ce que nous sommes en réalité, de petites choses obscures et sans consistance. Nous avons joué à la grenouille-bœuf .

  • 197

    Voir supra, p. 582, lettre 85, n. 2.

842Je t’embrasse si ta bouche est telle qu’il y a un mois. À moi. Mes lèvres, depuis le IV septembre , n’ont été qu’à toi.

843Alain

  • 198

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste-Restante Bureau 15 Annexe Al // Rue Ale (…)

844Vendredi [9 décembre 1932]. Midi.

845Lucienne,

846Aujourd’hui, le courrier ne m’apporte de toi qu’une Bible. J’aurais préféré une lettre. Le capitaine ne vient pas demain, dimanche la poste est fermée, de sorte que je devrai attendre à lundi. Jusque là, mes inquiétudes joueront, grandiront… C’est ce que l’on appelle les joies de l’amour.

847Au fait, je dois te remercier des différents envois que tu m’as adressés. J’ai reçu les cigarettes, les chocolats, et le livre saint. Pardonne-moi de ne pas t’en avoir parlé plus tôt.

  • 199

    Lucienne Boucher n’identifie cette personne que comme une « Canadienne de Québec », qui aurait pou (…)

  • 200

    Légation canadienne.

848J’ai reçu aussi une lettre de Y . Elle me dit être très déprimée, demande conseil, veut me voir. Sa lettre est adressée à L.C. Si je réponds, elle saura que je suis à Port-Cros, et désirera peut-être venir. D’autre part, il me paraît difficile d’observer le silence intégral. Elle ne m’a jamais fait de mal. Enfin, qu’en penses-tu ?

849Il pleut encore. Ça fait penser à une chambre close, à l’amour. Je chasse les images trop vives. Mais les images me poursuivent, insistent. Et je vois ton corps immobile, tes yeux fermés. Pourquoi n’es-tu pas là, derrière moi, près du mur ? Qu’avons-nous fait à la vie, qu’avons-nous fait au destin pour qu’ils nous traitent aussi cruellement ? Es-tu au moins demeurée la même ?

850Alain

851P.S. Je viens de retrouver un bout de lettre de ton amie Y.

  • 201

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

852Soir. Samedi [10 décembre 1932].

853Lucienne,

854Il y a trop longtemps que je ne me suis pas penché sur toi, que je n’ai pas oublié tout ce qui nous entoure et tout ce qui nous sépare, que je ne t’ai pas rejointe seulement avec mon cœur et mes yeux, il y a trop longtemps que je ne t’ai pas dit que je t’aimais, il y a trop longtemps que je ne t’ai pas dit que je t’aime, à voix basse, avec le dépouillement nécessaire et l’ombre voulue.

855Nous avons fait depuis trop longtemps deux personnages distincts, nous n’avons assemblé que nos malheurs, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre pour pleurer, nous avons chicané sur la gravité de nos pleurs, nous nous sommes égarés dans le passé et dans l’avenir, et nous ne nous sommes retrouvés que pour douter de la sincérité de nos détresses respectives.

856Je veux te dire ce soir—mais peut-être as-tu remarqué que je ne t’écris plus le soir — que je t’aime, que je t’aime, tu m’entends, et que mes yeux se mouillent de la plus pure tendresse en te le disant, que nul désir charnel ne m’habite ni ne me soulève, que je t’aime simplement pour ton repos et pour mon repos, que je t’aime pour le besoin qui me vient de toi, d’un coin de ton épaule et d’un léger sourire de ta lèvre, pour le besoin du rêve très fou sans doute qui nous réunirait et qui jamais sans doute ne se réalisera.

857Voici ce mot insignifiant et puéril qui n’arrangera rien, qui continuera de nous laisser à mille kilomètres l’un de l’autre, qui ne t’empêchera pas de respirer l’air de Paris et moi celui de PortCros, mais que je veux t’envoyer ce soir parce que je te sens malheureuse et que je suis malheureux, parce que je veux te voir ce soir comme je t’ai aimée et comme je t’aime. Oublie tout ce qui t’entoure, lis-moi très lentement, ferme un peu les yeux, aime-moi un peu. Et cours embrasser tes lèvres dans la glace pour moi.

858Alain

  • 202

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe A.1 // Rue Al (…)

859Dimanche [11 décembre 1932]. Midi.

860Lucienne,

  • 203

    Lucienne Boucher a écrit une postface aux Lettres à Lucienne, qui n’a pas été publiée, dans laquel (…)

861Écoute-moi, mon tout petit, il ne faut pas faire cela. Il ne faut pas voir ces femmes . Vois un bon médecin, le meilleur. Il te dira ce qu’il faut faire. Prends tes « économies ». Quand je pourrai, plus tard, je te rembourserai. Je ne t’ai pas parlé de cela avant aujourd’hui parce que je croyais que tu t’affolais inutilement. Ne sois pas imprudente. Les accidents les plus graves peuvent en résulter. Il ne faut pas que l’on te mutile. Il te faut demeurer une femme.

862Je n’ai jamais souhaité autant qu’à cette minute d’être auprès de toi, et je n’ai jamais déploré plus cruellement l’impuissance qui résulte des circonstances. Tout cela pourrait être si beau, si joyeux, si doux. Si doux. Tu comprends ! Si riche et si doux.

863Écris-moi. Tu me négliges. Tu ne réponds pas à mes questions. Je ne sais plus rien. Et n’essaie-t-on pas de spéculer sur ta faiblesse ? La pitié est la meilleure arme des faibles. La plus dangereuse.

864Alain

  • 204

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p. 144-145.

865Mardi midi [13 décembre 1932].

866Lucienne,

867Je reçois tes lettres de vendredi et samedi. Et tu m’annonces ce que je redoutais, ce contre quoi nous ne pouvons rien. Ton prochain départ. Je savais que la vie nous serait difficile, qu’il aurait fallu, unjour… Mais au moins j’espé-rais qu’un peu de répit nous serait accordé, donné, que nous aurions pu nous rejoindre, nous joindre, avant la grande étape. Je ne crois pas pouvoir regagner Paris avant le 15 ou le 20 janvier. D’ici ce temps, si mon état de santé ne s’aggrave pas, je crois que j’aurai terminé ce que j’ai commencé de faire. Mais ce travail n’est pas la raison première qui me retient ici. Avec un peu de volonté, je pourrais à la rigueur le terminer à Paris. Il y a surtout la question matérielle. Je n’ai pas de nouvelles du Canada. Cet arrangement peut retarder indéfiniment, ne pas se conclure. Je « n’en » ai plus que pour deux mois, alors…

868Mais je ne veux pas trop réfléchir à tout cela. Cela n’aide en rien. Il se peut que tout s’arrange comme je l’avais prévu. Et j’avais espoir qu’avant mon départ pour l’Orient, nous aurions pu, quelques semaines ou quelques mois, essayer d’oublier, puiser de nouvelles forces, être heureux. Tu pars. Tu dois le faire. Mais encore un pauvre rêve, un humble rêve, qui s’échappe.

869Mais à quoi bon regretter. Je serai peut-être obligé aussi de partir pour le Canada avant toi. De quelque côté que l’on se tourne, la voie est obscure, chargée d’ombre, murée. — J’ai l’impression que nous gaspillons de l’amour, que nous aimons à vide, que nous jetons nos forces au néant.

870Je suis dépouillé.

871Je préfère ne pas te revoir, si nous ne pouvons pas nous voir avec, devant nous, assez de temps pour pouvoir parfois imaginer que ce pauvre temps ne finira jamais. La dernière expérience a été trop cruelle. Je t’aime, mon pigeon. Je t’aime, Lucienne.

872Alain

  • 205

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

873Mercredi soir [14 décembre 1932].

874Lucienne,

875Encore un soir de tempête. À chaque instant, on attend que tout s’écroule, s’effondre. Il y aura demain une mer unie. Mais si tu étais là, près de moi, ce soir même serait plein de calme et de joie. Plein d’amour. Je mettrais mes bras autour de tes épaules, tu serais nue, tes jambes s’ouvriraient, et je m’enfoncerais en toi, je m’abîmerais en toi, doucement, lentement, et le cri muet des poèmes, le cri de nos chairs couvrirait tout le fracas de la tempête. Et tout au monde ne pourrait rien contre nous. Nous serions des dieux.

876Et pendant que tu es là-bas, je suis ici. Rien ne te protège et rien ne me protège. Tout peut tout contre nous. Il n’y a que du danger et du vide. Chaque instant nous vieillit, nous détruit, nous ronge. Jusqu’aux os. —Je me sens parfois si las, qu’il me semble que jamais je ne sortirai plus d’ici.

877Mais pourquoi t’es-tu fait aimer de moi ? Tu en avais tant d’autres. Et tu en avais tant d’autres à aimer. Tu savais pourtant que nous ne pourrions que souffrir l’un par l’autre. Je te l’avais dit. Tu as peut-être souri alors. Mais pourquoi sourire quand les paroles sont vraies ? — Et pourquoi ces mots de ce soir, puisque le mal est fait ?

878On ne sait plus rien.

879Alain

  • 206

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste-Restante Bureau 15 Annexe 1 A // Rue Al (…)

880Jeudi midi [15 décembre 1932].

881Lucienne

  • 207

    Voir la lettre du 9 décembre 1932, supra, p.165.

  • 208

    Probablement Marcel Dugas.

882mon petit, tu comprends bien que malgré ton télégramme je n’ai pu m’empêcher de lire ta lettre. C’était en somme quelque chose de toi. J’ai dû bien mal m’expliquer ce jour-là. Je n’ai pas songé un instant à la possibilité de « son » arrivée ici . C’est pourquoi je te faisais part de cette lettre. Je cherchais un moyen d’y répondre, et de ne pas laisser savoir où j’étais. J’ai pensé, avant toi, à faire adresser une lettre de Paris. (De passage entre deux trains, etc…) Mais j’ai eu un peu peur pour toi, tu aurais pu entendre dire que j’étais à Paris, tu aurais trouvé cela bizarre… Tu ne l’aurais pas cru à la réflexion, mais il en serait resté quelque chose. D’autre part, j’avais songé à Dugas pour remplir cet office. Mais je ne l’ai pas voulu, il aurait cru tremper dans quelques cachotteries, il aurait été mal à l’aise peut-être vis-à-vis de toi. Et je ne pouvais tout de même pas lui adresser, sous enveloppe, la lettre ouverte. De sorte que je t’ai tout raconté.

883Il ne faut d’ailleurs pas ajouter trop d’importance à une chose qui n’en a guère.

884Ce qui me blesse un peu, c’est que tu aies cru un moment que cela pouvait se faire. Par ailleurs, je ne suis pas assez naïf pour n’avoir pas envisagé aussi le degré de ruse ou de curiosité qui « l’a » peut-être incitée à écrire cette lettre. Si on a parlé de nous, de ton voyage mystérieux, elle aurait pu vouloir se rendre compte, tâcher de savoir. Je dis cela tout à fait gratuitement, mais il n’est pas besoin de connaître beaucoup les femmes pour savoir à quoi s’en tenir sur leurs capacités de jeux et d’intrigues.

885D’ailleurs, ta lettre dans un sens m’a fait plaisir. Car si tu t’y montres très injuste et un peu folle, tu t’y montres aussi intelligente. Et c’est une qualité que les femmes vraiment « femme » — les seules qui comptent — ne possèdent guère.

886Dois-je te dire que je n’ai pas encore répondu à Y. ? Et ne crois-tu pas qu’il soit maintenant un peu tard ?

887Je t’en prie, parle-moi de toi, de ton état. Je n’ai plus de repos. Et si tu crois que je doive regagner Paris, dis-le moi. Tu sais bien que tu es ce qui m’importe.

888Alain

  • 209

    « Il m’avait demandé de traduire ses poèmes » (Lettres à Lucienne, p.151, n. 3). Le projet ne se r (…)

  • 210

    Ajout en marge de gauche du premier feuillet.

889Veux-tu toujours que je t’envoie un poème à traduire  ? Je ne l’ai pas fait parce que je croyais que tu n’aurais pas le temps, que cela t’ennuierait .

  • 211

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

890Samedi [17 décembre 1932].

891Lucienne,

892J’ai reçu tes télégrammes, tes lettres de mardi et mercredi. Je suis heureux de te sentir enfin moins triste. J’ai passé ces derniers jours au lit, grippé, malade. Je me lève aujourd’hui. J’ai trouvé le moyen de maigrir encore. Je deviens affreux.

893Ne m’en veux pas si je ne t’écris pas très longuement. Je me reprendrai plus tard. Je ne sais plus beaucoup comment assembler mes idées. (Je n’en ai d’ailleurs pas.) Je suis très affaibli. Mais je me sens délicieusement bien. Je ferme les yeux, je respire.

894Je t’écrirai ce soir ou demain. Ne t’inquiète pas des retards. Le capitaine est brouillé avec tout le monde, et il ne vient plus même tous les deux jours. Il s’en fout. (On m’a dit qu’il était millionnaire.)

895Tes lettres prennent plus de temps à me parvenir que les miennes. Elles doivent séjourner aux Salins un jour ou deux. C’est irritant.

896Je t’embrasse, mon pigeon.

897Alain

  • 212

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

898Dimanche [18 décembre 1932].

899Lucienne,

900Je suis on ne peut plus heureux que certaines de tes inquiétudes soient disparues. Pour toi. Mais je te dirai un jour quelle effroyable et hallucinante image certains de tes mots ont suscitée chez moi. Tu ne t’en es pas rendu compte. Ton naturel est parfois étonnant.

  • 213

    Vraisemblablement le colonel Gustave Routier (voir la lettre du 24 novembre 1932, supra, p.153, et (…)

901Mon pigeon, tu es très émotive. Aussi, un peu naïve. Je vois ta bonne femme, et ton histoire de Chine comme ceci : « on » est allé chez le Col. la veille du dîner. On a parlé. On s’est plaint. Ce petit voyou, qui va en « Chine », l’autre qui devient bigote, qui parle de missions, etc… Et une idée, tout à coup. Et c’est le truc classique de la dame complaisante et amie qui prophétise, les yeux dans les yeux, sur un ton biblique. Et puis l’Orient, la mort. Ça produit toujours son petit effet. Mais il y a la protection des proches, qui a toujours empêché les grosses sottises, et qui par conséquent (sous-entendu) pourra toujours les empêcher, etc.. pour peu qu’on veuille être docile, et suivre les bons conseils et les airs désintéressés, etc. (toujours sous-entendu).

902Et tout ça te bouleverse, mon pigeon !

903Mais je vais te dire le contraire. Tes « surroundings », en réalité — et le cas échéant, je le dirais volontiers à Madame-Mère en toutes lettres — ont gâché au possible, par négligence, imprévoyance, ou faiblesse, tes meilleures chances de bonheur. Tu es responsable de tes erreurs premières. Mais ces erreurs étant faites, on n’avait pas le droit de t’engager, par une acceptation et même un encouragement tacites (!), à les prolonger, les reconnaître, les « légaliser » en quelque sorte. Oh, je sais combien tu es têtue, indépendante. Mais une pression énergique, longue, amicale et généreuse aurait eu raison de ta mauvaise tête (bon cœur). Je le sais, et c’est pour cela que je ne peux, ni ne pourrai jamais aimer ni ta mère, ni aucun de tes amis, ceux que tu comptes parmi les meilleurs. Tu te trouves aujourd’hui devant rien, à la merci, pour vivre, d’un homme nul, qui ne t’a rien assuré, que le hasard d’un caprice peut séparer de toi demain, après onze années de liaison. « Presqu’un mariage », dis-tu ! Et c’est toi, qui me reproches de fuir devant les réalités, qui me dis cela !

904Mais vois donc qu’on t’a jouée magnifiquement. Tu entends, magnifiquement et bassement. Depuis onze ans, aux yeux de tous, tu es l’amie de M. S… Il t’a affichée partout. Et jamais il n’a osé t’assurer la plus normale indépendance. Il t’a fait vivre au jour le jour. Au mois. Comme on paie l’appartement, le garage. Et tu trouves encore, tu trouves encore le courage de le plaindre. Tu le vois, tu l’accueilles. Et rien ne change, et rien ne vient, que des gémissements, des menaces, et des promesses ! Mais es-tu folle ? Et ta jeunesse à toi, et ton avenir à toi, ta vie.

905« Your surroundings have prevented you from doing things which would have been catastrophic for you… »

906Très bien, la dame.

907Je m’emporte. Je m’en excuse. Je t’aime, et tout cela m’indigne. Toute cette mollesse, cet aveuglement, cet égoïsme, ces prises de « responsabilités » par quoi on a usé et abusé de toi. Tu vaux cent fois tous ces gens. Mais tu les subis, et tu te plies à eux. Quand tu te montres faible, tu te crois bonne.

908On a tout fait contre toi.

909Mets-toi ça dans la tête. On a pu t’aimer, oui. On t’aime, soit. Mais pense deux minutes à ce que cet amour a pu te causer de torts, à ce qu’il pourra encore t’en apporter, et à ce qu’il t’a donné. Et tu sauras me dire si une petite dactylo, qui travaille à 60 dollars dans un bureau, n’a pas été plus heureuse. Et pour demain, sa réputation est intacte.

910Alain

911C’est une lettre rude. Si je ne t’aimais pas, je ne t’écrirais pas ainsi. Tu peux m’envoyer au diable si tu veux. Je ne peux m’empêcher de te dire ce que je t’écris. Et si j’étais avec toi, dans ta chambre, je me promènerais de long en large, et mes termes seraient plus sévères. Je t’embrasse, sale gosse.

912A.

  • 214

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

913Lundi. [19 décembre 1932]

914Lucienne,

915Ne t’inquiète pas. Je suis tout à fait remis maintenant. Ces jours de maladies m’ont fait du bien en un sens, ont changé le cours de mes pensées. Il me fallait de nouvelles forces.

916Je ne veux plus, moi aussi, ne songer à rien qu’à l’immédiat. Celui-ci est assez lourd par lui-même.

917Il me prend parfois des désirs brusques de rentrer à Paris. Si je m’écoutais deux minutes, je ferais mes bagages. J’ai envie de m’ écouter. Qu’en penses-tu ?

918Aujourd’hui, il pleut. J’ai épuisé l’île. Elle n’a plus rien à me donner.

919Mais Paris ! Les petits restaurants, l’économie, la vie médiocre, la gêne. — Et toi ? Comment nous verrions-nous ? Et crois-tu que nous pourrions nous satisfaire du système cinq à sept ? Après avoir été si libres, si l’un à l’autre, si amants véritables ?

920Peut-être est-il préférable que je reste ici, pour toi et pour moi. Je t’embrasse de tout mon cœur.

921Alain

  • 215

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

922Mardi soir. [20 décembre 1932]

923Lucienne,

924Je viens de me pencher sur mon balcon. La nuit est noire comme un four. Une seule lumière rose au fond de la baie. Et ton visage soudain m’est apparu. Comme une étoile. Mais ne brillais-tu que pour moi ?

925Je dois aller cette semaine à Toulon. Je reviendrai ici dès le lendemain. Et j’y passerai la Noël. Tout cela sera bien triste. À Toulon, je ne fumerai pas. J’irai à cet hôtel que tu connais, où l’on entend siffler les trains. Je n’y suis pas retourné depuis ton départ. J’ai laissé pousser ma barbe. Tu ne me reconnaîtrais pas. Je n’ai plus d’âge.

926Et toi, que feras-tu ? N’es-tu pas lasse d’attendre ? Ne t’irrites-tu pas ?

927Les nuits tournent en cercle autour de moi, promenant ton image, et les images de ton image. Ma chair se gonfle, tend vers toi sa chaude dureté, cherche en vain son apaisement. Et pourtant tes mains, tes lèvres, tes cuisses, cela existe, cela vit, cela est.

928Et c’est comme si rien n’existait.

929Alain

  • 216

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

930Vendredi midi. [23 décembre 1932]

931Lucienne,

932Tes lettres de lundi et mardi me parviennent. Je les attendais pour prendre une décision. La décision est prise. Je reste.

933Cela te donne raison. Je suis probablement trop « canadien » pour comprendre ou accepter certaines choses. Je sais qu’il t’est impossible d’agir autrement. Je ne te blâme pas. Je ne t’en veux pas. Je sais aussi les risques que mon abstention peut me faire courir. Je sais tout cela. Mais je sais aussi que ces choses, que je devrais accepter, me seraient intolérables. Et pour équilibrer la situation, je ne pourrais m’empêcher de te rendre la pareille. Je verrais, moi aussi, des amies. « En tout bien, tout honneur. » Et alors…

934Et puis ces rencontres furtives, ces cachotteries, ces tromperies, non. Ça peut être amusant pour un moment, et quand on n’aime pas. Autrement, ça devient assez vite ignoble. Nous avons encore de beaux souvenirs, gardons-les, ne les pourrissons pas. Rien ne peut nous enlever ce qui nous a été donné. Mais nous pouvons tout détruire nous-mêmes.

  • 217

    Jacques-Émile Brunet (1899-1977), sculpteur, vit à Paris depuis 1924. Grandbois parlera de lui com (…)

935Cette nuit de Noël eût pu être autre. Je m’empêche de l’imaginer comme je l’aurais rêvée. Il faut croire que nous n’en étions dignes ni l’un ni l’autre. Je la passerai seul, sans illusion et sans joie. — Je n’ai pas été à Toulon comme je me l’étais proposé. Je suis complètement remis de mon indisposition, mais il me faut reprendre des forces. Surtout, que Dugas ne dise ni à Brunet ni à personne que je suis à Port-Cros. Je tiens à voir personne.

936Je t’embrasse comme je t’aime, avec tout le bonheur que tu as su déjà me donner.

937Alain

  • 218

    Photocopie. Télégramme expédié de Port-Cros, le 24 décembre à 15h40, à « Lucienne Boucher 10 [rue (…)

938[Port-Cros, le 24 décembre 1932]

939MERRY XMAS KISSES LOVE

  • 219

    Photocopie. Enveloppe : « Madame Lucienne Boucher // Poste-Restante Bureau 15 Annexe 1A // Rue Ale (…)

940Lundi. [26 décembre 1932]

941Lucienne,

942Ton télégramme m’a peiné. Cette cruauté que tu me reproches existe peut-être chez moi, mais où sont les autres moyens de défense ? Contre soi-même ! Il faudrait que tu saches que ma propre dureté me blesse le premier.

943Je serai à Paris cette semaine. Je te téléphonerai à mon arrivée. C’est ta lettre de jeudi qui a changé mes décisions. Je sais que je ne devrais pas quitter Port-Cros pour mon travail et pour ma santé. Et peut-être aussi pour nous. Mais tu me le demandes avec « notre » amour. Et je t’aime.

944Retiens-moi la dernière soirée de cette vieille année, et la naissance de l’autre.

945Alain

946P.S. C’est ma dernière lettre de Port-Cros. Port-Cros nous a été bon. Je le quitte un peu comme je te quitterais. Je me méfie de Paris, des êtres qui l’habitent, de moi. Sauras-tu ménager tout ce qui pourrait nous désunir, et le saurais-je moi-même ?

947A.

  • 220

    Photocopie. Télégramme expédié de Toulon, au « [10] R Lamotte Picquet // Paris 104 », le 27 décemb (…)

948[Toulon, le 27 décembre 1932]

949VOUS TÉLÉPHONERAI DEMAIN MERCREDI 6H DE PARIS AMITIÉS

  • 221

    Photocopie. Pneumatique expédié à « Madame Lucienne Boucher // 10 rue Lamotte Picquet 10 // Paris (…)

950[Samedi, 7janvier 1933]

951Lucienne,

952Nous ne pouvons rien contre rien. Je ne crois pas aux symboles. Mais nous n’avons pas de « veine ». D’ailleurs, autrement, et les circonstances nous ayant favorisés, notre bonheur eût été trop insolent. La vie rejette les dieux.

953Écris-moi et dis-moi si tu vas mieux. Donne-moi des précisions. Pour ma part, cela paraît s’arranger. J’ai fait hier, à un moment, plus de 39. Ce matin, 36. Trop, et trop peu. La fièvre elle-même ne me traite pas en homme sérieux.

954Je n’aime pas le chiffre de ton nouveau papier à lettre. Mais je t’aime, je t’aime. Et je t’embrasse sur la bouche.

955A.

  • 222

    Autographe, 1 f. (20,9 x 26,7 cm), papier velin de marque « Dualis, Paris (France) », écrit recto (…)

956Port-Cros, Janvier [1933]

957Mon cher ami,

  • 223

    Écrivain et homme politique français, Léon Blum (1872-1950) a fait partie, au cours des années 192 (…)

958Il faut me pardonner, bien que je sois impardonnable, de ne pas vous avoir écrit avant aujourd’hui, de ne pas vous avoir remercié de l’envoi du livre de Blum , d’avoir retardé [de] vous transmettre mes meilleurs vœux de bonheur pour la nouvelle année, enfin d’avoir négligé à peu près complètement l’exercice de ces devoirs essentiels que nécessite toute amitié. Du moins, comme je n’ai aucune excuse valable à vous apporter, ce pardon que j’anticipe de vous et de votre générosité n’en sera que plus méritoire.

  • 224

    Norbert Morin (voir supra, p.573, n. 4).

959J’arrive de Cannes, où j’ai passé quelques jours désagréables que se sont partagés l’ennui, un peu de dysenterie et des crises de rhumatisme. Vous demandiez à Norbert si j’avais, selon votre élégante expression, les mains nickelées. Ce sont les pieds, mon cher. Mais vous brûliez, vous brûliez.

960Norbert apporte le maximum d’optimisme dans une situation qui, à la bien considérer, est tout à fait sans issue. Pour le moment, il semble vivre des bontés (!) de Madame de X, mais il y a Monsieur X, qui me paraît de plus en plus agacé des prolongements d’une situation qu’il avait acceptée comme provisoire, et qu’il refuse de voir s’incruster dans le définitif. Et comme c’est Monsieur X qui fait vivre Madame X, laquelle… Pour tout dire, ces différents jeux ont empoisonné le court séjour que j’ai fait à Cannes. Par le fait que tout le monde « bien » est au courant de cette liaison de Norbert, tout le monde « bien » ne voit plus Norbert. Ses amis se sont éloignés de lui. Les personnes qui m’ont invité m’ont parlé de lui en termes ne comportant aucune équivoque. Comment défendre une chose indéfendable ? Et d’autre part je ne pouvais « lâcher » N., qui a toujours été gentil pour moi. J’ai foutu glorieusement le camp. (Pas un mot de tout ceci, je vous prie.)

961Mon île commence à me peser. J’ai passé l’âge des solitudes orgueilleuses. Où aller ? La vie est bien emmerdante. Je commence à vous envier, d’avoir passé à travers tant d’ennuis, et de pouvoir encore croire à des joies, de la paix.

962En tous cas, je souhaite que votre santé se rétablisse complètement cette année. Et je vous serre les mains et je vous remercie.

963Alain Grandbois

  • 225

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden), Lettres à Lucienne, p.171. Datée et a (…)

964[Paris, 16 janvier 1933]

965Je veux espérer quand même que tu seras là quand je rentrerai. Je ne ressentais pas de l’ennui, hier, mais je commençais à souffrir de cette sourde irritation que la pensée de ton départ soulève en moi, et qui a empoisonné nos derniers jours de Port-Cros. Il ne faut pas que tu doutes de mon amour. Cet agacement même en est une des tristes manifestations.

966A.

  • 226

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.172.

967[Paris, le 20 janvier 1933]

  • 227

    Le même jour, Lucienne Boucher part pour le Canada, où elle va retrouver son père gravement malade

968MEILLEUR VOYAGE VOUS ACCOMPAGNE AMOUR

969ALAIN

  • 228

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.173-174.

    Varian

    (…)

970[Paris] °Samedi, 21 janv. [1933]

971Lucienne,

972À l’heure où je t’écris nous étions, il y a une semaine, à vagabonder à travers les Halles. Et à la même heure, hier, je t’attendais. Je t’ai attendue toute la nuit. Je désirais ta présence comme je n’avais jamais rien désiré. Et tu serais venue, ne fût-ce que pour un moment, si tu avais compris la force de mon désir. Quand tu liras ces lignes, tu comprendras peut-être. Mais tu seras loin. Et je suis dans une cage de fer. Mais qu’importe maintenant l’importance de cette parcelle du temps où ta clef aurait grincé dans la serrure. J’ai épuisé l’amertume des détails. Une chose seule est réelle : l’épouvante de ton absence.

973Et les remords m’assaillent. J’ai trop oublié mon propre amour pour penser à toi. Et mes inquiétudes à ton sujet ne t’apportaient rien que de l’irritation et du doute. J’aurais dû t’envelopper de douceur, t’engourdir de tendresse, vivre les choses comme elles doivent être vécues, dans un abandon parfait, et avec un total égoïsme. Ainsi tu aurais cru à mon amour. Et tu m’aurais aimé davantage.

974Tu es en ce moment en pleine mer. Chaque seconde te vole à moi. Le °temps, l’espace nous trahissent. Je suis en pleine nuit. J’ai perdu ton visage. Il faudra quoi, quels événements, quels malheurs sournois, quelles nouvelles détresses avant que je puisse le retrouver ? La nuit m’isole comme t’isole la mer. Attendre quoi, quoi ?

975Alain

  • 229

    Photocopie. Annotée par Lucienne Boucher : « de Paris Janvier 1933 » (fonds privé Andrée Maillet e (…)

976Dimanche, 29 [janvier 1933].

977Lucienne,

  • 230

    Phrase citée en épigraphe du poème « Grisaille », dans Depuis longtemps déjà (p. 85). Voir égaleme (…)

978Je t’ai trop donné. °J’ai trop misé sur toi. J’ai joué ce que je n’avais jamais joué : ma solitude, mes murs. Mais tu m’apportais davantage. Avec toi, l’inutilité de toutes choses s’effaçait. Je finissais par croire, espérer. Tu colorais l’ombre . Tu me donnais confiance en moi-même. N’est-ce pas le don le plus précieux qu’un être peut faire à un autre être ? Et tu es partie. Et quelle épaule pour faire oublier la tienne ?

979Je pense à ce que tu as été pour moi, à ce que tu exprimais, à ce que tu me valais. Ton départ me laisse dans un vide affreux. Comme je te manque, mon petit, comme je te manque. La nuit, je reste là, des heures, sur le divan, à t’attendre. Je veux croire aux miracles.

980Je sais les embûches que te tendront ton désir de te rapprocher des êtres, ta naïveté, ta pitié, ton dépaysement, ta chair. Je sais tout cela. Peut-être succomberas-tu ? Mais je veux que tu saches que rien ne pourra m’enlever le souvenir de ce qui fut entre nous, de ce qui est. Je ne serai jamais, quoi qu’il arrive, ton ennemi.

981Jamais je n’ai été aussi près °d’un être. Jamais la fusion ne s’est faite, de moi à un autre, de façon aussi totale. Tu es mêlée à moi. Tu es liée à moi comme la chair au muscle.

982Et je suis infirme. Pour jusqu’à quand ?

983Alain

  • 231

    Ajout en marge de gauche.

    Variantes

    ° J’ai [A trop] misé sur toi. J’ai joué ce que je n’avais jamais (…)

984Je t’embrasse comme si tu étais ce que mon angoisse veut malgré tout espérer, comme si tu souffrais comme je souffre .

  • 232

    Photocopie. Télégramme « CANADIAN PACIFIC TELEGRAPHS », expédié de Paris, le 13 février à 14h48, à (…)

985[Paris, le 13 février 1933]

986AM AWFULLY SORRY DONT LET YOURSELF PULL DOWN KEEP FAITH BE COURAGEOUS HAVE ALL MY LOVE

987ALAIN

  • 233

    Photocopie. Annotée : « 12février 1933 adressée à Madame Lucienne Boucher 1789 rue St Hubert 1789 (…)

988Lundi, 13 février [1933]

989Lucienne,

990Tes deux lettres, celle du bateau et celle de Montréal, m’apportent plus d’inquiétudes que je n’aurais cru. Jamais je n’ai tant réalisé mon impuissance vis-à-vis des événements dont sont accablés les êtres que j’aime. Les mots sont bien inutiles. Il faut regarder, toucher, bercer, consoler. Nous sommes si loin. Que faire ? Les encouragements, parfois, semblent presque ironiques.

991Pourtant, je ne crois pas que tu doives déjà trop désespérer. Le saut que tu viens de faire est trop brusque pour qu’il ne t’atteigne pas profondément. Mais le premier choc est le plus douloureux. Et il faut aussi que tu tiennes compte du dépaysement qui doit t’être affreux, de l’état — qui peut s’améliorer— dans lequel tu as trouvé ton père, et surtout de ta propre sensibilité, que tu as fort malmenée tous ces derniers temps. Et je crains que tout cela ne te trompe sur le réel visage des choses, qui n’est jamais aussi rayonnant, ni aussi sombre qu’on le veut voir.

992D’ailleurs ce devoir que tu t’es imposé ne saurait te lier indéfiniment. Tu n’es pas perdue à la vie. Tu sais bien que des joies sont en réserve pour toi, t’attendent. Tu as un très mauvais moment à passer. Accepte-le. Ferme les yeux (comme tu les fermes dans le bonheur). Sois patiente. Il n’y a pas un mois que tu as quitté Paris. On ne compose pas avec le problématique, l’inconnu, dans un si court espace de temps. La vie est autrement exigeante.

993Mais pour le moment, ce qui importe le plus, c’est que tu ne te laisses pas abattre. Il ne le faut pas. Tu as besoin de toutes tes forces. Ne les gaspille pas en des regrets stériles, ou en de sombres appréhensions. Le passé ne nous appartient plus, et l’avenir ne nous appartient pas encore. Mais c’est le présent qui prépare celui-ci. Vis-le avec courage.

994Tout ce que je te dis là est bien banal. Tout est banal quand on s’échappe du rêve. Mais il faut s’en échapper pour, le moment venu, pouvoir le recréer.

995Je t’embrasse avec tout mon cœur.

996Alain

  • 234

    « Se sont inscrits à la Légation du Canada : […] M. F. D. Baril, Direct, Voyages Hone, Hôtel Cal (…)

997P.S. Baril mettra cette lettre sur le Bremen. Je t’écrirai demain.

998A.

  • 235

    Carte pneumatique (11,2 x 14,5 cm) à l’encre noire ; numérotée» 50 » à l’encre verte, datée « 1933 (…)

999[Paris] Vendredi [17 février 1933].

1000Simone,

  • 236

    Simone Routier est alors dessinatrice-cartographe aux Archives canadiennes à Paris. Alain Grandboi (…)

1001Si vous êtes libre demain soir, samedi, faites-moi le plaisir d’accepter de venir dîner avec moi . Nous aurons ainsi le loisir de bavarder un peu, et peut-être, de retrouver certains points de contact égarés ou perdus. Envoyez-moi un mot. J’habite rue Racine au numéro 21.

1002Alain

  • 237

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.180.

1003Samedi 18fév. [1933]

1004Lucienne,

1005Tu es °nerveuse, tu es impatiente, tu piaffes comme un jeune cheval. Quelle enfant tu fais. Pourquoi vivre ainsi ? Je veux dire, pourquoi vouloir prendre ainsi la vie par les cornes, à la force du poignet. La vie ne se violente pas. Il faut ruser avec elle, l’apaiser, l’engourdir. Puis profiter tout à coup de la mauvaise bête. Car la bête est plus forte que nous.

1006Ta nervosité te porte à dramatiser. Tu vois tout en trop sombre. Tu imagines les pires défaites avant de livrer les °batailles. Et c’est chez toi la rançon de tes qualités. (J’allais dire vertus, tu aurais ri, ou tu aurais cru que je me moque.) Tu es généreuse jusqu’à la prodigalité, bonne jusqu’à la faiblesse, sensible jusqu’à l’égarement, ardente jusqu’au délire. Tu vis sur un diapason toujours trop élevé. Tu voles ou tu plonges. Cette intensité, cette avidité, dans le bonheur, sont magnifiques. Mais tu ne veux pas accepter le quotidien, qui est grisaille, attente, monotonie. Et tu transformes le quotidien en bon désespoir solide.

1007Je sais bien que tes plaintes sont justifiées. Tu es dans une mauvaise impasse. Je souffre avec toi de ton impuissance à trouver le joint, l’issue. Mais tu n’as pas le droit d’abandonner déjà la partie. Les jeux ne sont pas encore « faits ».

1008Mais je souffre davantage de mon impuissance à moi. Tu me dis que je suis l’« homme ». Je le sais bien, parbleu. Mais je suis comme toi, je me heurte contre le mur.

1009Tu es injuste à °propos de mon voyage en Orient. Ce projet, je ne puis le rejeter. Pourquoi me rendre mon départ plus pénible ? Pourquoi te mettre, toi, que j’aime, entre cela et moi ? Tu comprendras, si tu y réfléchis deux minutes, que mon retour au Canada dans les circonstances actuelles ne pourrait améliorer en rien nos situations respectives. Il me faut aller là-bas. Je t’en ai donné les motifs, qui te paraissent insuffisants. Mais j’y suis poussé par une raison profonde, une raison d’instinct. Ce n’est peut-être, après tout, que le sens de la conservation. Je te dis qu’il faut engourdir la bête. Pourquoi frapper sans forces ?

1010Je °te fournirai tous les détails en temps voulu. J’aurai l’argent strictement nécessaire. Du moins pour m’y rendre. Après, je m’arrangerai. Mais je puis te promettre que je n’y resterai pas deux ans. Il est possible aussi — du moins je le désire — que j’aille passer trois semaines au Canada avant mon départ, si je le puis matériellement.

  • 238

    C’est-à-dire Né à Québec.

    Variantes

    ° nerveuse, [A tu es] impatiente <…> pourquoi [R pren] vouloir (…)

1011J’ai à peu près terminé Jolliet . C’est d’une énorme médiocrité. °Je n’y peux rien.

1012Je t’embrasse chair et âme.

1013Alain

  • 239

    Autographe, carnet 52 (BNQ, 234/6/59).

1014[Mars 1933]

  • 240

    On n’a pas retrouvé cette lettre.

1015Je reçois à l’instant votre lettre du 1er mars , et je veux y répondre tout de °suite. Autrement je tarderai, je remettrai au lendemain, et vous finiriez par croire que mon silence indique que je ne pense plus à vous. Ce serait bien faux, car il ne se passe pas de jour que je ne le fasse, avec toute la tendresse. Et toute la reconnaissance que je vous garde. Mais vous connaissez ma négligence…

  • 241

    La rue Racine, où loge Grandbois, est située à quelques pas du théâtre de l’Odéon.

  • 242

    Voir la lettre du 17 février 1933 à Simone Routier, supra, p.185.

1016J’ai peu de nouvelles à vous donner. Je me suis réacclimaté tant bien que mal à Paris. Ma °santé sans être brillante, n’est pas trop mauvaise. J’habite toujours du côté de l’Odéon . Mais j’ai déménagé, et me voilà maintenant perché au 7ième étage, près du ciel (du ciel de Paris, qui ne vaut pas celui dont vous m’entretenez). Je possède de grandes baies vitrées, et je n’ai qu’à lever la tête pour apercevoir les toits du quartier, les tours de Saint-Sulpice, et celles de Notre-Dame. L’autre jour, Simone R. m’a envoyé un mot, m’invitant à une °soirée pseudo-littéraire à laquelle j’ai refusé naturellement de me rendre. J’ai dû la voir pour la remercier . Il y avait deux ans que je ne l’avais aperçue. Elle m’a confié ne plus vouloir retourner au Canada. Et d’après ce que j’ai pu comprendre, je crois qu’elle serait vaguement fiancée à un Français.

  • 243

    André Simard, ami de Pierre de Varennes, le mari de Madeleine Grandbois : « Le Dr André Simard, de (…)

1017J’ai rencontré le jeune docteur P. ici, à Paris il y a deux ou trois ans. Ce n’est pas un mauvais garçon, il n’est ni sot ni génial, mais ce n’est pas du tout là °l’affaire de C. Il appartient à une famille d’ouvriers, ce qui n’est pas déshonorant (bien que gênant en certaines circonstances) mais, et voilà qui est plus grave, à une famille de grands tuberculeux. Deux ou trois de ses frères sont morts en pleine jeunesse. Perron m’avait renseigné sur ces points. Il voyait même en lui le type caractéristique du candidat à la tuberculose. En outre, certains détails de son caractère sont assez déplaisants — ne mentionnez rien de ceci devant Pierre qui s’empresserait de raconter le tout à André , lequel voit souvent P.

1018À propos d’André, des Canadiens ont répandu le bruit que sa femme l’avait °quitté brusquement « pour une destination inconnue ». Je vous offre ce potin tout chaud, et pour ce qu’il vaut.

  • 244

    Candide et Je suis partout, deux hebdomadaires de droite, ont été lancés par Arthème Fayard en 192 (…)

1019La crise commence à se faire sentir à Paris. Les dernières élections allemandes ont fort impressionné les Français. On parle couramment d’une guerre prochaine. On °parle beaucoup aussi de la faillite américaine. Des voyageurs ont dû vendre automobile, bijoux afin de regagner leur pays. Il est évident que la situation générale s’assombrit de plus en plus. Mais nous sommes maintenant habitués à prévoir le pire. Je vous ai fait adresser la semaine dernière un abonnement à Candide, ce journal littéraire que vous aimiez. Et à papa, Je suis partout, un hebdomadaire de politique internationale . Voudriez-vous me dire si vous les recevez régulièrement ?

1020Je vous aime et je vous embrasse.

  • 245

    Photocopie. Lettre datée par Lucienne Boucher (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; L (…)

1021[9 mars 1933]

1022Lucienne,

  • 246

    Selon Jean Cléo Godin, le correcteur d’épreuves incompétent de Né à Québec serait Marcel Dugas (op (…)

1023Toujours la même. Impatiente, révoltée, bondissante. Pauvre, pauvre ! Comme si la vie était un feu d’artifice. Comme si nous possédions la légèreté de la flamme, et sa violence, et la pureté qu’elle dégage. Ceci dit, je dois ajouter que j’ai souffert d’une très mauvaise grippe, que je suis à peine remis, que Paris est noyée sous toutes les averses du monde, et que les appartements « chauffage central » devraient se vendre comme réfrigidaires de sorte que je suis, du matin jusqu’au soir, et du soir jusqu’au matin, d’une humeur animée des plus injustes fureurs. En outre j’ai dû, dès mon arrivée à Paris, corriger les secondes épreuves de mon maudit bouquin. Les premières l’avaient été, mais très mal. Je ne blâme pas la bonne volonté de notre ami , mais sa distraction et sa fatigue. Il m’a fallu tout refaire.

1024Et maintenant… Que dois-je te dire ?Je voudrais te donner un conseil, un fil directeur, quelque chose qui puisse t’ aider à prendre une décision qui te rendrait justice. Mais je ne sais vraiment pas. Tu as affaire à des gens qui changent d’idées cinq ou six fois par jour. Si l’un dit oui, l’autre dit non. Le lendemain, c’est le contraire. Je ne vois qu’un moyen : attendre. Cette situation ne peut se prolonger indéfiniment. D’ailleurs ta mère, qui s’effraie tant à la pensée de devoir aller habiter le Canada, s’y plairait peut-être après quelques semaines de séjour. Dans ce cas, tu serais plus libre.

1025Mais tu me demandes, de ta liberté, ce que tu dois faire ! Tu sais bien que je ne suis pas en mesure de te donner des impératifs catégoriques. Je t’ai dit que, quoi que tu fasses, je saurai comprendre, et que le fond de ta nature, à mes yeux, n’en saurait être altéré. Je te le répète. Mais quelques décisions que tu prennes, il faut que les raisons qui t’y amèneront soient mûrement pesées, réfléchies. Il ne faut pas jouer sa vie comme on joue au baccara.

1026Je veux que tu saches que je serai toujours ton meilleur ami. Si je ne suis pas mieux que cela… lorsque d’autres années encore nous auront secoués davantage.

1027Et je t’aime.

1028Alain

  • 247

    Photocopie. Télégramme « CANADIAN PACIFIC TELEGRAPHS », adressé à « Lucienne Boucher // 1789 rue S (…)

1029[Paris, le 14 avril 1933]

1030BEST GREETINGS FOR EASTER AND BEST LOVE

1031ALAIN

  • 248

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.188.

1032[Deauville, le 16 avril 1933]

  • 249

    Casino de Deauville.

  • 250

    Paroles et musique de Croom Johnson, cette chanson a été enregistrée sur étiquette Chappel de Lond (…)

1033BONJOUR CRUELLE OUBLIEUSE INCRÉDULE QUE J’AIME CETTE NUIT CHEZ BRUMMEL ON JOUAIT « THANK YOU FOR THE FLOWERS  » JE TE TENAIS DANS MES BRAS J’AI VU TES MAINS OÙ SONT-ELLES TES MAINS ?

1034ALAIN

  • 251

    Photocopie. Lettre datée par Lucienne Boucher (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; L (…)

1035[Paris, 29 avril 1933]

1036Lucienne,

1037Et moi aussi, je ne sais plus t’écrire. Il me faudrait te répéter ce que je t’ai déjà dit mille fois. Mais tu prends pour de la dureté ce qui n’est que fermeté. Tu poses des conditions à l’amour. — Tu ne m’aimes pas si tu fais ceci, cela… — Mon amour, que l’amour vient-il faire là-dedans !

1038Dois-je encore te dire que mon retour au Canada ne pourrait en rien nous aider pour le moment. Nous pourrions à peine nous voir. Nous n’habitons pas la même ville. Mon absence de situation m’empêcherait d’être libre. Tu ne l’es pas davantage. Alors ? Chacun de nous tapi chez soi, se rongeant, attendant, guettant. Guettant quoi ?

1039Il n’y a rien à faire aujourd’hui là-bas. Rien. Je m’en vais dans une direction opposée. Oh, sans illusions ! Je n’attends rien de qui que ce soit, de quoi que ce soit. Mais il y a tout de même l’inconnu. Et puisque je sais que le connu n’a rien à me délivrer, pourquoi tourner en rond, pourquoi se détruire sur place ?

1040Je veux encore espérer que malgré tout, nous aurons encore de beaux jours. Je ne veux pas croire que pour nous, le règlement des dettes soit déjà venu. J’accepte de payer, mais pour une chose due. Le temps nécessaire à notre amour ne nous a pas été donné.

1041Ton image ne me quitte pas. Ni l’image de ton image. Tu es intacte en moi. Le suis-je en toi ? Tu te révoltes et tu m’uses. Du moins j’en ai peur. Si cela était, tu me considérerais bientôt comme un ennemi. Et jamais, jamais le fil ne pourrait se renouer.

1042Alain

  • 252

    Carte pneumatique, numérotée « 6 » au crayon bleu, puis « 36 » à la mine de plomb et datée à l’enc (…)

1043[18 mai 1933]

  • 253

    Marcel Dugas et sa nièce Bérengère Courteau. René Garneau (1906-1983) et son épouse Jacqueline Mor (…)

1044Ma chère amie, si vous êtes libre demain soir, jeudi, faites-moi le plaisir de venir chez moi. Vous y rencontrerez Dugas et sa nièce, Garneau et sa femme , et moi, à partir de 9hres et demie.

1045Il y a un siècle que je vous ai vue. Êtes-vous fâchée, malade ?

1046Alain

  • 254

    Autographe, carnet 38, 1 f. (BNQ, 204/6/45). Le fonds Grandbois comprend quatre lettres de Gerda-M (…)

1047[Paris, juillet 1933]

1048Écoute-moi, Gerda, comme si je te parlais à voix basse, dans l’oreille, tout près. Je t’aime. Et depuis ton départ, je ne sais plus où je vais, je suis si seul, je n’ai plus d’espoir, je crois que je ne te reverrai plus jamais. Pourquoi t’es-tu fait aimer de moi ? Je souffre par toi. Et tout est si inutile. J’avais tant voulu te garder. Je ne le pouvais plus. Je n’avais plus d’argent. Et tu commençais à croire que j’étais avaricieux <incomplet>.

  • 255

    Photocopie, télégramme « CANADIAN PACIFIC TELEGRAPHS », adressé de Paris à « Lucienne Boucher // 2 (…)

1049[Paris, le 5 août 1933]

  • 256

    Le 5 août 1933, Alain Grandbois s’embarque au Havre à destination du Canada. Il fera la traversée (…)

1050AM ALL RIGHT NOW GOING CANADA WRITE YOU THERE KISSES

  • 257

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.195.

  • 258

    Il pourrait s’agit d’un voyage à Moncton (voir la lettre suivante), mais nous n’avons pu trouver d (…)

1051RETOUR MONCTON REÇU TÉLÉGRAMME LETTRE SUIT BAISERS

  • 259

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.196.

1052[Québec] Le 8 septembre 1933

1053Lucienne,

1054Rien n’est changé. Tout est comme tout a été. Ce nuage dans quoi tu t’es cru prisonnière n’existait pas. Tu l’as imaginé, créé. Il fallait regarder plus haut.

1055Mon silence ? Mon Dieu, rien n’était moins important. Je sentais qu’à ce moment, il était devenu nécessaire. Certaines de tes lettres m’avaient peiné. Tu m’accusais de légèreté, d’insouciance. Que pouvais-je répondre ? Je ne pouvais rien pour toi, pour nous. Il fallait me taire.

1056Tu m’avais aussi écrit que tu préférais ne pas me voir si je venais au Canada. Moi, je voulais te voir. J’attendais le moment. J’ai dû voyager avec ma famille depuis mon retour. J’irai à Montréal dans une huitaine. Pourrons-nous recréer les adorables images ?

1057Je t’aime.

1058Alain

  • 260

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.198.

1059[Québec, le 23 septembre 1933]

1060Ta lettre me fait regretter d’être allé te voir. Tu sais que je ne te veux pas de mal. Mais, sachant que je te fais mal, pourquoi me fais-tu jouer ce rôle de bourreau ? Je souffre de ma peine, et je dois souffrir encore de la tienne parce que j’en suis la cause. Mon pigeon, tu n’es pas raisonnable.

1061La vie nous sépare. Mais nous pouvons parfois truquer. Et cela ne nous est pas dû. C’est tout bénéfices. Pleure-t-on une joie ?

1062J’ai appris à ne plus rien exiger, à ne plus rien espérer. Je ne compte plus sur le bonheur. Je vis dans une cave. Parfois des lumières brillent. Il ne faut pas trop ouvrir des yeux habitués à l’ombre. J’entr’ouvre mes yeux, mais à peine. Je sais que ma route se poursuit dans les ténèbres. Je la retrouve. Autrement…

1063J’ai peur maintenant de nous revoir. Encore se déchirer. Comme si nous étions des ennemis.

1064Je t’aime.

1065Alain

  • 261

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.200.

1066[Québec, le 29 septembre 1933]

1067Lucienne,

1068Il ne faut pas que tu sois triste. Je veux dire qu’il ne faut pas te laisser aller à ta tristesse. La vie est trop riche pour, volontairement, en distraire une parcelle. Et la douleur ronge comme le feu.

1069Si mes lettres sont courtes, c’est que je veux moi-même me garder d’un affaiblissement inutile. J’ai besoin de toutes mes forces. Si je regardais trop en moi, je sombrerais encore.

1070Je n’ai pas de mots pour te remercier. Tout cela a été magnifique. Rien ne peut agir contre ces souvenirs que tu me laisses.

  • 262

    Cette phrase figure en épigraphe du poème « Réponse 4 », dans Depuis longtemps déjà (p. 83-84), av (…)

1071Garde-moi une place tout au fond de toi .

1072Je t’aime.

1073Alain

  • 263

    Photocopie (fonds privé Andrée Maillet et Lloyd Lyn Hobden) ; Lettres à Lucienne, p.202.

1074[Pointe-au-Père, le 30 septembre 1933]

  • 264

    Le Aurania, de la compagnie Cunard, est parti de Québec à destination de Plymouth et du Havre (L’É (…)

1075On Board the Cunard RMS Aurania

1076Lucienne,

1077Un mot à la hâte. Nous approchons le point du dernier courrier. Je veux que tu saches que je t’aime, et que je comprendrai tout, quoi que tu fasses.

1078Je te remercie de ton télégramme.

1079Je t’embrasse avec tout mon cœur, avec toute ma chair.

1080Je t’aime.

1081Alain

  • 265

    Autographe, 3 f. (21 x 27 cm), papier de marque « De Ruysscher Bond Paper », à la mine de plomb (A (…)

1082Marseille, le 15 [décembre] 33.

1083Mon cher ami,

  • 266

    Le 15 décembre 1933, Alain Grandbois s’embarque sur le D’Artagnan, à destination de l’Orient. « Le (…)

1084Je cingle, comme on dit en langue héroïque, ce soir pour Singapour . Je serai seul pour faire mes adieux à l’Europe. Je prendrai donc mes deux mains, je les secouerai, puis je me balancerai un mouchoir, et ayant versé un pleur ou deux, j’irai, délivré de cette traditionnelle corvée, boire un whisky au bar. Ainsi vont les choses, quand on est un petit garçon qui non seulement ne sait pas ce qu’il veut, mais aussi ce qu’il ne veut pas.

  • 267

    Norbert Morin fréquentait un des membres de la famille Burton, riche brasseur anglais qui séjourna (…)

1085J’ai vu Morin à Cannes. Il se porte comme un Dieu. Il habite le Carlton. Il bricole à droite et à gauche, s’occupe encore de liquider certains biens, retire des commissions sur la clientèle du bar, et fait des profits sur la vente de son vinaigre . Mais son projet le plus sûr me semble être une dame malheureuse en ménage, qui possède un vieux mari, et des rentes, paraît-il, des plus solides. Elle désirerait le divorce, mais votre ami n’y tient pas pour le moment car le vieux souffre d’une santé précaire, et en cas de mort, la veuve hériterait d’une fortune considérable. En tout cas, Morin est plus joyeux que jamais. Nous avons bringué ensemble et vu se lever deux ou trois aubes. Sa femme fait maintenant de la couture à New York, et les deux jeunes filles sont mannequins. — Elles savaient probablement trop ce qu’elles voulaient. — (Tout ceci entre nous, et surtout pas à qui vous savez.)

  • 268

    Marcel Dugas mentionnera le nom de cette personne dans un texte où il fait le récit de son départ (…)

1086Si vous avez quelque chose à me dire, ou si vous êtes tout simplement poli, écrivez-moi à la Légation, d’où Madame Boivin me fait parvenir mon courrier.

1087Enfin, au revoir, soyez bon, etc.

1088Je demeure votre très respectueusement dévoué, Monsieur.

1089Alain Grandbois

1090À propos de Madame Boivin, si elle avait quelques déboursés de timbres ou autres à faire, voulez-vous vous charger de la rembourser ? J’ai oublié de le lui demander.

  • 269

    Autographe, deux cartes postales (8,8 χ 13,8 cm) à l’encre noire (ACA, fonds Marcel Dugas). La pre (…)

1091Marcel Dugas

1092Légation du Canada

1093[31 mars 1934]

1094[Recto]

1095Voici la maison de M. Bouddha. Elle a 1400 ans. Et vous vous croyez vieux !

1096Un bordel cantonnais. On y chante, fume, et boit. On y fait aussi des petits trucs civilisateurs.

1097[Verso]

1098Mon cher Monsieur,

1099Vous êtes un petit saligaud. Et sans excuses, cette goujaterie dont vous faites montre à mon égard.

  • 270

    Nous n’avons trouvé aucune lettre de Grandbois à Dugas datée entre janvier et mars 1933. Dans une (…)

1100Quand je pense que vous taxiez les Canadiens de grossiers personnages parce qu’ils ne répondaient pas aux lettres reçues, vous me faites assez rigoler. En outre, je vous ai demandé des nouvelles de Gerda, vous saviez (ou deviez savoir) que j’y tenais, vous ne m’avez rien répondu .

  • 271

    Fondés en 1908, par Pujo et del Sarte, les « Camelots du roi », qui étaient en fait des vendeurs d (…)

1101Il est assez inutile de vous dire que vous pouvez encadrer ces cartes, car que les Chinois me pendent par les couilles jusqu’à ce que mort s’ensuive si jamais vous recevez un mot de moi. — Mais peut-être faites-vous la bagarre, quartier Latin, avec vos amis les Camelots . — En ce cas, vous seriez presque pardonné.

1102On voyage en Chine dans des trains bondés de soldats très bien équipés, mais pieds nus. Ils sont armés jusqu’aux dents, et vous crachent sur le bas de vos pantalons. Mais il ne faut pas se fâcher. Ni rire. Il faut ne rien voir. Les petits Chinois du <illisible> ne connaissent pas la chance qu’ils ont d’être traités comme ils le sont. Si jamais, à mon retour j’en rencontre un dans un coin sombre…

  • 272

    Sophie (Sonia ou Sofia, en polonais) Jablonska.

1103J’ai vu Sonia . Vous ne la reconnaîtriez plus. Nous avons beaucoup fumé (opium) ensemble. Je ne bois plus. De sorte que je peux vous emmerder sans défaillance.

1104Grandbois

  • 273

    Copie (par Simon Dupuis) d’une lettre insérée dans un livre de la bibliothèque d’Alain Grandbois.

1105Shanghai Le 28 avril 34.

1106Jade,

1107Très bien, la gosse. Je continuerai. Surtout, ni la pitié (la tienne), ni la rancœur (la mienne). La vie ne m’a enseigné qu’une chose : souffrir. Ç’aurait été miraculeux pour moi qu’il en fût autrement. Je ne croyais pas en toi, t’espérais. Mais le rêve nous supporte souvent plus loin que le toi. J’attendais un miracle qui n’est pas venu. Je ne t’en veux pas. Nous ne nous verrons jamais plus. Autrement, j’aurais tenté de te rendre heureuse. Je crois que j’y aurais réussi. Je suis plus près de toi que n’importe qui au monde. Cela je le sais. Je connais tes faiblesses, tes mensonges, tes manques, tes qualités. Tu n’as pas eu confiance. Tu n’as pas cru. Permets-moi, sans ironie, de te souhaiter tout le bonheur qu’une vie peut apporter. Jamais je ne t’oublierai. J’aimerai d’autres femmes ; il est possible que je les aime plus que je t’aurai aimée, mais je n’oublierai jamais que je t’ai aimée. Je ne te demande plus qu’une chose. Si un jour tu as besoin de moi, fais le sacrifice de ton orgueil, de ton amour-propre, demande à me voir. Je t’ai aimée trop pour que jamais ma dette vis-à-vis toi ne s’éteigne.

1108Alain

1109Adresse permanente : Légation canadienne

11101, rue François 1er, Paris

1111Et voici, Virgule, comment finissent les romans d’amour. Mais je t’aime pour toujours.

  • 274

    Autographe, 2 f. (15 x 10,4 cm) non paginés, au crayon noir (BNQ, 204/9/4).

111210 mai, Chine, 34.

1113Mon cher papa,

  • 275

    Henri Grandbois est né à Saint-Casimir de Portneuf, le 8 mai 1874.

  • 276

    Un court texte intitulé « Yang-Tsé » est daté du 4 mai 1934(BNQ,204/ 2/23) ; Revue d’histoire litt (…)

  • 277

    Grandbois se serait rendu à Canton vers la fin de février 1934 (ibid., p.60).

  • 278

    Grandbois racontera cette histoire au journaliste Marcel Hamel (La Nation, 30 avril 1936, p. 3).

1114C’est la première fois, depuis des années, que je ne vous ai pas télégraphié mes bons vœux d’anniversaire . Vous m’en excuserez, mais j’arrive de la partie la plus reculée de Chine, où il n’y a ni postes, ni télégraphes, et avant-hier, le 8, je redescendais le Haut fleuve à bord d’une jonque chinoise dans laquelle, d’heure en heure, on faisait brûler des papiers votifs pour écarter les mauvais dragons. C’est ainsi. Je suis allé jusqu’à Kia-T’ing, au pied des marches tibétaines. On ne peut pas aller plus loin. Je ne puis vous raconter ce que j’ai vu, cela prendrait des heures. Tout est étrange, énorme. Je viens de passer trois semaines sans voir un homme blanc, toujours ces jaunes (qui sont en cette saison tout nus) et cette atmosphère inexprimable d’être perdu parmi eux, de ne plus être soi. J’ai fait une semaine à dos de mulet, et deux à bord d’une jonque de douze rameurs, sur un confluent du Yang-Tsé. Il faisait une chaleur sans nom. Nous avons essuyé un soir des coups de feu d’une bande de pirates, et un de nos hommes, blessé, est tombé par-dessus bord. On ne l’a jamais revu. Ici, la vie ne compte pas. J’ai vu passer des dizaines de cadavres au fil de l’eau, gonflés, rongés. Personne ne s’en occupe. Dans cette région, communistes, soldats, bandits, c’est la même chose. J’ai fait deux jours de voyage avec un « général » qui portait une carabine, deux revolvers à sa ceinture, et qui marchait pieds nus. Ses quatre concubines le suivaient en chaise à porteurs. Il voulait m’en échanger une contre une paire de boutons de nacre que j’avais achetée à Canton . Je les lui ai donnés, sans exiger le don, ce qui m’a valu sa grande reconnaissance, et de pouvoir rentrer avec lui dans une ville dont les portes étaient fermées (c’est ici comme au Moyen-Âge) et de coucher chez le gouverneur, sur une natte où l’on fumait l’opium. On m’a dit ce matin : « Vous avez bien fait de refuser la concubine, on ne vous aurait jamais revu. » Voilà comment la vertu est récompensée, même en ce bas monde. (Mais je dois vous dire entre nous que la petite Chinoise — 15 ans — était bien jolie  !).

1115Je vous écris de Tchong-King, dans la province du Se-Tch’oan, sur le Haut-Yang-Tsé. Je suis à deux mille deux cents kilomètres de Shanghai. C’est une ville prodigieuse, de plus d’un million d’habitants. Il y a ici une centaine d’Européens. Ils vivent presque tous à la chinoise. J’ai été reçu à bras ouverts. Je prendrai dans trois jours un petit bateau pour retourner à Shanghai. J’y serai dans 9 ou 10 jours.

1116Voilà, en gros, les nouvelles. Ma santé n’est pas mauvaise. Je ne souffre plus de ma dysenterie. J’ai eu deux ou trois petits accès de paludisme, mais c’est normal, et la fièvre est ici moins maligne qu’en Indo-Chine.

  • 279

    Arrivé au Japon le 2 septembre 1934, Alain Grandbois s’embarquera le 5, à Yokohama, à destination (…)

1117Je n’ai rien reçu de vous depuis presque deux mois, et je suis inquiet. J’aurai mon courrier en arrivant à Shanghai. J’espère y trouver des nouvelles rassurantes. Ne soyez pas surtout inquiet à propos de moi. J’ai terminé la partie la plus risquée de mon voyage. Je ne crois pas pouvoir rentrer à Québec avant la fin de septembre .

1118Embrassez bien maman pour moi, et dites-lui que je n’oublie pas les 3 Ave. Et permettez-moi de vous souhaiter mes meilleurs et mes plus sincères vœux de bonheur.

1119Alain

1120Excusez la mauvaise écriture, je vous écris accroupi sur une natte, avec le papier sur mes genoux, et tout le monde autour de moi fume l’opium. (On fume cela comme chez nous les cigarettes, l’odeur est très agréable, mais étourdit. J’y ai goûté, ce n’est ni bon ni mauvais. Les fameux rêves sont des imaginations de romanciers).

  • 280

    Autographe, 1 f. (20,1 x 26 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (Université d’Ottawa, Centre de (…)

1121Pékin, juillet 34.

1122Monsieur Albert Laberge

1123Montréal.

1124Cher Monsieur Laberge,

  • 281

    L’article (La Presse, 16 décembre 1933, p. 29) ayant paru sans nom d’auteur, on peut penser que La (…)

  • 282

    Alain Grandbois est arrivé à Haiphong le 19 février 1934 : il serait donc allé à Hanoi le 20 ou le (…)

1125M’excuserez-vous si j’ai tant tardé à vous remercier de l’article que vous avez fait à propos de mon livre Né à Québec  ? Je me reproche ma négligence — d’autant plus que cet article a été le premier que j’ai reçu (mais il a pris du temps à me rejoindre, car je ne l’ai lu qu’à Hanoï, en janvier ) concernant mon travail, et ce que l’on pouvait en penser. Vous vous y montrez très indulgent, — et bien que je fasse la part des éloges que vous me faites, — je vous sais gré de m’avoir donné cette joie… Je vous connais un peu par Marcel Dugas, qui m’a très souvent parlé de vous. Mais j’espère avoir le plaisir de vous connaître un jour davantage.

1126Permettez-moi de vous remercier encore et veuillez me croire votre dévoué,

1127Alain Grandbois

  • 283

    Autographe, 3 f. (20,3 x 26,4 cm) non paginés, à l’encre bleue ; les deux premiers feuillets sont (…)

1128Pékin, 24 juillet 34.

  • 284

    Michelle Le Normand (1895-1964) est l’épouse de Léo-Paul Desrosiers (1896-1967), l’auteur de Nord- (…)

1129Madame M. Desrosiers

1130Ottawa.

1131Chère Madame,

1132Puis-je me permettre de vous dire que l’auteur de Nord-Sud est un homme bien heureux ? Je le vois plus que quiconque, car je partage avec lui l’horreur maladive de toute correspondance. Et je n’ai pas de femme, hélas, pour écrire mes lettres, de sorte qu’il m’arrive plus souvent qu’il ne faudrait de passer pour un monsieur d’une éducation assez douteuse. Mais je n’y puis rien.

  • 285

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre de Michelle Le Normand.

1133En revanche, j’aime recevoir le courrier quand il m’apporte des lettres aussi aimables que la vôtre . Ici je dois m’excuser du retard que j’apporte à vous répondre. Mais j’arrive du fond de la Chine, et le temps m’a vraiment manqué pour mettre enfin un semblant d’ordre dans ma correspondance.

  • 286

    Adresse des parents d’Alain Grandbois.

1134Il y a longtemps que je connais ce que vous faites, et puis-je me permettre de vous en féliciter, sans que cela paraisse trop vous renvoyer la balle, en l’occurrence, les choses aimables que vous avez eu l’indulgence de m’écrire ? [Mais ?] oui, et j’adorerais lire ce roman dont vous me parlez. Pouvez-vous me le faire parvenir, à 127 Grande-Allée, Québec  ? Je compte rentrer au pays vers le début d’octobre. (Mais diable, comme cela doit être difficile d’écrire pour les jeunes filles !).

1135La lecture de Nord-Sud, que j’ai faite il y a quelques années, m’a été une véritable révélation. C’est Marcel Dugas qui me l’avait apporté, une après-midi, à Saint-Jean-de-Luz. Et nous pouvions lire enfin des descriptions d’un paysage canadien qui ressemblait à lui-même, et non aux paysages de Tchéko-Slovaquie, de Pologne et du Venezuela, c’est-à-dire de partout ou de nulle part. Et sous ce rapport, nos écrivains ne nous ont guère gâtés. Mais comme ce n’est guère compromettant, ils continuent dans cette paisible et très sûre voie.

  • 287

    Louis Desrosiers était alors âgé d’une dizaine d’années.

1136Vous me dites vouloir faire de votre jeune fils Louis un intellectuel ! Mon Dieu, je ne suis guère compétent en la matière, mais si j’avais un fils, je tenterais plutôt d’en faire un champion de boxe, de ping-pong ou de n’importe quoi. Ces galères sont dorées. La nôtre me semble voguer sur une mer assez boueuse. Cependant, me sachant pessimiste, je tente toujours de me prouver à moi-même que j’ai tort.

1137Je vous remercie, Madame, de toute votre indulgence, et je vous prie de me croire.

1138Votre très dévoué,

1139Alain Grandbois

  • 288

    Autographe, 1 f. (20,9 x 26,9 cm) écrit recto verso au crayon, sur papier de marque « The Perfect (…)

1140Port-Cros, [fin janvier] 35.

  • 289

    Dans une entrevue qu’il accordera un an plus tard au journaliste Marcel Hamel, Alain Grandbois ann (…)

1141Oui, mon cher ami, je suis au vent, et j’en avais besoin. Ma petite santé se porte maintenant tout à fait bien. Si bien même que je songe ces jours-ci à aller faire une petite escapade à Cannes. J’y laisserai encore des plumes, mais je suis aujourd’hui résigné à tout. Je regrette terriblement la Chine. Aussi ai-je à peu près arrangé mes affaires pour y retourner avant l’hiver . Le pire est de m’arranger pour vivre d’ici ce temps-là. La chance au baccara ne m’a guère souri. Enfin…

1142Je vous remercie pour l’envoi des journaux. Ce sont les seuls que j’ai lus depuis trois semaines. Comme ils dataient pour la plupart de cette année dont nous avons ensemble franchi le cap (et de façon si fastueuse, si vous vous rappelez bien), je dois vous avouer que je ne suis guère au courant des actualités. Je ne m’en porte pas du tout plus mal.

  • 290

    Probablement l’Association internationale des écrivains de langue française, dont Pierre Dupuy dev (…)

  • 291

    L’ouvrage, publié en 1919 chez l’éditeur F. Alcan à Paris, ne figure pas dans l’inventaire de la b (…)

1143Vous trouverez ci-inclus 50 francs. Voulez-vous avoir l’obligeance d’en remettre 20 à P. Dupuy pour son Association (et le remercier) et l’amabilité de m’envoyer un bouquin qui s’intitule La fin des Mandchous , qui a été fabriqué par un certain M. Jean Rodes, et qui a été publié chez Alcan.

1144Je respecte votre réserve ; je ne vous parle pas de vous. Que les Dieux vous bénissent.

1145Alain G.

  • 292

    Autographe, 1 f. (19,1 x 30,3 cm), écrit recto verso au crayon ; daté « 1936 » par une autre main (…)

1146[Londres] Mardi, le 23 [juin 1936]

1147Mon cher ami,

  • 293

    Allusion à la revue Vivre, dont la direction affiche ses positions contre les influences de « l’Em (…)

  • 294

    « Salve almaparens » de Marcel Dugas, dont Grandbois lira un extrait lors d’une émission de l’Empi (…)

1148La « British Broadcast Corporation » m’a demandé de réciter, le 7 juillet prochain, des poèmes canadiens. J’ai accepté sous la réserve que je ferais moi-même le choix des poèmes. Cette émission, qui est une émission de l’Empire (L’Empâââre, comme diraient nos jeunes nationalistes canadiens ), atteint dix millions de personnes. Nos tirages n’atteindront jamais cela. Mais il me faut fournir le programme complet samedi le 27 au plus tard. J’aimerais lire ce poème de vous que j’aime tant, et que vous avez orné d’un titre latin . Pouvez-vous me faire parvenir le bouquin en question avant cette date ? Adressez-le moi par avion — imprimé, ça coûtera moins cher — aussi, par le même moyen, un livre (de poèmes) de Choquette. Je vous les renverrai. Tout ceci, naturellement, si cela peut vous intéresser.

1149Je vous demanderais également de me faire parvenir les résultats du tirage du Sweepstake, Prix de Consolation, etc. J’ai des billets et pour une fois peut-être sont-ils porteurs de chance.

  • 295

    Allusion à l’expression « L’Aurore aux doigts de roses » (Homère, Odyssée, chant XXIII).

1150Il fait très beau et très chaud à Londres. Je n’ai encore rien trouvé dans le Devon qui pût me convenir. J’ai fait la semaine dernière une randonnée dans le Sussex avec des résultats négatifs. Je mène une vie d’ange, mais d’ange éveillé. Il est rare que je ne me couche avant l’aurore — ses doigts sont plutôt gris ici — et toujours sans alcool. N’est-ce point merveilleux ? C’est d’ailleurs uniquement vertu d’obligation.

1151Je vous serre les mains.

1152Alain Grandbois

  • 296

    Voir supra, p.565, n. 2.

1153P.S. Je vous ferai savoir l’heure de l’émission, de sorte que vous pourrez entendre ma voix enchanteresse. N’en dites rien à Sim. R. elle pourrait être vexée que je ne fasse pas appel à l’Immortel Adolescent .

1154A.

1155Canada House

1156Trafalgar Square, London.

  • 297

    Autographe, 1 f. (20,9 x 26,8 cm), papier velin de marque « Dualis, Paris France », écrit recto ve (…)

1157Port-Cros, Janvier [1937].

1158Mon cher ami,

  • 298

    Probablement Norbert Morin.

1159J’ai un service à vous demander, et d’argent. Pouvez-vous, — si cela vous gêne en quoi que ce soit, ne le faites pas, je puis m’arranger autrement — disposer d’un billet de mille francs, le plier en deux, le glisser sous enveloppe recommandée, et me l’adresser ? C’est du tapage, mais pas classique. La vérité est que j’ai de l’argent au Canada, mais que je préfère attendre un peu pour le réclamer — environ un mois — de sorte que je ferai figure de garçon très sage. Mais je vous répète de n’en rien faire si vous vous trouvez « de court », et ne considérez pas cette demande comme un S.O.S. — À propos d’S.O.S. notre ami N. m’inquiète. J’ai reçu deux télégrammes de lui depuis trois semaines « besoin urgent argent ». Je lui ai envoyé ce qu’il demandait, je ne le ferai plus parce que je ne le peux plus.

  • 299

    Voir infra, p.716, n. 4.

  • 300

    Jules Renard écrit plutôt : « Je ne crois pas qu’elle se soit jetée dans le puits. Elle est allée (…)

1160Nous avons ici en ce moment un temps effroyable, les dieux sont déchaînés, on rêve par certaines nuits d’îles qui s’engloutissent, d’astres qui tombent à pic, d’une pulvérisation soudaine et définitive. Ça ne manque pas de charmes. Je suis continent, mélancolique et rageur. J’achève mes Chinois . J’en suis dégoûté pour la vie. La littérature gâte tout. Je viens de lire le Journal de Stendhal (c’est d’une fraîcheur, d’un cynisme ingénu qui enchantent), celui d’Amiel, émouvant au-delà du possible, et celui de Renard, qui révolte. C’est un cul, un petit cul ambitieux, spirituel, vaniteux, acide. Il raconte la mort de sa mère, qui se jette dans un puits. C’est ignoble .

1161Je compte retourner à Paris fin mars ou début avril, où je m’installerai pour quelques mois. Je travaille très peu et très difficilement. J’écris beaucoup de poèmes, mais ça n’est pas du travail. À part cela, je me porte assez bien.

1162Je n’ai aucune nouvelle du Canada. Que s’y passe-t-il ? Renseignez-moi, vous qui êtes de toutes les festivités officielles.

1163Alain Grandbois

  • 301

    « Et vous en souvenez-vous, Grandbois, au quai d’Anjou, une fenêtre s’ouvrait, de cette voix d’or, (…)

1164P.S. Je pense souvent à votre amie qui vient de mourir, et de qui je n’ai connu que la voix d’or, un soir . La vie est extraordinaire. Il me semble que je saurais reconnaître son visage entre mille autres.

  • 302

    Autographe, 2 f. (25,3 x 20,2 cm), écrit recto verso au crayon (ACA, fonds Marcel Dugas).

1165Lundi, 1er mars [1937] [Port-Cros]

1166Mon cher ami,

1167Vous êtes un drôle de type. Vous croyez en Dieu, et parce que je vous entretiens de démons vous semblez manifester à mon égard de graves inquiétudes — sympathiques d’ailleurs — concernant l’équilibre de ma raison. Pourquoi tenterais-je de vous rassurer ?Je ne sais si je crois en Dieu, mais si je commence à percevoir l’existence des démons — non, non, je ne vous fais pas le coup de la conversion, que vous connaissez trop bien ! — des démons, Belzébuth, Lucifer, quoi ! Vous tremblez, vous me voyez donner du chef sur les murs matelassés d’un cabanon. On trouvait pourtant et partout le diable dans ce petit catéchisme que vous avez appris et oublié — un petit diable souple et rouge qui savait jouer merveilleusement avec le feu et dont l’image ravissait ma tendre enfance alors que Dieu-le-Père-à-la-Barbe-Blanche me laissait — et jusqu’à aujourd’hui — extraordinairement indifférent. Est-il donc si incompréhensible, si hors de la logique, si contre toute raison que ma solitude soit envahie parfois par ces images autrefois familières et amusantes qui, dans l’âge et à la suite des événements, prennent maintenant corps et âme et menacent et jouent le jeu d’un feu terrible qui n’est plus du tout merveilleux ! Vous me dites que vous devriez comprendre, ou sentir. Je m’explique sans doute bien mal. Et puis comment expliquer ces choses ! Vos démons ne sont pas les miens.

  • 303

    La coïncidence du couronnement de Georges VI avec le centenaire du soulèvement des Patriotes donne (…)

  • 304

    « Qui n’occupe pas de position dans le gouvernement n’en discute pas la politique » (Les Entretien (…)

  • 305

    « Lao-Tzeu disait :“Rendez le bien pour le mal.” Alors Confucius s’écriait : “Que rendrez-vous pou (…)

1168N’ajoutez pas trop d’importance au mouvement séparatiste de vos jeunes amis, ce sont de petits ambitieux que leur ambition noie. Ils s’agitent énormément pour des choses qu’ils ne comprennent guère, ils sont prêts à tout sauf au risque, à la franchise et à l’étude sérieuse de leur métier respectif. Je lis de Confucius le Sage (il valait après tout l’Abbé Groulx) : « Celui qui n’a pas d’office dans le gouvernement n’a point à y voir, ni à juger les plans de ce gouvernement . » Repassez la maxime, à l’occasion, à vos jeunes ardents. Plus loin, un entretien que je reproduis dans mon travail sur la Chine, d’une morale plus générale, avec un autre sage, Lao-tseu (que d’érudition !). Lao-tseu disait : « Rendez le bien pour le mal. » À quoi Confucius répondit : « Que rendrez-vous pour le bien ? ». Il ajoutait plus tard : « Rendez le bien pour le bien, et la justice pour l’injustice . »

1169À propos de mon travail, je voudrais bien hélas en être rendu au point du fignolage. Il me reste plus de cent pages à écrire. Je tenterai de le faire avant de regagner Paris. Car Paris est un endroit épatant pour le fignolage.

1170Je comprends « l’âpre vertu » de l’économie. Mais vous, ô homme, croyez-vous vraiment qu’il soit suffisant de comprendre la vertu pour la pratiquer ?

1171Je ne sais quand je rentrerai à Paris. Probablement pas avant les premiers jours d’avril. J’attends mon argent d’ici une dizaine de jours. Je vous ferai parvenir immédiatement ces mille francs que je vous dois, et pour lesquels je vous remercie.

1172Sans tomber moi-même dans un sentimentalisme exagéré, je puis ajouter que j’aurai un réel plaisir à vous revoir.

  • 306

    Allusion au personnage de l’apothicaire Homais dans Madame Bovary, qui se révèle un ambitieux sans (…)

  • 307

    De 1907 à 1910, Marcel Dugas a collaboré au Nationaliste, journal fondé par Henri Bourassa en 1904 (…)

  • 308

    Peut-être Paul Dumas, Pierre Dansereau et André Laurendeau, qui séjournent alors à Paris (1936-193 (…)

1173Soignez-vous. Méfiez-vous des Homais patriotards . Et souvenez-vous de l’aventure de Bourassa, à laquelle vous participâtes . Le moins que je puisse dire est qu’elle était plus sérieuse que celle qu’ils croient vivre en ce moment.

1174Bien à vous,

1175A. G.

  • 309

    Autographe, 1 f. (20,9 x 26,7 cm), papier velin de marque « Dualis, Paris France », écrit recto ve (…)

1176Port-Cros, le 23 [mars] 37.

1177Mon cher ami,

  • 310

    Grandbois a habité au 21 rue Racine en 1933. Une lettre de Claudie Balyne, datée du 14 septembre 1 (…)

1178Je ne m’inquiétais pas, ni ne m’énervais, mais je craignais simplement de vous avoir gêné. Mais j’ai reçu l’argent demandé, et je m’empresse, en vous remerciant encore une fois, de vous faire parvenir ce que je vous dois. Et puisque l’on ne rend jamais service sans le risque d’être au moins une seconde fois mis à contribution, voici : si vos promenades dans le quartier latin vous entraînent du côté de la rue Racine, faites-moi le plaisir d’entrer dans cette maison à appartements que j’habitais naguère , et demander si le studio que j’occupais serait libre pour le glorieux mois de mai, et à quel prix. Cette subtile enquête étant faite, veuillez, avec tout l’art que l’on vous connaît, m’en communiquer les résultats.

1179Vous vous exprimez dans vos lettres comme un bouillant fasciste. Que se passe-t-il ? Votre foi socialiste vacille-t-elle, et commencez-vous à brûler vos idoles ?

  • 311

    De janvier à mars 1937, Grandbois séjourne à Port-Cros.

  • 312

    Voir supra, p. 205, et infra, p. 716, n. 4.

1180Mon rocher se tient toujours ferme et droit au-dessus de la mer, et je me tiens toujours ferme et droit sur le rocher. (Ferme et droit, mais surtout couché.) Mes Chinois n’avancent plus d’une semelle . Pour le reste, tout va très bien.

1181À vous,

1182Alain G.

  • 313

    Autographe, 1 f. (20,8 x 27 cm), papier velin de marque « Dualis, Paris France », écrit recto vers (…)

  • 314

    Grandbois habite alors à l’hôtel des Dunes.

1183[Dinard , le 13 avril 1938]

1184Mon cher ami, comme vous êtes bizarre. Malgré vos travers, votre distraction, vos éparpillements, vous êtes un de ces garçons avec qui l’on peut établir des relations d’amitié s’échelonnant le long d’une vie. On vous retrouve, plus ou moins intact, aux tournants de l’existence, vous irritez et il semble que vous y apportiez une sorte de complaisance, mais on vous retrouve et c’est l’essentiel. Cependant ce rôle de Narcisse douloureux que vous vous jouez à vous-même, qui vous torture, et qui vous est devenu indispensable, ne croyez-vous pas qu’il vous empêche, souvent, de voir chez vos amis ce qu’ils peuvent porter en eux de désenchantement, de peine secrète. Ce drame de l’âge, de la solitude, de la démence des hommes, de cette épouvantable poussée vers les ténèbres, ne croyez pas que vous êtes seul à le vivre. Des milliers d’êtres en souffrent, chez qui la sensibilité est aussi vive, aussi aiguë que chez vous.

1185La bière, la bière ! Mais il y a ici le soleil, le vent, la mer, et des fleurs, et des arbres. Ça vous fait rire, mais je vous affirme que la pensée même de boire un verre d’alcool ne nous vient pas à l’esprit. Je n’ai pas bu depuis Paris, et je déteste Paris parce qu’il ne me rappelle que des souvenirs d’alcool. Je vis ici comme à Port-Cros — mais je préfère Port-Cros — sans besoins de coups de fouet, de stimulant.

1186Ça n’empêche pas d’être malade.

  • 315

    Voir la lettre du 31 mars 1934 à Marcel Dugas, supra, p.197..

1187Soyez bon. Écrivez. Supprimez les ifs. Ne sombrez point dans des colères indignes de vous. Et jouissez du printemps. (Souvenez-vous de celui de 33, c’était le temps de Gerda et nous allions nous asseoir au Luxembourg et sa jeunesse nous enchantait.)

1188Alain Grandbois

  • 316

    François Mauriac, Plongées, Paris, Grasset, 1938.

  • 317

    Georges Duhamel (1884-1966) a publié, de 1920 à 1932, un cycle romanesque intitulé Vie et aventure (…)

  • 318

    François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, Paris, Grasset, 1927.

1189P.S. Je viens de lire Plongées de Mauriac et cela m’a beaucoup déçu. Le Salavin de Duhamel est mort à temps. Mauriac étire un peu trop sa Thérèse . Il ratiocine sur des fonds de tiroirs. Son atmosphère de péché, d’inquiétude, franchement, elle m’emmerde.

  • 319

    Autographe, 1 f. (13,8 x 21,4 cm), papier de marque « Howard Smith Progress, Made in Canada », écr (…)

1190[Deschambault, début avril 1941]

1191Mon cher ami.

  • 320

    Jean Bruchési (1901-1979) a enseigné l’histoire et les sciences politiques à l’Université de Montr (…)

  • 321

    Dans la même lettre, Dugas écrit : « Je vous divulgue aussi que le Secrétariat de la Province a pr (…)

1192J’ai écrit à Bruchési . Je le verrai aussi dans le temps des Saintes Pâques, et je lui reparlerai de cette affaire. Je ne vous trouve pas naïf, mais affligé d’un mal autrement grave, qui est de croire à la justice et au bon sens des gouvernements. La petite S. R. réussit parce qu’elle poursuit avec ténacité les petites intrigues qu’elle pratique depuis toujours.

1193Je vous remercie de votre livre. Il est très bien fait, et fort intéressant, et écrit dans une langue qui fait plaisir à lire. Voilà encore une autre faute ! —

  • 322

    « Je veux vous dire que je songe à vous, à votre santé, au travail que vous aviez promis de termin (…)

1194Je vous envoie Né à Québec. Je termine cette semaine mon travail sur Marco Polo . C’est assez médiocre. Mais il ne faut pas le dire, les gens ne s’en apercevront peut-être pas.

  • 323

    Dans sa lettre du 29 mars 1941, Dugas demandait à Grandbois « l’adresse de [sa sœur Madeleine et s (…)

1195Les Pierre de Varennes habitent le Château Saint-Louis, à Québec.

1196Je vais bien. Les malheurs, dit-on, trempent l’âme. Je puise dans cette noble pensée mes plus fortes consolations.

1197À bientôt je l’espère,

1198Alain Grandbois

  • 324

    Autographe, 2 f. (11,3 x 14 cm) non paginés, carton, écrits recto verso à l’encre noire (fonds pri (…)

1199Baie Saint-Paul [août 1941]

  • 325

    Serge Brousseau (né en 1905) est vice-président des Éditions Bernard Valiquette. En 1944, il fonde (…)

1200Mon cher Serge ,

1201Vous m’excuserez de ne pas vous avoir répondu plus tôt, j’ai été souffrant — non, pas la malaria, mais une sale sinusite — toutes ces dernières semaines. Ce que vous me suggérez à propos de la prestigieuse commande que m’a faite le non moins prestigieux Gouvernement du Québec me paraît fort raisonnable, et je vous adresserai le chèque, avec mon endossement, dès que je l’aurai reçu. Quant aux « notes biographiques », je n’ai pas encore eu le courage de les dresser. Je dois vous avouer qu’il me répugne un peu de le faire. Mais je me déciderai ces jours-ci, et je vous les enverrai. Dites à Bernard que je regrette de n’avoir pu le voir lors de son passage à Québec, mais que je compte passer bientôt par Montréal, et nous pourrons bavarder tout à l’aise.

1202Les froids reviennent, mon cher Serge. Regrettons en chœur les Tropiques, c’est tout ce que nous pouvons faire pour le moment !

1203Amicalement vôtre,

1204Alain Grandbois

  • 326

    Autographe, 1 f. (21,5 x 27,8 cm), écrit recto verso à l’encre noire (BNC, fonds Guy Sylvestre).

1205Québec, le 9 nov. 41.

1206Monsieur Guy Sylvestre

1207Ottawa.

1208Cher Monsieur,

  • 327

    Guy Sylvestre, « Les Voyages de Marco Polo », Le Droit, 27 septembre 1941, p. 16.

  • 328

    « Un Alain Grandbois — qui a visité l’Orient — peut très bien écrire un Marco Polo, parce qu’il sa (…)

  • 329

    Né à Québec a paru chez Messein, à Paris, en 1933. « […] il m’est arrivé, dira Grandbois, d’écri (…)

  • 330

    Allusion à la fable de Jean de La Fontaine, « Le meunier, son fils et l’âne » (Fables, livre trois (…)

1209Permettez-moi de vous remercier très vivement pour l’article très intelligent, et très compréhensif, que vous avez bien voulu me consacrer dans votre page littéraire du Droit . Il est bien entendu que je fais la part des louanges que vous avez eu la gentillesse de m’accorder. Je ne suis pas né vaniteux. Mais j’aime surtout que vous ayez noté — et c’est là, je crois, un point très important — qu’un écrivain canadien-français ne soit pas forcé exclusivement, sous le prétexte d’un fallacieux patriotisme, de décrire ad mortem des bœufs, des sapins, la Gatineau, le Saint-Laurent, le dégel, l’amour du sol, l’hirondelle, le rossignol qui n’existe pas, et les affres du jeune paysan qui veut émigrer aux « States ». (Qu’il émigre, mon Dieu, qu’il émigre si ça lui chante !) Ces choses-là sont excellentes . Mais il y a aussi autre chose ! À propos de Marco Polo — et comme vos remarques étaient pertinentes ! — j’ai reçu plusieurs lettres dans lesquelles on me blâmait de ne pas avoir traité un sujet canadien. Il y a quelques années, à Paris, j’ai publié un livre canadien . On m’écrivit à cette époque que, ayant le privilège de vivre en France, il était pour le moins bizarre que je choisisse un sujet canadien alors que tant d’écrivains du pays, qui n’avaient pas, eux, l’avantage de voyager, devaient se contenter de décrire ce qu’ils voyaient, etc., etc. Pour un peu, on m’accusait de leur enlever le pain de la bouche ! La Fontaine nous a appris que l’on ne peut satisfaire tout le monde et son père .

1210Je vous remercie encore une fois, et veuillez me croire votre très dévoué,

1211Alain Grandbois

  • 331

    Guy Sylvestre a été critique littéraire au journal Le Droit d’Ottawa, de 1940 à 1948.

  • 332

    Guy Sylvestre a réalisé une entrevue avec Clément Marchand, publiée sous le titre « Une heure avec (…)

1212P.S. Puis-je vous dire que votre page du Droit est très bien faite ? Et vous le dire sans que vous m’accusiez de flatterie. (Car ça n’est guère mon genre.) Elle m’a appris l’existence d’un vrai poète, Marchand . Et d’un bon critique. Son nom, je vous le donne en mille.

1213G.

  • 333

    Autographe, 1 f. (11,4 x 14 cm), écrit recto verso à l’encre noire (CRLG, fonds Roger Duhamel).

1214Montréal, le 15 janvier 1942.

1215Cher M. Duhamel,

  • 334

    Roger Duhamel, « Les Voyages de Marco Polo par Alain Grandbois », Le Canada, 23 août 1941, p. 2. R (…)

  • 335

    Le jury qui a décerné le prix David (800 $) à l’ouvrage de Grandbois était composé de R.-A. Benoît (…)

  • 336

    Dans une lettre à Victor Barbeau, du 17 avril 1941, Marcel Dugas écrivait, à propos du prix David (…)

1216Permettez-moi de vous remercier très vivement — et je m’excuse de ne pas l’avoir fait plus tôt — de l’article si généreux, et si compréhensif, que vous avez bien voulu accorder à Marco Polo, l’été dernier, dans vos colonnes du Canada . (Il va de soi que je fais la part des louanges que vous aviez l’amabilité de m’y adresser, mais elles m’ont fait plaisir, quoique je ne sois pas né vaniteux !) Mais je suis sûr que votre chronique n’a pas été étrangère à la décision subséquente du jury du Prix David , ce dont je vous suis fort reconnaissant, quand ce ne serait que pour des motifs d’ordre matériel . Car il faut aussi manger.

1217Merci encore. Et veuillez croire à ma gratitude. Et que l’année nouvelle vous apporte toutes les joies.

1218Alain Grandbois

  • 337

    Photocopie (Archives du Musée du Québec, fonds Gérard Morisset). Essayiste et historien de l’art, (…)

1219Montréal, mardi [8 septembre] 1942.

1220Mon cher Gérard,

  • 338

    Philippe La Ferrière (1891-1971), qui, après avoir été journaliste au Nouvelliste de Trois-Rivière (…)

  • 339

    On trouve dans le fonds Grandbois (BNQ, 204/1/12) un texte (dactylographie, 7 f.) daté du 19 octob (…)

1221Phil t’avait dit que je devais te faire parvenir le dossier Fraser la semaine dernière. Mais j’ai été souffrant, et je me rétablis à peine d’une crise de rhumatisme qui m’a tenu éloigné de toute activité, si j’en excepte cependant certains mouvements de l’esprit fort naturels, mais très inutiles, qui me portaient à blâmer en termes crus l’attitude des dieux qui règlent nos destins. — La crise est terminée, le travail promis le sera également dans quelques jours, et tu le recevras sans aucun doute avec une joie délirante. Je t’en préviens amicalement, car à nos âges, tous les chocs, de nature heureuse ou malchanceuse, risquent d’être fatals !

1222Il se passe peu de nouveau à Montréal. (Enfin que je sache.) Phil, pour des raisons extrêmement intimes que tu n’es pas sans connaître, joue au pendule, et se promène alternativement de l’optimisme le plus aigu au plus sombre désespoir. Je me suis permis de lui conseiller de ne pas cultiver un complexe faustien, — Ah, ce Docteur — lequel peut être aussi nocif que ce complexe bien connu d’un autre Dr. du nom de Freud, de se coucher sagement en pensant qu’il n’a pas atteint l’âge des Patriarches, de cultiver la petite sans heurts, et de s’alimenter sainement. Il m’a regardé comme si j’étais un habitant de la planète Mars, je n’en ai pas été autrement surpris, je sais l’inutilité des conseils. Enfin… Mais Phil souffre d’avoir trop d’imagination.

  • 340

    Après avoir été directeur et rédacteur du journal Le Canada, de 1940 à 1942, Roger Duhamel est réd (…)

  • 341

    Edmond Turcotte est alors le rédacteur en chef du journal Le Canada, fondé en 1936.

  • 342

    Willie Chevalier (1911-1991) quitte son poste d’attaché spécial au cabinet du premier ministre Adé (…)

1223Tu sais sans doute que Roger Duhamel vient de quitter le Canada pour le Devoir . Edmond T. a avalé galamment la pilule, mais il a dû la trouver amère. Deux jours plus tard, le Chevalier Guillaume annonçait son prochain départ pour Londres, où la B.B.C. venait de lui offrir une situation, qu’il a acceptée. Cette seconde pilule n’était pas moins amère. Au téléphone, Edmond m’a dit : « Je ne sais plus où donner de la tête, je vis sur mes nerfs, je ne me soutiens plus qu’avec du Scotch. » Or, E. est un type qui n’a jamais commis d’excès dans ce sens-là. Je lui ai répondu posément (car je suis un donneur de conseils, que je n’applique jamais pour moi-même, hélas) qu’un homme seul pouvait à la rigueur chercher quelque soutien, pour un certain temps, dans quelques bouteilles de Scotch, mais que la partie n’était pas égale, car le certain temps passe, et l’habitude est prise, et que les bouteilles sont trop nombreuses et qu’elles finissent toujours par avoir raison de soi, surtout au moment où l’on commence à perdre sa propre raison. — Mon argument n’a pas semblé l’impressionner outre mesure.

  • 343

    Nous n’avons pu identifier cette personne.

  • 344

    René-Philippe Landry, cousin de Marguerite Rousseau.

1224Fais mes hommages à Jacqueline . Si tu vois le major René (mais je fais peut-être une gaffe, il doit être maintenant colonel) porte lui mes amitiés.

1225Sois doux et patient. Et crois en mon amitié.

1226Alain Grandbois

  • 345

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1227Dorion-Vaudreuil. [4janvier 1943]

1228Mon cher Jacques,

  • 346

    Jacques Rousseau, « Le Dr. J. A Crevier, médecin et naturaliste, 1824-1889 », dans Annales de l’AC (…)

  • 347

    Jacques Rousseau, Notions élémentaires de génétique, « Bulletin du Jardin botanique de Montréal », (…)

  • 348

    Jacques Rousseau a été élu à la Société royale du Canada le 28 mai 1942.

1229C’est en trois temps, et bien marqués, comme dans les tragédies grecques. D’abord, je te remercie très sincèrement de l’envoi de tes livres. Je dois t’avouer que certains d’entre eux ne sont pas sans m’effarer, car je n’ai aucune culture scientifique. Mais j’ai goûté avec le plus vif plaisir certaines parties (car toutes ne me sont pas accessibles) de la Botanique canadienne et de ta biographie du docteur Crevier . Je ne te parlerai pas, bien que tu les proclames élémentaires, de tes notions de génétique , qui sont pour moi du plus pur sanscrit. (Car enfin, comment veux-tu que je sache ce que sont des gamètes ?) Ensuite, je t’apporte mes plus sincères félicitations au sujet de ta nomination à la Société Royale . Cela fait doublement plaisir parce que tu mérites cet honneur plus qu’aucun.

  • 349

    Madeleine Aquin, qui a épousé Jacques Rousseau, le 17 juillet 1934.

1230Enfin, permettez-moi de vous apporter, à ta femme et à toi, mes meilleurs vœux de bonheur et de succès pour l’année qui commence.

1231Merci encore.

1232Amicalement,

1233Alain Grandbois

  • 350

    Autographe, 1 f. (8,1 x 13 cm), écrit recto verso à l’encre noire ; daté par Marcel Dugas (АСА, fo (…)

1234Vendredi [19 février 1943].

1235[Dorion-Vaudreuil]

1236Mon cher ami,

  • 351

    Nous n’avons pas retrouvé ces deux lettres de Marcel Dugas à Marguerite Rousseau.

  • 352

    Jean-Marie Nadeau (1907-1960), avocat et ancien journaliste, compagnon d’Olivar Asselin, puis réda (…)

1237Les deux lettres que vous avez écrites à Marg. nous ont, pourquoi ne pas le dire, assez étonné. M., je crois, vous avait répondu, et remercié. Et en plaisantant ! « Mon silence » n’est dû qu’à une inclination naturelle, que vous connaissez trop bien, qui me porte à remettre au lendemain ce que je devrais accomplir le jour même. Et aussi, à mes ennuis du moment. Je vis depuis quinze jours sans domicile réel. À Dorion-Vaudreuil, tous mes bagages sont faits, mais je n’ai encore rien trouvé à Montréal. De sorte que je passe mon temps dans les gares, ou chez des amis, ou à la recherche d’une chambre, ou même à Saint-Sulpice, que dirige Nadeau avec une inflexibilité qui n’a rien à voir avec les idées révolutionnaires dont il faisait montre, il y a dix ans, à Paris. Ces idées révolutionnaires n’étaient que des idées réactionnaires… Enfin !

  • 353

    Marcel Dugas, Approches, Québec, Éditions du Chien d’Or, 1942, 113 p. Dugas y consacre un texte à (…)

  • 354

    « La personnalité de M. Grandbois, qui n’est pas ce qu’on peut appeler commode, a créé dans tous l (…)

  • 355

    « Cet enfant [Né à Québec] fut baptisé à Montparnasse, à la Coupole, si ma mémoire est bien exacte (…)

  • 356

    « Elles [les raisons qui peuvent expliquer la mort] sont au-dessus de l’affreux carnage [la Second (…)

1238Vous avez fait un livre extrêmement souple, et nuancé, et dont je goûte beaucoup la langue et aussi cette fantaisie que vous semblez vouloir me nier. J’ai beaucoup aimé ce que vous dites de moi en général. (Soyez assuré que je fais la part des compliments !) Mais j’ai infiniment apprécié que vous disiez de moi que ma « personnalité » n’est guère commode . Vous n’auriez pu me faire davantage plaisir. (Une restriction : le sein de la belle et blonde amie va scandaliser tous nos grands-prêtres canadassiens. Ce n’est point nous, mon cher et vieil ami, qui manquons de fantaisie, mais c’est le public que votre livre est susceptible d’atteindre.) J’ajoute que la dernière phrase de votre avant-propos est une des plus belles choses littéraires que j’ai jamais lues. Vous avez là deux images extraordinaires de vérité et de poésie.

1239Je vous remercie. Et cessez de toujours soupçonner la loyauté de mon amitié.

1240Alain G.

  • 357

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1241Montréal, le 17 février 1944

12421452 Union.

1243M. Victor Barbeau

1244Montréal.

1245Mon cher Barbeau,

  • 358

    « N’attendons pas que ses veines se vident », qui paraîtra dans le Bulletin des études françaises (…)

1246Il est difficile de parler de la France en vingt lignes. Surtout dans les circonstances actuelles. Il faudrait des pages et des pages, ou ne rien dire. Mais pour que vous ne croyiez pas trop à une mauvaise volonté trop soutenue de ma part, je vous adresse ce « topo  », qui dépasse légèrement les limites imposées, et que je soupçonne d’ailleurs, sans y rien connaître, assez mauvais comme publicité. — S’il peut vous servir, tant mieux !

1247Je me fais de plus en plus ours. Je deviens dégoûté de tout. (Et de moi-même.) Vive la caverne ! Mais il n’y a plus de cavernes. Et les peaux de bêtes ne se trouvent plus qu’à New York, sur la cinquième, et tous les tomahawks reposent dans les musées, et les dernières viandes crues sont rationnées. Et il faut continuer de vivre. (Mais de fait, pourquoi le faut-il ?).

1248Bien amicalement,

1249Alain Grandbois

  • 359

    Autographe,2 f. (21,5 x 28cm), àl’encrenoire, non paginé. Enveloppe : « Monsieur Émile-Charles Ham (…)

1250[15] Juin 1944.

1251M. Émile-Charles Hamel Montréal

1252Mon cher Hamel,

  • 360

    Émile-Charles Hamel, « Une œuvre de beauté : les Îles de la nuit », Le Canada, 5 juin 1944, p. 5. (…)

1253Permettez-moi de vous remercier très sincèrement de la chronique que vous avez bien voulu consacrer aux îles d l n dans le Canada de l’autre lundi. — Il y a là cependant un point qui ne laisse pas de me gêner. Comment diable puis-je vous féliciter d’un travail dans lequel vous me témoignez tant de sympathie, et qui renferme des louanges aussi flatteuses ? Ce serait m’applaudir moi-même, ce qui n’est ni dans mon caractère, ni dans mes goûts. Cependant, cette part du feu étant faite, je dois très naïvement vous avouer que vous m’avez donné le plus grand plaisir. Un plaisir qui ne tient pas de la vanité, je vous le répète, mais de la réalité d’une voix extérieure qui semble comprendre et approuver — ou tout au moins ne pas condamner. Car vous savez aussi bien que moi que nous souffrons tous, à des degrés divers, de cette inquiétude indéracinable que les gentils psychiatres de notre époque exploitent sous le terme très bien connu de complexe d’infériorité. (Freud avait sans doute du génie, mais il ne s’est jamais douté du massacre qu’il allait provoquer dans la langue française !)

1254Donc, merci encore, et soyez assuré de ma gratitude,

1255Alain Grandbois

  • 361

    Autographe, 3 f. (13,8 x 21,5 cm) paginés 1-3, au crayon. Enveloppe : « Madame Henri Grandbois, 12 (…)

1256Mercredi [12 juillet 1944]

1257Ma chère maman,

  • 362

    Jusqu’en 1922, Philomène Noreau a été gouvernante chez la famille Grandbois à Saint-Casimir (archi (…)

  • 363

    Grandbois travaille alors à certaines nouvelles d’Avant le chaos, qui paraîtra l’année suivante (v (…)

1258Je suis installé à « Belœil ». Je dis installé, mais c’est une façon de parler, car tout est un peu primitif. Ma chambre est de la grandeur de celle de Philomène à Saint-Casimir. De sorte que les grandes réceptions n’achèveront pas de me ruiner ! La nourriture est convenable, sans plus. C’est le petit hôtel canadien dans un petit village canadien. Belœil me fait beaucoup penser à Saint-Casimir, en plus joli parce que la rivière est plus belle. Je pense qu’ici je pourrai bien travailler . Mais je n’y voudrais pas passer mon existence.

  • 364

    En 1945, Madeleine Grandbois publiera chez Lucien Parizeau un recueil de contes intitulé Maria de (…)

1259Dites à Madeleine que j’ai reçu son manuscrit . J’aurais voulu le voir bien avant de quitter Montréal, mais elle me l’a fait parvenir plus tard qu’il n’était convenu. J’ai été très pris ces jours derniers par mes affaires et mon déménagement, de sorte qu’il lui faudra attendre au moins une semaine avant que je le lui renvoie.

1260Rien de nouveau.

  • 365

    Voir la lettre du 26 juin 1944 de Bernadette Rousseau-Grandbois, supra, p. 529.

1261J’inclus dans ce mot deux lettres que j’ai reçues. Mais j’aimerais que vous me les renvoyiez. J’espère que vous avez reçu Désespoir de vieille fille .

1262Je vous embrasse et je vous aime de tout mon cœur.

1263Alain

1264P.S. Il y a aussi un article pour Mark, à propos de peinture. Voulez-vous le donner à Jeanne, qui le lui remettra.

1265A.

  • 366

    Autographe, 1 f. (10,4 x 12,8 cm), écrit recto verso au crayon (CRLG, fonds Roger Duhamel).

1266Le 15 juillet [1944].

1267Bonjour, homme.

  • 367

    Roger Duhamel est directeur de La Patrie.

  • 368

    Les élections provinciales, qui auront lieu le 8 août 1944.

1268Homme, veux-tu me rendre un léger service. Me faire parvenir certains journaux canadiens, le tien , le Canada, le Devoir, la Gazette, qui paraîtront le lendemain du jour de votation .

  • 369

    L’épouse de Roger Duhamel, qui, toutefois, orthographie son prénom « Élayne ».

1269Mon voyage m’a fatigué. La chaleur est intense, il faut respirer à petits coups pour ne point se brûler les poumons. Mes hommages à Hélène . Sois bon.

1270Alain Grandbois

1271General Delivery

1272Provincetown, Mass. U.S.A.

  • 370

    Carte postale (9,8 x 12,7 cm), reproduction d’une eau-forte de Eliot Beveridge, imprimée par « Cap (…)

1273Août [1944]

1274Mon cher Roger,

  • 371

    L’expression « les Cinq Grands » désigne alors la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Union Soviéti (…)

  • 372

    Le 8 août 1944, Maurice Duplessis défait Adélard Godbout et est réélu premier ministre.

  • 373

    Grandbois tiendra des propos semblables dans deux émissions de Visages du monde consacrées à Provi (…)

1275Merci ami, j’ai tout reçu, et je constate avec joie qu’outre ta rare vertu de l’exactitude, tu possèdes aussi celle de la diligence pour les petits services, lesquels sont le plus souvent plus ennuyeux à rendre que les grands. (Sans allusions aux Cinq .) Et pour cela, lors de ton dernier soupir, ou râle — au choix — tu rejoindras d’un bond, d’un seul jet, le Septième Ciel, où tu prendras place à quelque petite droite du Père. Notre « magnifique victoire  » m’eut exalté davantage si je n’avais été durant dix ou quinze jours, malade comme une douzaine ou deux de chiens, de sorte que mes vacances ne m’ont guère profité, comme disent les mères de famille. En plus Provincetown n’est plus le même, et la vie y est devenue d’une cherté redoutable et extravagante . Je n’y reviendrai plus.

1276M. se joint à moi pour vous adresser à tous deux nos meilleures amitiés.

  • 374

    Roger Duhamel est alors membre du Bloc populaire.

1277À bientôt, et sois toujours bon dans le sens du meilleur Parti .

1278Alain

  • 375

    Carte postale (9,1 x 14 cm), reproduction d’une photographie de « Indian Church » de Tadoussac, au (…)

1279[26 août 1944]

1280Ma chère maman,

  • 376

    L’Hôtel-Dieu de Québec, où la mère de Grandbois est hospitalisée.

1281J’espère que vous vous reposez complètement, que votre séjour à « l’Hôtel  » ne vous ennuie pas d’une façon intolérable. D’ailleurs, votre supplice achève, et je vous reverrai à la maison, inquiète et trottinante. Je serai de retour lundi ou mardi. Le temps est médiocre. Cela manque de soleil. Je vous embrasse.

1282Alain

  • 377

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1283Montréal, octobre 44.

1284Mon cher Barbeau,

  • 378

    Bernadette Rousseau-Grandbois est décédée le 8 septembre 1944.

1285Votre visite à Québec m’a très touché, et je vous en remercie profondément. Mais je vous dois des excuses. Je vous ai reçu de façon peu courtoise, sans vous inviter à vous asseoir un moment, sans vous présenter à ma famille, qui vous connaît d’ailleurs de réputation. Cependant je sais que vous me pardonnerez ces manques. Car il me faut vous dire que la mort de ma mère m’a bouleversé, j’étais très lié à elle, je l’aimais plus que je n’ai jamais aimé personne. Et aussi, quand vous êtes venu, je n’avais pas dormi depuis plus d’une semaine. J’étais comme un somnambule, un automate. Merci encore, et de tout cœur. Et à bientôt.

1286Alain Grandbois

  • 379

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1287Montréal, le 14 mai 45.

1288Mon cher Barbeau,

  • 380

    Les Cahiers de Turc, parus en 1921 et 1922, puis en 1926 et 1927. Les seize Cahiers figurent dans (…)

1289Vous n’auriez pu me faire don plus magnifique que l’envoi de vos Cahiers , et vous n’auriez pu me faire plus grand plaisir. Car si je n’ignore pas que la collection en est devenue très rare — mais je ne suis guère bibliophile dans le sens de la seule rareté — je sais surtout, parce que je viens de lire chacun de ces Cahiers, ce que vous y avez mis de jeunesse, de courage, de dureté logique, de rigueur insolente et juste, de talent fichtre si personnel, qu’il ne doit rien, même aux meilleurs pamphlétaires que je connaisse.

  • 381

    Depuis 1942, Alain Grandbois habite au 1452 de la rue Union, à Montréal. Au printemps de 1945, il (…)

1290Il me faudrait communiquer avec vous, vers la fin de cette semaine, au sujet de cet article dont je vous ai parlé. Il est en partie terminé, mais il me manque certains détails que vous pourriez me fournir. Demain, mercredi et jeudi, je déménage . Plaignez-moi !

1291Merci encore, et à bientôt je l’espère.

1292Alain Grandbois

  • 382

    Deux cartes postales (reproductions de Harp of the four winds et de The Road to the spring de Mars (…)

1293[Automne 1945]

  • 383

    Allusion à la défaite de Roger Duhamel, candidat du Bloc populaire dans la circonscription de Sain (…)

1294Bonjour Roger la Honte ,

  • 384

    Compte rendu de Avant le chaos dans le courrier des lettres de L’Action nationale (vol. 25, n° 4, (…)

  • 385

    André Laurendeau, chef du Bloc populaire depuis février 1944, sera député de Montréal-Laurier de 1 (…)

1295Je viens de recevoir ton article , qui m’a fait le plus grand plaisir. Et je t’en remercie de tout cœur. J’espère que dès mon retour à Montréal, nous pourrons nous rejoindre pour célébrer la victoire de ton chef .

1296Je me porte fort bien. Je fais la pêche et la chasse. Petite pêche et petite chasse. Mais ça donne l’illusion de…

1297Mes hommages à Hélène, et crois à mon amitié.

1298Alain Grandbois

  • 386

    Autographe, 2 f. (21,5 x 27,8 cm), papier « Berkshire Bond, Made in Canada », écrit recto verso au (…)

1299Montréal. Janvier 46.

1300Mon cher ami,

1301D’abord je dois, comme toujours hélas !, m’excuser du retard que j’apporte à vous répondre. J’ai passé deux semaines à Québec, où tout était assez triste, j’ai rapporté certains lambeaux de cette tristesse à Montréal, et je me suis tapi dans ma tanière. De sorte que j’ai tout négligé.

  • 387

    Grandbois prévoyait intituler son deuxième recueil de poèmes « Passage de l’homme », mais Dugas lu (…)

  • 388

    Pour son recueil de nouvelles, Grandbois avait retenu le titre « Avant le déluge », mais Dugas lui (…)

1302Ensuite, je dois vous remercier de m’avoir prévenu du Passage de l’Homme , et je m’étonne que vous puissiez imaginer que j’en sois fâché. Au contraire, vous me rendez là un très grand service, et j’aurais été très embêté de me servir d’un titre qui appartient à un autre, même si les Goncourt ne l’avaient point couronné. À ce propos, c’est un double remerciement que je vous dois, car je me rappelle l’aventure d’Avant le déluge , que vous m’avez évitée aussi. Mon cher, je suis votre Moïse, vous me sauvez des eaux ! Pour être plus sérieux, vous me sauvez d’un certain ridicule, ce qui est bien plus grave. Mais entre nous, avouez que je n’ai point de chance avec mes titres.

  • 389

    Bérengère Courteau, nièce de Marcel Dugas.

1303Et ensuite encore, je vous remercie pour Marguerite et moi de la charmante invitation de Bérengère , que nous acceptons avec le plus vif plaisir, pour la date qui vous conviendra, car je ne crois pas que je sois obligé de retourner à Québec, sauf imprévu, avant quelques semaines. Donc, à votre choix.

  • 390

    Restaurant français situé rue Labelle, à Montréal.

1304J’ai aperçu votre ami Barbeau l’autre jour au restaurant Pierre . Il semble complètement remis de sa mauvaise alerte de l’automne dernier, et sa cravate à pois, de dernier chic, semble prophétiser de belles saisons frissonnantes de jeunesse et d’optimisme.

1305Et vous mon cher ami, comment la vie vous traite-t-elle ? Vous soignez-vous un peu, au moins ? Il le faut, les temps sont ingrats, et pour ma part, je ne me sens pas le besoin d’escalader la plus haute montagne du monde pour apercevoir les premières paupières mauves du crépuscule.

1306À bientôt. Et tout à vous.

1307Alain G.

  • 391

    Autographe, 3 f. (21,5 x 28 cm) non paginés, à l’encre noire (Bibliothèque municipale de la ville (…)

1308Montréal, le 6 mars 1946.

1309Mademoiselle,

  • 392

    Le 2 février 1946, Marguerite Brosseau, présidente du comité « Votre auteur préféré » de la Biblio (…)

1310Je vous dois quelques centaines de mille excuses pour n’avoir pas répondu plus tôt à votre si charmante et si amicale invitation . Et vous m’en voyez tout à fait navré. Mais aussi, permettez-moi de me disculper. J’ai retardé le moment de vous répondre parce que je conservais l’espoir de pouvoir accepter cette invitation. Ma santé, qui est extrêmement médiocre, paraissait s’améliorer, ces derniers temps. Mais ce n’était qu’illusions. Si je m’engageais vis-à-vis de vous pour une date fixe, ce serait tenter la chance du joueur. Et je ne crois plus, hélas, ni à la chance, ni au jeu. Il m’est déjà arrivé d’être obligé de me « décommander » la veille, et c’est fort ennuyeux.

1311Je vous remercie d’avoir pensé à moi, et je regrette d’autant plus mon abstention obligatoire que des écrivains que j’estime beaucoup, comme Panneton, Desrosiers, Rina Lasnier m’ont fait le plus grand éloge de votre public, de sa sensibilité et de sa très grande compréhension. Je souhaite cependant que vous ne considériez pas ce refus comme définitif et perpétuel. Le soleil viendra avec le printemps, l’été. Peut-être pourrons-nous alors arranger quelque chose pour l’automne ou le début de l’hiver ?

1312Je vous remercie encore et veuillez me croire votre très dévoué,

1313Alain Grandbois

  • 393

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1314Montréal, etc.. [Fin mai 1946]

1315Monsieur Victor Barbeau

1316de l’Académie canadienne-française

1317À Montréal

1318Mon cher Barbeau,

  • 394

    Probablement Jean Chauvin (1895-1958) (voir supra, lettre 159, p. 230), journaliste au Devoir et à (…)

  • 395

    Lucile Clément, épouse de Victor Barbeau.

1319Vous êtes un homme selon ma fantaisie, c’est-à-dire selon mon cœur, mais je ne puis aller vous voir vendredi, cela m’est rigoureusement impossible. Et puisqu’il vous faut tout savoir, c’est que j’aurai, entre vendredi et samedi, 46 ans, et que, M. et moi, nous avons établi déjà une sorte de convention qui veut que nous célébrions nos anniversaires seuls tous les deux, dans une gaieté factice naturellement, car chaque année ajoutée de plus à nos âges n’est pas la chose la plus rigolote du monde. Vous comprendrez, vous m’excuserez, je verrai Chauvin jeudi, je serai chez vous samedi, et M. qui me charge de vous remercier, Lucile et vous, viendrez dimanche, si le temps n’est pas à la tornade, au raz de marée, ou aux tremblements de terre.

1320À très bientôt, mon cher ami. Si j’étais évêque, je vous bénirais. Mais je ne suis même pas sous-diacre. Et continuez d’être bon.

1321Alain Grandbois

  • 396

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1322Samedi, [8] août [1946].

1323Mon cher Victor Barbeau,

1324Êtes-vous fâché vous aussi ? Vous ai-je blessé ? Des esprits jaloux vous ont-ils fait entendre, par glissements, par insinuations, par l’intermédiaire de petites larves insignifiantes, mais grouillantes, que j’étais votre ennemi, l’homme impossible, et très infréquentable ?

  • 397

    Victor Barbeau a publié, en 1936, un essai intitulé Mesure de notre taille (Montréal, Le Devoir).

1325Sans doute, je suis doué de tous les péchés d’Israël, et des autres. Et je me suis gorgé, et je vous l’avoue sans trop de fausse honte, de tous ces péchés d’Israël, qui possédaient la peau fine et blanche, la cuisse alerte et l’œil romantique. C’était dans ma jeunesse, que je ne regrette que pour ne pouvoir plus la recommencer. Le reste m’est égal, et l’âge, qui me diminue, je l’accepte avec une grande philosophie. — Les raisins verts, etc.. — en somme, comme il faut se faire une raison, je me suis fait, et je continue de me faire, chaque jour, une petite raison, à ma taille, et bien sur mesure , une petite raison à moi. Et je suis ainsi à peu près tranquille.

  • 398

    Fondée en 1946 par Victor Barbeau, la revue Liaison est consacrée à l’art et à la littérature.

  • 399

    Sans doute Jeanne Grandbois-Drouin.

1326Pour parler de choses moins sérieuses, voici un chèque de ma sœur Madeleine, signé depuis plus d’un mois, pour Liaison . Une autre sœur à moi devait m’en fournir un plus nourri, je l’attendais, il n’est pas venu, il viendra, j’en suis sûr, mais comme il tarde vraiment trop. — J’aurais voulu vous envoyer les deux ensemble, pour un peu vous encourager ! — Je me contente de.

  • 400

    Le 14 avril 1946, Marcel Dugas a prononcé une conférence sur Louise Read et sur la comtesse de Noa (…)

1327J’ai vu Dugas. Je l’ai trouvé diminué et vieilli. Il était fâché lui aussi, beaucoup contre vous, un peu, bien qu’il ne l’ait jamais avoué, contre moi. À propos de la « Familiale », et de sa dernière causerie . J’ai tenté de lui expliquer que vous n’étiez pour rien dans la maigreur de l’assistance. Il a semblé comprendre. Nous avons passé une journée ensemble. Il avait soudain des absences de mémoire, des arrêts de mots. Je pense qu’il est très atteint, je pense qu’il est assez foutu.

1328Soyez heureux dans votre campagne, continuez de faire votre petit dictateur, avec du charme pour les belles voisines, et soignez-vous bien. Car nous vieillissons.

1329Permettez-moi de baiser d’une façon extrêmement élégante et très talon rouge, l’un des dix doigts de votre femme Lucile.

1330Alain Grandbois

  • 401

    Dactylographie, 1 f. (21,5 x 28 cm) signé à l’encre noire (BNC, fonds Guy Sylvestre).

1331Le 19 octobre 1946.

1332Monsieur Guy Sylvestre

1333Ottawa.

1334Mon cher Critique,

  • 402

    La faillite de la maison d’édition Lucien Parizeau & Cie en 1946, après avoir publié une cinquanta (…)

1335Les dieux ont chargé les hommes de lourds dons précieux, qu’ils se sont empressés de rejeter avec la plus grande désinvolture. La malheureuse aventure de P. ne tient pas du manque des dieux. Que puis-je vous dire de plus ?

  • 403

    Guy Sylvestre dirige alors la revue Gants du ciel, fondée en septembre 1943.

  • 404

    On ignore de quelle maison d’édition il s’agit : Grandbois publiera son deuxième recueil de poèmes (…)

1336Je vous remercie de l’attention que vous voulez bien me porter, et j’accepte avec joie l’invitation que vous me faites de vous donner quelques poèmes pour votre Revue . Mais il faudrait qu’ils paraissent avant la fin de cette année, car je suis en pourparlers avec une maison d’édition de Montréal , qui doit, si cela s’arrange naturellement, les publier tout au début de la saison prochaine.

  • 405

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre de Guy Sylvestre.

  • 406

    Lucien Parizeau (voir supra, n. 2).

1337Autrement, j’imagine que cela serait assez délicat. Et il y a autre chose aussi. Vous me parlez dans votre lettre des Îles de la nuit. Les poèmes qui composent ce manuscrit que devait publier P. , sont plus durs, plus hermétiques que ceux des Îles. Mais pourquoi pas ?

  • 407

    Quatre poèmes de Rivages de l’homme paraîtront dans diverses revues : « Corail » dans Poésie 46 (n (…)

1338Je vous ferai parvenir, dans le milieu de cette semaine, quelques-uns des poèmes de Rivages de l’homme . Si vous les publiez, je sais que, comme vous me le promettez, vous y poserez votre attention. J’attache beaucoup d’importance au jeu de la typographie, à une nette composition.

1339Soyez sûr de mon estime intellectuelle,

1340Alain Grandbois.

1341Alain Grandbois, 2151, avenue Lincoln, Montréal.

  • 408

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault) ; repris en partie dans Poésie II, p. 282.

1342Montréal, le 5 nov. [1946]

  • 409

    Nom de la maison d’été de Victor Barbeau, située à Morin-Heights, dans les Laurentides.

1343Mon cher Barbeau de la Barbotière

1344Je n’ai reçu votre lettre du Ier que ce soir

1345Le 5 de ce mois de novembre

1346La poste se fout des solitudes pulmonaires

1347(pulmonaires est pour la rime naturellement)

1348Et des repos « pleurésiques » et de nous tous en somme

1349Elle nous a trompés elle nous a trahis c’est une grande putain

1350[véritablement

1351N’en parlons plus n’en parlons plus

1352Pour aller vous voir c’est impossible

  • 410

    De son premier mariage, avec Bernard Devlin, Marguerite Rousseau (qui épousera Grandbois en 1958) (…)

1353Margharita loge deux fils une fille un neveu

1354Je pars pour Québec demain soir

1355Afin d’améliorer une situation qui ne tient qu’à quelques fils

1356Tout cela n’a aucune sorte d’importance

1357Sauf pour

1358Ne pas s’abandonner soudain ne pas crouler ne pas abandonner

1359Il n’y a jamais eu d’invitation qui m’ait plus tenté que la vôtre

1360Votre accueil cordial rieur votre sens de la vie courageuse

1361Et cet entêtement que vous avez de garder ceux du choix du [vôtre

1362Malgré ces idées qui nous séparent comme… mais comme [quoi ?

1363(Je ne fais jamais de signes pour l’amitié les signes étant [inscrits partout)

1364Alas alas nous n’irons pas froisser dans vos sentiers les feuilles [mortes

1365J’adore le dernier automne plus que tout

1366Serez-vous encore

1367À la Barbotière la semaine prochaine

1368Nous irions vous voir et vous tenterez de nous faire rire

1369Ou nous tenterions de vous faire rire

1370Nous vous aimons beaucoup parce que vous êtes un type [propre très rare

1371Au musée, mon cher ami, au musée !

1372Mon cher Victor B.,

  • 411

    Jean Chauvin (voir supra, p. 607, n. 2).

  • 412

    L’Académie canadienne-française, dont Victor Barbeau est le président.

  • 413

    En fait, le restaurant Chez Roncati, alors situé au 1115 du boulevard Saint-Laurent, à Montréal.

  • 414

    À l’occasion du premier Congrès des journalistes de la Province de Québec, à l’hôtel Windsor de Mo (…)

1373C’est J. Chauvin qui m’a dit, il y a déjà trois semaines, que vous étiez malade. Il y a eu également, et dans le même temps, une séance de l’A. C.-F. La séance a été miteuse, et mon inquiétude était grande, non pour l’A. C.-F., mais pour votre état de santé. J’ai téléphoné, deux ou trois fois à votre maison, en ville, mais la communication était « engagée ». Je vous croyais à Montréal, je croyais que vous continuiez d’être le bavard charmant, malgré les « choses pleurales », que vous êtes d’habitude. (Que vos rebuts de pleurésies ne vous enlèvent pas votre sens d’ironie, d’humour !) — Je suis allé chez Rocarri , par deux fois, le vendredi. Vous n’y étiez pas. Ne nous attendrissons pas, ne pleurons pas, votre heure — l’HEURE — n’est pas venue. Écrivez-moi un mot, je reviens de Québec vendredi soir. — Et dites-moi si vous venez à ce déjeuner du samedi pour Duhamel . Et si des invités étrangers à l’Académie sont admis.

1374A. G.

1375M. aimerait voir Duhamel.

  • 415

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1376Le 12 nov. 46.

1377M. Victor Barbeau

1378Montréal

1379Mon cher ami,

1380Je devais vous écrire plus tôt pour cette fin de semaine, à la Barbotière, qui a été parfaite, malgré votre sens inné de la dictature, du commandement. Mais vous avez réussi de camoufler, de voiler ce mauvais instinct, et vous avez été l’hôte magnifique !

  • 416

    Grandbois ajoute en marge, sous une esquisse d’un buste de femme : « Mais voilà le type de sourire (…)

1381J’aurais aimé vous voir, pour vous remercier de vive voix, mais je dois partir pour Québec demain, et je ne sais qu’en j’en (qu’en j’en, quel français, bon dieu ?) reviendrai. Je vous ferai signe. Mes hommages à Lucile votre femme, qui a un sourire que j’aime beaucoup .

1382Alain Grandbois

  • 417

    Autographe, 3 f. (21,5 x 28 cm) non paginés, à l’encre noire ; numéroté « 45 », « 452 » et « 453 » (…)

1383Le 11 décembre 1946.

1384Ma chère Simone,

  • 418

    Le 15 novembre 1946, Marcel Dugas a été hospitalisé à l’Hôtel-Dieu de Montréal après une crise car (…)

  • 419

    Gustave Lanctot (1883-1975) a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’histoire du Canada. Il (…)

1385Dugas me demande de t’écrire pour te remercier des fleurs magnifiques — je les ai vues — que tu as eu la générosité, et la bonté, de lui envoyer. Il se meurt lentement . Et c’est affreux. Il espère cependant. Il s’accroche aux moindres mots, aux plus petits regards d’espoir. Mais dans la nuit, quand il est seul, il doit comprendre. Il attend le jour, et les visites, et la rumeur du monde pour retrouver une sorte de plain-pied qui lui échappe sans cesse. Et cela doit être encore plus affreux. Il faudrait mourir jeune, d’un coup. Je vais voir Dugas tous les jours. Mais ce n’est pas Dugas que je vois, c’est une sorte de vieillard anonyme qui hoquète et qui vomit. Et qui se défend. Mais qui est encore lucide. Avec la lucidité que pourrait avoir un ouvrier, un paysan, n’importe qui. Et d’autres brèves lueurs. Sa grande joie, — et plus que mes visites — ç’a été tes fleurs. Et ensuite une lettre de M. Lanctot .

1386Il a été, il y a une semaine, tout à fait mourant. On lui a donné l’Extrême-Onction. Dimanche, il s’est confessé et a communié. Je ne te dis pas ces choses pour ou contre. Je sais que tu es très croyante. Comme tu as bien connu Dugas, et que les êtres comme toi s’inquiètent du salut de chacun, sois rassurée. (Il n’y a aucune espèce d’ironie dans ce que je t’écris. Il y aurait beaucoup d’envie, au contraire. Car je ne suis pas un être comme toi, et je le regrette. Je n’ai pas trouvé la voie ! je te raconte cela simplement, et sans pathétique, veuille bien me croire.)

1387Si maintenant tu lui écrivais un petit mot, d’encouragement, de lumière, je suis sûr que cela lui ferait encore du bien. Ne lui parle pas de Dieu, avec qui il est réconcilié, mais du soleil, des fleurs, du printemps, de n’importe quoi, ma chère Simone, qui tienne à la jeunesse. Il n’en sera jamais sorti que pour mourir. Beaucoup de poètes sont ainsi.

1388Dis-lui que je t’ai remerciée de sa part. Il se méfie de moi, qu’il connaît comme l’être le plus négligent au monde. Cela ne t’empêche pas non plus de m’envoyer un petit mot.

1389Alain G.

13902151 Ave. Lincoln

1391Apt. 5A. Montréal

  • 420

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1392QUÉBEC QUEJAN 8/47— 905PM

1393VICTOR BARBEAU

1394109 CÔTE ST-ANTOINE, MONTRÉAL, QUÉ.

1395SERAI MONTRÉAL DEMAIN SOIR VOUS TÉLÉPHONERAI.

1396GRANDBOIS

  • 421

    Autographe (brouillon), 5 f. (12,5 x 20,2 cm) non paginés, au crayon ; le dernier feuillet est écr (…)

1397[Printemps 1947]

1398Monsieur,

1399Je dois d’abord m’excuser de vous écrire en français. Ce n’est point par des <illisible>. Je connais l’anglais pour le lire très couramment (je lis à peu près autant de livres anglais que français), mais souffrant peut-être d’un léger complexe d’infériorité, je n’aimerais pas très particulièrement, vis-à-vis de vous, confondre le shall et le should, et commettre des fautes élémentaires de grammaire.

  • 422

    Nous n’avons pas retrouvé ces poèmes. L’un d’eux pourrait cependant être « Ah grands déserts », do (…)

  • 423

    Une copie de la lettre de Patrick D. Waddington, directeur adjoint du Canadian Poetry Magazine, se (…)

1400Si je me permets de vous envoyer ces poèmes — extrêmement en retard — mais je suis toujours en retard — c’est que vous avez eu la très grande gentillesse, par M. Waddington , dont je vous envoie la lettre — de me les demander. Je vous inclus dans le même temps une photo de moi. Ce n’est point par vanité ni par orgueil. J’ai 46 ans, j’ai passé 20 ans à courir le monde. De Paris à Moscou. Ces poèmes que je vous envoie n’ont naturellement pas été publiés en librairie.

1401Je vous demanderais cependant, cher Professeur, si vous croyez les publier, et si vous [ne] les publiez pas, sachez bien, que je ne vous en tiendrai pas rancune, ils sont très ésotériques, très peu populaires — et si vous aviez un jour à les faire traduire dans votre langue, de laisser en regard l’original.

1402Je demeure votre très dévoué,

1403Alain Grandbois

  • 424

    Télégramme (16,3 x 20,3 cm), à en-tête « EXCLUSIVE CONNECTION WITH WESTERN UNION CABLE SERVICE, CA (…)

1404Le 1er avril 1947.

1405MOA 396 18 NL =MR MONTRÉAL QUÉ 1

1406SIMONE ROUTIER, ARCHIVES CANADIENNES = OTTAWA

  • 425

    Le 31 mars 1947, Simone Routier est reçue à l’Académie canadienne-française ; Rina Lasnier prononc (…)

1407FÉLICITATIONS . SUIS HEUREUX ET FIER DE TE COMPTER PARMI NOUS. VOTE TRIOMPHAL POUR TOI. LA POÉSIE RAMASSE SES FIDÈLES.

1408ALAIN GRANDBOIS

  • 426

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1409Montréal, le 28 avril [1947].

1410Monsieur le Secrétaire

1411Concours littéraire et scientifique

1412Québec

1413Monsieur,

1414J’ai l’honneur de soumettre au jury du Concours littéraire un livre de poèmes intitulé Les Îles de la nuit, publié le 9 mai 1944, dont je vous fais parvenir six exemplaires par colis postal.

1415J’attends un certificat de naissance que je vous adresserai dès que je l’aurai reçu.

1416Veuillez me croire votre tout dévoué,

1417Alain Grandbois

14182151

1419Lincoln Ave

1420Montréal

  • 427

    Autographe, 2 f. (21,3 x 27,8cm), paginé II, à l’encre noire (BNC, fonds Guy Sylvestre).

1421Montréal, le 16 mai 4[7].

1422Mon cher Sylvestre,

  • 428

    La revue Gants du Ciel, fondée en 1943, cesse de paraître en 1946.

  • 429

    Nous n’avons pas retrouvé cet article.

1423Quand vous m’avez annoncé que vos Gants du Ciel ne paraissaient plus , j’en ai été très sincèrement désolé. Mon premier geste a été de comprendre que mes poèmes ne seraient pas publiés chez vous. Mais j’ai compris tout de suite que vous perdiez votre Revue, c’est-à-dire une petite partie de votre jeunesse, de votre enthousiasme, de vos espoirs. J’ai voulu vous écrire, pour vous en dire tout mon regret. Désintéressé tout à fait, je vous prie de le croire. — Je vous remercie de m’avoir envoyé cet article belge —. Mais écrire une lettre pour moi est une sorte de supplice insensé. Je pense tous les jours aux lettres que je dois écrire, aux lettres de gratitude et d’amitié, elles me torturent sans que je puisse me délivrer d’elles, ce sont des lettres-fantômes que je ne puis poursuivre dans le mot, sur du papier. Notre vieil ami Dugas aurait pu vous dire beaucoup de choses à propos de moi, à ce sujet. Nous avons tous des vices. Mon vice principal est une répugnance totale et complète non pas à l’art mais à l’exercice normal de l’épistolaire.

1424Je vous remercie et veuillez me croire votre dévoué,

1425Alain Grandbois.

1426Si vous avez l’occasion de passer par Montréal, envoyez-moi un petit mot, nous pourrions déjeuner ou dîner ensemble. Mais un petit mot l’avant-veille. (Je n’ai pas d’appareil téléphonique).

1427A. G.

  • 430

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault). Cette lettre fait suite, sur le même feuillet, à une lettr (…)

1428Quatre jours plus tard.

1429[Mont Saint-Pierre, le 22 juillet 1947]

1430Mon cher ami,

1431Je suppose que tout est rentré dans l’ordre et que vous jouissez maintenant de votre ravissante petite maison de campagne. Je suis sûr aussi que Lucile est complètement remise, que ses forces se retrouvent au soleil, à l’air pur.

1432La Gaspésie est un beau pays — il y en a de plus beaux — et la vie y est d’une cherté remarquable. De sorte que nous retournons à Québec cette semaine. J’y passerai une dizaine de jours, à 127 Grande-Allée.

1433Soyez toujours bon, et continuez d’être parfois injuste. À la réflexion, c’est un excellent composé, qui en vaut bien d’autres.

1434Mes amitiés à Lucile et à vous.

1435Alain Grandbois

  • 431

    Autographe, 1 f. (13 x 15 cm), à l’encre noire ; daté au crayon rouge par Victor Barbeau (BNQ, 411 (…)

1436[20 septembre 1947]

1437Mon cher Barbeau,

  • 432

    Cette lettre porte une note de la main de Victor Barbeau : « Liaison ». En septembre 1947, Géraldi (…)

1438Il n’y a rien à dire. C’est ridicule et niais. L’art dit moderne facilite malheureusement ce genre de sottise .

1439À bientôt,

1440Alain Grandbois

  • 433

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1441Montréal, le 22 nov. 47.

1442Mon cher Jacques,

  • 434

    Grand-père maternel d’Alain Grandbois ; il pratiqua la médecine à Saint-Casimir de Portneuf.

1443En effet, les petits-fils du grand-père Louis-Eugène Rousseau ne sont guère conformistes. Pour ma part, j’en ai souvent souffert. Mais je veux persister à croire qu’un certain sentiment de liberté — très soigneusement cultivé — vaut tous les ennuis.

1444Je suis navré de t’avoir dérangé inutilement. Et je m’excuse aussi de mon retard. J’ai dû passer cette semaine quelques jours hors de Montréal.

1445J’espère avoir le plaisir de te voir bientôt.

1446Amicalement,

1447Alain Grandbois

  • 435

    Autographe, 2 f. (21,5 x 28 cm), à l’encre noire (CRLG, fonds Lionel Groulx).

1448Montréal, le 16 décembre 47.

1449M. le Chanoine,

  • 436

    La Revue d’histoire de l’Amérique française (1947-1967), dont Lionel Groulx, qui a fondé en 1946 l (…)

1450Voici ce mince chèque pour votre belle Revue . J’aurais aimé prendre rang parmi vos Mécènes, mais je suis à peu près pauvre, et cela serait aux dépens de mes créanciers. Permettez-moi cependant de profiter de cette occasion pour vous exprimer toute l’estime et toute l’admiration que je vous porte. Je ne partage pas la plupart de vos idées. Mais j’admire précisément, chez les êtres que je respecte, les vertus que je ne possède pas. Vous êtes un grand apôtre, je suis un « asocial ». Le monde ne m’a jamais fourni, jusqu’ici, que des formules de désespoir. J’ai tenté de me créer un univers à part, dans quoi je tente de vivre, ou plutôt, de supporter la vie. Vous avez la foi, vous êtes altruiste, généreux. Je suis un égocentrique. Mais soyez assuré que personne ne peut me blâmer plus que je ne le fais moi-même. Et peut-on changer la couleur de ses yeux, la composition de son sang ?

1451Pardonnez-moi de vous apporter ces brèves confidences, qui peuvent vous sembler incongrues — je n’en ai d’ailleurs guère l’habitude — mais je n’oublie pas aussi que vous êtes prêtre, et croyez à mon entier dévouement.

1452Alain Grandbois

14532151 Ave Lincoln

1454apt. 5A

1455Montréal

  • 437

    Autographe 1 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre noire (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gran (…)

1456Le 28 juin 1948

1457Le Père Cordeau

1458Montréal

1459Mon Révérend Père

  • 438

    En réponse à une lettre d’André Cordeau, datée du 18 juin 1948 : « Mon cher monsieur, / / Je me pe (…)

  • 439

    Rivages de l’homme, dont l’achevé d’imprimer est du 21 mai 1948.

1460Vous avez raison . Et vous savez avoir raison avec quelque ironie. Que je sais goûter d’ailleurs. Mais pardonnez-moi. Je vous adresse, par ce même courrier, le « Né à Québec » corrigé. Je me fais aussi le plaisir de vous envoyer un exemplaire des poèmes que je viens de publier . Je ne tiens pas à vous parler de la façon dont on me les a imprimés.

1461Veuillez me croire votre très dévoué.

1462Alain Grandbois

  • 440

    Autographe, 1 f. (21,5 x 28 cm), à l’encre noire et au crayon (CRLG, fonds Lionel Groulx).

1463Le 28 juin 1948.

1464M. le Chanoine,

  • 441

    Voir supra, p. 612, lettre 170, n. 2.

1465Vous m’excuserez sans doute — car je connais votre générosité — de n’avoir point renouvelé mon abonnement, plus tôt, à votre belle Revue . J’ai été absent, souffrant, et pris aussi par un tas de petites choses très idiotes, qui permettent de manger une fois ou deux le jour.

  • 442

    Probablement Rivages de l’homme.

1466Je me permets de vous adresser par le même courrier des poèmes qui ne sont point tellement réjouissants.

1467Veuillez me croire votre très obligé.

1468Alain Grandbois

  • 443

    Autographe, 3 f. (22,5 x 29 cm) non paginés, à l’encre noire et au crayon (BNQ, 264).

1469Le 15 juillet 1948

1470Québec

1471Ma chère poétesse, je m’excuse de ne pas vous avoir répondu plus tôt. D’abord, je ne réponds jamais, ou presque, aux lettres. C’est maladif chez moi. Aussi, j’ai été assez souffrant, et dans ces moments noirs, je suis comme l’animal, la bête, je me tourne vers le mur, je ne veux plus voir personne, je n’entends plus personne. Refuge ou prison. Tort ou raison. Il n’importe pas beaucoup.

1472Je vous remercie de votre gentillesse et de votre générosité. Cependant, je dois vous dire que le sentiment de la mort — de notre mort à tous, charnelle, et surtout et par-dessus tout de notre mort d’âme — me hante beaucoup plus que « l’impuissance de l’homme », laquelle ne m’importe pas. Je ne crois ni à l’impuissance, ni à la puissance, ni à la dignité, ni à la noblesse, ni à l’esprit de l’être humain. Je veux Dieu. Le reste, malgré le talent, le génie, n’est même pas la poussière. Je vous envie — et croyez bien que je ne fais pas d’ironie — de vous baigner dans Sa connaissance comme dans une source fraîche et merveilleuse et créatrice de beauté.

  • 444

    Texte de base : « Nous revenons […] »

  • 445

    À notre connaissance, seule la revue bimestrielle Sur (mai-juin 1956), de Buenos Aires, publiera d (…)

  • 446

    On trouve dans le fonds Grandbois de la BNQ une dactylographie, non datée, du poème « Glaïeuls » t (…)

1473[Mais] revenons sur cette terre. On est en train de traduire certains de mes poèmes en portugais et en espagnol , ça traîne depuis un an. J’ai refusé deux ou trois fois la traduction anglaise, parce que ceux qui me l’avaient proposée m’apparaissaient comme de braves types préparant un combat de boxe. On ne lutte pas contre une langue. Au contraire, il faut la cerner, la guetter, la séduire, la prendre comme au piège. Si le cœur vous en dit, allez-y. Vous êtes poète. J’aimerais cependant que vous me fassiez parvenir une copie de votre traduction . Non pas que je doute de votre compréhension, mais parce que je suis curieux de voir comment vous pouvez vous en tirer. Je vous souhaite le courage et la patience, et je vous souhaite surtout de revenir à Saint-Jean le plus tôt qu’il vous sera possible, afin de continuer d’écrire vos très beaux poèmes.

1474N’embrassez pas (surtout) et ne tuez pas ! Il ne faut pas mettre la vie entre ces deux pôles. Mais moi, je me permets de vous embrasser sur la joue droite.

1475Alain Grandbois

1476127 Grande-Allée

1477Québec.

  • 447

    Autographe, 2 f. (21,5 x 28 cm) non paginés, à l’encre noire avec un ajout au crayon rouge (BNQ, 2 (…)

1478Montréal, le 27 sept. 1948.

1479Révérend P. Lamarche

1480Joliette.

1481Mon cher Père et poète,

  • 448

    Le 24 août 1948, le père Lamarche écrit à Grandbois : « Cher poète unique et sincère, / / J’ai lu (…)

1482Votre lettre m’a profondément touché , et je vous en remercie du cœur. Non pas parce que vous me dites des choses aimables, que je ne mérite d’ailleurs point — et ne voyez pas ici quelque fausse modestie, je sais à peu près ce que je vaux, mais très exactement ce que je ne vaux pas ! — Mais parce que vous m’écrivez en toute simplicité, et qu’en me parlant de moi, vous me parlez de vous, de votre être intérieur. Vous êtes un véritable poète, et aussi un véritable homme de Dieu et je sais que les poètes-hommes de Dieu doivent, pour ne point s’écarter de Lui, bondir de piège en piège, laisser une plume ici, un morceau de chair là, et de petites gouttes de sang partout, le long de la « voie rude », comme le petit Poucet. Mais à l’encontre de celui-ci, vos marques ne sont pas de cailloux blancs, mais de sang pourpre, et ne sont point semées pour le chemin du retour. Ce qui nourrit le poète en vous. Le chemin désigné, vous le suivez. Le mien ne forme qu’une piste très maladroite où je me suis égaré, où je m’égare encore, et peut-être suis-je trop égaré pour retrouver le chemin du Roy. Ou trop aveuglé ! Quoi que je veuille.

  • 449

    Sous le pseudonyme d’Aristocritos, Gustave Lamarche a publié dans Les Carnets viatoriens (n° 4, oc (…)

1483Le plus sûr, c’est la « main de Dieu », et les « voies rudes ». Vous conservez votre liberté de poète et vos pas vous guident vers la grande lumière éternelle, et votre poésie vous sert de projecteur immédiat, contre l’Éblouissement du Tout. Vous possédez la meilleure part — la seule part — qui est celle de la certitude . De la certitude avec l’enchantement permis des ailes blanches de la poésie. Je vous remercie et je vous envie.

1484Alain Grandbois

  • 450

    Depuis 1936, le père Lamarche, de la communauté des Clercs de Saint-Viateur, dirige la revue Les C (…)

1485P.S. : J’ai reçu votre lettre trop tard pour vous envoyer quelque petit manuscrit. (Je vis depuis trois mois comme le juif errant, courant de ville en ville, fuyant tout le monde. Et surtout tentant de me fuir moi-même. Car je ne m’aime pas.) Je serais très heureux de vous donner quelque chose pour le prochain numéro de votre revue .

1486A. G.

14872151, ave Lincoln

1488Montréal.

  • 451

    Autographe, 1 f. (22,5 x 29 cm), à l’encre noire avec un ajout au crayon vert (BNQ, 264).

1489Montréal, le 27 septembre 1948.

1490Mademoiselle Rina Lasnier

1491Saint-Jean.

1492Ma chère poète,

  • 452

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

1493Merci pour votre chère lettre . Vous vivez parmi les dieux ; je ne suis que parmi les hommes. C’est plus décevant. Vous êtes naïve et confiante. Je suis sceptique et crédule. Cela pourrait revenir au même. Mais cela ne revient jamais au même.

1494Continuez d’écrire de beaux vers. (Vous en écrivez de très beaux, et souvent de très grands.) Il me reste une consolation, celle d’être né, comme vous, poète. Un jour, peut-être, nous deviendrons des astres d’or, mais d’or chaud, magnétique, répandant, diffusant la chaleur dans l’univers cosmique — et étemel — comme autant de petites parcelles bleu vif, étincelantes, de radium. Je vous embrasse déjà, pour ces temps futurs, ou plutôt pour ces temps en dehors du temps.

1495Alain Grandbois

14962151 Ave Lincoln

1497Montréal.

1498P.S. Vous m’excuserez. J’ai vécu comme un ermite depuis des mois. Et comme j’ai joué vraiment le jeu de l’ermite, je n’ouvrais même pas mon courrier. C’est idiot, mais c’est ainsi !

1499A. G.

  • 453

    Autographe 1 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre noire (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gran (…)

1500Le 9 novembre 1948.

1501Le Père Cordeau

1502Montréal

1503Mon Père,

  • 454

    En réponse à une lettre d’André Cordeau du 5 novembre 1948 : « Nous aurons bientôt le plaisir d’of (…)

1504Je dois tout d’abord m’excuser de ne vous avoir point répondu, comme vous me le demandiez, par retour du courrier . Mais j’étais absent de la ville.

  • 455

    Le lancement de Né à Québec, À l’Ombre de l’Orford et Le Rêve de Kamalmouk, dans la « Collection d (…)

  • 456

    Fondé en 1945 par Leopold et Julia Richer, le journal Notre Temps deviendra la propriété de Fides (…)

  • 457

    Photographie de Grandbois écrivant à la machine (reproduite en tête de l’article d’André Langevin, (…)

1505Je vous remercie de votre invitation, que j’accepte avec plaisir, et pour le jour qui pourra le mieux vous convenir . Je ne possède aucune photo de ma gracieuse personne. Je sais cependant que le journal « Notre Temps  » m’a déjà envoyé son photographe, et je suppose que la direction vous prêterait volontiers ce cliché .

1506Permettez-moi de vous remercier encore, et veuillez croire à mes meilleurs sentiments.

1507Alain Grandbois

  • 458

    Autographe, 1 f. (11,3 x 13,5 cm), carton, écrit recto verso à l’encre noire (BNQ, 280/16).

150817 décembre 1948.

1509Mon cher Père Lamarche,

  • 459

    « Poème », qui paraîtra dans Les Carnets viatoriens en janvier 1949 (vol. 16, n° 1, p. 57-58) ; re (…)

1510Je vous adresse ce poème , tel que promis. Si, pour des raisons qui vous appartiennent, vous jugez qu’il ne doit pas paraître dans votre revue, dites-le moi tout simplement. Je comprendrai.

1511Vous m’avez fait confiance, il y a quelques mois, dans une lettre où vous me confiiez certaines de vos angoisses de prêtre et du poète que vous êtes. (A ce propos, j’aimerais bien parler poésie avec vous.) J’en ai été très touché. Je dois vous dire encore que j’ai la plus grande admiration pour vos poèmes, malgré que votre art, ou plutôt la conception de votre art, soit aux antipodes de la mienne (de ma conception). Je m’incline et je vous remercie.

1512Alain Grandbois

  • 460

    Autographe 1 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre noire (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gran (…)

1513Montréal, le 4 janvier [1949]

1514R. P. Cordeau

1515Montréal

1516Mon Père,

1517Voici, mon Père, le petit chèque dont il a été question cet après-midi au téléphone. Permettez-moi de vous réitérer mes meilleurs vœux de bonne santé — et de succès — pour l’année qui commence.

1518Croyez-moi votre très dévoué.

1519Alain Grandbois

  • 461

    Autographe, 3 f. (21,5 x 28 cm) non paginés, à l’encre noire (BNQ, 280/16).

1520Dimanche, le 20 février 1949.

1521Le R. P. Gustave Lamarche,

1522Joliette.

1523Mon cher Père et Poète,

  • 462

    Le 10 février 1949, Gustave Lamarche écrit à Grandbois : « Cher poète et ami, / / Comment aviez-vo (…)

1524D’abord, je dois tout de suite vous remercier de la sympathie si généreuse que vous avez bien voulu me témoigner . J’en demeure extrêmement touché. Vous pensez bien que le monde si sottement cruel, si lâchement dur, parmi quoi nous sommes tenus de vivre, m’a enlevé beaucoup d’illusions. Je me suis donc fabriqué une petite carapace assez close, sous laquelle je tente de respirer sans trop de conviction un oxygène qui se raréfie de plus en plus. Personne ne m’y dérange beaucoup. C’est précisément pourquoi les moindres mouvements marqués de gratuité me sont plus sensibles. Comme celui que vous venez de poser à mon égard.

1525Je ne vous ai pas répondu, croyant que vous alliez à Québec comme vous me le disiez, et que ma lettre n’aurait pu vous rejoindre avant votre retour à Montréal. Mais je vous attendais, et votre second mot m’a un peu déçu. Je vous l’avoue, car je me faisais une joie de vous rencontrer « sans Académie », de pouvoir bavarder, en toute confiance, avec le poète que vous êtes. Le hic, c’est que je devais m’absenter à mon tour ces jours prochains. Québec précisément. Et cela peut avoir aussi des retards. De sorte que, pratiquement (c’est le mot le plus sordide de la langue française, mais…) me permettez-vous de vous suggérer ceci : vous êtes, il va sans dire, mon invité, pour déjeuner, ou dîner, le jour qui vous conviendra, mais pourriez-vous me téléphoner de Joliette le moment précis, enfin, midi ou soir, de notre rendez-vous. Comme je sais que vous appartenez à un ordre religieux, faites, comme on dit ici, renverser les charges du téléphoniste à mon compte. (Ce qui vient de la poésie doit retourner à la poésie !)

  • 463

    Philéas le Bel (pseudonyme de Gustave Lamarche), « L’Idée », poème dédié à Alain Grandbois, Les Ca (…)

1526Vous avez touché, pour réussir, de m’intriguer à propos de Philéas Le Bel . Vous avez réussi pour quelques minutes. Car après ma première surprise, je me suis repris, et comme ces vers étaient d’un poète, et d’un poète qui par surcroît possédait son métier, je vous ai soupçonné d’en être le charmant et coupable auteur anonyme. Ensuite, ce fut plus facile… les initiales… etc., et je me suis mis à sourire, et à rire, et comme j’aime par-dessus tout la délicatesse, et la gentillesse du cœur, je vous ai porté dans mon cœur.

1527Or donc, mon cher Père et Poète Gustave Lamarche, tâchez de me prévenir de votre prochain voyage à Montréal. Vous me trouverez ravi de vous y rencontrer. Je connais un petit restaurant sans cohue, où l’on mange très honnêtement, où l’on peut goûter d’un excellent petit vin français, où nous pouvons converser tout à l’aise.

1528Je vous remercie encore, et je vous attends.

1529Alain Grandbois

1530Tel. FI. 9739 —

  • 464

    Autographe, 1 f. (21,5 x 28 cm), à l’encre noire (BNQ, 280/16).

1531Montréal, le 1er juin 1949.

1532P. Gustave Lamarche

1533Joliette.

1534Révérend Père et cher poète,

  • 465

    « Poète enchaîné (fragments) », qui paraîtra dans Les Carnets viatoriens en juillet 1949 (XIVe ann (…)

1535Je vous adresse — naturellement à l’extrême limite du temps que vous m’avez fixé — quelques parties du poème dont nous avions parlé il y a quelques semaines, lorsque vous avez eu l’amabilité d’accepter de dîner avec moi. — Les divisions que j’indique par des chiffres sont provisoires.

1536Quand vous passerez par Montréal, faites-moi le grand plaisir de me faire signe, nous pourrions continuer nos conversations.

1537Veuillez croire à mon estime et à ma respectueuse amitié.

1538Alain Grandbois

  • 466

    « Psyché », Les Carnets viatoriens, vol. 14, n° 3, juillet 1949, p. 124-129, et n° 4, octobre 1949 (…)

1539P.S. « Psyché » est un admirable poème . Cela ruisselle d’images douces et violentes, de couleurs et de secrets, de tendresse et d’amour. C’est une œuvre d’une grande beauté. Que celui qui signe « Trois Étoiles » soit béni !

1540A. G.

  • 467

    Autographe, 4 f. (21,5 x 28 cm) paginés 2-4, à l’encre noire avec des ajouts au crayon bleu et à l (…)

1541Montréal, le 17 septembre 1949.

1542Révérend Père, poète et ami.

  • 468

    Lettre du 19 août 1949 : « Très cher poète et ami, / / Il est bien temps que je vous donne un peu (…)

1543Pardonnez-moi mon trop long silence. Je pourrais vous apporter beaucoup d’excuses — voyages, courrier non reçu (envoyé de Montréal à Québec, de Québec à Montréal, etc.) lorsque j’étais aux États-Unis, et vers la fin d’août, dans les Laurentides du Québec. Ces excuses seraient valables. Mais la raison, c’est que j’ai voulu, pour quelques semaines, me détacher du monde réel, quotidien, couper tous les faibles ponts qui m’y relient. Ma façon de couper ces ponts, très asociale d’ailleurs, est de ne point même regarder mon courrier, où qu’il me rejoigne. Ce petit système a du bon, et du mauvais. Le mauvais, c’est de n’avoir pas lu votre lettre , si confiante, si amicale, avant le 15 septembre. On veut se protéger (contre les fadaises, les invitations, les ceci cela) et on y réussit, mais on risque aussi de décevoir certains très rares êtres, que l’on sent près de son cœur, de son sang, dont vous êtes.

1544Vous me parlez de la mort de votre père. Et de cette « permanence » qui subsiste, entre votre mère et lui. C’est très beau. D’une beauté que seuls les mystiques, les poètes peuvent éprouver. Il me semble vous avoir confié déjà que je n’avais jamais été guéri de la mort de ma mère. Il se passe peu de nuits que je ne la voie dans mes rêves, vivante et rieuse et douloureuse et pathétique à la fois. (Et soyez assuré qu’il n’y a point chez moi de troubles complexes d’Œdipe, à la freudienne, je suis de ce côté-là un homme tout à fait normal.) Je ne suis pas guéri.

1545Je voudrais vous apporter des mots d’encouragement, de sympathie. Je ne le puis guère. Mais comme je vous connais, ou plutôt vous devine, vous ne guérirez pas. Vous êtes à la fois très mystique, et grand poète. C’est une combinaison malheureuse pour le bien-être moral, qui empêche les cicatrisations. Vous possédez cependant votre foi, que je vous envie. Vous m’écrivez « Tout passe, mais tout demeure ». Et je ne puis croire, hélas, qu’au « tout passe ». N’allez pas croire que mon attitude soit dirigée par l’orgueil. Elle tient davantage de l’impossibilité d’accepter que du refus. Mes luttes sont vaines. Je cherche et ne vois pas.

  • 469

    « Sillages », dédié à « A. G… » (Gustave Lamarche, Œuvres poétiques, t. II, p. 211).

1546Vous m’avez adressé un bien beau sonnet et je désire ardemment que la « gloire du port » nous trouve un jour réunis. Votre générosité m’y conduit avant la lettre. Vous êtes poète, vous créez. Aux tout petits côtés de Dieu. Mais je doute que le seul désir de la route de Dieu soit suffisant pour rencontrer Dieu.

1547J’ai reçu les exemplaires des Carnets et je vous en remercie. Je vous ferai parvenir au cours de la saison prochaine, quelque chose, conte ou nouvelle, puisque vous avez l’amabilité de me le demander. Pour le moment, je suis très pris par un long travail, — de prose — qui suppose une très longue patience, patience qui n’est pas celle du génie, naturellement. (Ce serait trop facile !)

1548Quand vous viendrez à Montréal, faites-moi signe. J’aurai le plus grand plaisir à vous rencontrer.

1549Merci encore, et croyez à mon estime et à mon admiration.

1550Alain Grandbois

  • 470

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1551[11 janvier 1950]

1552Mes meilleurs souhaits, à Lucile, à vous, à vos enfants, à vos petits-enfants, et à toute votre progéniture, dans les siècles et les siècles.

1553Alain Grandbois

  • 471

    Autographe, 2 f. (10,4 x 14 cm) non paginés, écrits recto verso à l’encre noire avec ajouts au cra (…)

1554Montréal, le 12 juin [1950].

1555M. le Chanoine Groulx,

1556Montréal.

1557M. le Chanoine,

1558Voici mon chèque pour le renouvellement de mon abonnement à votre belle Revue d’histoire. Vous me pardonnerez, car je sais votre indulgence, si je vous arrive avec quelque retard. Mais j’ai été souffrant tous ces derniers mois, et cela ajouté à ma nonchalance naturelle…

  • 472

    Vraisemblablement, le premier tome de l’Histoire du Canada français depuis la découverte (Montréal (…)

1559Permettez-moi de vous féliciter de votre magnifique livre . Je viens de le lire avec avidité. C’est, à mon avis, une grande réussite.

1560Veuillez me croire très respectueusement vôtre.

1561Alain Grandbois

  • 473

    Autographe, 1 f. (10,5 x 12,6 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Guy Sylve (…)

1562Montréal, le 12 juin 50.

1563Mon cher Guy Sylvestre,

  • 474

    L’expression est de Winston Churchill qui, en 1946, désigna ainsi la coupure entre l’Union soviéti (…)

1564Je dois m’excuser de mon retard et de ma négligence à vous répondre, mais je dois ajouter que j’ai été souffrant tous ces derniers mois, et j’élève, à tort ou à raison, durant ces périodes sombres, un petit rideau de fer — c’est la mode dans le monde politique ! — entre le monde extérieur et ma modeste personne.

  • 475

    Guy Sylvestre rendra compte de Rivages de l’homme dans un article intitulé « Où en est notre litté (…)

1565Je vous fais parvenir deux exemplaires des Rivages , pour me faire pardonner.

1566Veuillez croire à toute mon estime,

1567Alain Grandbois

  • 476

    Autographe, 5 f. (12,6 x 20,3 cm) paginés 2-5, au crayon (CRLG, fonds Roger Duhamel).

1568Provincetown, le 22 juillet [1950?].

1569Mon cher Roger,

1570Nous sommes à Provincetown depuis plus de quinze jours. C’est encore l’endroit qui me plaît. Il y a la mer, le soleil, les jolies femmes, de la couleur, c’est-à-dire de quoi s’occuper — innocemment—le jour. Quant aux occupations de nuit, elles sont ce que l’on veut qu’elles soient. Il y a trois ou quatre boîtes « chic », aussi des boîtes à matelots, qui ne manquent pas d’un certain pittoresque. Il y a aussi le petit dodo bien sage.

1571Il est inutile de te répéter que nous t’attendons. Nous comptons repartir vers le 10 août. Tu devrais donc t’arranger pour nous ramener à cette date. Donc, vérifier ton calendrier, et partir de Montréal assez tôt pour que tu puisses passer ici au moins quatre ou cinq jours, que tu ne regretteras pas, j’en suis sûr, car il y a de la variété dans les récréations, et le temps pour faire tout ce que l’on désire faire semble extrêmement court. En somme, il te faudrait une semaine au moins Montréal-Montréal. (Mettons 8 ou 9 jours comprenant les allers-retours.)

1572Réponds-moi tout de suite, à l’adresse que je t’indique plus bas, et je t’enverrai des indications plus précises pour les détails du voyage.

1573Je tiens aussi à te dire que tu seras notre invité pour les repas majeurs. Nous avons un petit chalet, mais nous ne pouvons pas malheureusement te loger, car il n’y a que deux lits. Je te retiendrai quelque chose à un hôtel voisin.

1574M. fait de la peinture et est heureuse. Moi aussi, mais par fugues, autrement je ne fais rien, et je suis heureux.

1575Nous t’attendons expressément.

1576Et puis sois bon !

1577Avec mon amitié.

1578Alain G.

  • 477

    La librairie Pony était située au 554 de la rue Sainte-Catherine Est, à Montréal.

1579P.S. Voici un petit service que je te demande. (Les « petits services » sont toujours dans les P. S.). Veux-tu demander à la librairie Pony que l’on m’envoie les journaux français que j’ai l’habitude de retenir. Je leur en ai parlé avant mon départ.

1580Mon adresse :

1581A. G.

1582Post-Office. General Delivery.

1583Provincetown, Cape Cod.

1584Mass. U.S.A.

  • 478

    Autographe, 6 f. (12,5 x 10 cm), paginés 1-12, écrits recto verso à l’encre noire (archives des Éd (…)

1585Le dix janvier 1951

1586Le Révérend Père Cordeau

1587Mon cher Père, je suis sûr que vous excuserez mon retard. Le ciel, avec d’autres vertus, m’a doué d’une négligence peu ordinaire. De sorte que…

1588Je vous remercie de vos bons souhaits, et veuillez accepter mes vœux les meilleurs.

1589Je ne suis pas un « businessman », mais il faut bien parler affaire. J’ai égaré votre feuille de compte. Si je me rappelle bien, c’était dix dollars. Pour, je crois, dix exemplaires de « Né à Québec ». Je vous envoie un chèque de vingt dollars, pour le prix de dix exemplaires de plus, que vous pourriez m’envoyer cette semaine. Je vous dis cela parce que le médecin me condamne à trois mois de campagne, n’importe où, sauf à Montréal. Des amis me cherchent un refuge.

  • 479

    La série « Visages du monde » a été diffusée sur les ondes de la radio de Radio-Canada à raison d’ (…)

1590Vous savez, ou vous ne savez pas, que j’avais chaque semaine, un petit programme à la radio-C. Cela était intitulé « Visages du Monde ». Il y a quinze jours, j’ai prévenu Marcel Ouimet, le directeur du réseau canadien, que j’abandonnais, que je laissais tomber ce programme. La blague est que de mémoire d’homme, on n’avait jamais laissé — c’est-à-dire l’auteur — un programme. Pour trois ou quatre mois. C’était, paraît-il, le programme de soutien — chaque métier a son jargon — de la Société R. C. qui avait le meilleur « rating ». Ouimet voulait conserver le « temps ». Quelles expressions, mon Dieu ! et Père Cordeau, excusez-moi. Le « temps », c’est 8 moins le 1/4, le °soir, le mardi. Je lui ai suggéré de faire réciter « Né à Québec  ».

  • 480

    Le texte de base se lit : « […] de la publicité. J’arrive de Québec, et j’apprends, par les jour (…)

1591Et voilà qu’on le récite, — fragmentairement — tous les mardis, °à 8 – moins 1/4. Dans le petit chapeau initial, j’ai pris soin de faire dire que ce livre était réédité par les Éditions Fides de Montréal. On l’a dit mardi dernier, on peut le répéter mardi prochain, mais je ne pense pas que l’on continue très longtemps, car ce programme est un « programme de soutien », et la Radio-Canada n’est pas supposée de faire de la publicité [et ] les autres maisons d’édition peuvent se plaindre, etc… encore…

  • 481

    Émile Legault (1906-1983), de la communauté des Pères de Sainte-Croix, a fondé, en 1939, les Compa (…)

1592Les journaux de Montréal m’ont appris que le Père Legault est à l’hôpital. Je souhaite que ce ne soit rien de grave.

1593Veuillez agréer mes meilleurs souhaits, et aussi, pardonner les « bavures ». Je n’écris jamais à l’encre. Je suis comme un collégien, je me barbouille tous les doigts. J’écris alors au crayon.

  • 482

    Sans doute Paul-Aimé Martin (plutôt que Morin). La Patrie du jeudi 11 janvier 1951 (p. 14) signale (…)

1594Soyez assuré de ma profonde estime, et de mon respect, et veuillez transmettre au Père Morin mes meilleurs souhaits.

1595Alain Grandbois

  • 483

    Autographe, 2 f. (12,5 x 20,3 cm) non paginés, au crayon ; daté au crayon par Guy Sylvestre (BNC, (…)

1596Québec, le 13 février [1951 ?].

1597Hôpital du Saint-Sacrement

1598Ch. 412

1599Chemin Sainte-Foy

1600Québec

1601Mon cher Guy Sylvestre,

  • 484

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre de Guy Sylvestre.

1602Je vous dois encore des excuses pour n’avoir pas répondu à votre mot de la fin de décembre . J’étais alors malade, et fermé comme une huître — une huître malade, il va sans dire — à toutes choses extérieures. Me voici maintenant à l’hôpital où sous le fallacieux prétexte d’art médical on me pique et repique, larde et relarde, sans compter l’ingestion de mille breuvages plus saugrenus les uns que les autres. Je patiente, il le faut bien, mais rageusement.

1603Je compte retourner à Montréal dans la dernière semaine de ce mois. Je vous y verrai avec plaisir.

1604Bien à vous,

1605Alain Grandbois

  • 485

    Autographe, 2 f. (10 x 12,5 cm) non paginés, carton, à l’encre noire ; daté au crayon par Guy Sylv (…)

1606Sainte-Adèle [début mars 1951].

1607Mon cher Guy Sylvestre,

  • 486

    André Gide est décédé en février 1951. Le texte de Grandbois, intitulé « André Gide », paraîtra da (…)

1608Je vous ferai parvenir pour la date indiquée le texte à propos de Gide . J’ai hâte de voir votre revue, quelle en est la présentation, la disposition, etc. En attendant, je vous souhaite du courage, et toutes les chances du monde.

1609À bientôt, je l’espère.

1610Amicalement,

1611Alain Grandbois

  • 487

    Autographe, 1 f. (10 x 12,6 cm), carton, à l’encre noire (BNC, fonds Guy Sylvestre).

1612Le 31 mars 51.

1613Mon cher Guy Sylvestre,

1614Je vous avais promis pour telle date. J’ai manqué. J’attache plus d’importance à mon manque qu’au papier que je vous envoie. Cependant, si vous jugez que vous devez en retrancher quelque chose, ne le publiez pas. J’ai la manie d’aimer tout ou rien.

1615Amicalement,

1616Alain Grandbois

  • 488

    Autographe, 2 f. (11 x 12 cm) paginés 2-3, carton, écrits recto verso à l’encre noire (CRLG, fonds (…)

1617Montréal, [23] novembre [1951].

1618M. le Chanoine Groulx,

1619Montréal.

1620M. le Chanoine,

  • 489

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

  • 490

    Grandbois rédige alors Visages du monde, diffusé à raison d’une émission par semaine, du 18 avril (…)

1621Je m’excuse tout de suite, et je suis véritablement désolé. Votre petit mot , à quoi j’ai tardé de répondre, ajoute davantage à mon indignité. Je sais cependant que votre générosité de prêtre, et votre expérience d’homme, pardonneront à ma faiblesse, laquelle, dans ce cas-ci, ne tient que de la négligence, et non du mauvais vouloir. Ces derniers mois ne m’ont pas été très favorables. J’ai été souffrant, un jour sur deux, je dois gagner ma vie en écrivant des choses qui ne me plaisent pas particulièrement d’écrire, je suis dispersé, je vis à la pointe de ce siècle fou.

  • 491

    Lettre du 30 décembre 1948 (voir supra, p. 618, n. 2).

1622Je me permets de vous écrire ceci, parce que je n’ai pas oublié que vous m’avez écrit, il y a quelques années, une lettre merveilleuse qui m’avait fort touché. La grâce, hélas, ne me touchait pas. Mais soyez bien convaincu que je l’ai comprise par le cœur.

  • 492

    La Revue d’histoire de l’Amérique française, que dirige Lionel Groulx depuis 1947, et l’Histoire d (…)

1623Voici ce petit chèque. Pour la Revue, et aussi, pour votre Histoire que vous nous donnez depuis un an ou deux. J’avais acheté le premier tome, je l’avais prêté à un ami, qui ne me l’a jamais rendu. C’est classique.

1624Pardonnez-moi encore et croyez à toute ma reconnaissance et à mon admiration.

1625Alain Grandbois

  • 493

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal). Yvette Aub (…)

1626Février 1952.

1627Mademoiselle Aubray,

1628Je vous remercie du service que vous m’avez rendu, et permettez-moi — c’est strictement une question d’affaires, comme je vous l’ai dit — de vous offrir, sous cette forme un peu rude, une boîte de chocolats ou les dragées du carême.

1629Croyez-moi votre dévoué,

1630Alain Grandbois

  • 494

    Autographe, 1 f. (20 x 12,5 cm), au crayon. Enveloppe : « Madame Andrée Maillet Hobden / / Aux soi (…)

1631Samedi, mars, 52

1632Chère amie,

  • 495

    « À propos de la poésie », Amérique française, vol. 10, n° 2, mars-avril 1952, p. 33-36 ; repris d (…)

1633Voici le « papier  » en question. Il a été fait à la hâte, à la dernière minute, comme il se doit. J’en suis peu satisfait. Mais l’on n’est jamais satisfait.

1634Bien amicalement

1635Alain Grandbois

  • 496

    Autographe, 1 f. (10 x 12,5 cm), carton, à l’encre noire (BNC, fonds Guy Sylvestre).

16362 avril 52.

1637Mon cher Guy Sylvestre,

1638Je vous ferai parvenir un poème d’ici une huitaine de jours. Au vrai, depuis quelques semaines, j’ai été très souffrant, et j’ai dû me borner à l’essentiel immédiat, c’est-à-dire à l’exercice d’un travail strictement voué à la subsistance quotidienne.

  • 497

    Élu à la Société royale du Canada en 1951, Guy Sylvestre a été présenté à l’Académie des lettres e (…)

1639Ai-je négligé de vous féliciter à l’occasion de votre entrée à la Société Royale  ? Si je ne l’ai pas fait, veuillez croire que j’ai été très heureux de ce choix.

1640Amicalement,

1641Alain Grandbois

  • 498

    Autographe, 2 f. (10,4x 12,6 cm) paginés 2-4, carton, écrits recto verso au crayon (BNC, fonds Guy (…)

1642Dimanche, le 6 avril [1952].

1643Mon cher Guy Sylvestre,

  • 499

    Publié, par erreur, comme deux poèmes intitulés « Ô Douleurs » et « Peupliers », dans la Nouvelle (…)

1644Voici le poème promis. S’il ne vous convient pas, je vous demanderais de me le renvoyer. Car il est absurde, apparemment, comme toute la poésie qui ne courbe pas le dos sous la férule des professeurs de belles-lettres de nos séminaires canadiens. Ces messieurs ont peut-être raison. Je n’en sais rien, et je dois vous avouer que je m’en « fiche » éperdument. La poésie que j’écris peut ne pas valoir le papier sur laquelle elle est tracée. Je ne l’écris ni pour le « siècle », ni pour les temps à venir. Je le fais parce que cela me plaît tout simplement, que c’est pour moi une sorte de délivrance, de soupape et d’évasion.

1645Je n’ai pas eu le courage de recopier au propre. Les petits signes = signifient l’interligne.

1646Je vous serre la main.

1647Alain Grandbois

  • 500

    Autographe, 2 f. (10 x 12,5 cm) paginés 2-4, carton, écrits recto verso au crayon (BNC, fonds Guy (…)

1648Le 17 juin 52.

1649Mon cher Guy Sylvestre,

  • 501

    Voir supra, n. 2.

  • 502

    Guy Sylvestre projetait d’écrire pour l’Office national du film le scénario et le texte d’un film (…)

1650Je vous renvoie, avec les retards coutumiers, l’épreuve du poème . Quant à votre projet de cinéma , prenez, s’il vous est utile de le faire, tout ce que vous pouvez trouver dans mon œuvre, qui est mince. Je ne sais pas ce que vous avez conçu. Mais je dois vous dire tout de suite de ne pas compter sur moi pour paraître devant l’écran d’un cinéma. Je ne suis ni Gide, ni photogénique, et je persiste à croire que l’on ne doit pas faire la publicité de l’écrivain comme celle de la Campbell Soup ou de la Lucky Strike.

1651Remarquez bien que c’est un point de vue tout à fait personnel.

1652Soyez assuré de mon amitié.

1653Alain Grandbois

1654(P.S.) Si vous publiez votre [sic] poème « Douleurs », vous est-il possible de signer mon nom à gauche de la page. C’est une douce manie. Il en est ainsi, quand on vieillit.

  • 503

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal). Gilles Duh (…)

1655[Québec, le 10 février 1953.]

1656Mon cher Gilles,

  • 504

    Son éminence le cardinal Paul-Emile Léger, qui effectue un voyage à Québec en février 1953.

  • 505

    Sous la manchette « Foule immense à la gare — Trois jours pour mieux nous connaître » : « Je suis (…)

1657Voilà. Je te confie le plus grand secret. Maladie, hôpital, examens, etc., tout n’était que camouflage, subterfuge, ruse géniale. Mais ruse d’amour. Bref, j’ai voulu La suivre. Son absence de Montréal m’était intolérable. Elle est ici, dans nos murs, les bras ouverts. Quels doux instants, quelles joies ineffables ! L’Événement de ce matin Lui prête ces mots historiques : « Durant trois jours, je serai à la disposition de ce bon peuple. J’essaierai d’être du bon pain afin que ce bon peuple me mange  ! » (Textuel)

1658À part cela, je ne me porte pas trop mal. On me joue avec les bras, les fesses, à coup de seringues. Je me dirigeais tout doucement, —mais sûrement—vers l’avenue pernicieuse. On m’arrête à la frontière. Je me sens déjà ragaillardi.

  • 506

    Daphnée Keith, épouse de Gilles Duhamel.

1659Mes hommages à Daphnée la charmante. Sois bon. Je prie pour toi.

1660Alain

  • 507

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1661Jeudi, le 12 février [1953].

1662Mon cher Gilles,

  • 508

    Voir supra, p.622, n. 2 et 3.

1663Je traverse des heures tragiques et bouleversantes, et mon cœur sombre dans les plus noirs désespoirs. Car Elle est partie. Elle m’a quitté, abandonné. Elle m’a laissé dans un désert aride et nu. Enfer et damnation ! Ah !

  • 509

    Journaliste, Omer Renaud a été, notamment, le narrateur d’une série intitulée Les Reportages, port (…)

  • 510

    Paul L’Anglais (1905-1982) aproduit, avec Paul Guay, le film Un homme et son péché (1948). En 1949 (…)

  • 511

    Paul Dupuis (1916-1976), comédien, a joué dans plusieurs films, dont, notamment, Tit-Coq. À la tél (…)

  • 512

    En 1950, Robert La Palme (1908-1997) a publié un ouvrage intitulé La Palme. Les 20 premières année (…)

  • 513

    Jacques Desbaillet donne la réplique à Jovette Bernier dans la série radiophonique Quelles nouvell (…)

  • 514

    Les frères Marcel et Roger Baulu ont connu une longue carrière radiophonique. En collaboration ave (…)

1664Une seule lueur de consolation. Elle s’est rapprochée de vous tous, Omer Renaud , Paul Langlais , Paul Dupuis , Robert La Palme , Jacques Desbaillet , la tribu des Baulu , et Elle vous distribuera ses inépuisables trésors. Chacun son tour. C’est la loi inéluctable de la vie.

1665Malgré ce profond accablement, je ne me porte pas trop mal. Je lutte, je lutte, et je me saoule à l’eau de Vichy (Céles-tins) et à l’insuline.

1666Bien à Toi,

1667Alain G.

  • 515

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal). Enveloppe  (…)

1668Mardi, le 10 mars 53.

1669Mon cher M. Pilon,

1670Vous êtes un vrai poète. Et vous me voyez navré de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Je suis malade depuis des mois, et j’ai dû faire dernièrement un séjour à l’hôpital, de sorte que j’ai négligé davantage une correspondance que je néglige ordinairement, car je persiste à ne pas vivre selon les lois du siècle, lesquelles ne me plaisent pas.

  • 516

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre de Rina Lasnier. En janvier 1950, André Roche, qui travaill (…)

  • 517

    In partibus infidelium : dans les pays occupés par les infidèles. Se dit de l’évêque dont le titre (…)

1671Mais je dois vous dire tout de suite qu’il y a maldonne à propos des Éditions Roche, et Rina Lasnier, qui m’a écrit à votre sujet, imaginait sans doute que je faisais partie de cette maison . Il n’en est rien. Cette maison ne publie d’ailleurs qu’à compte d’auteur — in partibus —.

  • 518

    Jean-Guy Pilon a fait parvenir à Grandbois un exemplaire manuscrit de son premier recueil de poème (…)

1672Vous n’êtes pas du tout un inconnu pour moi. J’ai lu certains de vos poèmes dans le Devoir, et je les ai trouvés remarquables. (Veuillez bien croire que je ne suis guère prodigue en louanges ou compliments.) Le manuscrit que vous m’avez adressé renferme de très belles choses. Je voudrais bien sincèrement vous aider, je ne sais par quels moyens, ni comment.

1673Je vous félicite encore.

1674Bien à vous,

1675Alain Grandbois

  • 519

    Autographe, 3 f. (13,6 x 20,2 cm) paginés 2-3, à l’encre noire avec une transcription autographe d (…)

1676Le 23 mars 1953.

1677Ma chère Simone,

  • 520

    Simone Routier prépare une anthologie, qui sera publiée en Belgique, en 1954 ; elle a demandé à Gr (…)

1678Je crains qu’il ne soit trop tard pour ce que vous me demandez , et vous m’en excuserez. J’ai été souffrant tous ces temps derniers, et dans ces moments je coupe généralement toute communication avec le monde extérieur, je ne vois plus personne, je ne dépouille même pas mon courrier, je lèche mes plaies. Tout cela peut sembler outrageusement romantique, et quelque peu ridicule, mais c’est ainsi.

  • 521

    « Le Songe », qui paraîtra également dans Le Journal des poètes, en septembre 1954 (p. 4) ; repris (…)

  • 522

    Alain Grandbois et Gérard Morisset (1898-1970) se connaissent depuis 1944. C’est Gérard Morisset q (…)

  • 523

    Le portrait d’Alain Grandbois par le peintre Iacurto sera reproduit sur la page couverture de l’ou (…)

1679Vous trouverez ci-inclus le manuscrit d’un court poème que j’ai raccourci davantage, une photo prise par Gérard Morisset il y a déjà quelques années, —je n’en ai pas d’autres, et le fusain de Iacurto est depuis longtemps perdu —, et une biographie qu’avec la meilleure volonté du monde je ne puis nourrir davantage.

1680Et vous, comment la vie vous traite-t-elle ? J’ai appris votre passage à Québec — et j’ai regretté de ne pas vous avoir vue. Mais ne vivons-nous pas dans un perpétuel chassé-croisé ? Le printemps s’est annoncé ici, d’une manière éclatante, dans une bourrasque de neige et de vent. Je songe avec quelque nostalgie au vert tendre des marronniers.

1681Croyez à mon souvenir affectueux,

1682Alain G.

  • 524

    Pierre-Louis Flouquet (1900-1967) a d’abord connu une importante carrière comme peintre. Après avo (…)

1683P.S. Je vous remercie de votre attention, qui m’a touché, et veuillez remercier aussi M. Flouquet de ses bonnes dispositions.

1684A.

  • 525

    Autographe, 1 f. (10,3 x 13 cm), carton, écrit recto verso au crayon (fonds privé Georges Raby).

1685[27 avril 1953]

1686Mon cher Serge,

1687Voici le mot officiel, le Vous, le Vous, et la phraséologie nécessaire — et à l’encre ! — qui me plaît à peu près autant que la corde du pendu. Mais il faut cela pour les archives.

1688Sois toujours bon, baise avec componction, et bois avec le moins de pondération possible.

1689Ton vieil ami,

1690Alain G.

  • 526

    Autographe 3 f. (21,5 x 28 cm) paginés 2-3, à l’encre noire. Enveloppe : « Monsieur Fernand Ouelle (…)

1691Montréal, le 4 mai 54.

1692M. Fernand Ouellette,

1693Montréal.

1694Mon cher poète,

  • 527

    Fernand Ouellette aurait lu Les Îles de la nuit en août 1952 : « Je m’enthousiasmai pour Alain Gra (…)

1695Je m’excuse tout de suite d’avoir un peu tardé à vous répondre, j’ai été souffrant, et je suis allé prendre le frais à la campagne. Permettez-moi de vous remercier tout d’abord de votre « rappel » du 10e anniversaire des îles de la nuit , je n’y aurais pas songé moi-même ! Mais vous m’avez fait plaisir en y pensant, j’en ai été à la fois surpris et touché.

  • 528

    Fernand Ouellette a fait parvenir à Grandbois, ainsi qu’à Clément Lockquell et à Pierre Jean Jouve (…)

1696Et maintenant, parlons de vous. J’ai lu vos poèmes avec beaucoup d’intérêt . Vous me demandez mon avis. Je vous le donne très simplement. Vous êtes très doué, vous avez des accents qui ne trompent pas. D’autre part vous sacrifiez trop volontiers, quand l’inspiration vous laisse, à des mouvements, à des vers qui se rapprochent plus de l’habileté provocatrice que de la poésie authentique. Toute poésie moderne, et si échevelée soit-elle, doit être marquée du signe sur le mur, de la blessure de l’intelligence ou du cœur, ou d’une révolte qui transperce les mots, les défonce et les broie. Le reste est de la mauvaise littérature.

  • 529

    Le manuscrit comprend six poèmes, dans lesquels Grandbois a souligné : « et l’aube fume au sein de (…)

1697Je me suis permis de souligner, au crayon, ce que j’ai particulièrement aimé dans vos poèmes . Je peux me tromper. Je ne suis pas un augure, un dieu.

  • 530

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

1698Mais soyez surtout vous-même. N’ajoutez pas trop de crédit aux modes du jour. Je relis votre lettre . Non, vous ne devez pas vous taire. Vous avez beaucoup de talent. Vous saurez très bientôt distinguer, chez vous, le bon grain de l’ivraie. Je vous félicite d’être jeune et… poète.

1699Bien amicalement,

1700Alain Grandbois

  • 531

    Carte de vœux (reproduction d’une œuvre de Eliot Beveridge : « Cape Shore Paper Products, South Po (…)

1701Le 26 juillet [1954].

1702Mon cher Willie,

  • 532

    Willie Chevalier a proposé à Grandbois de traduire l’histoire de la famille Molson par l’historien (…)

  • 533

    Société Radio-Canada.

1703Merci pour les hauts documents . Il n’y a pas à dire, à la S. R.-C. , on fait les choses avec méthode. Ça me fascine, moi qui n’ai jamais eu d’ordre, sauf dans mon désordre.

1704J’aurais passé de bonnes vacances si je n’avais eu un petit accident idiot qui m’a fortement froissé deux ou trois côtes, jusqu’à quel point, je ne le sais pas, je le saurai à Montréal.

1705Sois toujours bon, c’est-à-dire angélique.

1706Amicalement,

1707Alain G.

  • 534

    Autographe, 3 f. (13,2 x 20,5 cm) paginés II et III, au crayon (CRLG, fonds Roger Duhamel).

1708Lundi [30] août [1954].

1709Mon cher Roger,

  • 535

    Roger Duhamel a été relevé de ses fonctions d’animateur pour avoir été en état d’ivresse lors d’un (…)

  • 536

    Willie Chevalier.

1710Je ne sais pas quelles sont tes réactions à propos de cet incident , qui aurait pu arriver à chacun d’entre nous, et qui a été relevé dans les journaux avec une telle indécence. Nous sommes quelques-uns, — Willy entr’autres — qui sommes indignés de cette attitude, et je tiens à ce que tu le saches. Tu sais fort bien que les envieux n’attendaient qu’une occasion pour distiller leur poison. Le monde n’est pas joli-joli ! Laisse passer l’orage. Ces culs trouveront bientôt d’autre gibier. Je voudrais surtout, car il est inutile que je te dise que j’ai pour toi beaucoup d’estime et d’amitié, que tu ne te laisses pas abattre par ce coup dur. Tout ce que tu représentes de dons, de talents, de vitalité, tout cela est parfaitement intact. Il fera soleil demain.

1711Alain G.

  • 537

    Autographe, 2 f. (10,2 x 12,7 cm) paginés 2-4, carton, écrits recto verso à l’encre bleue ; numéro (…)

1712Le 27 avril 1955. Montréal.

1713Ma chère Simone,

  • 538

    Voir supra, p. 624, n. 6.

1714Je vous écris à tout hasard à cette adresse, me demandant si c’est bien celle que vous m’aviez donnée, quand nous nous sommes rencontrés à Montréal. Depuis ce temps, votre ami M. Flouquet m’a écrit, et me dit que vous lui aviez envoyé un chèque, pour les livres que je vous avais demandés. Je ne sais comment vous en remercier. Mais je tiens naturellement à vous le remettre, et pour ceci, il me faut savoir où je puis vous rejoindre, au bout d’un bout de papier. Je suis hélas très négligent pour ma correspondance, mais je suis très chatouilleux dans les affaires [d’]argent, surtout quand elles concernent mes amis, dont vous êtes.

1715Je vous demande simplement un petit mot, au revers d’une carte postale.

1716Soyez heureuse (comme si on pouvait l’être !),

1717Alain G.

17182151 Lincoln Ave.

1719Montréal

  • 539

    Autographe, 7 f. (12,6 x 20,3 cm) paginés 2-8, à l’encre bleue ; numéroté « 48 » à l’encre verte p (…)

1720Lundi, le 9 mai 1955.

1721Ma chère Simone,

1722Vous êtes tout à fait généreuse, mais je ne puis accepter cet « échange » que vous me proposez. Vous trouverez donc ci-inclus un chèque de 19 dollars, et je vous demanderais de le « tirer » à votre banque le plus tôt possible, c’est-à-dire d’ici quelques jours. Car vous savez, les comptes bancaires sont choses fragiles, et ce que l’on a aujourd’hui, on risque de ne pas l’avoir demain. Et je suis, hélas, si mauvais financier. (C’est de famille !)

  • 540

    En 1957, Grandbois fera parvenir à Simone Routier un exemplaire de L’Étoile pourpre avec la dédica (…)

  • 541

    La librairie Ducharme, située au 995 de la rue Saint-Laurent (près de La Gauchetière), était spéci (…)

1723Quant au reste, vous me permettrez de vous l’offrir, avec ces réserves. Je n’ai plus d’exemplaires des Îles de la Nuit, ni de Marco Polo, ni d’Avant le Chaos . Il n’y en a d’ailleurs plus nulle part, et je retiens, depuis deux ou trois ans, à la vieille maison Ducharme , les exemplaires qui pourraient y aborder, à la suite de deuils, de ventes à l’encan, etc. Veuillez bien croire que je ne vous écris pas cela sous le signe bien connu de la vanité de l’écrivain, ou du moins, de ce que l’on nomme par cela. Elle existe sans doute chez certains écrivains, mais pas plus que chez les gros avocats, les médecins cossus, et les industriels qui deviennent millionnaires du jour au lendemain. Non, chez moi, c’est que les différents éditeurs qui ont publié mes livres ont tous fait faillite, ou à peu près. De sorte que… Ce n’est pas l’avidité très vorace du public, que vous connaissez, j’imagine, qui est la cause de cette rareté !

  • 542

    Maria de l’hospice (voir supra, p. 604, n. 4).

1724Je vous ferai parvenir, ces jours prochains, les livres de ces auteurs que vous m’avez mentionnés. Permettez-moi de vous les offrir à titre amical. Je ferai ajouter à l’envoi deux petits livres de moi, Né à Québec et Rivages de l’homme, et aussi un livre de ma sœur Madeleine, composé de contes « canadiens  ».

1725Après vous avoir parlé de ces choses plutôt ennuyeuses, je dois vous remercier encore pour votre charmante invitation, nous ne pourrons probablement pas l’accepter, mais Marguerite se joint à moi pour en reconnaître la gentillesse et la grâce. Mais de toutes façons, je passerai cet été par Boston, et j’espère que vous me ferez le plaisir de déjeuner ou de dîner, ou de prendre un verre avec moi.

1726Bonjour Simone,

1727Alain Grandbois

  • 543

    Autographe, 11 f. (13,5 x 22 cm) paginés 2-11, à l’encre bleue ; daté au crayon rouge par Rina Las (…)

1728Montréal, le 13 juin [1955].

1729Chère Rina et amie,

  • 544

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

1730Votre petit mot — d’une tigresse indignée — m’a fait rire. Non pas de vous, croyez-le bien, mais de moi, de ma négligence, de ma nonchalance, de mon apathie, etc. Il ne s’agit pas, ainsi que vous terminiez votre lettre, d’un concours d’indépendance entre nous. Vous êtes indépendante, je le suis. Un point, c’est tout. Mais je dois vous avouer que ce n’est pas par indépendance que je ne réponds pas généralement aux lettres. Je suis allergique à l’art épistolaire, comme aux fraises du printemps. C’est une infirmité. J’en souffre, j’ai manqué par là de bonnes amitiés, je suis ainsi. Et plus je vieillis, plus je me retire dans ma coquille. Je suppute parfois les quelques années, les quelques mois, les quelques semaines qui me seront donnés de vivre. Ce sont des cadeaux. Dans ma jeunesse, la vie m’a prodigieusement favorisé. Argent, santé, amour, etc. J’aimais le risque, l’aventure, j’ai été comblé. De sorte que la vie aujourd’hui, ne me doit plus rien. C’est au contraire elle, en quelque sorte, qui me fait flotter. Je lui en suis reconnaissant.

1731Vous me dites dans votre petit mot que je suis un être charmant. Rien ne pouvait me blesser davantage, on me l’a dit trop de fois, au moment où je pouvais donner l’impression de l’être (entre 20 et 40 ans). Entre nous, et très sincèrement, je ne l’ai jamais cru.

1732Mais les femmes — que j’adorais — sont presque aussi folles que les hommes. Je suis celui qui n’écris (un T ou un S) jamais, je vous inflige cette longue épître.

  • 545

    Sylvia Daoust (née en 1902) fut l’une des premières sculpteures au Québec. Elle séjourna à Paris e (…)

1733Vous me voyez désolé quand vous me dites que votre déménagement ronge vos forces, et que vous ne pourrez pas venir à Montréal dans le cours de l’été. Vous savez bien que vous pouvez fort bien venir. Et nous déjeunerions, ou dînerions, avec votre amie Sylvia Daoust . Vous avez le téléphone. Saint-Jean n’est pas diable en Alaska. Prévenez-moi tout simplement deux ou trois jours à l’avance. Pour qu’il n’y ait point de malentendus. Autant je suis <illisible> dans ma correspondance, autant je suis fidèle, — et à l’heure fixée — à mes rendez-vous. Pourquoi ? Je n’en sais fichtre rien. C’est peut-être que mon horreur d’attendre, — je suis toujours impatient et nerveux —je la prête aux autres qui ne l’ont pas. De sorte que j’attends.

1734Je tiens encore à vous remercier de votre patience amicale, et de votre générosité.

  • 546

    Rina Lasnier a deux sœurs : Rébecca et Alda. Il s’agirait ici d’Alda (voir Éva Kushner, Rina Lasni (…)

1735Ce que j’ai dit à votre sœur n’avait pas le sens péjoratif que vous avez peut-être imaginé. Je devais partir le lendemain pour Québec, je suis un peu bousculé en ce moment, j’ai un tas de petites affaires à régler — la succession de mon père, etc. — (des dettes !) et c’est pourquoi !

1736Vous savez, ou vous ne savez pas, de quelle façon je tiens en estime votre talent. Autrement, je ne me donnerais pas la peine de venir ainsi bavarder, librement, avec vous. Cette lettre doit être la plus longue que j’aie écrite depuis 25 ans. Je parle avec vous comme si vous étiez devant moi.

1737Ne m’en veuillez pas trop. Et soyez assurée que vos petits signaux d’amitié, une ou deux fois par année, auxquels je ne répondais pas, me faisaient cependant le plus grand plaisir.

1738Je vous embrasse sur la joue droite, ou gauche, choisissez. Ou sur les deux.

1739Alain Grandbois

  • 547

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

  • 548

    Boursier de la Société royale du Canada, Grandbois séjournera en Europe jusqu’à l’automne de 1956.

1740Samedi, le 1er oct. 55. [Paris ]

1741Mon cher Victor,

1742Voici. Je suis navré. Le poème que je vous destinais a été perdu dans un sac — avec mes certificats d’assurances, et des papiers importants — perdu et retrouvé. Hier seulement. (C’est à cause des grèves de chemins de fer, des débardeurs, des commissionnaires, etc. On fait ici de petites grèves quotidiennes. Hier, c’était la grève de l’eau.) J’ai retrouvé le sac, mais j’ai encore à repêcher une malle-armoire où sont mes complets, et dont on a perdu toutes traces. Ce qui ne laisse pas de me gêner, je n’ai qu’un veston sport et deux paires de pantalons pour me mettre sous la main, si l’on peut dire.

  • 549

    L’Étoile pourpre, qui paraîtra aux Éditions de L’Hexagone en 1957.

1743Mais pour en revenir à notre propos, puisque j’ai retrouvé les papiers nécessaires, serait-il trop tard, si je vous envoyais le tout, vers la mi-octobre, pour votre projet de publication. Dites-le moi, ces poèmes font partie d’un livre qui sera publié ici même, dans le cours de l’année .

1744Paris m’a d’abord stupéfait, et irrité. Un bruit d’enfer. Des voitures en fer-blanc, des vélomoteurs, des motocyclettes, des camionnettes, des camions poids-lourds, etc., et tout cela, à une vitesse prodigieuse. St-Germain-des-Prés, que j’aimais pour cette sorte de paix provinciale qu’il nous apportait, est devenu plus bruyant que l’angle Peel et Ste-Catherine de Montréal. On s’y habitue. Il y a aussi que Paris pour moi est peuplé de fantômes. J’y retrace une jeunesse perdue.

1745Des amis cherchent un appartement pour moi. C’est très difficile. J’irai probablement habiter les « beaux quartiers », obligatoirement. Le XVIe. Je n’aime pas cela. Mais il n’y a rien d’autre. En attendant, je demeure dans un petit hôtel de la rue Cassette, qui sent légèrement la vinaigrette et le <illisible>. $ 6.00 dollars par jour, mon cher ami. Oui, oui, c’est ainsi. La vie est extrêmement chère.

1746Répondez-moi, dites-moi à propos des poèmes, faites mes hommages à Lucile, et croyez-moi votre ami.

1747Alain Grandbois

  • 550

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault). En marge supérieure du premier feuillet : dessin d’une fem (…)

1748Le 14 nov. 55.

1749Mon cher Victor,

  • 551

    Le 15 octobre 1955, Victor Barbeau écrit à Grandbois : « Mon cher Grandbois, / / Il n’est pas dans (…)

  • 552

    « L’étoile pourpre (fragments) », dactylographie. En marge gauche du premier feuillet, daté « 19 e (…)

1750Je m’excuse encore de vous avoir déçu . Mais vous êtes si généreux. (Je le dis sans rire). Vous ne m’avez peut-être pas cru quand je vous écrivais disant qu’une de mes valises, dans laquelle se trouvaient tous mes papiers d’assurances, etc., et ce maudit poème , avait été égarée ou volée ou perdue. Mais voilà, je l’ai récupérée ce matin. De sorte que je vous l’adresse, par voies naturelles ( !), alors que je vous fais parvenir ce petit mot par avion.

1751Je me familiarise peu à peu avec Paris. Mais point avec Montmartre, que je n’aime pas. Mais je n’ai pu trouver rien d’autre. J’habite — ce qui peut vous rassurer pour le salut de mon âme — à deux minutes de la basilique, dont j’entends les cloches à toutes heures du jour, et même au petit matin. Mais le son de ces cloches est si grave, — c’est un peu comme un gong chinois — que si elles venaient à se taire, j’en souffrirais. (Ah, une toute petite souffrance, à fleur de peau, ou plutôt d’oreilles, mais j’en souffrirais quand même.)

  • 553

    Le 28 novembre 1955, Marguerite Rousseau écrira à Victor Barbeau : « Paris m’a enchantée et m’ench (…)

1752J’ai transmis vos hommages à Marguerite. Je lui ai proposé d’ajouter quelques mots à ce mot. Comme elle est fort indépendante, elle m’a répondu qu’elle se proposait de vous écrire elle-même . Je suppose qu’elle tient à vous remercier, ainsi que Lucile, des attentions et de la gentillesse que vous lui avez tous deux témoignées.

1753Que vous dire de plus ! Tous les gens, ici, sont charmants pour nous. De l’épicier à l’Ambassadeur.

1754Je travaille beaucoup. Cela peut encore vous faire sourire, c’est la vérité. J’ai été fort malade, je suis mieux. Je ne sais pas si je vous l’ai écrit — j’étais plein de quinine, laquelle drogue vous fait des trous dans la mémoire, la crise est passée, et je me contente d’une petite dose quotidienne. Le médecin, la semaine dernière, m’a dit que ma fièvre était devenue chronique, qu’il n’y avait rien à faire, mais que je pouvais éviter de temps en temps si je n’y ajoutais pas de veilles trop prolongées, et des excès d’alcool. Je lui ai répondu que je buvais précisément parce que je souffrais, il s’est mis à rire, et nous avons conclu que c’était un cercle vicieux.

1755Ne pas pouvoir en sortir. Il m’a dit cependant — c’est un spécialiste des maladies tropicales — que j’aurais moins d’attaques si je me couchais raisonnablement, à minuit, comme tout le monde et si je prenais un peu moins d’alcool.

1756Tout ça est très facile à dire. Il est cependant difficile de changer les habitudes d’un homme de mon âge.

1757Et puis, je ne peux travailler que la nuit. Donc.

1758Vous savez que j’ai horreur d’écrire des lettres. Vous êtes un cas spécial. Si vous m’écriviez, disons, tous les quinze jours, ou toutes les semaines, je vous répondrais.

1759Apportez mes hommages à Lucile, et à vous, très amicalement.

1760Alain Grandbois

  • 554

    Ordonné prêtre en 1939, François Hertel (pseudonyme de Rodolphe Dubé, 1905-1985) quitte les ordres (…)

1761P. S. J’ai rencontré, l’autre jour, à l’Ambassade, votre petit ami Hertel . En civil, il n’est point beau. Mais au demeurant, toujours sympathique. Il m’a offert ses services pour la recherche d’un appartement, pour l’achat d’une voiture, pour un voyage en Italie ou en Espagne, bref, il allait m’offrir, je crois, sa première négresse. Je ne veux ni médire, ni calomnier, mais j’ai l’impression qu’il « s’en tire » en offrant ses services de guide aux innombrables Canadiens qui viennent à Paris, je l’avais invité à dîner, l’autre dimanche, mais j’étais grelottant de fièvre dans mon lit. Je le reverrai. Et je vous donnerai de ses nouvelles. Au vrai, c’est vous qui avez raison, il a du talent, mais humainement, c’est un pauvre type. De là ses gasconnades, ses vantardises. Et sa situation équivoque vis-à-vis du clergé. Mais comme il est moche, avec son petit complet de confection ! Il en devient attendrissant.

1762Écrivez-moi. Vous pouvez pousser dans vos lettres jusqu’à l’ironie, ça ne me gène pas. Je suis assez coriace, malgré mes airs d’enfant de chœur vieillissant.

1763Je vous serre la main,

1764Alain Grandbois

17652e P.S. Et je vous remercie de votre amitié.

1766Je pourrais vous faire de petits dessins plus colorés. Pour aujourd’hui, je ne dispose que d’un crayon rouge, et d’un bleu.

  • 555

    En marge gauche du dernier feuillet, où Grandbois a esquissé un sapin, une voiture, un hôtel et un (…)

1767Juan-les-Pins. La beauté est multiple .

  • 556

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1768Le 7 décembre 55,

1769envoyé le 13 décembre.

1770Mon cher Victor,

  • 557

    Cette procuration aurait permis à Victor Barbeau de voter au nom de Grandbois lors des réunions de (…)

1771Vous me voyez navré de n’avoir pu vous adresser ce que vous m’avez demandé. Je n’ai reçu votre lettre qu’hier soir, je me suis absenté de Paris une huitaine de jours, suivant les instructions du médecin. Je ne fais plus de fièvre, et mon état grippal s’est amélioré. Maintenant, puis-je vous suggérer ceci ? Pourquoi ne pas me rédiger une procuration , que je vous signerais, et qui servirait jusqu’à mon retour au Canada, disons jusqu’à l’automne prochain ? Il me semble que cela serait plus simple ainsi. Car vous aurez certainement d’autres réunions, et d’autres occasions de prendre le vote. Voici pour ce sujet.

  • 558

    Dans sa lettre du 22 novembre 1955, Victor Barbeau écrit à Grandbois : « Coïncidence curieuse, j’a (…)

  • 559

    Les poèmes publiés à Hankéou, en 1934, ont tous été repris, avec de légères modifications et dans (…)

1772À propos du jeune homme de Brébeuf , vous n’avez pas du tout été indiscret. Mais l’exemplaire édité en Chine ne lui rendra guère service. La plupart des poèmes qu’il contient ont été publiés plus tard, dans les Îles de la nuit .

  • 560

    « Les maîtres français du

    xix

    e siècle dans les collections américaines », au Musée de l’Orangerie (…)

1773Je me réconcilie peu à peu avec la France. Mon court séjour en province — Moret-sur-Loing — a été tout à fait agréable. Comme cette toute petite ville est située à quelques kilomètres à peine de Chartres, j’ai pu revoir, à plusieurs reprises, la fameuse cathédrale et ses vitraux. D’autre part, à Paris, à l’Orangerie, il y a une exposition magnifique, des Renoir, des Cézanne, des Rouault, des Rousseau, etc., et une autre à la « Maison de la Pensée française », de Toulouse-Lautrec, et encore une autre, au Louvre, pour l’art étrusque. J’allais parmi ces diverses manifestations de l’art dit pictural muni d’une demi-douzaine de mouchoirs. Ma grippe m’a empêché de me rendre au théâtre, et à quelques conférences où j’étais invité, car dans ces endroits les mouchoirs et les quintes de toux sont plus ou moins appréciés, et peuvent même susciter, comme l’on s’exprime dans le langage de la politique, des mouvements divers.

1774Je suis encore un peu fatigué. J’ai beaucoup travaillé, n’ayant rien d’autre à faire. C’est-à-dire que j’ai travaillé davantage, depuis deux mois, que durant deux ans à Montréal. Soyez rassuré, cela ne durera pas.

1775Bien amicalement,

1776Alain Grandbois

  • 561

    Le 31 décembre 1955, Barbeau lui écrira : « Je suis bien heureux d’apprendre que les dieux (à moin (…)

1777P.S. Il faut compter, par avion, environ cinq jours. Le courrier ordinaire, quinze jours. Tout cela semble excessif, mais c’est généralement ainsi, avec les grèves multiples et les mauvais temps .

1778A. G.

1779Mes hommages à Lucile.

  • 562

    Dactylographie (copie carbone), 2 f. (21,5 x 28 cm), signature à l’encre bleue (BNQ, 204/9/11).

1780Janvier, le 22,1956.

1781Monsieur le Secrétaire,

1782Comité des Bourses de la Société Royale du Canada,

1783Ottawa.

1784Monsieur,

  • 563

    Grandbois séjourne en Europe grâce à une bourse de la Société royale du Canada.

1785J’ai l’honneur de vous adresser ce petit rapport concernant la première partie de mon séjour à Paris. Depuis mon arrivée, je me suis efforcé de reprendre contact avec la vie intellectuelle de la grande capitale, d’en retrouver certains aspects particuliers, n’appartenant qu’à elle, et que j’avais pu, avant la dernière guerre, apercevoir et même goûter vivement. Je les apprécie encore davantage aujourd’hui.

1786Mais tout cela appartient à une sorte d’ambiance, d’atmosphère ou de milieu qu’il est difficile de définir avec précision. Telle promenade sur « les bords fleuris de la Seine », ou dans les allées du Bois, ou dans les environs merveilleux de Paris, telle conversation avec des poètes ou des critiques, telle visite à des galeries d’art, tout cela ne peut qu’apporter à un écrivain un stimulant que j’estime, du moins pour ma part, puisque je viens de le constater, nécessaire. Mais voici des choses plus concrètes, concernant mon travail personnel. Je viens de terminer une suite de poèmes, formant la matière d’un volume intitulé provisoirement Pourpre, j’en achève un autre, dans la même veine, — quelque peu ésotérique ! — et je commence un travail d’inspiration nettement canadienne, d’abord beaucoup plus facile, que chacun pourra lire sans tourments. J’ai également d’autres débuts manuscrits — contes, nouvelles — que je laisse et que je reprends tour à tour, pour ne pas perdre le sens de la prose, et aussi pour mon propre amusement.

1787Et voici, M. le Secrétaire, le recensement de mes dernières, ou de mes premières activités de Boursier. (La langue française est d’une subtilité fort embarrassante parfois.)

  • 564

    Jean Désy (1893-1960), qui a occupé de nombreux postes dans la fonction publique fédérale, a été a (…)

  • 565

    René Garneau est alors attaché culturel de l’ambassade du Canada à Paris. Il a présenté Grandbois (…)

1788Je ne sais comment exprimer ma reconnaissance à la Société Royale, et je vous prie de lui en apporter le témoignage. Je tiens également à remercier deux de vos membres très distingués, Son Excellence Jean Désy , qui m’a accueilli de la façon la plus copieuse et la plus généreuse, et M. René Garneau , qui s’est ingénié à faciliter l’obtenance de mes papiers de nouvel arrivant, et qui surtout s’est empressé de m’ouvrir les portes mystérieuses du climat intellectuel de ce moment.

1789Je demeure, avec toute ma gratitude,

1790Votre dévoué

1791Alain Grandbois

  • 566

    Autographe, 10f.(13,4×20,8cm)paginés2-ll, à l’encre bleue (BNQ, 204/10/4).

1792Mercredi, le 7 mai 56.

1793Mon cher Jeannot,

  • 567

    Effectivement, ce roman ne sera pas publié.

1794Voilà. Je crains que cette lettre ne te déçoive. Mais je crois véritablement que tu ne devrais pas publier ton roman tel qu’il est . Je vais t’en donner les raisons. Je l’ai lu très attentivement, tu le constateras d’ailleurs toi-même, je préférerais t’en parler de vive voix que de te l’écrire, on peut ainsi mieux s’expliquer, mais nous n’avons pas le choix. À Paris, je l’avais parcouru hâtivement, et dans les « vapeurs du vin », de sorte que je n’ai pu me rendre compte exactement de sa valeur. C’est aujourd’hui différent. Je n’ai pas pris d’alcool depuis quelques semaines (je m’en porte fort bien) et je suis redevenu lucide.

1795Pour l’ensemble : tu n’as pas su rendre tes personnages sympathiques. Hélène, l’héroïne, est une femme naïve et frivole, qui borne son univers à ses petits plaisirs charnels, à la jouissance de ses petites fesses, elle n’est pas intéressante (littérairement parlant). Elle manque de profondeur. Elle n’aime pas Franz, il la prive de sa volupté quand il est absent, c’est tout. Elle ne souffre d’aucune angoisse, d’aucun remords, elle se trouve charmante et jolie. Elle se fiche de Maria, elle ne fait qu’exprimer, très superficiellement, une sorte de pitié, elle n’en continue pas moins à agir à sa guise. Le chagrin qu’elle éprouve, à la fin de sa vie, n’est tissé que de névrose et d’ennui. Elle ne pense qu’à elle, et ce n’est pas parce qu’elle s’entoure de négrillons qu’elle est devenue un être d’élite.

1796Franz est un parfait fantoche. Il a agi avec l’inconséquence d’un collégien, il est supposé aimer deux femmes, il n’en aime aucune. Il s’exprime aussi comme un potache. « Viens, dis ! », etc. Ce n’est pas le fait d’un homme du monde de se confesser à la première venue, même si elle est journaliste et si elle lui apporte un manuscrit de la femme qu’il a cru aimer et d’étaler sa vie très intime. Ce sont là des choses que l’on ne raconte, à la rigueur, qu’à des personnes avec qui l’on est très lié, et en qui l’on a une confiance parfaite.

  • 568

    Dramaturge, journaliste et figure politique importante des États-Unis, Clare Boothe Luce (1903-198 (…)

1797La journaliste que tu décris n’est pas vraisemblable, surtout au Canada. La rédactrice d’une page féminine ne rencontre pas les grands hommes d’État, ne se promène pas à la Jamaïque ni en Pologne. Ce n’est pas Claire Luce , du Life et du Time, desquels le mari, comme tu le sais, est propriétaire.

  • 569

    Roger Lemelin (1919-1993) est l’auteur de Au pied de la pente douce (1944) et Les Plouffe (1948).

1798Maintenant, pour la langue. Ton vocabulaire est trop pauvre. C’est plein de canadianismes. Dans la conversation, cela peut passer, mais pas dans la langue écrite. Si tes personnages étaient les personnages de Roger Lemelin — des ouvriers, des gens du peuple — ça pourrait passer à la rigueur. Mais tu les situes dans la bourgeoisie aisée, ils sont supposés avoir acquis une certaine éducation, quelque raffinement. Ils n’en donnent aucunement l’impression. Ils ne raffinent que dans les gestes de l’amour, ce qui arrive à tout le monde. Mais ces gestes, tu les décris avec trop de complaisance, certains passages dépassent l’érotisme et deviennent de la pornographie trop facile. Tu me répondras que tous les romans de l’après-guerre sont érotiques, d’accord, mais les héros qu’ils mettent en scène ont vécu des temps bouleversés, ont perdu leur équilibre. Tes héros, ton héroïne en particulier, n’ont pas ces excuses. Et puis ces romans, que personne ne lit plus d’ailleurs, ont été écrits pas des jeunes gens de vingt ans. Tu en as cinquante. Je suis convaincu que tu te ferais le plus grand tort en publiant ce manuscrit. On se moquerait. Pour la note bien, voici. Tu as le sens de la phrase, tu écris librement, tu possèdes un rythme de continuité qui me plaît beaucoup. C’est la substance même de la phrase qui fait défaut. Tu peux me répondre encore que cela a été vécu. Sans doute. Mais la vie, et la transformation, la transposition de la vie dans l’art, c’est différent.

  • 570

    Chéri a paru en 1920, chez Arthème Fayard, à Paris.

1799Ce que je te suggérerais. Lis quelques bons livres. Tiens, lis et relis Chéri de Colette . C’est plein de sensualité, mais c’est vivant. Procure-toi une grammaire française. Use de ton dictionnaire. Fouille davantage tes personnages. Travaille. (La littérature est un travail comme un autre, aussi compliqué, aussi nuancé, et bien plus hasardeux, que celui du médecin ou de l’ingénieur, ce n’est pas aussi facile que les gens que tu fréquentes se l’imaginent, autrement tout le monde écrirait.) Tu as cru que c’était un jeu, comme la canasta ou le bridge, que l’on peut exercer par fantaisie, entre deux cocktails. Ce n’est pas ainsi. François Mauriac écrit un roman de 250 pages par année, c’est un écrivain de métier pourtant, il va se réfugier six mois dans sa maison de campagne pour oublier les exigences de son métier de journaliste, et ne penser qu’à son livre.

  • 571

    Associée au théâtre du Gymnase, Gaby Morlay (1897-1964) a été l’interprète, durant près de treize (…)

1800Henry Bernstein écrivait une pièce de théâtre par année, il y travaillait 8 heures par jour, c’est sa principale interprète, Gaby Morlay , qui me l’a dit à maintes reprises. Tu vois que ce n’est pas un petit jeu pour petites dames qui s’ennuient. Il te faudrait, pendant un an, travailler deux ou trois heures au moins par jour, lire des livres bien faits, non pas pour l’intrigue, pour savoir ce qui va se passer, mais pour tenter de déceler les secrets, c’est-à-dire l’art de l’écriture.

1801Tu as dû sans doute, dans des moments d’euphorie, annoncer à tes amies, qui ne sont pas particulièrement des intellectuelles, que tu allais publier un roman. Pour t’en sortir, et sauvegarder ton amour-propre (ce que je comprends fort bien), tu n’as qu’à leur dire, négligemment, que tu as décidé d’allonger ton livre, de lui donner plus d’ampleur, d’en faire un bouquin deux fois plus long, par exemple.

  • 572

    Nous n’avons pu identifier cette personne.

  • 573

    Mark Drouin, époux de Jeanne Grandbois.

  • 574

    Françoise Sagan (alors âgée de dix-neuf ans) a publié son premier roman, Bonjour tristesse, en 195 (…)

1802Les conseils que l’on pourrait te donner, dans ton milieu (Ernie et Mark  !) ne valent absolument rien. Ce sont de brillants hommes d’affaires, ce ne sont pas des critiques. Quant à tes petites amies, c’est moins que rien, et elles seraient les premières, si tu avais un échec, à te bombarder. (Dans le dos, naturellement.) Je t’expédie ton manuscrit aujourd’hui même. (Je l’envoie sans chemise, à cause de la poste.) Ne sois pas trop déçue. Si tu persistes à continuer, j’aimerais voir, à mon retour au Canada, — à la fin de septembre — un ou deux chapitres plus soignés, plus attentifs, en somme, moins superficiels. Ne t’en fais pas « accroire » avec le succès de Françoise Sagan . Elle écrit une langue classique. Elle en a l’instinct. Et c’est une sorte de phénomène. Il ne faut jamais penser que l’on peut faire ce que d’autres — exceptionnellement — peuvent faire. Des gens, — des têtes de linottes — peuvent bien te dire à Québec, ou à Montréal : « Vous pourriez bien en faire autant ! » Mais ils n’y connaissent rien, ils ne lisent, et hâtivement, que les « best sellers », ce qu’il est de bon ton de lire. Ce n’est pas sérieux.

1803J’aurais préféré, je te le répète, revoir ton manuscrit avec toi, te donner les indications nécessaires de vive voix. T’expliquer pourquoi ceci est bon et cela n’est pas bon.

1804Adresse-moi un petit mot avant ton départ.

1805Je t’embrasse affectueusement,

1806Alain

1807P.S. Si tu as vraiment la « vocation » d’écrire, même un peu tardivement, tu ne seras pas blessée par mes remarques. Je les ai faites sans aucun plaisir, et en pensant à toi,

1808A.

  • 575

    Voir la lettre de janvier 1946 à Marcel Dugas, supra, p.224.

18092e P.S. Non, ton titre n’est pas bon. Trop genre Musset. Pourquoi ne pas l’intituler tout simplement Le Refuge ? ou bien Refuge illusoire. Enfin, le titre est important, mais il est mieux de le trouver dans son propre texte. Il faut se méfier aussi des titres qui ont été déjà pris, j’ai dû changer, pour Rivages de l’Homme, trois ou quatre fois .

1810A.

  • 576

    Photocopie d’une carte pneumatique adressée à « Monsieur Jean-Guy Pilon 32 rue des Saints-Pères 32 (…)

1811[13 septembre 1956]

1812Mon cher Jean-Guy,

1813Mais naturellement, je serais ravi de vous voir. Vous savez l’admiration et l’estime que j’ai pour votre talent.

1814Voici. Il faudrait me téléphoner si possible entre 11h et midi, et nous prendrons rendez-vous, vous serez mon invité pour déjeuner ou dîner. Si je pose des « ou » partout, c’est que je présume que votre séjour en France est limité. (Mon adresse à Paris, je l’ai oubliée. Vous n’avez qu’à la demander à l’Ambassade, et aussi mon numéro de téléphone.) (J’ai tout oublié.)

1815[non signé]

  • 577

    Autographe de la main de Marguerite Rousseau, photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1816Paris, le 21 septembre 1956.

1817Mon cher ami,

1818J’ai eu un petit accident, de sorte que je demande à Marguerite de vous écrire ce petit mot à mon endroit. M. s’est prêtée volontiers à cette situation. L’année que nous avons passée en France, sur la Côte ou quelques jours en Italie m’a énormément plu. Il a été cependant dommage que nous ayons gelé comme des chiens, il a plu toute l’année. M. trouve quand même Paris et la France magnifiques. Moi, je serai très heureux de retourner au Canada, car Paris et la France et la Côte d’Azur m’ont fortement déçu (l’éternel déçu, ceci est de moi, Marguerite). Paris est devenu une ville où il y a un bruit infernal. Et la nuit et le jour le tintamarre est insupportable.

1819M. et moi, nous vous embrassons sur les quatre joues, Lucile et vous, et nous serons heureux de vous revoir.

1820J’ai le bras fracturé (le droit) c’est pourquoi j’ai demandé à M. de me servir de secrétaire provisoire. Pour le reste, ça va. Je vous verrai dans trois semaines.

1821Mes meilleures amitiés,

  • 578

    À la suite de cette lettre, Marguerite écrit : « La secrétaire provisoire de monsieur Grandbois, é (…)

1822Alain G.

  • 579

    Autographe 2 f. (20 x 12,5 cm), à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gran (…)

1823Le 6 mars 57

1824Mademoiselle Plourdre [sic],

1825Les Éditions Fides,

1826Montréal.

1827Mademoiselle,

  • 580

    En réponse à une lettre du 25 janvier 1957 de Suzanne Plourde : « Cher Monsieur, / / Nous avons la (…)

1828J’accepte avec plaisir de faire partie de votre collection des « Classiques canadiens », et je vous remercie d’avoir pensé à moi .

1829Mes conditions seront celles que vous accordez à ceux qui participent à cette même collection.

1830Permettez-moi cependant de me réserver les droits de traduction, d’adaptation, etc…

1831Veuillez me croire votre dévoué

1832Alain Grandbois

1833R.R. 1, Rang 9

1834Mont-Rolland.

  • 581

    Autographe 2 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gran (…)

1835Montréal, le 5 juin 57

1836Monsieur Clément Saint-Germain,

1837Montréal.

1838Cher Monsieur,

  • 582

    Fait suite à une lettre de Clément Saint-Germain, du 29 mai 1957 : « Cher monsieur, // Je n’ai pas (…)

1839J’ai bien reçu les deux petits livres que vous avez eu l’amabilité de me faire parvenir, et je vous en remercie . Votre formule me plaît beaucoup. Elle permet au lecteur de se faire une idée générale de l’œuvre de l’écrivain, et je suis heureux que l’on m’ait demandé de faire partie de cette collection.

1840Voici la liste de mes livres, avec le nom des éditeurs. Je possède tous mes droits d’auteur.

1841Né à Québec (Messein, Paris. Fides, Montréal)

1842Poèmes (Hankéou, Chine. Hors commerce)

1843Les Voyages de Marco Polo (Éditions Valiquette, Montréal)

1844Avant le chaos (Les Éditions Modernes, Montréal)

1845Les Îles de la Nuit (Parizeau, Montréal)

1846Rivages de l’Homme (Québec. À compte d’auteur)

1847Tous ces ouvrage, sauf le dernier, sont épuisés. Si vous avez besoin de détails supplémentaires, je m’empresserai de vous les apporter.

1848Veuillez me croire, cher Monsieur, votre très dévoué.

1849Alain Grandbois

  • 583

    Autographe, 1 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gra (…)

1850Le 12 juin 1957

1851Monsieur Clément Saint-Germain,

1852Montréal.

1853Cher Monsieur,

  • 584

    Gérard Dagenais (1913-1981) a notamment été jounaliste pour les quotidiens Le Soleil, L’Ordre, Le (…)

  • 585

    En réponse à une lettre de Clément Saint-Germain, du 8 juin 1957 : « Aux termes de votre lettre, v (…)

  • 586

    Une copie de la correspondance échangée entre Jean-Marie Nadeau et Clément Saint-Germain, au sujet (…)

1854En effet, j’avais oublié que M. Dagenais n’avait cédé ses droits °d’édition de « Né à Québe » que pour 5000 exemplaires . Je n’ai jamais communiqué avec lui depuis ce temps, et au vrai, je ne l’ai jamais revu. Il est bien entendu que vous pouvez insérer les textes qui vous conviennent tirés de « Né à Québec », à moins d’opposition légale, ce qui me semble fort improbable. De toutes façons, vous n’avez qu’à communiquer avec Me Jean-Marie Nadeau , votre avocat, qui est également le mien, et par surcroît, l’un de mes meilleurs amis.

1855Veuillez agréer, cher Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

1856Alain Grandbois

  • 587

    Autographe, 2 f. (12,5 x 20,3 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

1857Le 1er juillet 57.

1858Monsieur Jacques Brault,

1859Montréal.

1860Cher monsieur,

1861En principe, je suis tout à fait d’accord, et j’aurais grand plaisir à vous rencontrer. Le moyen le plus facile, je crois, est que vous veniez me voir à Mont-Rolland, si vous disposez du temps nécessaire. Dans ce cas, téléphonez-moi, ou écrivez, de préférence la veille ou l’avant-veille. Nous pourrions déjeuner ici ensemble.

1862Je comprends fort bien votre attitude vis-à-vis du style officiel, je souffre de la même incapacité.

1863Je vous remercie de la générosité que vous voulez bien témoigner à l’égard de mes livres.

1864Votre bien dévoué,

1865Alain Grandbois

1866Tel : Ca. 9-4055.

  • 588

    Autographe, 1 f. (12,5 x 20,3 cm), à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

1867Le 4 juillet 1957.

1868M. Jacques Brault,

1869Montréal.

1870Cher monsieur,

1871Si vous êtes d’accord, tout va bien pour lundi. J’ignore l’horaire des autobus, il y en a certainement dans l’avant-midi, et comme vous devez arrêter à Sainte-Adèle, téléphonez-moi de cet endroit, et j’irai vous prendre en auto.

1872Bien à vous,

1873Alain Grandbois

1874Tél : CA. 9-4055

  • 589

    Autographe, 2 f. (12,5 x 20,3 cm), non paginés, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

1875Le 15 août 1957.

1876Mon cher Jacques Brault,

1877Mais non, mais non, votre visite m’a beaucoup plu, et mon silence n’est qu’accidentel. Je suis parti brusquement pour les États-Unis, dans l’intention d’y passer une dizaine de jours, j’ai été souffrant, et je ne suis revenu que la nuit dernière. Je comptais vous écrire de là-bas, mais je n’avais pas votre adresse.

  • 590

    Jacques Brault, Richard Pérusse et Claude Mathieu, Trinôme, Montréal, Jean Molinet, 1957, 57 p.

1878Je viens de parcourir votre petit livre . Vous avez là de bien beaux vers, je vous le dis sans flatteries. Je vous en remercie.

1879Je vous enverrai un petit mot la semaine prochaine, quand je serai tout à fait rétabli, et nous conviendrons d’une « visite » !

1880Veuillez croire à toute ma sympathie confraternelle.

1881Alain Grandbois

  • 591

    Autographe, 2 f. (12,5 x 20,3 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

1882Dimanche, le 8 sept. 57.

1883Mon cher Jacques Brault,

1884Si vous n’avez pas renoncé à votre projet, vous conviendrait-il de venir me voir mercredi le 11, ou jeudi le 12 ? Je serai absent la semaine suivante. Et comme le courrier prend deux ou trois jours à me parvenir, téléphonez-moi demain, lundi, ou mardi, dans la soirée. Vous direz à la téléphoniste de « renverser les charges » (Style Louis XIV).

  • 592

    Jacques Brault prépare un Alain Grandbois pour la collection « Classiques canadiens », chez Fides.

1885Avez-vous communiqué avec Fides  ?

1886Bien à vous.

1887Alain Grandbois

  • 593

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1888Dimanche, le 15 s. 57.

1889Mon cher Jean-Guy,

  • 594

    L’Homme et le jour, Montréal, l’Hexagone, 1957, 53 p.

  • 595

    La dernière strophe de « Balises prochaines » se lit : « Ô la tendre frayeur/ Ô la lenteur/ Radeau (…)

1890J’ai reçu votre petit livre , et je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt. Vos poèmes ne sont pas tous d’égale valeur, — à mon avis —, certains sont d’une grande beauté, et j’aurais été fort heureux de pouvoir signer, par exemple, la dernière partie de « Balises prochaines  ».

  • 596

    À Radio-Canada, où Jean-Guy Pilon est réalisateur.

1891Je me propose d’aller à Montréal mercredi ou jeudi de cette semaine, j’essaierai de vous rejoindre à votre bureau , et nous parlerons de tout cela. Nous parlerons aussi de ce voyage à Québec.

1892Je vous félicite et je vous remercie.

1893Alain Grandbois

  • 597

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1894[Octobre 1957]

1895Mot personnel

  • 598

    Allusion à un projet de souscription pour L’Étoile pourpre, que publient les Éditions de L’Hexagon (…)

1896Pour le projet dont nous avons parlé , j’y ai réfléchi, et l’aventure me semble moins aléatoire. (Je parle du risque d’argent.) Car je pourrais compter sur des achats substantiels de la part du gouvernement, où j’ai des amis personnels. Il vaudrait mieux cependant que l’édition paraisse au plus tard au début de décembre. Serait-ce possible ?

  • 599

    La première « Rencontre des poètes », du 27 au 29 septembre 1957, sur le thème « La poésie et nous (…)

1897Je suis curieux de connaître le résultat de votre « congrès  ». Communiquez avec moi, je pourrai aller à Montréal pour l’après-midi, le jour où vous serez libre.

1898A. G.

1899Tel. CA. 9-4055

  • 600

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1900Le 12 novembre 1957

1901Mon cher Jean-Guy Pilon,

1902Tous ces poèmes ont été rassemblés à la hâte, et dans une plus grande confusion encore, ce qui n’est pas peu dire, que celle que j’apporte d’ordinaire au classement de mes papiers.

  • 601

    Le « 8 novembre [1957] », Jean-Guy Pilon a écrit à Grandbois : « Dans ce premier poème, il y avait (…)

1903Je vous envoie une autre copie de l’Étoile pourpre. Je crois que c’est la version définitive. Tant qu’aux poèmes 113, 57 et 9, laissons-les vivement tomber . Ils sont incomplets, et tels quels, tout à fait mauvais. Je vous remercie de me l’avoir indiqué avec tant de délicatesse.

1904Je me proposais d’aller à Montréal cette semaine. Je ne crois pas que mon état de santé me le permette.

1905Bien amicalement

1906Alain Grandbois

  • 602

    Autographe, 2 f. (12,5 x 20,3 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

1907Le 7 déc. 57.

1908Pourriez-vous venir passer la journée du jeudi, le 12, à Mont-Rolland ? Cela nous permettrait d’établir définitivement les bases du travail que vous faites pour Fides. Mais prévenez-moi, j’irai vous cueillir à la gare.

  • 603

    Peut-être s’agit-il de Mes Fiches, publié par Fides (voir Jacques Michon, op. cit., p. 35-46).

1909Soyez très prudent vis-à-vis de vos élèves lorsqu’il s’agit de mes poèmes. Une petite étude, dans un livre publié précisément chez Fides , met en garde les adolescents vis-à-vis de mes écritures ! Bigre !

1910Bien amicalement

1911Alain Grandbois

  • 604

    Autographe, 2 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gra (…)

1912Mont-Rolland, le 8 déc. 1957

1913Monsieur Clément Saint-Germain,

1914Montréal.

1915Cher Monsieur,

  • 605

    Voir supra, p.634, n. 3.

1916Vous m’excuserez de ne pas vous avoir répondu plus tôt . J’ai été fort souffrant ces dernières semaines, et j’ai dû négliger toute correspondance. J’ai vu cependant votre collaborateur, M. Jacques Brault, et il vous a sans doute mis au courant.

1917Mais voyons d’abord pour la réédition de « Né à Québec ». J’ai communiqué avec M. Jean-Marie Nadeau, par téléphone, au sujet de Dagenais. Tout semble en ordre de ce côté, vous êtes libre je crois de le republier, aux mêmes conditions (500.00) en ce qui me concerne, que la première fois.

1918Pour votre « Collection classique », je suis d’accord, et vous trouverez ci-inclus le contrat que vous m’avez envoyé. J’aimerais toutefois que vous n’attendiez pas trois ans pour cette édition, mes textes — anciens et inédits — risqueraient d’être posthumes ! M. Jacques Brault doit venir cette semaine, je lui remettrai les photos et les inédits.

1919J’espère avoir le plaisir de vous rencontrer lors du lancement d’un petit livre, la semaine prochaine, aux Éditions Hexagone.

1920Veuillez me croire votre dévoué

1921Alain Grandbois

  • 606

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1922Lundi, le 9 déc. 57

1923Mon cher J.-G. P.

  • 607

    Liste d’invités pour le lancement de L’Étoile pourpre.

1924Voici une liste . Il se peut que certains noms chevauchent les vôtres. Le petit signe « _ » signifie M. et Mme (ou compagne). Il y a là-dedans certaines personnes qui me plaisent plus ou moins, et réciproquement, mais ce sont les exigences de la publicité. Il y a aussi que tout le monde — heureusement — ne viendra pas. Quand je me contente d’indiquer comme adresse Montréal, c’est que je n’ai pas le bottin téléphonique de cette ville. Prévenez-moi quand vous aurez décidé du jour.

1925Bien amicalement

1926Alain Grandbois

  • 608

    Autographe, 3 f. (21,5 x 28 cm) non paginés, papier pelure, à l’encre bleue avec ajouts au crayon (…)

1927Le 6 février 1958.

1928Révérend P. Lamarche,

1929Joliette.

1930Révérend Père et ami,

  • 609

    R. D. [Réginald Dupuy, pseudonyme de Gustave Lamarche], « L’Étoile pourpre d’Alain Grandbois », Le (…)

1931Je ne sais comment vous remercier de ce que vous avez écrit à propos de mes poèmes , lesquels sont difficilement analysables, mais la logique poétique, comme vous le savez, n’a que peu de rapport avec les rigueurs cartésiennes. Il y a cependant un autre point beaucoup plus important, que vous abordez avec une franchise ne manquant pas d’audace, qui est celui de la révolte — bien futile, il faut l’avouer — de l’être vis-à-vis de sa condition humaine, et qui peut sembler prendre l’aspect du refus cynique et blasphématoire, alors que cette même révolte n’est faite que d’une sorte d’impuissance angoissée vis-à-vis des seuls problèmes qui comptent, et dont la solution nous échappe parce que la Connaissance nous a été refusée. Et pourquoi ? Mais je m’excuse tout de suite, tout ceci n’entre pas dans le cadre d’une lettre, et nous entraînerait trop loin.

1932Je n’ai pas oublié la promesse que je vous ai faite, et je ne l’ai pas tenue parce que j’ai été souffrant tous ces derniers mois, et que la pensée même d’écrire vingt lignes m’était intolérable. Cela revient peu à peu.

  • 610

    Alain Grandbois habite alors Mont-Rolland.

1933Je vous félicite de votre revue, d’une très belle tenue, et je vous souhaite de tout cœur le succès que vous méritez. Je me désole que les circonstances nous aient empêchés de nous voir plus fréquemment. Mais je compte bien, dès que la saison se fera plus souriante, avoir le plaisir de vous accueillir dans ma retraite . Je conserve le souvenir de quelques heures passées avec vous — il y a longtemps déjà — à Montréal, qui m’avaient infiniment plu.

1934Veuillez croire à toute mon affection.

1935Alain Grandbois

  • 611

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

1936Le 25 Février 58

1937Mon cher Jean-Guy Pilon,

  • 612

    L’Étoile pourpre, dont l’achevé d’imprimer est du 12 décembre 1957.

1938Merci pour tous les renseignements. Je ne trouve pas la vente si mauvaise, après tout, il y a à peine deux mois que vous avez lancé le petit livre , quoi que le Gouvernement, évidemment ! Vous trouverez ce chèque endossé.

1939J’ai toujours l’intention d’intervenir auprès d’un certain ministère, mais il y faut un certain temps. Il faut pouvoir dire : « Voilà, j’ai tant de centaines de livres sur les bras, etc., et la littérature, etc. », mais vous comprenez qu’on peut le faire difficilement pour un « Vient de paraître », et surtout tout de suite après l’achat du Secrétariat. Soyez bien assuré que ce n’est qu’une partie remise pour les beaux ( !) jours du printemps.

  • 613

    Gérard Prévôt, Les Chemins de Port-Cros, Paris, Denoël, 1957.

1940Je vous retourne « Les Chemins de Port-Cros  » par le prochain courrier. Je vous téléphonerai dès que je passerai à Montréal, cette semaine ou la semaine prochaine.

1941Bien amicalement

1942Alain Grandbois

  • 614

    Autographe, 3 f. (12,6 x 20,1 cm) paginés 2 et 3, à l’encre bleue (BNQ, 216/1/28).

1943Mont-Rolland

1944Le 25 février 58.

1945Mon cher Bernard,

  • 615

    Bernard Valiquette a été l’éditeur des Voyages de Marco Polo (voir op. cit., p. 47-51). Après la f (…)

1946J’ignorais en effet que tu avais gagné les grandes et magnifiques( !) solitudes du Nord , je vais si rarement à Montréal, je me contente de regarder tomber la neige de Mont-Rolland, et j’ai de quoi satisfaire abondamment ce plaisir ingénu depuis un mois ou deux.

1947J’avais remis à l’éditeur de l’Hexagone, le jeune poète Jean-Guy Pilon, une liste de presse —j’ai la copie de cette liste sous les yeux — où je trouve naturellement ton nom. Cette liste aurait-elle été réduite, je n’en sais rien. Car je ne crois guère aux erreurs de la Poste, que les étourdis exploitent trop allégrement lorsqu’ils négligent leur correspondance. Mais tout cela n’est pas important, et je te fais parvenir par le même courrier un exemplaire de cette Étoile Pourpre qui a rendu perplexes certains critiques : angélisme ou satanisme ? Rien que ça. Mais tant qu’à y être, comme on dit élégamment ! Ne va pas te battre les flancs pour ton émission littéraire, bien que je ne puisse douter que les populations de l’Abitibi ne se jettent avec autant de voracité sur l’Étoile Pourpre que sur le postulat d’Euclide.

1948Mon cher Bernard, la « solitude morale » nous cerne de plus en plus, où que l’on soit, et quoi que l’on fasse. Mais évidemment, à Rouyn, ça ne doit pas être tous les jours d’une gaieté et d’une folâtrerie étourdissantes. Pour ma part, je souffre de douloureux rhumatismes, alors, autant ici qu’ailleurs. Je te quitte sur ces propos d’une profondeur abyssale, et je te prie de croire en ma vieille amitié.

1949Alain Grandbois

  • 616

    Nous n’avons pu retrouver cette lettre.

1950P.S. Tiens-moi au courant de tes pérégrinations. Le ton de ta lettre m’incite à penser que tu ne tiens pas à faire trop long feu dans ce coin de notre si belle Province.

1951A.

  • 617

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

1952Mars 58.

1953De l’hôpital, avant d’en sortir.

1954Mon cher Victor,

1955Je croyais que les malentendus, les choses que l’on ne pense pas de la même façon, les erreurs même, ne brisaient pas l’amitié. Mais vous êtes boudeur. Je viens de passer huit jours à l’hôpital — Saint-Sacrement — à la suite d’une crise cardiaque. C’est le petit commencement, j’imagine, de la fin. Sans mélo. J’aimerais bien que nos petites disputes, vous avez votre mauvais caractère, soient dissipées et lavées. Et puis tout cela, est-ce si important ? Je vous ai attribué tous les défauts, sauf celui de la rancune.

  • 618

    Damoclès.

1956Pour une fois, soyez indulgent. Les grands examens de cardio — je ne sais quoi — suspendent l’épée de D , etc. (car nous sommes lettrés !) sur ma tête, pourquoi nous obstiner. Je suis devenu serein, pacifique, et tout à fait souriant.

1957Je baise les doigts de Lucile. (Je serai à Mont-Rolland à partir de lundi.)

1958Alain Grandbois

  • 619

    Autographe, 4 f. (15,9 x 23,6 cm) non paginés, à l’encre bleue ; le dernier feuillet est écrit rec (…)

1959Le 21 mars 1958.

1960M. le Chanoine Groulx,

1961Montréal.

1962M. le Chanoine,

  • 620

    Lettre de Lionel Groulx, du 10 février 1958 : « Cher Monsieur de Grandbois, / / L’histoire m’a fai (…)

1963Votre lettre m’a bouleversé. Et puis — quelques jours plus tard — ce n’est pas votre lettre. J’ai souffert d’une attaque cardiaque, on m’a emmené à Québec, à l’hôpital du Saint-Sacrement, où j’ai passé huit ou dix jours, et puis voilà. Je ne suis pas encore assez « rétabli » pour répondre à votre lettre, qui était pleine de générosité, d’indulgence, et de blâme aussi. J’ai été très sensible — et plus que vous ne le croyez — et c’était avant l’attaque — aux prières que vous me destiniez. Je ne les mérite pas. Ce que je puis vous dire, c’est mon estime, mon admiration, et si je puis m’exprimer ainsi, —je ne suis pas efféminé ! — mon affection pour vous. Je sais, et vous le savez autant et plus que moi, qu’il est difficile de s’exprimer avec des mots.

  • 621

    Allusion à la correspondance de Jean Cocteau avec Jacques Maritain, parue en 1926 (Paris, Librairi (…)

  • 622

    Lionel Groulx écrivait : « au lieu d’angoisse, je parlerais plutôt d’anxiété… ».

1964Permettez-moi aussi de vous dire, puisque vous [y] faites allusion, que je ne joue pas, genre Cocteau, — les lettres à Maritain, etc. — à la conversion littéraire . L’angoisse, que vous appelez inquiétude , dans ces poèmes, je la souffre depuis que j’ai l’âge de réfléchir, donnez-moi au moins ce crédit de la sincérité. Je tiens à votre estime, comme à celle, très restreinte, de trois ou quatre personnes au monde. Ce n’est pas beaucoup. Je sais que votre caractère religieux ne peut pas accepter ce que l’on peut appeler ma fantaisie. Et c’est pourquoi j’ai hésité à vous envoyer ce petit livre, qui aurait pu vous choquer en tant que prêtre.

1965Vous excuserez, avec votre indulgence, cette lettre maladroite, et sans esprit. Les médecins, qui nous sauvent, —je n’ai plus de papier, c’est pourquoi le verso — nous perdent également.

1966Vous me pardonnerez d’être un peu fatigué, je vous trace ces mots tels que je les vois, et qui expriment ma pensée.

1967Et permettez-moi de vous remercier encore, et de vous exprimer toute ma gratitude.

1968Alain Grandbois.

  • 623

    Lionel Groulx a accordé une entrevue à André Laurendeau à l’émission de télévision Carrefour, diff (…)

1969P.S. Je vous ai vu et entendu à l’écran de la T.V. , et cela m’a un peu rassuré. J’étais très inquiet au sujet de votre santé.

  • 624

    Autographe, 2 f. (21,5 x 28 cm) non paginés, à l’encre bleue (CRLG, fonds Lionel Groulx).

1970Le 17 juillet 1958.

1971M. le Chanoine Groulx,

1972Outremont, Montréal.

1973M. le Chanoine,

1974Je dois compter sur votre indulgence, car en tardant ainsi à vous répondre, j’ai bien mal répondu à votre générosité. De là, toutes ces excuses que je vous dois et que je vous offre de tout mon cœur. Je dois ajouter que mon état de santé, très médiocre, a provoqué chez moi une sorte de névrose me portant à repousser — ce qui est classique — le monde extérieur.

1975Non, si je n’ai pas renouvelé mon abonnement à votre Revue, dont je ne peux qu’apprécier la très belle tenue, ce n’est point du tout en signe de désapprobation, mais par une haïssable négligence.

  • 625

    À l’émission Confédération, diffusée en juillet 1958, dans le cadre de la série « Pays et merveill (…)

1976Permettez-moi de vous dire que j’ai été fort inquiet de votre santé et que j’ai appris avec joie votre rétablissement. Mais il faut que vous vous ménagiez. — Et puis-je vous féliciter de votre entretien avec Laurendeau, à la télévision  !

1977C’était la première fois que je prenais vraiment plaisir à ce genre de dialogue, qui sont généralement marqués de la plus haute confusion. Votre exposé était clair, lucide, précis, et ne laissait que le regret qu’il fut trop court.

1978Je vous remercie de l’intérêt que vous avez bien voulu me porter—je n’oublie pas ce que vous m’avez écrit — et veuillez croire, M. le Chanoine, à toute mon estime et à mon affectueux respect.

1979Alain Grandbois

  • 626

    Autographe, 1 f. (21,5 x 28 cm), à l’encre bleue (BNQ, 280/16).

1980Le 18 juillet 1958.

1981Le Père Gustave Lamarche,

1982Joliette.

1983Mon très cher et fidèle Père Lamarche,

1984Pardonnez-moi d’avoir si mal répondu à vos signes d’amitié. J’ai été souffrant, d’où névrose, débats dans le noir, refus du monde extérieur, enfin, le processus est bien connu. Mais comment vous remercier de l’affection que vous m’avez témoignée ! Soyez au moins assuré qu’elle m’a été tout droit au cœur, et qu’elle m’a fait le plus grand bien.

  • 627

    Ce projet n’aura pas de suite : Grandbois ne publiera aucune nouvelle dans Les Carnets viatoriens.

1985Dès que j’aurai repris complètement pied, je vous ferai parvenir une nouvelle pour votre belle revue .

1986J’espère avoir la joie de vous rencontrer très bientôt, et croyez à ma gratitude et à mon affection.

1987Alain Grandbois

  • 628

    Autographe, 4 f. (12,5 x 20,3 cm) paginés 2-4, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

1988Le 21 juillet 1958.

1989Mon cher Jacques,

  • 629

    « Poème », dans Jacques Brault, Alain Grandbois, « Classiques canadiens », p. 95 ; repris sous le (…)

1990J’ai été souffrant, donc peu porté aux jeux poétiques, de là mon excuse pour ce retard. Vous trouverez sous pli ce petit poème quelque peu ésotérique, et on ne peut plus inédit, puisque je l’ai fait ce matin à l’aube. Et pour continuer sur ce thème de l’inédit, qui n’est qu’un état éphémère, l’éditeur en modifie d’avantage la nature que l’écrivain. L’inédit ne se conserve pas indéfiniment dans les congélateurs. (Je vous écris au triple galop, je dois porter cette lettre à la poste dans cinq minutes.) Quant à la critique, qui semble se désaffecter de moi au profit de certains de mes jeunes cadets qui me pillent ici et là en détournant la tête, comme des gosses dans les cerisiers du voisin, et qui se réclament de René Char, St-John Perse, Prévert, etc., parce que ça fait très bien dans le décor, et que moi je suis Canadien, donc encombrant pour ces enfants, quant à la critique, elle ne peut atteindre chez moi qu’une très légère surface, minces piqûres d’amour-propre, mais elle ne modifie en rien ce qu’il me plaît d’exprimer, ni dans la forme ni pour le fond. (Eh, voici une longue phrase !)

  • 630

    E En 1958, Jacques Brault obtient une bourse du Conseil des Arts du Canada pour poursuivre des étud (…)

1991Vous me voyez très heureux de cette bourse que vous venez d’obtenir , et je vous en félicite de tout cœur.

  • 631

    Jacques Brault a épousé Madeleine Breton, le 4 août 1955.

1992En effet, je compte bien vous rencontrer avant votre départ. Le plus facile serait peut-être, quand vous aurez terminé le gros de vos préparations, que vous veniez avec votre femme passer quelques heures chez moi.

1993Croyez en mon amitié,

1994Alain Grandbois

  • 632

    Autographe, 1 f. (11,3 x 14 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (BNQ, 264).

1995Le 14 octobre 1958.

1996Ma chère Poétesse,

  • 633

    Gustave Lamarche.

1997Merci pour les photos, et pour l’invitation du Père , que je m’empresse d’accepter avec le plus grand plaisir, et ceci dans un avenir rapproché. Car pour l’instant, je suis encore souffrant, et je ne puis songer à quitter ma retraite. Je vous préviendrai. Je tiens absolument, selon votre expression, à cette rencontre.

1998Vous avez toute mon amitié.

1999Alain Grandbois

  • 634

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2000Le 17oct. 58.

2001Mon cher Jean-Guy,

  • 635

    La deuxième Rencontre des écrivains, sur le thème « La Poésie et les poètes », se tiendra à Morin- (…)

2002Vous m’excuserez encore une fois de ne pouvoir assister à votre rencontre des poètes canadiens , je suis assez sérieusement souffrant, et je ne puis quitter la maison pour le moment.

  • 636

    Boursier de la Fondation Canada, Jean-Guy Pilon a séjourné en France durant l’été de 1958.

2003J’aurais aimé vous voir, parler de votre dernier voyage à Paris , etc.

2004Bien amicalement,

2005Alain Grandbois

  • 637

    Autographe, 1 f. (10,3 x 12,6 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (CRLG, fonds Roger Duhamel).

2006Le 26 novembre 1958.

2007Mon cher Roger,

  • 638

    De 1958 à 1960, Roger Duhamel est vice-président du Bureau des gouverneurs de la radio-télédiffusi (…)

2008Toutes mes félicitations. Voilà enfin une nomination qui ne tire, ni ne tient, de l’absurde. J’aurais aimé célébrer l’événement avec toi, je ne le puis, on m’a imposé un régime extrêmement rigoureux, que j’observe à peu près, et avec rage. —Je songe avec mélancolie à certain petit voyage à Trois-Rivières ! —

  • 639

    Alain Grandbois a épousé Marguerite Rousseau, le 31 octobre 1958, en l’église Notre-Dame de Sainte (…)

2009Peut-être as-tu appris que nous étions mariés . Cela s’est fait comme dans les mauvais romans. À 9 heures du soir, avec deux témoins. Et l’Officiant naturellement. Les familles ignoraient tout.

2010Si tu as un après-midi ou une soirée libres, viens avec Elayne déjeuner ou dîner avec nous. Le voyage est court, les routes sont bonnes, et nous serons heureux de vous recevoir.

2011Marg. se joint à moi pour les salutations d’usage.

2012À bientôt, je l’espère.

2013Alain G.

2014tél : CA. 94055

  • 640

    Carte postale (vue de l’Empire State Building, à New York) (8,9 x 14,1 cm), à l’encre bleue, datée (…)

2015[Octobre 1959]

2016Mon cher Jacques Brault,

  • 641

    Alain Grandbois, Fides, « Classiques canadiens », 1958.

2017Ce petit mot, très à la hâte. Je ne vous ai pas répondu plus tôt, j’ai été très souffrant. J’ai beaucoup aimé votre petit livre , et je dois vous avouer que je l’ai distribué très largement parmi mes amis et connaissances, lesquels, d’ailleurs, m’en ont fait des compliments qui paraissaient sincères.

  • 642

    Voir supra, p. 639, lettre 234, n. 3.

2018Je ne sais quels sont vos projets actuels . Croyez-vous demeurer encore quelque temps à Paris ! Je le souhaite vivement pour vous. Si je puis vous aider de quelque façon, pour ce faire, écrivez-le moi. Écrivez-moi de toute façon. Je vous répondrai un peu moins brièvement. Je vous remercie et je demeure votre très amical,

2019Alain Grandbois

  • 643

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2020[New York, octobre 1959]

2021Mon cher Victor,

2022Vous m’avez sans doute excusé, encore une fois, pour l’Académie. J’ai été très souffrant.

  • 644

    Frank Lloyd Wright (1869-1959) promut une architecture dite « organique » et proposa un nouvel usa (…)

2023À New York, les gens sont toujours aussi pressés. Il fait très beau. Le musée Guggenheim, avec l’architecture de Lloyd Wright , est une pure merveille. Nos amitiés à Lucile et à vous.

2024Alain G.

2025P.S. Je ne bois que des jus de fruits depuis mon arrivée ici ( !)

  • 645

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal) ; lettre da (…)

2026New-York, le 30/ 59.

2027Mon cher Jean-Guy,

  • 646

    La revue Liberté, dont le premier numéro parut en février 1959. Le 8 février 1959, Jean-Guy Pilon (…)

2028Lorsque vous m’avez demandé des poèmes pour votre revue , l’été dernier, j’étais absent de Mont-Rolland, à mon retour, il était trop tard, et comme vous étiez absent vous aussi !

  • 647

    Grandbois devait probablement se rendre à Radio-Canada afin d’enregistrer la lecture de son poème (…)

2029Vous pouvez compter sur moi pour vos enregistrements .

2030New York en ce moment est très beau. Et il y a aussi une chose étonnante, c’est l’intérieur du Musée Guggenheim, « arrangé » par Lloyd Wright. On y trouve par surcroît des Modigliani (3) extraordinaires, et un Picasso éclatant. Il y a aussi un tout petit Douanier Rousseau que l’on pourrait regarder pendant des heures.

2031Amicalement,

2032Alain G.

  • 648

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2033Le 23 nov. 59.

2034Mon cher Jean-Guy,

  • 649

    « Poème (Cependant demain…) », qui paraîtra dans Liberté (n° 7, janvier-février 1960, p. 1) ; Po (…)

2035Voici un court poème , qui vaut ce qu’il vaut ! Je n’ai pas eu le temps encore de ranger mes écrits, — le temps ou le courage ! — de sorte que je suis en pleine confusion.

  • 650

    Alain Bosquet prépare une anthologie de poètes canadiens-français (La Poésie canadienne, préface, (…)

2036J’étais absent lorsque vous m’avez écrit à propos des projets de Bosquet . Je n’ai plus à disposer d’exemplaires des Îles de la nuit. J’ai tenté de m’en procurer chez Ducharme <illisible> depuis des mois, il n’y en a plus. C’est d’ailleurs la même chose pour Né à Québec et Marco Polo. Je ne comprends guère ce phénomène, puisque les gens ne lisent pas, ou peu, dans notre chère province. Mais je vous envoie un Rivages de l’homme, dont je n’aime pas du tout l’édition, c’est gris, genre vieille fille, couleur d’arrière-automne.

2037J’espère que vous vous portez bien.

2038Amicalement,

2039Alain Grandbois

  • 651

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2040Le 1er décembre 59.

2041Mon cher Jean-Guy P.,

2042Soyez gentil, et renvoyez-moi le poème. Je n’en étais pas du tout satisfait, je vous l’avais promis, j’étais en retard, je le regrette, je vous le renverrai, revu et augmenté, ou je vous en ferai parvenir un plus consistant d’ici une dizaine de jours.

2043Je suis en train en ce moment de ramasser et classer les nombreux manuscrits se trouvant dans tous les tiroirs et coins de ma maison, cette tâche n’est pas facile, avec ma mémoire défectueuse (vous savez à quoi vous en tenir), car je dois distinguer de ce qui a été publié ou non, ce qui est variation sur le même thème ou non, c’est extrêmement ingrat, cela m’oblige à relire mes œuvres dites complètes !

2044Si le hasard ou les circonstances vous conduisent du côté du Nord, prévenez-moi, venez déjeuner ou dîner, nous bavarderons. J’aimerais beaucoup avoir vos impressions de vos derniers voyages.

  • 652

    Jean-Guy Pilon a épousé Céline Chartier le 4 mai 1955.

2045Veuillez présenter mes hommages à votre charmante femme .

2046Amicalement,

2047Alain Grandbois

  • 653

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2048Le 26 décembre 59.

2049Mon cher Jean-Guy,

  • 654

    « Poème (Cependant demain…) », adressé une première fois, le 1er décembre, à Jean-Guy Pilon. Une (…)

2050Voici le poème , que j’ai tenté d’améliorer.

  • 655

    Numéro spécial de la revue Liberté (Liberté 60, nos 9-10, mai-août 1960) consacré à Alain Grandboi (…)

2051Pour ce projet d’un numéro spécial dans votre revue , cela me ravirait. (Je vieillis !)

2052Je suis très fatigué, et malade. Je reste dans mes montagnes pour ce qu’on appelle les « Fêtes ».

2053Veuillez accepter mes meilleurs vœux de succès et de bonheur. Marguerite se joint à moi pour ces souhaits, à votre charmante femme et à vous.

2054Bien amicalement,

2055Alain Grandbois

  • 656

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2056Mercredi, le 13 j. 60

2057Mon cher Jean-Guy,

  • 657

    De la Société Radio-Canada.

2058Entendu pour mardi le 19. Je serai au studio 06 une dizaine de minutes avant l’heure fixée.

2059Bien amicalement,

2060Alain Grandbois

  • 658

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41). Albert W. Traeman a été président de l’Office national du film d (…)

2061[3 mars 1960]

2062STE ADÈLE QUÉ 3 1150A

2063A. W. TRUEMAN

2064CONSEIL DES ARTS DU CANADA 140 RUE WELLINGTON OTTAWA ONT.

  • 659

    Le 29 février 1960, Albert W. Traeman écrit à Grandbois : « Cher monsieur Grandbois, / / Vous save (…)

2065ACCEPTE BOURSE AVEC GRANDE JOIE CROYEZ À TOUTE MA GRATITUDE

2066LETTRE SUIT

2067ALAIN GRANDBOIS

  • 660

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41).

2068Mont-Rolland, le 5 mars 1960.

2069Monsieur A. W. Trueman,

2070Au Conseil des Arts du Canada,

2071Ottawa.

2072Cher monsieur Trueman,

2073Il est inutile de vous dire, je crois, que c’est avec la plus grande joie que j’accepte cette bourse, et je ne sais vraiment comment vous en exprimer ma reconnaissance. Soyez bien convaincu que je m’efforcerai de justifier la confiance que le Conseil des Arts me témoigne.

2074J’ajoute à ce petit mot une sorte de résumé des réponses aux questions que vous me faites, et si vous désirez d’autres informations, je m’empresserai naturellement de vous les fournir. Il me semble également possible de vous rencontrer à Ottawa, au jour et à l’heure que vous m’indiquerez.

2075Ma femme, qui m’accompagne en Europe, se joint à moi pour vous remercier.

2076Veuillez croire, cher monsieur Trueman, à ma gratitude et à mes meilleurs sentiments.

2077Alain Grandbois

2078J’ai pu arranger mes affaires pour partir dans la première semaine de juin. Si cela n’était pas trop abusif, j’aimerais me rendre directement de Montréal à Vienne. De cette dernière ville je descendrais par petites étapes à Paris, en passant par Prague, Nuremberg, Stuttgart et Strasbourg. Cela pourrait prendre environ dix ou douze jours. Je compte séjourner à Paris une autre quinzaine de jours. Puis j’ai l’intention d’aller m installer dans un petit coin du Var ou des Alpes-Maritimes, où je me mettrai sérieusement au travail. J’y passerais une dizaine de mois. Retour ensuite à Paris, une huitaine de jours à Londres, et puis Montréal.

2079Cet itinéraire peut être modifié, ou tout simplement cancellé, si vous le jugez à propos.

  • 661

    Grandbois a laissé plusieurs nouvelles inédites. Certaines, à l’état d’ébauches, ne comptent que q (…)

2080Si j’ai mentionné plus haut Vienne et ces autres villes, ce n’est point par fantaisie, ni pour jouer au touriste, mais c’est que je termine en ce moment un recueil de contes ou nouvelles , et comme je n’ai pas revu cette partie de l’Europe depuis la dernière guerre, et qu’elle a dû fort changer, cela pourrait donner à ces nouvelles un ton plus juste.

  • 662

    Après avoir publié L’Étoile pourpre en 1957, Gaston Miron et Jean-Guy Pilon ont proposé à Grandboi (…)

2081J’ai également des poèmes, déjà écrits, mais que je dois rassembler et corriger pour publication .

  • 663

    Alain Grandbois aurait entrepris ce recueil dès 1956. En 1959, Le Petit Journal annonce que l’aute (…)

2082Cependant mon travail principal consisterait en une sorte de « Géographie poétique du Canada  ». (Ce titre est tout à fait provisoire.) Je connais mon pays pour l’avoir visité, à plusieurs reprises, de Halifax à Vancouver, je possède la documentation nécessaire, textes, cartes, photographies, etc. Je pense à ce livre depuis longtemps, mais je n’avais ni le loisir ni les moyens financiers de le faire. Votre générosité m’en fournit magnifiquement la possibilité.

2083Écrire sur le Canada dans un endroit perdu du Var peut paraître singulier, mais un certain dépaysement, du moins pour moi, facilite beaucoup de choses, et c’est ainsi que j’ai écrit Né à Québec à Port-Cros en Méditerranée, Marco Polo dans un petit village canadien, et des nouvelles intitulées Avant le Chaos, dont l’action se passait principalement en Asie, à Montréal. Quant à ces poèmes que l’on dit hermétiques, et qui n’appartiennent pas au monde réel, je les écris partout.

  • 664

    Grandbois a d’abord écrit « Drummond », qu’il a raturé et remplacé par « Stanley ».

2084Vous pourrez peut-être déposer, un mois avant mon départ, c’est-à-dire au début de mai, le montant total, ou une partie de ce montant, — je crois que la première solution est moins compliquée, mais vous en jugerez vous-même —, à la Banque Royale du Canada, à Montréal, angle de la rue Stanley et Sainte-Catherine, je puis avoir besoin d’un peu d’argent avant mon départ pour certains préparatifs, je ferai virer ensuite ce montant à la succursale de cette même banque, à Paris, 3 rue Scribe.

2085Et voici, en gros, mes réponses. J’ajoute encore mes remerciements, et que je suis à votre entière disposition pour toute autre explication.

2086Alain Grandbois

  • 665

    Autographe, 2 f. (15,5 x 20,5 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 264).

2087Le 12 mars 1960.

2088Madame Rina Lasnier,

2089Joliette.

2090Ma chère Rina Lasnier,

  • 666

    Formule employée par la censure ecclésiastique pour autoriser l’impression d’un ouvrage contre leq (…)

  • 667

    Rina Lasnier a sans doute adressé à Grandbois une copie du texte qu’elle lira, en juin, lors d’une (…)

2091Je fais l’Évêque, je vous accorde le nihil obstat . Il est bien entendu que je fais la part des éloges que vous me faites si généreusement. Mais je trouve votre travail à la fois très juste, très réfléchi, et très audacieux. C’est un travail de poète, dans le bon sens du mot. Et je vous en remercie.

2092J’espère bien avoir le grand plaisir de vous voir bientôt. Pour le moment, la neige a envahi mes toits. Donc, au premier petit bourgeon — vert, si possible—.

2093Veuillez me rappeler au souvenir du Père Lamarche, que je regrette toujours de voir si peu. Nous vivons tous dans le même pays comme si nous étions séparés par des centaines de mille lieues.

2094Marguerite et moi vous embrassons,

2095Alain Grandbois

  • 668

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41). Diplômé de la Faculté des sciences sociales de l’Université Lava (…)

2096Mont-Rolland, le 19 mars 1960.

2097Monsieur Eugène Bussière,

2098Ottawa.

2099Cher monsieur Bussière,

2100Vous me voyez très heureux de l’honneur et de la confiance que le Conseil des Arts vient de me témoigner, et je l’en remercie très vivement.

  • 669

    Le 16 mars 1960, Eugène Bussière écrit à Grandbois : « Cher monsieur Grandbois, / / Dr Trueman m’a (…)

2101J’irai à Montréal cette semaine, où je prendrai les informations nécessaires au sujet des frais de déplacement, et je vous en communiquerai aussitôt la teneur .

2102Ma femme se joint à moi pour vous exprimer toute notre gratitude.

2103Je vous prie, cher monsieur Bussière, d’agréer l’assurance de mes meilleurs sentiments.

2104Alain Grandbois

  • 670

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41).

2105Le 23 mars 60.

2106Mon cher Victor,

2107Vous m’excuserez peut-être encore une fois de vous répondre si tardivement, vous me dites que vous avez été souffrant, mais je l’ai été aussi — et souffrant dans le sens littéral du mot — des rhumatismes incessants, extrêmement douloureux, etc. — de sorte que…

2108J’espère que vous vous portez mieux. Je me porte aussi mal que possible, je ne dors plus qu’à l’aide de soporifiques, un jour je me sens mieux, le lendemain cela recommence de plus belle, enfin, il y a trop de bancs de neige cernant la maison.

2109Je vous tiens des propos de vieille fille, tant pis.

2110Donnez-moi de vos nouvelles, des nouvelles de Lucile.

2111Marguerite se joint à moi, etc…

2112Alain G.

  • 671

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41).

2113Mont-Rolland, le 30 mars 1960.

2114Monsieur Eugène Bussière,

2115Ottawa

2116Cher monsieur Bussière,

  • 672

    Voir la lettre du 19 mars 1960, supra, p.306.

2117Voici les informations que j’ai reçues de l’Agence Malavoy . Comme vous le voyez, on ne me fournit que les prix de première classe. Si vous les jugez excessifs, je lui demanderai les prix de la classe économique, car je ne voudrais certes pas abuser de votre générosité.

2118En déduisant un tiers sur ce billet que vous voulez bien attribuer à ma femme, celui-ci se chiffre à $ 730.00 environ. Ce qui fait un total, pour les deux billets, de $ 1820.00.

2119Je ferai expédier le bagage lourd par bateau, à mes frais.

2120Je vous prie d’agréer, Monsieur Bussière, l’assurance de mes meilleurs sentiments.

2121Alain Grandbois

  • 673

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41).

2122Mont-Rolland,

2123le 21 avril 1960.

2124Monsieur Eugène Bussière,

2125Ottawa.

2126Cher monsieur Bussière,

  • 674

    Le 8 avril 1960, Eugène Bussière écrit à Grandbois : « Je désire accuser réception de votre lettre (…)

2127Je vous prie de m’excuser de ne pas avoir accusé réception — plus tôt — de votre lettre du 8 avril . Je me suis absenté de Mont-Rolland.

2128Je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour moi. Si vous me le permettez, je vous tiendrai au courant, très sommairement, de mes voyages et de mon travail.

2129Veuillez agréer, cher monsieur Fugère [sic], l’assurance de mes meilleurs sentiments.

2130Alain Grandbois

  • 675

    Autographe, 1 f. (10,1 x 12,8 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques B (…)

2131Le 24 avril 1960.

2132Mon cher Jacques Brault,

  • 676

    Voir la lettre à Jacques Brault, d’octobre 1959, supra, p. 299.

2133Votre petit livre est tout à fait bien. Ici, je fais la part des éloges que vous me faites. Il est difficile de parler d’un livre qui a été écrit à votre sujet. J’ai été très malade et je sors de l’hôpital. Je dois me rendre à Ottawa demain soir. Je prends le risque de ne pas y aborder sur une civière.

2134Je vous écrirai la semaine prochaine.

  • 677

    Dans la marge de gauche, Alain Grandbois a dessiné deux personnages. Une flèche désigne l’ombre du (…)

2135Je vous remercie et je vous félicite .

2136À bientôt,

2137Alain Grandbois

  • 678

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal). René-Phili (…)

2138Le 10 mai 60.

2139Mon cher René,

2140Je te prie de m’excuser pour ce long retard. J’ai été vraiment très souffrant — assez sérieusement cette fois —je n’ai pas écrit une lettre, ni un mot, ma correspondance la plus importante a été complètement négligée.

  • 679

    Il s’agirait d’un tableau de Grandbois.

2141Tu n’as pas « bêtement » détruit « l’œuvre  », tu as au contraire fort bien fait. D’ailleurs, je ne me le rappelais plus, c’est M. qui me l’a raconté le lendemain. Je te promets que je te ferai quelque chose en France, que je t’enverrai, et qui sera sérieux.

2142Tu es toujours le très bienvenu à la maison, tu le sais bien, nous t’aimons beaucoup, M. et moi.

  • 680

    René-Philippe Landry a épousé Pauline Lanctôt, le 6 octobre 1925.

2143Cette dame se joint à moi pour vous dire bonjour, à P. et à toi.

2144Alain

  • 681

    L’ouvrage de Jacques Brault (Alain Grandbois, « Classiques canadiens »),

2145Je te ferai parvenir d’ici quelques jours une biographie de moi . Pour le moment, je n’ai pas le courage de remuer mes papiers.

2146A.

  • 682

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal). En marge s (…)

2147Le 23 juillet 60.

2148Colonel Landry

2149Ottawa.

2150Mon cher René,

  • 683

    « Mon cher Alain, / / Nul doute que depuis votre départ vous avez eu l’occasion de renouveler conn (…)

2151En effet, nous avons fait connaissance avec les cousins de France, et surtout avec les moustiques de Loing, de Moret-sur-Loing, où nous sommes allés pour une dizaine de jours, de là ce retard à te répondre , car je n’avais pas fait suivre le courrier. Mais j’en arrive aux « affaires » tout de suite.

  • 684

    Né à Québec, Montréal, Fides, « Collection du Nénuphar », 1948.

  • 685

    Né à Québec sera traduit en anglais, sous le titre Вот in Quebec. A Tale of Louis Jolliet, par Eve (…)

  • 686

    Jacques Auger a lu Les Voyages de Marco Polo, dans le cadre de la série « Poésies d’Alain Grandboi (…)

2152À propos de Né à Québec, quand les Éditions Fides en ont fait la réédition , j’ai signé un contrat, lequel comportait les clauses ordinaires de ce genre de choses, peut-être aussi le droit de réédition. Je n’en sais rien. Le contrat se trouve je ne sais diable où, mais si M. Keyserlingk a vraiment l’intention de faire traduire ce livre , il n’aurait je crois qu’à en demander l’autorisation à ces chers religieux, ils ne sont pas méchants, ils ne mordent pas, ils sont même très indulgents puisque notre ami la basse chantante Jacques Auger a récité naguère à la radio ces deux bouquins, de la première ligne à la dernière, y compris points, virgules, pauses respiratoires et le reste, sans que la maison Fides ait éprouvé la moindre intention <illisible>. Je suis d’ailleurs en excellents termes avec ces Pères, et si j’étais à Montréal, je rassurerais tout de suite, au moyen d’un coup de fil, M. Keyserlingk, dont je comprends d’ailleurs le soin légitime de savoir, ce qu’il est <illisible>.

2153Quant à Marco Polo, tous les droits m’appartiennent en propre, aucune ambiguïté.

2154Voilà, mon cher colonel, pour les « affaires ».

2155Pour le reste, tout va bien — relativement ! — ce relatif concerne ma santé. Au pays du vin, du foie gras, des champignons et des grenouilles, il est peu facile de résister, de sorte que ma nature et mon <illisible> se prêtent à la moindre résistance. J’ai abusé et maintenant je paie. Le foie qui prend sa revanche sur mon foie. Je dis amen.

2156La vie à Paris, à ce moment de l’année, est extrêmement compliquée. Il nous faut changer d’hôtel tous les huit jours. Tout est retenu, réservé, engagé. Nous sommes les bohémiens de la Ville lumière. Nous ne sommes pas les seuls, il se fait dans la Ville un va-et-vient incessant, bougeant, grouillant comme les termites dans la termitière. Il y a du monde partout. L’Europe a la bougeotte. Paris est plein d’Arabes, de Congolais, de Chinois, de Japonais, d’Américains, je ne parle ni des Tchécoslovaques, ni des Roumains, ni des Russes ni des Finlandais. Quant aux Français, ils sont tous aux bains de mer.

2157J’espérais bien te voir avant notre départ, j’aime bien rire, et je crois que nous rions facilement tous les deux. Ce qui est très précieux. Veux-tu me dire pourquoi, avec tes hautes attributions, —je le dis sans moquerie — tu ne pourrais pas, au cours de l’année, trouver non pas un prétexte, mais une raison pour venir en France ?

2158Embrasse Pauline pour nous.

2159Et toutes mes amitiés.

2160Alain G.

  • 687

    Voir la lettre du 10 mai 1960 à René-Philippe Landry, supra, p.310.

2161P.S. J’attends de me « boucler » quelque part pour peindre et façonner l’immortel chef-d’œuvre que je t’ai promis depuis deux ou trois ans, et que je t’enverrai malgré le scepticisme <illisible> avant que l’année 1960 ne soit révolue. J’aurai des pinceaux, de la peinture, de l’encre de Chine, un papier papyrus, et je chanterai la gloire des Landry, et du Colonel en particulier.

2162A. G.

  • 688

    Autographe, 6 f. (13,5 x 20,9 cm) paginés 2-5, papier pelure, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques (…)

2163Le 30 novembre 1960.

2164M. Jean-Guy Pilon

2165Montréal

2166Mon cher Jean-Guy,

  • 689

    Jean-Guy Pilon projette de rééditer, aux Éditions de L’Hexagone, Les Îles de la nuit (1944), depui (…)

  • 690

    Une subvention du Conseil des Arts du Canada sera accordée en 1961 (voir infra, p.648, lettre 265, (…)

  • 691

    Certains des tableaux d’Alfred Pellan ayant servi à illustrer Les Îles de la nuit se trouvent aujo (…)

2167D’abord, les affaires. Sans doute je vous donne l’autorisation de la réédition des Îles de la nuit . Cependant, je ne sais si le Conseil des Arts vous en fournira les subsides , ce Conseil ayant été déjà fort généreux pour moi, peut-être pourrait-il penser que je suis un garçon abusif. De toutes façons, nous ne risquons rien de tenter la chose. Si elle réussissait, j’aimerais que vous suiviez, autant qu’il est possible, l’apparence formelle de l’édition originale, c’est-à-dire papier assez épais, et caractères typographiques assez gras (je ne connais pas les termes du métier) car en somme le texte lui-même est assez mince. Quant aux illustrations de Pellan, j’imagine qu’il vous serait difficile, sans avoir les originaux, de les reproduire (Pellan en avait fait d’abord des toiles, « inspirées ! » des poèmes, et ensuite, par des procédés que j’ignore, l’on avait réduit et reproduit cela noir sur blanc. Or les toiles de Pellan ont été vendues depuis longtemps ). Si vous preniez un autre artiste, j’imagine que cela serait fort coûteux, et d’ailleurs j’aimerais les voir avant que nous en décidions, et tout cela prendrait beaucoup de temps.

  • 692

    Le numéro de mai-août 1960 de la revue Liberté est consacré à Grandbois ; Jean-Guy Pilon y signe u (…)

  • 693

    Les collaborateurs de ce numéro spécial de la revue Liberté sont Jacques Brault, Alfred DesRochers (…)

2168Voici maintenant pour des choses moins sévères. Je dois tout d’abord vous remercier pour ce numéro de Liberté que vous avez bien voulu me consacrer, et plus particulièrement pour le texte extrêmement généreux que vous avez écrit à propos de moi . Croyez bien que j’en ai été fort touché. Quant à vos collaborateurs , qui se sont montrés si attentifs, je me promets de les remercier, mais comme j’ignore leur adresse, je vous ferai parvenir ces petits mots, que vous aurez l’obligeance de leur faire parvenir.

  • 694

    Dans La Mouette et le large (L’Hexagone, 1960). L’exemplaire de Grandbois porte la dédicace : « A (…)

2169J’en arrive maintenant à vous. J’ai vu dans les journaux que vous venez de publier un nouveau livre de poésie. J’espère bien que vous me ferez l’amitié de me l’envoyer. — Mon adresse est au bas de cette lettre. — Je vous avais dit, à Mont-Rolland je crois, comme j’avais aimé votre petit poème de 1958, « La mouette et le Large  », il m’avait charmé, si votre livre est dans cette très heureuse veine, vous aurez tous les succès.

2170Je vous remercie pour le tout, et croyez bien à mon amitié et à mon estime confraternelle.

2171Veuillez embrasser votre femme pour moi. C’est permis. C’est déjà le temps des fêtes. Marguerite ma femme se joint à moi pour tous les souhaits d’usage.

2172Alain Grandbois

2173a/s American Express

217464, La Croisette,

2175Cannes.

2176A.M.

  • 695

    Ou bien il s’agit d’une erreur de la part de Grandbois ou bien le premier post-scriptum a disparu.

  • 696

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

21772e P.S. Je reçois à l’instant cette lettre que je vous fais parvenir . Pourriez-vous expédier les livres au Conseil des Arts ? Comme je ne me rappelle plus exactement les clauses de notre contrat, je ferai venir le montant ici-même, et dites-moi ce qu’il vous revient, que je vous enverrai d’ici.

2178A.G.

2179Comme vous pouvez le voir par la date de la lettre, elle a fait un assez long détour avant de me rejoindre. C’est l’inconvénient des voyages.

  • 697

    Carte de souhaits (vue de Monte-Carlo) (15,4 x 13,2 cm), à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur F (…)

2180[5 décembre 1960]

  • 698

    Fernand Ouellette, « Il est d’étranges destins… », Liberté, nos 9-10, mai-août 1960, p. 149-153. (…)

2181Je dois tout de suite, et très hâtivement, — mais je vous écrirai plus tard — vous remercier de l’étude que vous avez bien voulu me consacrer dans Liberté , et qui m’a beaucoup plu. Et je vous apporte mes meilleurs souhaits pour 1961.

2182Alain Grandbois

  • 699

    Carte de Noël (Le quintette de Raoul Dufy) (12,2 x 16,8 cm), à l’encre bleue (CRLG, fonds André La (…)

  • 700

    Le 18 décembre est la fête patronale de saint Gatien, premier évêque du diocèse de Tours (

    iii

    e siè (…)

2183Le 18 décembre [1960] (St Gatien )

2184Cannes

  • 701

    Grandbois ferait allusion à la Société des poètes canadiens fondée, entre autres, par Alonzo Cinq- (…)

  • 702

    André Laurendeau (1912-1968), Voyages au pays de l’enfance, Montréal, Beauchemin, 1960.

2185Veuillez accepter, mon cher André Laurendeau, mes meilleurs souhaits pour 1961. Il n’y a pas de prince des poètes , tous les poètes sont princes. Vous le prouvez bien avec votre livre , que je viens de relire, et qui est charmant. Et j’espère bien que vous donnerez suite à ce très heureux début.

  • 703

    Alain Grandbois confond ici l’expression « fantastique social » de Pierre MacOrlan (1882-1970) et (…)

2186(Je me rappelle votre visite de l’aube qui fait partie, selon l’expression de MacOrlan, du « fantastique quotidien  »).

2187Bien amicalement,

2188Alain Grandbois

  • 704

    Photocopie (archives du Musée du Québec, fonds Gérard Morisset).

2189Cannes, le 18 décembre 1960.

2190Jour de la fête de St-Gatien,

2191ne l’oublie pas !

2192Mon cher Gérard,

  • 705

    Nous n’avons pas retrouvé cette vignette dont parle Grandbois.

2193Tous nos livres, mon cher ami, sont destinés à rejoindre le sens de cette vignette , que je t’adresse en pensant à nous. Mais il n’importe. Nous te souhaitons, M. et moi, la meilleure année, la meilleure santé, et aussi, de nous revoir en 61 à Paris.

2194Ton vieil ami,

2195Alain Grandbois

  • 706

    Carte de Nouvel An (vue de Cannes) (16×25 cm), à l’encre bleue (BNQ, 264).

2196[18 décembre 1960]

2197Je vous prie d’accepter, mon cher poète Rina, mes meilleurs vœux de bonheur pour 1961.

2198Alain Grandbois

  • 707

    Autographe, 1 f. (12,5 x 26 cm), à l’encre noire, glissé à l’intérieur d’une carte de souhaits (CR (…)

2199Le 20 décembre 1960.

2200Veuillez me permettre, M. le Chanoine, de vous apporter mes meilleurs vœux de bonheur et de santé pour l’année 1961.

2201Alain Grandbois

  • 708

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2202Le 22 déc. 1960.

2203Mon cher Jean-Guy Pilon.

  • 709

    Voir la lettre du 30 novembre 1960 à Jean-Guy Pilon, supra, p. 313.

2204Tout est très bien ainsi. Vous trouverez ci-joint le chèque au montant de $ 50.00. Non, je n’ai pas encore reçu votre livre , mais il est vrai qu’en ce moment les Postes sont débordées.

2205J’ai adressé des petits mots de remerciement à vos collaborateurs de Liberté, à cette même Revue, ignorant leur adresse. Aurez-vous l’obligeance de les leur faire parvenir !

2206Je vous remercie, et croyez à mes sentiments amicaux.

2207Alain Grandbois

  • 710

    Carte de vœux (vue de Cannes) (15 x 24 cm), à l’encre bleue ; datée par Jacques Brault (BNC, fonds (…)

2208[Décembre 1960-janvier 1961]

  • 711

    Jacques Brault, « Le temps irréversible », Liberté 60, nos 9-10, mai-juin 1960, p. 166-173.

2209Permettez-moi, mon cher Jacques Brault, de vous remercier très vivement pour le petit livre que vous avez bien voulu écrire à mon sujet, et pour le travail très heureux et très réussi que vous avez donné à Liberté . Je vous écrirai bientôt, et longuement. Et que la nouvelle année vous apporte toutes les joies.

2210Alain Grandbois

  • 712

    Autographe (brouillon), 3 f. (13,5 x 21 cm) paginés II-IV, à l’encre bleue (BNQ, 204/9/11).

2211[1961]

2212<Le début manque.> trop d’odeurs <illisible>, trop de bruits, ma nature est un peu (trop) véhémente et nerveuse. On ne se corrige jamais. Un petit point d’amélioration peut-être, je crois que ça même n’en vaut pas la peine.

  • 713

    René Garneau fut attaché culturel de l’Ambassade du Canada à Bruxelles, de 1959 à 1961.

2213Je regrette de n’être pas passé par Bruxelles . Et très vivement. Les choses ne se sont pas accordées ainsi. J’ai été par moments très souffrant —je te passe les détails, la dysenterie amibienne —, de sorte qu’il faut plutôt rester chez soi, je n’osais pas sortir de ma chambre d’hôtel.

2214Autrement, et malgré tout, et peut-être à cause de mon état de santé, j’ai beaucoup travaillé — des poèmes, des nouvelles, un roman, c’est en vrac, je ferai le tour de tout cela à mon retour. J’en aurai d’ailleurs le loisir, je suis le Chômeur no. I, intégral, de pure essence. Je ne suis bon à rien, sauf pour écrire, et pour [distinguer] les Arts picturaux, etc., et encore, mon cher René, et encore, je te vois lever les bras, je pourrais sans doute faire partie d’un Comité Consultatif, je n’en sais rien. Le monde actuel, sa pensée, pour peu qu’il en ait une, me dépasse et me rejette.

2215Je te dis très franchement, s’il n’y avait pas M. ma femme, <incomplet>

  • 714

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2216[Janvier 1961 ?]

2217Mon cher vieil ami Gilles,

2218On m’avait caché que tu allais être opéré. Ma femme Marguerite et [Ben?]. Ils avaient convenu ensemble, connaissant mon amitié pour toi, et comme je ne suis pas moi-même en excellente santé —je suis devenu squelettique, je ne pèse plus 100 livres — et comme je souffre moi aussi du foie — de ne pas m’inquiéter. Ce que j’ai trouvé absurde, et du moment que M. ma femme me l’a dit, j’ai téléphoné à Daphnée, très inquiet. Je ne savais rien. (Je te fais remarquer tout de suite que les femmes n’ont aucune idée de ce que peut être l’amitié entre hommes, elles en sont vaguement jalouses, etc., elles sont comme elles sont, comme dit la chanson, elles veulent ménager la sensibilité que nous avons, il y a toutes sortes de circonstances atténuantes, mais moi, c’est dans mon caractère, je préfère que l’on me dise ce qui se passe, nous sommes des hommes.)

  • 715

    Voir Laure Rièse, Les Salons littéraires parisiens, du Second Empire à nos jours, Toulouse, Privat (…)

2219J’ajoute que je t’ai depuis déjà quelques années considéré comme mon meilleur ami, malgré nos différences d’âge et de métier. Et malgré l’horreur que j’ai toujours éprouvée d’écrire des lettres, mais l’amitié, c’est une chose qui se sent, qui se devine, nul besoin, du moins pour ma part, de l’exprimer par la correspondance. En outre, mon métier est d’écrire. Et j’écris beaucoup plus que je ne publie. Les contacts d’éditeurs, de gens de lettres, de Sociétés culturelles ou autres, je les refuse absolument, sauf dans des cas d’extrême obligation, car cela m’ennuie au plus possible. Quand je suis arrivé à Paris, en juin, des types m’ont appelé, de la Radio-française, de la Société des Poètes, de la Société des Gens de Lettres, etc., j’ai dit non. Je sais que tout cela m’aurait fait une certaine publicité, que j’en aurais profité, 0 y avait les salons de la duchesse de La Rochefoucault, de la princesse de Polignac, de Madame André-Georges , j’ai tout refusé, parce que ce que j’aime au-dessus de tout, c’est ma tranquillité, et de profiter, à ma façon, tel que je l’entends, du temps X qu’il me reste à vivre.

2220Si je te dis tout ceci, c’est pour que tu comprennes — mais tu l’as déjà compris depuis longtemps — que mes silences, lorsqu’il s’agit d’amitié, ne veulent rien dire, et que, ce qui peut te faire rire et te paraître assez paradoxal — quand je dois une lettre à un ami, si je lui réponds tout de suite, je serai délivré, si je ne lui réponds pas, j’en ai des remords, de sorte que je pense à lui beaucoup plus souvent. Réfléchis à tout ça.

2221Maintenant, parlons de toi. Ton foie, ta prochaine opération. Si les médecins anglais, qui sont les meilleurs chirurgiens du monde, décident de t’opérer, vas-y sans crainte. Vas-y surtout avec un bon moral. (Il paraît que pour ce genre de choses, le moral, la confiance, l’optimisme en somme, sont pour un bon tiers dans le succès de l’intervention, et pour une moitié dans la promptitude de la convalescence.) Ne souris pas, quand je te parle de toutes ces choses, je suis aussi très atteint du foie, et à Vichy, le professeur Daryg, un spécialiste, m’a examiné longuement hochant la tête. Pour moi, l’opération serait inutile, je suis vieux et je n’ai aucune réserve graisseuse. Il m’a donné un régime fort sévère à observer, j’y pense une fois par semaine. Il m’a donné aussi certaines drogues, que je prends quand j’y pense, de sorte que ce n’est pas très sérieux. Je m’en fiche, je suis au déclin de mon âge, ton cas est différent, tu es en pleine possession de la maturité.

2222Sois bien assuré que tout ceci est entre nous, que je suis discret quand on me demande de l’être, et que personne au Canada, ni ailleurs, ne saura par moi ou par M., que tu es malade actuellement. [Ben ?] a fini par me dire qu’il s’agissait pour toi d’une excellente situation, quand tu seras rétabli. Mais pourquoi m’avoir caché tout cela !

2223Le médecin de Cannes me demande de demeurer encore quelques semaines sur la Côte. Il me donne une série de piqûres pour le foie, pour le cœur. Il faut cependant que je retourne à Paris au début de février. Le Conseil des Arts du Canada ne m’a pas donné une bourse pour venir me soigner à Cannes, au Lavandou ou à Hyères. Au vrai, il ne me l’aurait pas donnée du tout s’il avait su que j’étais un grand malade. Tout cela est assez ironique. — Mais j’écris beaucoup, et comme je te l’ai promis, mon prochain bouquin de poèmes te sera dédicacé.

2224Que puis-je ajouter ! Si mon écriture te semble assez irrégulière, c’est que je t’écris du fond de mon lit, entre deux oreillers, M. dort dans le lit voisin.

2225Embrasse bien Daphnée pour nous. Et nos hommages à Madame Mère. Et pour les petites, des baisers aussi.

2226Ton vieil ami fidèle

2227Alain G.

2228P.S. Cette lettre, comme tu le vois, est écrite sans aucun souci de correction. C’est une lettre d’ami. Tu me ferais le plus grand plaisir si tu m’écrivais de la même façon, le plus tôt possible, ici, au Lavandou. Quand nous retournerons à Paris, je compte bien aller faire un petit tour à Londres, pour vous voir tous.

  • 716

    Voir supra, p. 645, n. 2 et 4.

2229Et une bonne nouvelle pour moi. Un éditeur américain m’a écrit, me demandant une « option » pour Né à Québec, et Marco Polo, qu’ils traduiront en plusieurs langues, et qu’ils lanceraient dans les « Pocket Book  ». Mon cher Gilles, je finirai peut-être par gagner une petite fortune, quand je serai moribond ! C’est ainsi !

2230A. G.

2231B.

2232Auberge La Calanque, le Lavandou, Var, France.

22332e P.S. J’ajoute aussi que le Professeur Daryg m’a dit que l’ennemi n° 1 des hépatiques que nous sommes est la cigarette. Il m’a expliqué que la cigarette agissait indirectement, mais d’une façon très nocive, sur les parois de … ou provoquait des contractions de ceci ou de cela, bref, cela <illisible> et assèche les fonctions normales du foie. Il m’a recommandé de n’en fumer qu’une dizaine par jour et de diminuer peu à peu. Il ne croit pas, en homme intelligent, à l’arrêt brusque ! Je n’ai pas encore restreint mon extravagance de fumeur. Mais je me propose de le faire.

  • 717

    Autographe, 3f. (13,4×20,5 cm) paginés 2-3, papier pelure, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Bra (…)

2234Le 19 mars 1961.

2235M.J.-G.Pilon

2236Montréal.

2237Mon cher poète,

  • 718

    Le 1er février 1961, Jean-Guy Pilon écrit à Grandbois : « Cher Monsieur Grandbois, / / Le Conseil (…)

2238Voici le contrat , en retard naturellement. J’ai été réellement souffrant, et j’ai dû déménager une demi-douzaine de fois, avec livres, bagages, manuscrits, etc., c’est excédant.

  • 719

    Ce projet de réédition des Iles de la nuit ne se réalisera pas. Le recueil sera cependant repris, (…)

2239Malgré ce retard, si vous pouvez vous arranger pour rééditer avant l’été, j’en serais fort aise .

  • 720

    Marceline Jeanne Gaffet (voir infra, lettre 267, n. 1).

2240Je ne vous ai pas encore dit tout le bien que je pense de vos derniers poèmes. Une très vieille dame , une amie très ancienne à moi, qui a couru tous les milieux littéraires depuis un demi-siècle, et particulièrement celui de la NRF, et à qui j’avais prêté votre « mouette », me récitait l’autre jour « Nous franchirons les glaces » (par cœur). Elle n’aime que les vrais poètes.

  • 721

    Le Parti libéral, dirigé par Jean Lesage, a été porté au pouvoir lors des élections de juin 1960, (…)

2241Je compte retourner au Canada vers le début de juin. Et ce n’est pas sans une certaine appréhension, car le changement de régime me laisse sans aucun revenu. Enfin, ce sont des choses qui arrivent !

2242Croyez bien à ma plus grande estime « poétique », et à mon amitié. Et tous mes hommages à votre charmante femme.

2243Alain Grandbois

  • 722

    Brouillon dans un carnet (BNQ, 204/6/16).

2244[Printemps 1961]

2245Paris est rempli de merveilles. Il y a sans doute ce côté bruyant, insupportable presque.

  • 723

    Voir supra, n. 5.

2246Je n’imagine pas sans une certaine appréhension mon retour au Canada. Les changements de pouvoir me laissent sans aucune situation, de sorte que je ne puis songer à recommencer l’aventure de Mont-Rolland, où j’ai passé de belles années de solitude.

  • 724

    Le père Georges-Henri Lévesque, o. p. (1903-2000) est alors vice-président du Conseil des Arts du (…)

2247J’ai beaucoup travaillé, et selon mes goûts, grâce à cette bourse très « spéciale » que je vous dois , et pour laquelle je ne cesse, soyez-en bien convaincu, de vous être reconnaissant. (Il est dommage pour moi que cela ne soit pas renouvelable, mais il ne faut pas tirer sur le pianiste.) Ce travail, en gros, voici : j’ai écrit un autre bouquin de poèmes, une sorte de prolongation de mes livres précédents, je n’ai pas terminé une « Suite canadienne » (titre provisoire). Il s’agit d’une sorte de géographie poétique des 10 provinces canadiennes. Enfin, une série de nouvelles, mais tout cela à réunir et à mettre au propre. <incomplet>

  • 725

    Autographe (brouillon), 6 f. (14 x 21,5 cm) paginés I-VI, au crayon (BNQ, 204/9/11). Connue sous l (…)

2248[Printemps 1961]

2249J’ai la singulière impression d’appartenir à un monde qui me dépasse, qui m’écrase. Je ne conduis plus rien. Même ma propre vie. Les courants m’emportent. Tu ne me reconnaîtrais plus.

2250Mais tout ce que j’ai conservé, c’est la faculté de rire. Parfois. Et je voudrais rire avec toi. Une fois encore, une seule petite fois encore. Mais une fois. Tu penchais ta tête, tu riais. C’était comme le soleil, et la mer et le bleu de la mer. Et comme « mon Arbre ».

2251Tout nous déserte et surtout soi-même. Je suis assez désespéré. Je n’ai jamais beaucoup cru à l’intelligence des hommes, mais je croyais naïvement à certaine bonne foi, à quelque générosité. Je ne crois plus rien du tout. Je suis devenu un organisme vieillissant, flétri, taré. Je mange le soir pour ch… le matin. C’est tout. Et c’est parfaitement infect. Je te parle librement, sans pudeur. À qui parlerais-je avec cette liberté ?

2252Je suis devenu une sorte d’homme célèbre dans mon petit pays. Pauvre et glorieux. Plus moche que nature. Ce jeu ne m’a pas pris encore. C’est le jeu de l’âge qui me prend, qui me cerne, qui me presse de toutes parts. Ah Claudie Claudie, nous sommes maintenant à bord du même bateau, avec le même capitaine.

  • 726

    Variante du vers de Baudelaire : « Ô mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre » (« Le (…)

2253……il est temps, jetons l’ancre !

2254Mais où, Belle de paon blanc ? Où jeter cette ancre fatale ?

2255Ces effusions terminées, dis-moi, toi, toi, si tu as besoin de quelque chose. Café, thé, sucre, savon. Je t’amènerai cela, par petits colis. J’aimerais que tu boives une tasse de café en pensant à Alain le Canadien, belle reine, mais reine quand même. Laisse ta pudeur, ta dignité de côté, dis-moi. L’époque ne convient plus à rien sauf à la franchise des derniers êtres libres. Il n’y en aura plus après nous. Je veux dire ni de franchise ni d’êtres libres et vivants.

  • 727

    Marius Ferri (1907-1997) confiait au journaliste Carl Leblanc qu’il avait connu Grandbois au début (…)

2256Mon « grand amour », comme tu m’écris avec quelque ironie, se porte bien. C’est mon bras, ma jambe. Que veux-tu que je te dise d’autre ? Je te vois sourire. Il n’y a pas de quoi. Devant tout ce qui nous guette, nous assassine. Je commence à avoir beaucoup de respect pour la vie, dans la mesure où elle s’éloigne de moi. Et pour les êtres. Chacun a son aventure étonnante. Même Marius  ? C’est miraculeux. De rire encore. De rire. <incomplet>

  • 728

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2257Le 25 avril 1961.

2258Mon cher Gilles,

  • 729

    Marceline Jeanne Gaffet.

2259Tous les événements se sont précipités, comme tu le sais, et non sans inconvénients. Nous sommes M. et moi chez une très vieille et très chère amie à moi, à Port-Cros. Nous rejoignons Paris cette semaine.

2260Il est inutile de te dire que nous te remercions de ta lettre si amicale, et de ton invitation à Londres. De retour à Paris, nous te tiendrons au courant. J’embrasse Daphnée et te salue. Je t’écrirai plus sérieusement dans quelques jours. Ton ami,

2261Alain Grandbois

  • 730

    Photocopie (ANC, RG 63, vol. 41).

2262Le 27 juin 1961.

2263Monsieur Eugène Fugère [sic], Au Conseil des Arts, Ottawa.

2264Cher monsieur Fugère [sic],

2265Voici, très brièvement, ce que j’ai fait en Europe, grâce à cette bourse que votre Comité m’a fait la confiance et l’honneur de m’accorder. J’ai écrit des contes, des nouvelles, des poèmes et je terminerai bientôt un long poème, intitulé provisoirement « Suite canadienne », et qui est une sorte de géographie poétique des dix provinces du Canada. Tout cela paraîtra au cours de cette année, et si vous me le permettez, dans un petit mot en guise d’introduction ou de préface, je dirai que j’ai accompli ces travaux parce que le Conseil des Arts m’en a donné l’opportunité.

2266Je ne suis pas allé en Autriche, ni en Allemagne, mon médecin me l’ayant déconseillé, de sorte que je suis allé vers le Sud.

2267Je dois ajouter que cette année a été en tous points merveilleuse pour moi, — sauf mon état de santé — et très enrichissante et très stimulante. J’espère bien avoir le plaisir de vous rencontrer personnellement bientôt. Et si vous désirez un rapport plus précis, plus « officiel » de mon séjour en Europe, je m’empresserai de vous l’adresser.

2268Et puis il me reste quelque chose à vous demander. Faites-moi le grand plaisir d’exprimer ma gratitude et ma reconnaissance à vos collègues du Conseil des Arts.

2269Veuillez croire à mes considérations.

2270Alain Grandbois

  • 731

    Photocopie (archives du Musée du Québec, fonds Gérard Morisset).

2271Montréal, le 28 septembre 1961.

2272M. Gérard Morisset

2273Québec.

2274Mon cher Gérard,

2275Ce petit mot au galop pour te remercier. Je compte retourner à Québec lundi ou mardi de la semaine prochaine. Je t’appellerai.

2276Toutes mes amitiés,

2277Alain Grandbois

  • 732

    Autographe, 2 f. (26,5 x 20 cm) paginés I et II, à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dos (…)

2278Québec, le 10 octobre 1961.

2279Monsieur Clément Saint-Germain,

2280Montréal.

2281Cher Monsieur,

  • 733

    Conseiller de la Reine.

  • 734

    Le 24 octobre suivant, Jean-Paul Pinsonneault écrira à Grandbois ; « À la demande de M. Clément Sa (…)

2282Je vous fais parvenir par ce même courrier le contrat de « Né à Québec ». Mon témoin, dont la signature est à peu près illisible — il est fils de médecin — se nomme Philippe Rousseau. Il est avocat, et C.R. (!) à la Commission gouvernementale du Salaire minimum. Il est également le frère de ma femme Marguerite Rousseau, dont le nom légal est maintenant le mien. Et c’est son manuscrit « Clémentine » que je vous ai apporté l’autre jour. Vous me feriez une grande faveur personnelle en le publiant, et cet automne . Il est charmant, je l’ai montré à des amis qui ont du goût pour la littérature, ils en ont été enchantés. C’est un conte qu’elle veut dédier à ses petits-enfants. (Non pas les miens, j’ai épousé ma femme, qui est d’ailleurs ma cousine, après son veuvage.)

2283Je vous le répète, c’est une faveur que je vous demande — ma femme Marguerite ignore tout de ce que je vous écris —je désirerais lui apporter cette petite joie. Non pas, remarquez-le bien, à vos dépens. Si la chose n’allait pas, c’est-à-dire la vente, vous vous reprendrez, à la longue, sur mes droits d’auteur chez vous. Mais je suis convaincu, si vous lui donniez la publicité normale, que ce serait un succès. (Le sujet de la souris a été fort exploité — Disney, etc. — mais celle-ci est une souris canadienne, que nous connaissions quand j’habitais Mont-Rolland.)

  • 735

    Selon une lettre de Clément Saint-Germain à Luc Lacourcière, du 29 septembre 1961, Alain Grandbois (…)

2284Quant à nos projets, nous nous reverrons. Et je m’arrangerai avec Pilon .

2285Veuillez croire à mes sentiments distingués — c’est encore une formule, je dois vous dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à vous rencontrer l’autre jour.

2286Alain Grandbois

2287Voulez-vous me répondre le plus tôt possible ?

2288Mon adresse est :

2289A.G. a/s Dr Jean Rousseau

22901180, rue de Salaberry,

2291Québec.

2292J’habite encore à l’hôtel, nous cherchons un appartement, c’est aussi difficile de le trouver qu’à Montréal, c’est pourquoi je vous donne cette adresse.

2293A.G.

  • 736

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2294Dernier jour de l’automne [21 décembre] 1961.

2295Solstice, hiver, c’est charmant.

2296Mon cher Victor,

  • 737

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

  • 738

    Alain Grandbois sera publiciste au Musée de la Province (aujourd’hui le Musée du Québec), à Québec (…)

  • 739

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

2297Je vous remercie de votre lettre , de vos attentions, qui sont celles de l’amitié. Je vous écris à la hâte, je me rends au Musée dans quelques minutes. L’affaire est arrangée. Les émoluments sont modestes, nous devrons vivre modestement. Lorsque je vous ai écrit l’autre jour , c’était dans un moment de légère dépression. Je ne manque pas de cran, je manque de vitalité, il y a aussi que j’ai toujours vécu en dehors — ou en marge — de la vie réelle, c’est-à-dire sociale, dans laquelle chacun doit obligatoirement s’intégrer. Il n’y a que l’argent qui puisse vous apporter une illusion d’homme libre.

  • 740

    Grandbois emménage rue Moncton, à Québec.

2298M. est un peu souffrante ces jours-ci. Ce sont les effets du déménagement .

  • 741

    Alain Grandbois consent à écrire un texte qui s’intitulera « Marcel Dugas » (Cahiers de l’Académie (…)

2299C’est entendu pour Dugas . Mais pas avant deux ou trois semaines — limitons vers le 10 janvier, si cela peut encore vous convenir. C’est que mes caisses ne sont pas encore toutes ouvertes, ma chambre est pleine de livres qui gisent sur le parquet, on doit nous livrer des tablettes ces jours-ci. Je n’ai pas encore retrouvé les livres de Dugas.

2300Je redeviens peu à peu un homme sage, le « hic » est que cela m’arrive au moment où je devrai me préparer à quitter cette adorable vallée de larmes. Si j’écris « je redeviens », c’est que je fus sage, aux alentours de ma dix-septième année, je lisais Pascal et Montaigne, l’Histoire des civilisations, j’ai lu beaucoup de choses depuis ce temps, trop de choses.

  • 742

    En 1962, l’Académie canadienne-française a déjà fait paraître six Cahiers : Poésie (1956), Histoir (…)

2301Je vous remercie de l’envoi des Cahiers de l’Académie , et je vous félicite du travail que vous avez fait.

2302M. se joint à moi pour vous exprimer à tous deux nos sentiments véritables.

2303Alain G.

  • 743

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2304Le 11 janvier 62.

2305Mon cher Victor,

2306Toujours à la hâte. (Je ne sais vraiment d’ailleurs pourquoi !) Mais je vous écrirai au début de la semaine prochaine, du Musée, parmi les oiseaux empaillés. Je vous remercie de vos encouragements très amicaux, qui m’ont réconforté.

2307C’est entendu pour Dugas. Et vous aurez le texte avant la limite prévue. J’ai déjà rassemblé les notes essentielles. Je vous en reparlerai.

2308Et puis, M. et moi, tous nos meilleurs vœux, à Lucile et à vous.

2309Alain G.

  • 744

    Autographe, 1 f. (19,5 x 12,5 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, (…)

2310Jeudi, le 16 janvier 62

2311M. Saint-Germain,

2312Montréal

2313Cher Monsieur,

2314En rangeant mes papiers —j’ai erré d’hôtel en hôtel depuis le mois d’octobre, mais j’ai enfin trouvé un appartement — j’ai trouvé un contrat, à propos de Né à Québec, dûment signé par moi-même et avec la signature d’un témoin. Serait-ce seulement une copie, ou aurais-je négligé de vous faire parvenir le contrat même ?

  • 745

    En réponse à cette lettre, Jean-Paul Pinsonneault écrira à Grandbois : « Comme suite à votre lettr (…)

2315Seriez-vous assez bon de m’éclairer sur ce point. Car je vous l’avoue, j’ai été déçu de ne point voir la réédition de ce livre .

2316Veuillez me croire votre très dévoué,

2317Alain Grandbois

2318958 Ave. Moncton,

2319Québec.

  • 746

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2320Mercredi, le 17 janvier 62.

2321Mon cher Victor,

2322Il m’est malheureusement impossible d’assister à la prochaine réunion académique. M. ma femme et moi vous remercions de tout cœur de votre invitation si pleine d’amitié. Mais nous nous reprendrons, si vous le voulez bien.

  • 747

    Sixte le Débonnaire (pseudonyme de Marcel Dugas), Nocturnes, Paris, Jean Flory, 1936. L’un des per (…)

2323Soyez sans crainte au sujet du travail concernant notre ami Dugas, vous l’aurez avant le temps limite, et il ne dépassera pas les huit pages prévues. Je possède tous les ouvrages de notre ami, sauf un, dont j’ai oublié le titre, et dans quoi il me dépeint sous le nom de Carol, si je me rappelle bien, lequel était un petit jeune homme loufoque adorant le whisky et couvert de vierges (!) très peu farouches. Je suis sûr que vous avez ce petit livre .

2324L’hiver à Québec est extrêmement rigoureux. Il neige et il vente comme aux premiers temps de la création. (Mais que diable savons-nous des conditions atmosphériques des premiers temps du monde !) C’est le triomphe des rhumes, bronchites, rhumatismes, etc… M. et moi n’y échappons pas. Il nous reste comme consolation de penser au mois de mai.

2325Mon travail au Musée s’organise peu à peu. Je commence à connaître les journalistes du cru, qui me publieront de petits articles. Mais je ne peux leur en fournir beaucoup, car un Musée ne représente pas précisément l’actualité. Et la matière est plutôt maigre. Au vrai, et entre nous, ce n’est qu’une sinécure, qui n’a même pas l’avantage d’être dorée. Je n’ai cependant pas le choix, et je me résigne.

2326Nous espérons vous voir bientôt, tous les deux, nous pensons très souvent à vous, nous vous donnons l’accolade fraternelle.

2327Alain G.

  • 748

    Autographe, 2 f. (21,5 x 13,75 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 378/21-28).

2328Québec, le 22 janvier 1962.

2329M. Guy Robert,

2330Montréal.

2331Cher M. Guy Robert,

2332Je dois tout d’abord vous demander d’excuser ce retard, qui peut vous sembler excessif, mais j’ai erré depuis quelques mois de ville en ville, d’hôtel en hôtel, et mon courrier en a souffert.

  • 749

    En septembre 1961, Guy Robert écrit à Grandbois : « Monsieur Alain Grandbois / / Il me fait plaisi (…)

2333Je vous remercie très vivement du travail que vous avez bien voulu me consacrer dans la Revue dominicaine . Il est fort bien fait, très compréhensif (je fais naturellement la part des louanges !) et je l’ai lu avec le plus grand intérêt.

2334Je serais très heureux que vous me teniez au courant de vos activités littéraires. J’envie — dans le bon sens du mot, naturellement — votre jeunesse et tous les espoirs qu’elle renferme. J’y suis d’autant plus sensible que je me sens appartenir, et de plus en plus, à un monde qui s’efface, qui s’estompe et qui s’écroule dans ce gouffre qui s’appelle le passé. Mais on n’y peut rien.

2335Veuillez accepter mes félicitations, et croire à mes meilleurs sentiments.

2336Alain Grandbois

  • 750

    Autographe, 3f.(13,5 x 20,2cm) non paginés, papier à en-tête du Musée de la Province (BNC, fonds J (…)

2337Québec, le 23 mars 1962.

2338Mon cher Jacques Brault,

2339Je vous recevrai avec le plus vif plaisir à Québec, faites-moi signe quand vous viendrez, et j’espère bien que vous pourrez dîner avec nous à la maison. Nous bavarderons tout à notre aise. J’ai tenté, moi aussi, mais en vain, de vous rejoindre l’automne dernier à Montréal.

  • 751

    Alain Grandbois, dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » (Seghers / L’Hexagone, Paris / Montré (…)

2340Vous me voyez fort aise d’apprendre que vous me consacrez un nouveau travail . Votre premier livre m’a beaucoup plu, et je ne sache pas que vous ayez écrit des « sottises sur mon compte ». Tout cela était d’une fort belle tenue. D’ailleurs, je vous ai exprimé l’intérêt avec lequel je l’ai lu dans une lettre qui doit reposer dans quelque basse-fosse postale de Montréal ou de Paris.

  • 752

    Nous n’avons pu identifier cette personne.

2341Ce journaliste dont vous me parlez est très jeune, sympathique au demeurant. Il me semble cependant appartenir à cette nouvelle vague qui tient les hommes de trente ans pour des vieillards égrotants et ceux de soixante pour des rescapés de Néandertal. Ça lui passera, pour peu que Dieu lui prête vie.

2342Non, je ne vis plus hélas à Mont-Rolland, et je ne cesse de le regretter. Seules des conditions d’ordre économique m’ont empêché de poursuivre cette forme d’existence de plein air et de liberté.

2343Ma femme Marguerite se joint à moi pour vous exprimer nos sentiments amicaux.

2344Alain Grandbois

2345958, Ave Moncton

2346Québec

  • 753

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

  • 754

    S’il s’agit bien du mardi, la date serait le 3 avril 1962.

2347Mardi, le 2 (ou le 3) avril [1962] .

2348Mon cher Jean-Guy,

2349En effet, naturellement. Mais que devenez-vous ? Et votre poésie ?

2350Vous savez, ou vous ne savez pas, que je vous avais fait, comme poète, mon héritier « spirituel » (dans le sens original du mot).

2351Venez-vous parfois à Québec ? Téléphonez-moi, cela me ferait plaisir de vous voir. Car moi, je ne vais plus à Montréal, j’ai été très souffrant, j’ai eu des ennuis d’argent, etc. De sorte que j’en suis réduit à une portion congrue.

2352Tout à fait amicalement, malgré mon poids d’aînesse.

2353Alain Grandbois.

2354Veuillez donner mes hommages à votre charmante femme.

2355A. G.

  • 755

    Autographe, 1 f. (13,5 x 20,2 cm), papier à en-tête du Musée de la Province, à l’encre bleue (BNC, (…)

2356Mercredi, le 11 avril 1962.

2357Mon cher Jacques Brault,

2358Nous vous verrons avec le plus grand plaisir. Téléphonez-moi dès votre arrivée à Québec, et nous pourrons nous entendre à ce sujet. Nous aimerions vous avoir à déjeuner, ou à dîner, tout cela dépend du temps dont vous disposez.

2359Bien amicalement,

2360Alain Grandbois

2361Tél : 681-5545

2362Ad. 958 Ave. Moncton

2363P.S. Je ne suis pas libre l’après-midi, je dois me rendre au Musée ! (Les beaux jours de Mont-Rolland sont finis hélas !)

  • 756

    Autographe (brouillon), 2 f. (12,8 x 20,2 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 204/9/3).

2364Le 1er mai 1962.

2365Monsieur Fernand Dansereau,

2366Montréal.

  • 757

    Réalisateur, producteur, scénariste, Fernand Dansereau (1928) a d’abord été journaliste à La Tribu (…)

2367Cher Monsieur Dansereau ,

  • 758

    Bernard Devlin (1923-1983) est l’un des quatre enfants de Marguerite Rousseau. Entré à l’O.N.F. en (…)

2368Je fais parvenir ce matin à Bernard Devlin le travail demandé. Je me suis contenté de suivre de très près, en la traduisant, la version anglaise, et je n’ai rien changé à l’action ni aux personnages, qui me semblent justes. Le vocabulaire est à peu près celui de nos jours, autrement tout cela paraîtrait « affecté ».

2369Je crois que l’action est très dramatique et très vivante, et pardessus tout vraisemblable.

2370J’ai dû recopier le tout à la main, la dactylo m’ayant fait faux bond, à la dernière minute, pour cause de maladie.

2371Je souhaite que cela ne vous ait pas été tout à fait inutile.

2372Veuillez croire, cher Monsieur Dansereau, à mes meilleurs sentiments.

2373[Non signé]

  • 759

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2374Le 4 mai 1962.

2375Mon cher Jean-Guy,

  • 760

    En fait, Roger Piault, secrétaire général des Éditions Seghers, qui souhaitait publier « Poème (De (…)

  • 761

    Visages du monde est le titre de la série radiophonique (1950-1952). Le recueil où figure le poème (…)

2376Dans tout le désordre de mes paperasses, j’ai égaré le papier que vous m’avez envoyé, concernant l’anthologie chez Seghers. Pourriez-vous m’en expédier une autre copie ? A ce propos, j’ai déjà répondu à un M. Rouault , l’autorisation [de] reproduire un poème de Visages de l’homme . Et c’est tout pour cela. Et vous, que devenez-vous ? J’ai appris que vous aviez séjourné dans des îles, et que vous songiez à un nouveau départ. Si cela est exact, je vous en félicite, profitez de tout, l’âge vient trop vite !

2377J’espère avoir le plaisir de vous voir bientôt.

2378Bien amicalement,

2379Alain Grandbois.

2380958, Ave Moncton

2381Québec

  • 762

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2382Vendredi, le 18 mai 62.

2383Mon cher Victor,

2384Non, il ne m’est pas possible de me rendre à Montréal lundi. Je le regrette très sincèrement, j’aurais eu le grand plaisir de vous voir, et je me vois privé de ce plaisir, et de quelques autres, depuis déjà longtemps. La vie à Québec, malgré ce printemps miraculeux, continue d’être résolument statique. Les marmottes dorment aussi l’été.

2385Vale, cher enfant.

2386Alain G.

  • 763

    Autographe (copie carbone), 1 f. (21,5 x 28 cm) (BNQ, 204/9/1).

2387Le 26 juillet 1962.

2388M. Bill Bantey

2389Musée des Beaux-Arts de Montréal

23901379 ouest, rue Sherbrooke

2391Montréal.

2392Cher monsieur,

2393Permettez-moi de vous remercier tout de suite des renseignements que vous avez bien voulu me communiquer au sujet du Musée de Montréal.

  • 764

    L’exposition « Paul-Émile Borduas 1905-1960 » au Musée de la Province. Une controverse avait précé (…)

2394Et je suis heureux de pouvoir répondre à votre lettre à propos de l’exposition Paul-Emile Borduas . Je me suis informé, et il y a eu, depuis l’ouverture de l’exposition de Borduas, et jusqu’à la fermeture, entre trente et trente et un mille visiteurs. Tous ne sont peut-être pas venus pour l’exposition même de Borduas, car vous savez qu’il y a ici, au Musée, deux ou trois salles consacrées à l’histoire naturelle. Mais il apparaît, d’après les renseignements que j’ai obtenus, que plus de quatre-vingt-dix pour cent de ces visiteurs sont allés voir les toiles de Borduas.

2395Ce sont les chiffres les plus précis que je puis vous apporter.

2396Je vous prie d’agréer, cher monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

2397Alain Grandbois,

2398Chef de la publicité.

2399AG/JM

  • 765

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2400Lundi, le 27 août 62.

2401Mon cher Victor,

  • 766

    Allusion au vers célèbre de Victor Hugo : « Vous êtes mon lion superbe et généreux » (Hernani, I, (…)

  • 767

    Voir supra, p. 652, n. 6.

2402Soyez bon et généreux — tel le « lion bien connu  » ! — et dites-moi s’il ne sera pas trop tard pour « Dugas  », au début de la semaine prochaine. Je n’ai pu l’écrire auparavant. Des semaines sans dormir, malgré les barbituriques ; les coups de poignard au foie, la fièvre, les angoisses, tout cela a été mon lot. Et ces états n’ont rien à voir avec le « cran ». On ne peut faire marcher un homme qui a les jambes coupées. Je vais mieux, je respire enfin. M. a été fort patiente et courageuse.

2403Nous vous embrassons, Lucile et vous, bien affectueusement.

2404Alain Grandbois

2405958, ave Moncton

  • 768

    Autographe, 1 f. (10 x 12,5 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (BNQ, 378/21-28).

2406Le 8 septembre 1962.

2407Monsieur Guy Robert,

2408Montréal

2409Cher Monsieur,

  • 769

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

2410Je n’ai pu répondre plus tôt à votre lettre parce que j’étais absent de la ville. Il me fera grand plaisir de vous rencontrer. J’aimerais cependant que vous me préveniez un jour ou deux à l’avance, ce sera plus sûr.

2411Croyez à mes meilleurs sentiments.

2412Alain Grandbois

  • 770

    Autographe, 1 f. (12,6 x 20 cm), à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

2413Québec, le 4 octobre 1962.

2414Mon cher Gaston Miron,

2415Me voici devenu pour le moment un invalide. Des côtes fracturées. Ce n’est pas grave, mais très douloureux.

  • 771

    Il s’agit plutôt de Gilles Marcotte qui publie, en 1962, Une littérature qui se fait (HMH). l’ouvr (…)

2416Merci pour le livre de Turcotte . Vos projets de cette édition m’intéressent beaucoup.

2417A bientôt, je l’espère, et en attendant de vous voir, je vous salue amicalement.

2418Alain Grandbois

2419958 Moncton

2420Québec

  • 772

    Autographe, 2 f. (21,5 x 13,75 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 378/21-28).

2421Québec, le 4 oct. 1962.

2422Mon cher Guy Robert,

2423Me voici retenu à la chambre pour fractures des côtes. Et je suis corseté comme Barbey d’Aurevilly. Ce n’est pas grave, mais très douloureux. Impossible de dormir. Tout cela pour vous dire que je n’ai guère le cœur au travail.

2424Mes nouvelles ne seront pas prêtes avant l’hiver. De sorte que l’on ne peut songer à une édition — et votre projet m’intéresse beaucoup — avant le printemps prochain. Je vous enverrai des poèmes dans une semaine ou deux.

  • 773

    Alfred Pellan, que Grandbois a rencontré à Paris en 1926 et qui a illustré Les Iles de la nuit, ét (…)

2425Veuillez assurer Pellan de ma vieille amitié, et je vous salue avec toute la grâce d’un infirme.

2426Alain Grandbois

2427958 Moncton

2428Québec

  • 774

    Autographe, 1 f. (12,6 x 20 cm), à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

  • 775

    Cette lettre fut écrite le lendemain de la soirée de clôture du Salon du Livre de Québec (du 22 au (…)

2429Le lendemain (lundi), [29] oc. 1962 .

2430Mon cher poète et éditeur,

  • 776

    Nous n’avons pas retrouvé copie de ce contrat.

2431Vous trouverez notre contrat ci-inclus et signé. La huitième clause m’a fait un peu sourciller . J’aime farouchement ma liberté. Mais nous ne sommes pas des sauvages.

  • 777

    Probablement Léopold LeBlanc, d’origine acadienne.

  • 778

    Née Marguerite Rousseau.

2432Vous avez eu tort de vous évader, hier soir, si rapidement dans la nature. Je venais de vous faire inviter, à titre d’ami personnel, ainsi que votre ami l’Acadien , à toute la suite des petites festivités qui se sont succédées. Ce n’était pas très, très drôle, mais cela peut-être vous aurait amusé, et vous auriez rencontré « l’intelligentsia » de Québec, avec son snobisme obligatoire. Nous sommes rentrés à 3 hres du matin, ma femme et moi. J’ai oublié de vous demander, à propos de ma femme, et pour cette édition des poèmes de vouloir bien mettre, en une page préliminaire, « pour M. R. ». Chacun de mes livres de poésie a été dédicacé ainsi. Et pour ne rien vous cacher, c’est le nom de jeune fille de ma femme actuelle . Nous ne sommes mariés que depuis quatre ans, mais nous nous connaissons depuis toujours. C’est ma cousine germaine. Je vous raconterai les détails une autre fois, pour peu que cela puisse vous intéresser.

  • 779

    « La marche à l’amour », dont certains fragments ont paru dans Le Nouveau Journal (14 avril 1962, (…)

2433Je vous demanderai aussi, si vous pouvez le faire, de m’envoyer ce très beau poème que vous avez écrit, et dont nous avons parlé hier. Ceci n’est pas de ma part de la flagornerie, de la flatterie. Pourquoi ? Je l’ai beaucoup aimé, et vous avouerais-je que, sauf de très rares exceptions, je goûte assez peu la poésie de nos concitoyens.

2434À bientôt, je l’espère. Faites-moi signe quand vous viendrez à Québec. Vous serez toujours le bienvenu chez moi.

2435Amicalement,

2436Alain Grandbois

  • 780

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal). Michel Cha (…)

2437[18 janvier 1963]

2438M. Michel Champagne

2439Permettez-moi, avec cependant quelque retard dû à la maladie, de vous remercier de vos bons souhaits et de venir vous offrir les nôtres.

2440Alain (et Marguerite) Grandbois

  • 781

    Autographe, 1 f. (21,5 x 13,75 cm), à l’encre bleue ; daté « début 1963 » par Guy Robert (BNQ, 378 (…)

2441[Début 1963]

2442Monsieur Guy Robert,

2443Permettez-moi, avec cependant quelque retard dû à la maladie, de vous remercier de vos bons souhaits et de venir vous offrir les miens.

2444Bien amicalement

2445Alain Grandbois

  • 782

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2446Dimanche, le 20 janvier 63.

2447Mon cher enfant-Victor,

2448Voici une lettre décousue, à très [sic] bâtons rompus. Mon long silence est dû à l’état, qui fut déplorable, de ma santé. Je ressuscite enfin, non pas comme Lazare, tout d’un bloc, fort et frais et droit comme un I, mais d’une petite résurrection lente, et plutôt malingre et penchée.

  • 783

    À l’occasion du départ à la retraite de Victor Barbeau, les Cahiers de l’Académie canadienne-franç (…)

  • 784

    Le texte publié est le suivant : « Il épouse une charmante jeune fille et part pour l’Europe. A so (…)

2449Votre hommage est très bien, et je vous remercie de m’en avoir fait parvenir un exemplaire. Je sais certes que vous êtes le plus beau des hommes, mais il est réconfortant que l’on le proclame pour l’éternité, ou du moins pour le temps que dureront les écrits. J’ai cependant moins goûté la coquille et le contre-sens que l’on m’a infligés. J’avais écrit ceci : (Cahiers n° 3, page 6, en haut : « Avec une violence accrue. La douceur … »). Pour un texte aussi court, le correcteur eût dû être plus soigneux.

  • 785

    Revue fondée par Victor Barbeau (voir la lettre du 8 août 1946 à Victor Barbeau, supra, p. 227).

2450Pendant ma maladie, au lieu de relire Proust, selon mes chères habitudes, j’ai relu Dostoïevski, Julien Green, la Bible encore, et la collection de Liaison . Vous voyez que je me nourrissais de choses folâtres, très aptes à relever le moral.

  • 786

    Une manchette en première page du Devoir du 27 décembre 1962 se lit : « Barbeau : le parti républi (…)

  • 787

    Qui dévie à droite le plan de la lumière qui traverse le cristal : allusion aux positions de droit (…)

  • 788

    Au cours des années 1930, Adrien Arcand (1899-1967) fut le chef de file du mouvement fasciste au Q (…)

2451Les gazettes m’apprennent que vous vous lancez dans une nouvelle aventure hautement patriotique . Je pense au cristal dextrogyre . Ha, à quand Arcand  !

  • 789

    Médecin diplômé de l’Université de Montréal en hygiène publique, capitaine de l’armée canadienne, (…)

  • 790

    Bérengère Courteau (voir la lettre du 16 novembre 1932 à Marcel Dugas, supra, p. 140).

2452Avant d’être malade, j’avais réuni la documentation nécessaire au sujet de Dugas, et commencé la rédaction du texte. Si vous m’accordez jusqu’à la fin de ce mois, je pourrais vous l’apporter. (Jeudi, le 31). Si cela retarde trop !a publication de votre Cahier, dites-le moi. J’aurais aimé cependant rappeler son souvenir. Nous demeurons maintenant si peu nombreux, qui l’avons vraiment connu, et aimé. A part Plouffe , vous, moi, et… Pas les dix doigts de la main. (Mais j’allais oublier Bérengère .)

  • 791

    Lettre de Marcel Dugas à Alain Grandbois, du juillet 1937 : « Cher ami / / Si je meurs, je vous au (…)

2453J’ai retrouvé ce testament dont je vous ai déjà parlé. Je vous l’apporterai.

  • 792

    Guy Frégault (1918-1977) est alors sous-ministre des Affaires culturelles du Québec, et donc respo (…)

2454Sur la demande de Frégault , on m’avise officiellement que j’aurai congé, le jeudi 31, pour votre séance. C’est gentil de la part de Frégault. Sans ironie.

2455Pourquoi ne songez-vous pas à réunir en volume ces critiques de Liaison, et celles que vous avez distribuées dans plusieurs revues et journaux, en y ajoutant certaines conférences quelques peu meurtrières. Tout cela est trop éparpillé un peu partout.

2456Ce n’est qu’une suggestion.

  • 793

    Fusain de Louise Gadbois, reproduit en page liminaire de Présence de Victor Barbeau. Louise Landry (…)

2457À mon avis, le portrait au fusain de L. G. est très réussi. Mais il y manque la moustache, que vous avez portée si longtemps. Ainsi, vous avez l’air tout nu. C’est presque indécent.

2458Vous me trouverez desséché, déplumé, et très vraisemblablement d’une charmante humeur. Car à part le plaisir que j’aurai de vous revoir, il reste aussi que je ne suis pas sorti de Québec depuis plus d’un an. Pour un ex-» grand voyageur », ainsi s’expriment les journaux du samedi dans leurs pages pseudo-littéraires, la vieille Capitale et son Musée et la rue Moncton risquent à la longue de devenir étouffants.

2459J’ai souffert, pendant huit jours, d’une amnésie quasi totale. Je battais lourdement des ailes et comme suspendu dans une sorte de nuit sépulcrale. Ce doit être ce qui précède la mort chez ceux qui sont malheureusement affligés d’une longue agonie. — Ceci n’est pas de la littérature.

2460M. et moi vous embrassons, L. et vous.

2461Alain Grandbois

  • 794

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2462Mercredi. Février [1963?].

2463Mon cher Victor,

  • 795

    Il s’agit du texte de Grandbois sur Dugas, qui paraîtra dans les Cahiers de l’Académie canadienne- (…)

  • 796

    Député d’Oran, de 1948 à 1951, François Quilici (1905-1977) a dirigé le journal La Bataille, depui (…)

2464Je n’ai pas retrouvé le premier feuillet , j’en avais un mauvais brouillon, je le transcris ici. Le nom du journaliste est FRANÇOIS QUILICI . Par la famille de sa mère, il était allié à la famille des Bonaparte. Mais les deux familles étaient farouchement ennemies, on est Corse ou on ne l’est pas.

2465Il fait ici un temps épouvantable. Le Musée, au milieu des Plaines, semble vaciller sur ses bases. Je reste chez moi, par prudence !

  • 797

    « Victor Barbeau s’étonne des carences de français de nos étudiants » (L’Événement, 15 février 196 (…)

2466Marguerite et moi regrettons de vous avoir si peu vu. Votre retraite me paraît singulièrement active. Les journaux locaux ont beaucoup parlé de vous , et ce d’une façon fort élogieuse.

2467Toute notre affection, et à bientôt.

2468Alain G.

  • 798

    André Derain (1880-1954) fut, avec Vlaminck et Matisse, à l’origine du fauvisme : il ne serait jam (…)

2469P.S. J’ai peut-être fait une erreur. Ce n’est pas Derain que Pellan a présenté à Montréal il y a une vingtaine d’années, mais Fernand Léger .

2470A. G.

  • 799

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2471Québec, le 5 mars 63.

2472Mon cher René,

2473Ce petit mot, à la hâte, je suis très pressé, on vient de me commander, au ministère, un travail fastidieux qui doit être terminé dans quatre jours (!) Belle fin de semaine en perspective.

  • 800

    Dans une lettre du 8 janvier 1963 invoquant « les difficultés de traduction et de publication », R (…)

2474Quant à « l’affaire », en principe, cela pourrait marcher . Nous en reparlerons. J’irai à Ottawa à la fin du mois.

2475M. et moi saluons, à notre tour, vos Excellences.

2476Alain G.

  • 801

    Autographe, 1 f. (10 x 12,8 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Bra (…)

2477Québec, le 19 mars 1963.

2478Mon cher Gaston Miron,

  • 802

    Le 18 février 1963, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Cher Alain Grandbois, / / encore une fois q (…)

2479C’est entendu pour le début d’avril . Je m’excuse de ne pas vous avoir répondu plus tôt, j’ai été souffrant, les hivers canadiens ne me vont plus. Ou est-ce mon âge, ma santé, mon humeur, mes artères, mon « ego » qui ne vont plus ? Je n’en sais rien, et ne tiens pas à le savoir.

2480Quand venez-vous à Québec ?

2481Bien amicalement

2482Alain Grandbois

  • 803

    Autographe, 1 f. (27 x 21 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (BNQ, 378/21-28).

2483Québec, le 1er mai 1963.

2484Monsieur Guy Robert,

2485Montréal.

2486Mon cher critique,

  • 804

    Au printemps 1963, Guy Robert écrit à Grandbois : « Bonjour, / / Et merci de votre livre Poèmes. S (…)

2487Veuillez m’excuser de ne pas vous avoir répondu plus tôt, j’ai été encore souffrant, et fort éloigné de la poésie. Car il me faut jouir d’une santé à peu près normale pour goûter la poésie, m’en enchanter, ou tenter d’en écrire.

2488Je suis d’accord avec vous — en principe — pour ce que vous me demandez. Deux questions cependant, la première est conditionnelle. 1° Quelle date limite fixez-vous pour ces témoignages et ces poèmes ? 2° Vous me demandez ce qu’est « la poésie pour moi ». Désirez-vous savoir ce que je pense de la poésie en général, de la poésie du vaste monde, ou si votre « interrogatoire » concerne plus particulièrement ma propre poésie ?

2489Ma femme et moi vous remercions de votre très amicale invitation, et nous l’acceptons avec joie, mais pour un peu plus tard, que « les beaux jours… »

2490Croyez à mes sentiments les meilleurs,

2491Alain Grandbois

  • 805

    Autographe, 1 f. (12,5 x 10 cm), à l’encre bleue (BNQ, 378/21-28).

2492Le 15 mai 63.

2493Bonjour,

  • 806

    Dans une lettre non datée, en réponse à celle de Grandbois du 1er mai 1963, Guy Robert écrit : « B (…)

2494Vous me dites des choses fort aimables , et croyez bien qu’elles me font plaisir, même si je ne les mérite pas.

2495Puisque vous ne publiez qu’en septembre, je vous demanderai trois semaines environ, de sorte que vous n’avez pas à subir de retards par ma faute.

2496Pour le « témoignage », j’opte pour les 3 ou 4 pages. Plus cela est court, moins l’on risque de dire des sottises.

2497Ma femme et moi vous saluons, et sachez bien que vous serez toujours les bienvenus à Québec, rue Moncton.

2498Alain Grandbois

  • 807

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2499Le 15 mai 63.

2500Mon cher René,

  • 808

    Voir supra, p. 659, lettre 293, n. 2.

2501Sois rassuré, j’ai enfin écrit à M. Keyserlingk , qui se propose de venir à Québec dans quelques semaines.

2502Et sois surtout prudent : à notre âge, l’influenza n’est pas une plaisanterie, j’en ai souffert tout l’hiver, et je ne suis pas encore complètement rétabli.

2503Bonjour, et toutes nos amitiés, à Pauline et à toi.

2504Alain

  • 809

    Autographe, 1 f. (10,3 x 13 cm), écrit recto verso à l’encre bleue ; au recto, en marge inférieure (…)

2505Jeudi, le 16 mai 1963.

2506Mon cher Biographe,

  • 810

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

  • 811

    En juin 1971, Léopold LeBlanc soutiendra à l’Université de Caen (France) une thèse de doctorat int (…)

2507Merci de votre petit mot , et des nouvelles que vous m’apportez. Avez-vous enfin réussi à « régler » définitivement votre voyage ? Je vous le souhaite de tout cœur. Et vous me feriez plaisir en me tenant au courant .

2508Amicalement,

2509Alain Grandbois

  • 812

    Autographe, 2 f. (14 x 21,5 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

2510Le 8 juillet 1963.

2511Mon cher Gaston Miron,

  • 813

    Le poème « La marche à l’amour », d’abord paru dans Le Nouveau Journal, sera repris en 1970, avec (…)

2512Vous avez écrit un bien beau poème , pourquoi ne le publiez-vous pas en tirage spécial, plaquette de luxe, enfin, ce genre-là ! Rien ne vous empêcherait, plus tard, et dans une édition plus accessible, de le joindre à ceux que vous préparez. Mais ne voyez ici qu’une suggestion, je n’oserais pas m’occuper de ce qui vous regarde.

2513Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, c’est que j’ai été très souffrant, cette fois-ci, le coup vraiment dur, et que je commence à peine à reprendre pied.

  • 814

    Peter Miller, directeur de la maison d’édition Contact Press de Toronto, publiera Alain Grandbois. (…)

  • 815

    Une dactylographie (copie carbone) de Selected Poems se trouve dans le fonds Grandbois (BNQ, 204/1 (…)

2514Agissez comme vous l’entendrez avec Peter Miller . Je suis d’accord pour la traduction, je l’ai relue , elle me semble maintenant excellente (c’est extrêmement difficile de traduire des poèmes).

2515Félicitations rigoureusement sincères, remerciements, et soyez assuré de mes sentiments amicaux.

2516Et quand sortez-vous mes « poèmes » ?

2517Alain Grandbois

2518P.S. J’ai égaré le mot dans lequel vous me donniez votre adresse personnelle. Pourriez-vous me la fournir de nouveau ?

2519A. G.

  • 816

    Autographe, 2 f. (13,8 x 21,5 cm) dont les second est paginé 2, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacque (…)

2520Le 11 juillet 1963.

2521Bonjour Gaston Miron,

  • 817

    Le 8 juillet 1963, Gaston Miron écrit à Alain Grandbois : « Cher Alain Grandbois, / / Ci-inclus, l (…)

2522Nos lettres ont dû se croiser . Mais je résume.

  1. D’accord pour la traduction.
  2. Je me fie à votre bon goût pour la réalisation technique.
  3. Je n’ai aucune objection de principe à recevoir des journalistes. Cela fait partie de la règle du jeu. De là à en éprouver une joie infinie, non. Et puis je n’ai rien à leur dire que je n’aie déjà répété trois ou quatre douzaines de fois. (Et aussi je suis d’humeur variable, parfois exécrable. C’est une question de foie, paraît-il.)
  4. Je vous verrai avec plaisir le 20 juillet.

2523Alain Grandbois

2524P.S. Ma dernière lettre a été adressée 1029, Côte du Beaver Hall.

  • 818

    Autographe, 3 f. (21,5 x 13 cm), à l’encre bleue, numéroté 2 par Grandbois (BNQ, 378/21-28).

2525Québec, le 16 juillet 63.

2526M. Guy Robert,

2527Bonjour, je vais sans doute vous décevoir, car je n’ai rien à vous apporter d’inédit. J’ai été très souffrant depuis quelques semaines. Je ne me suis employé qu’à demeurer en surface, je n’ai eu ni la force ni le courage ni le goût de rassembler des manuscrits, de les mettre au point, il me faut être en bonne santé, physique et mentale, pour m’enfoncer dans les régions oniriques. Alors voici.

  • 819

    « La poésie est une très vieille et très grande dame… », préface au recueil de Sylvain Garneau, (…)

2528Comme vous me l’avez suggéré, la préface d’Objets trouvés devrait faire l’affaire. Pour les poèmes, je vous ai dressé une petite liste. Je crois cependant qu’il vous faudrait l’autorisation de Gaston Miron, de l’Hexagone, à qui j’ai cédé mes droits. Quant à moi, je suis d’accord.

2529Je n’oublie pas nos conversations de ce printemps, et si ma santé se rétablit, je vous donnerai des textes pour l’hiver prochain. Rappelez-moi au bon souvenir de Pellan.

2530Bien amicalement

2531Alain Grandbois

  • 820

    La pagination est celle de l’édition originale de chaque recueil.

2532Les Îles de la nuit : Ô Tourments ( p. 12 )

2533Avec ta robe… (p. 66)

2534Rivages de l’Homme : Poème (p. 77)

2535ou

2536L’Aube ensevelie (p. 73)

2537L’Étoile pourpre : Noces (p. 68)

2538Le songe (p. 31)

2539Je mets « ou » car je ne sais quel espace vous avez à disposer.

2540A. G.

  • 821

    Autographe, 1 f. (13 x 21,3 cm), papier à en-tête du Musée de la Province, à l’encre bleue (BNC, f (…)

2541Québec, le 21 août 1963.

2542Mon cher Gaston Miron,

2543Vos dates m’agréent. Mais essayez de venir cette semaine, car je dois partir la semaine prochaine pour Boston, où je rencontre un spécialiste du « foie » !

  • 822

    Sans doute un exemplaire de Poèmes.

2544Je n’ai pas reçu cet exemplaire dont vous me parlez. Mais la poste est plutôt fantaisiste à Québec.

  • 823

    Gaston Miron, « La vie agonique », Liberté, n° 27, mai-juin 1963, p. 210-221.

2545Vos poèmes sont très beaux. (J’accorde à ces mots leur signification originelle.)

2546Bien amicalement,

2547Alain Grandbois

  • 824

    Autographe, 1 f. (13,8 x 22,6 cm), à l’encre bleue. Sur une carte postale jointe à cette lettre, G (…)

2548Vendredi, le 13 septembre 1963.

2549Mon cher Gaston (poète) Miron,

2550Voici, j’ai reçu vos livres, mais je n’ai pas encore commencé le service de presse. J’étais trop fatigué et souffrant. J’ai mis les exemplaires dans une malle, avant mon départ de Québec, et ensuite, à Boston, l’on n’a pas cru devoir m’opérer, mais on m’a donné à suivre un régime alimentaire extrêmement sévère, que je ne pourrai d’ailleurs jamais observer à la lettre.

2551Ne venez pas à Québec dimanche prochain (le 15) mais si vous le pouvez, le dimanche suivant (le 22).

2552J’espère que vous vous portez bien, ici le temps est affreux, pluies et vents, et tout le monde est grippé, même ces fameux marins de l’endroit qui ont parcouru les sept mers.

2553A bientôt, et bien amicalement

2554Alain Grandbois

  • 825

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2555[Québec, le 2 octobre 1963]

2556Mon cher enfant, M. et moi sommes à la fois furieux et ravis. Furieux pour votre extravagance, et ravis parce que vos chrysanthèmes (oui, oui, j’ai dû prendre mon dictionnaire) sont merveilleux, d’un or splendide.

2557Soyez bon, et encore merci.

  • 826

    Cette lettre fait suite à une lettre de Marguerite Rousseau à Victor Barbeau, datée du 2 octobre 1 (…)

2558Alain G.

  • 827

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2559Le 5 décembre 1963.

2560Mon cher Victor,

  • 828

    Jean Grandbois et Louis Rousseau.

2561Il faut bien que vous excusiez encore tous mes retards, mes manques de remerciements, etc. Je suis vraiment très souffrant depuis quelques semaines, et j’imagine parfois que… Enfin, je conserve ma sérénité, mais comme je suis d’un naturel curieux, j’aimerais savoir ce dont il s’agit vraiment, et quelles en seront les proches conséquences. Mes deux médecins — frère et cousin — se tiennent plutôt cois.

  • 829

    Grandbois recevra, le 12 décembre 1963, le prix France-Canada pour son recueil Poèmes.

2562Nous nous proposons d’aller à Montréal la semaine prochaine, pour l’affaire France-Canada . J’espère que nous nous verrons. De toute façon, je communiquerai avec vous par téléphone.

2563Tous deux nous vous embrassons tous deux.

2564Alain Grandbois

  • 830

    Autographe, 2 f. (12,5 x 20cm) non paginés, à l’encrebleue (BNC, fonds Jacques Brault).

2565Dimanche, le 9 décembre 1963.

2566Mon cher Jacques Brault,

  • 831

    Le 2 octobre 1962, Jacques Brault écrit à Grandbois : « Cher Monsieur Grandbois, / / 11 faut nous (…)

2567Vos scrupules vous honorent certes, mais à mon sens sont superflus. Savez-vous que le petit livre que vous m’aviez consacré —je crois vous l’avoir dit déjà — m’a parfois servi de passeport en Europe et aux États-Unis, enfin, d’une sorte de passeport intellectuel, si je puis m’exprimer ainsi, et je dois vous en remercier.

2568Avez-vous l’occasion de venir à Québec ces temps prochains ? Ma femme et moi vous recevrons avec plaisir et amitié.

2569C’est ici un mot bien court, j’ai été souffrant, j’ai laissé accumuler mon courrier, je ne sais trop comment m’en tirer, j’aimerais vivre dans une île déserte.

2570A bientôt je l’espère, et tentez de chasser les sombres nuages qui semblent vous envahir. Mais la vie est ainsi.

2571Bien amicalement,

2572Alain Grandbois

2573958, Moncton

2574Québec

  • 832

    Autographe, 2 f. (13,3 x 21 cm) non paginés, à l’encre bleue ; le recto du second feuillet porte l (…)

2575Le 9 décembre 1963.

2576Mademoiselle Rina Lasnier,

2577Joliette.

2578Ma chère Rina,

  • 833

    Rina Lasnier, Les Gisants suivi de Quatrains quotidiens, Montréal, Éditions de l’Atelier, 1963, 10 (…)

2579Je ne sais comment vous remercier de vos beaux poèmes . Certains de vos quatrains sont magnifiques, avec la densité et la pureté des meilleurs haïkaï japonais, et j’aimerais posséder une meilleure mémoire pour pouvoir me les réciter à volonté, selon ma fantaisie, en me promenant, comme l’on écoute une musique intérieure.

2580Je crois qu’il est inutile de vous féliciter, et je vous embrasse confraternellement.

2581Alain Grandbois

  • 834

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2582Le 16 décembre 63.

2583Mon cher Victor,

  • 835

    La remise du prix France-Canada à Alain Grandbois, le 12 décembre 1963 (voir la lettre du 5 décemb (…)

  • 836

    Gilles Marcotte, qui recevait le prix de journalisme pour son livre Une littérature qui se fait.

2584Ce couronnement s’est bien passé. J’ai dansé le « twist » avec la présidente (15 secondes). Il fallait ouvrir la sauterie qui suivait la dégustation de crustacés. Je lui ai demandé : « Avez-vous déjà dansé ça ? » Elle ma répondu : « Jamais, et vous ? » Je lui ai répondu : « Jamais. Mais je l’ai vu à la TV. Nous n’avons qu’à prendre l’air tout à fait idiot, fixer les yeux dans le vague, balancer les bras comme un chimpanzé, etc. » Ce qui fut fait. Mon colauréat et moi avons reçu chacun une sculpture esquimaude.

  • 837

    Le prix Molson du Conseil des Arts du Canada, accompagné d’une bourse de 15 000 $, qui lui sera re (…)

2585L’autre prix sera sans doute selon mon cœur, mais, je le crains, léger à ma bourse. Je ne sais guère thésauriser. Cependant je compte être très raisonnable. Nous n’avons encore fait aucun projet. Marguerite se rétablit. Mon amitié à Lucile. Je vous remercie pour l’accolade et pour la bénédiction académique.

2586Soyez toujours bon, et à bientôt.

2587Alain Grandbois

  • 838

    Autographe, 2 f. (14 x 21,5 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

2588Le 4 février 1964.

2589Mon cher Jacques Brault,

  • 839

    Le 31 janvier 1964, Jacques Brault écrit à Grandbois : « Cher monsieur Grandbois, / / Je me suis l (…)

2590Merci pour votre lettre . Et aussi pour le temps que vous accordez à mon « personnage » ! Je vous ferai parvenir d’ici quelques jours une photo et un poème. (Il me faut chercher les photos parmi des caisses qui n’ont pas été ouvertes depuis deux ans).

  • 840

    Le texte de la conférence de Jacques Brault paraîtra dans Le Devoir du 7 novembre 1964, sous le ti (…)

2591Je ne sais si je pourrai assister à votre conférence . Ma santé est encore fragile. Et puis, pourquoi ne pas vous l’avouer, cela me gêne un peu d’être présent lorsque l’on parle de moi. Vous qui êtes un homme de pudeur, vous pouvez fort bien comprendre cela.

2592Ma femme se joint à moi pour vous souhaiter toutes sortes de bonnes choses. Et ne nous oubliez pas quand vous viendrez à Québec. Nous vous voyons toujours avec joie.

2593À bientôt je l’espère,

2594Alain Grandbois

  • 841

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2595Le 5 février 1964.

2596Mon cher Victor,

  • 842

    Victor Barbeau, Le Français du Canada, Montréal, Presses de l’Académie canadienne-française, 1963, (…)

2597Je ne sais comment vous remercier de m’avoir envoyé votre livre . C’est un travail d’une portée considérable, pour peu que l’on se donne la peine de le lire, surtout dans les milieux que cela concerne plus particulièrement, celui des étudiants, instituteurs, professeurs, journalistes, écrivains, etc. Mais vous savez tout cela mieux que moi. Pour ma part, j’ai passé une nuit entière à le parcourir. Je ne sais si j’en tirerai beaucoup de profit, parce que je n’ai à peu près plus de mémoire, mais je dois vous avouer que cette lecture m’a plus intéressé qu’un roman — un bon roman ! —. Et quel travail cela peut représenter ! Cela vaut mille fois toutes les parlotes, depuis sa fondation, de notre chère Académie. Au moins, avec votre ouvrage, celle-ci aura-t-elle servi à quelque chose. Je vous félicite très chaleureusement. (Je suis ainsi fait que j’admire ce que les autres font que je n’aurais ni le talent ni le courage de faire moi-même.)

  • 843

    Du jeudi 27 au samedi 29 février 1964 se tiendra à l’Université Laval le deuxième colloque de la r (…)

2598Vous venez rarement à Québec. Mais j’apprends que vous présiderez un « colloque ! » à la fin de ce mois. Et moi aussi , bien que je ne sache diable en quoi cela peut consister de présider un colloque. Enfin… M. ma femme est souffrante. Un disque déplacé et meurtri. C’est douloureux. Il lui faudra dormir sur une planche. N’en soufflez mot à personne, M. a horreur que l’on parle de ses maladies. Nous vous embrassons tous deux.

2599Alain Grandbois

  • 844

    Autographe, 2 f. (13,4 x 21,3 cm) non paginés, papier à en-tête du Musée de la Province, à l’encre (…)

  • 845

    Alain Grandbois a daté cette lettre du 11 février 1934. Nous corrigeons.

2600Mardi, le 11 février 1964 .

2601Monsieur Jos Lacoursière

2602Saint-Casimir

2603Mon cher Jos,

  • 846

    Dans une lettre datée du 17 janvier 1964, Léopold LeBlanc tentait d’obtenir, auprès du notaire Lac (…)

2604Je te remercie tout d’abord de t’être donné la peine de m’écrire et de m’avoir fait parvenir le mot de LeBlanc .

2605LeBlanc est un garçon sympathique, mais fort indiscret. Il est venu me voir à quelques reprises. Je lui ai répété qu’une thèse sur la littérature ne ressemble pas à une enquête sur la vie intime et privée des gens. Mais il ne semble pas avoir compris. Et d’ailleurs, la plupart de ces titres, papiers, reçus, etc., ont été égarés ou détruits depuis longtemps. Ce qui n’empêche que si je les avais conservés, je ne les lui donnerais pas. Je te renvoie sa lettre.

2606Je ne crois pas aller à Saint-Casimir avant le printemps. Je n’ai pas de voiture. Mais si tu viens à Québec, ne manque pas de m’appeler, tu viendras prendre un verre à la maison, et nous bavarderons.

2607Au revoir, Jos, et à bientôt je l’espère.

2608Alain Grandbois.

2609958 Ave Moncton Tél : 681-5545.

  • 847

    Autographe, 2 f. (13 x 21,2 cm) non paginés, papier à en-tête du Musée de la Province, à l’encre b (…)

2610Mardi, le 2 mars 1964.

2611Mon cher Jacques Brault,

  • 848

    Voir supra, p. 664, lettre 309, n. 2. Le Droit ne publiera aucun poème de Grandbois.

2612J’ai de nouveau été très souffrant, de là mon retard. De là aussi que je n’ai pu vous adresser un poème inédit ; il m’eût fallu comparer aux autres pour éviter les redites, etc., donc je vous adresse un poème déjà publié .

2613Cette photo est tout ce que j’ai pu trouver. Cela a l’air bien prétentieux !

2614J’espère que je ne suis pas trop en retard. Enfin, je prends le risque.

2615Bien amicalement, et merci.

2616Alain Grandbois

  • 849

    Photocopie (Archives de l’Université de Sherbrooke, fonds Jean-Charles Harvey).

2617Le 10 mars 64.

2618Mon cher Jean-Charles,

2619Je suis un homme un peu lent (mais j’ai été souffrant tout l’hiver). Tu vois que je n’ai pas encore terminé mon service de presse et d’amitié. Mais enfin, voici, tel que promis.

2620À bientôt,

2621Alain Grandbois

  • 850

    Photocopie (Archives de l’Université de Sherbrooke, fonds Jean-Charles Harvey).

2622Québec, le 21 avril [1964].

2623M. Jean-Charles Harvey

2624Montréal

2625Bonjour. As-tu reçu un exemplaire numéroté de Poèmes ? J’ai égaré ma liste. Et puis j’ai été souffrant. Envoie-moi juste un mot.

2626Amicalement,

2627Alain Grandbois

2628958 Ave Moncton

2629Québec

  • 851

    Autographe, 3 f. (21,5 x 13 cm) paginés 2-3, papier à en-tête du Musée de la Province, à l’encre b (…)

2630Le 9 juin 1964.

2631Bonjour Guy Robert,

  • 852

    En juin 1964, Guy Robert est nommé directeur du Musée d’art contemporain de Montréal ; il occupera (…)

2632Je vous félicite de tout cœur pour votre récente nomination . Et elle me rassure. Je craignais en effet que vos multiples activités ne finissent par vous abattre. Vous avez sans doute la force d’abuser de vos forces, mais il y a certaines frontières qu’il est interdit de franchir.

  • 853

    Littérature du Québec, t. I, Montréal, Déom, 1964, 333 p. Guy Robert en a fait parvenir deux exemp (…)

  • 854

    Allusion à un article de Guy Sylvestre dans Le Devoir du 18 avril 1964 (p. 14) : « Ce volume n’est (…)

2633Permettez-moi maintenant de vous remercier du livre que vous avez eu la gentillesse de m’adresser . (Il y a déjà quelque temps !) J’ai vu que vous aviez été sujet à des attaques plutôt violentes. J’ai été rassuré quand j’ai encore vu, par la suite, que vous saviez vous défendre . Vous avez du cran. C’est du sport comme je l’aime.

  • 855

    Guy Robert, « Neige de mai », dans Littérature du Québec, p. 226-255.

2634Il y a dans votre poème des passages magnifiques. Ma seule réserve, c’est qu’il soit trop riche, et que par là même certaines étincelles y perdent de leur éclat. N’allez pas surtout cesser d’écrire de la poésie. En somme, c’est le seul et vrai refuge. (Et seul maître à son bord.)

2635Enfin, vous voici au port d’attache. Je soupçonne bien que ce ne sera pas de tout repos, mais au moins vous pouvez concentrer vos énergies.

2636J’ai été encore très souffrant, et j’ai négligé toute correspondance.

2637Je vous remercie encore, et à bientôt je l’espère.

2638Alain Grandbois

  • 856

    Autographe, 5f. (14 x 21,5 cm) paginés 2-5, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

2639Lundi, le 6 juillet 1964.

2640Mon cher Gaston Miron,

2641Je dois vous avouer tout de suite que j’ai été fort inquiet à votre sujet. Je ne vous l’ai pas écrit, cela aurait pu, peut-être, ajouter à votre propre inquiétude. Je parle ici de votre santé. Car pour la chose matérielle, je sais que vous pourrez toujours vous en tirer — toujours la santé, tout tourne autour de ce maudit moteur ! — avec l’énergie et l’audace que je vous connais. Mais tentez cependant de suivre un peu votre régime. Non à la lettre, c’est impossible — et alors à quoi bon vivre — mais un peu. Ainsi, pour ma part, il y a déjà sept ans, un éminent professeur de Vichy me condamnait à mort, dans deux ans, c’est-à-dire que je devrais être mort depuis cinq ans, si je n’observais pas rigoureusement ses recommandations restrictives (cigarettes, sauces, gras, beurre, œufs, etc.) il me vouait définitivement à la biscotte, à la laitue sans vinaigrette, au topinambour tout nu, à la grillade sèche, il est inutile de vous dire, cher Gaston, que je n’ai rien fait de tout cela, j’ai mangé ce qui me plaisait, je ne me porte pas très bien il est vrai, mais j’ai 64 ans, et tout m’est assez égal (toujours à ce propos, si vous avez à boire dans vos fonctions, prenez des alcools purs, ou à peu près, tels que gin, scotch, rhum, mais jamais de cocktails, ce que le Professeur appelait des « mélanges »). Bref, si je me donne l’incongruité de vous écrire tout cela, et au risque de passer pour un cuistre, c’est que vous me paraissez souffrir des mêmes maux que je ressens. L’ennui pour vous, c’est que vous êtes plus jeune que moi, que vous avez beaucoup d’années devant vous, « les miennes sont en arrière de moi », et qu’il vous faut par conséquent vous tenir debout.

  • 857

    Gaston Miron travaille depuis peu à la Librairie de la Paix, située en face du théâtre Gesù, rue B (…)

2642Je vous félicite de votre nouveau directorat . Et je souhaite vivement que vos embarras d’argent se fassent moins cruels. J’irai probablement à Montréal au début de la semaine prochaine, et je m’empresserai de vous faire signe. Quant à la réédition de Poèmes, si vous avez trouvé mes conditions premières un peu rigoureuses, nous pourrons les reviser.

2643Vous serez toujours le bienvenu chez moi. Ma femme M. vous adresse son bonjour amical.

2644dans l’amitié de la poésie et de la vie (voir Gaston Miron).

2645Alain Grandbois

2646P.S. Je suis présentement cousu de rhumatisme, et je peine à écrire. Veuillez ainsi excuser les fautes de calligraphie ou d’orthographe.

  • 858

    En marge de gauche, dessin de Grandbois représentant un nu féminin.

2647A. G.

  • 859

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2648Le 2 octobre 1964.

2649Mon cher Victor,

2650Excusez-moi, j’ai eu un accident, côtes brisées, etc. Je dois garder la chambre et le lit. Il n’y a là rien de grave, mais c’est très douloureux, et je ne puis dormir. Bref, la saison débute mal.

2651Nos amitiés à vous deux.

2652Alain Grandbois

  • 860

    Autographe, 4 f. (21,5 x 14 cm) paginés 2 et 3, à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, doss (…)

2653Le 30 octobre 1964

2654Monsieur Pinsonneault,

2655Montréal.

2656Cher Monsieur,

2657Vous m’excuserez sans doute de ne pas vous avoir écrit plus tôt. J’ai été extrêmement souffrant depuis quelques semaines, et j’ai dû suspendre toute activité, même ma correspondance. Enfin, voici : à propos de ce contrat dont il a été question, et °je vous écris ceci afin de n’avoir pas ensuite à en discuter certains points, voulez-vous me réserver, comme il a été fait pour « Né à Québec », les droits de traduction, adaptation ou reproduction — partielle — à la radio, à la télévision ou au cinéma. Je vous fais parvenir un exemplaire de « Marco Polo » °lundi, avec certaines corrections. Aussi, une ou deux feuilles manuscrites, parfaitement authentiques, mais seriez-vous assez obligeant, après les avoir fait photographier ou je ne sais quoi, de me les renvoyer. Elles font partie de mon tout premier manuscrit.

2658Quant aux cartes, etc., après réflexion, je crois qu’il est inutile de les dresser. Les noms, la topographie même des lieux ont changé des dizaines de °fois depuis Marco Polo. Pour être au point, il faudrait les modifier tous les six mois. D’ailleurs, sans cartes, la première publication de ce livre a obtenu un certain succès, puisque le tirage en était épuisé au bout de quelques mois.

2659Je suis ravi que vous ayez songé à cette réédition. Vos ouvrages sont extrêmement bien soignés, et l’on peut en faire cadeau à des connaisseurs, à des écrivains — je pense à l’Europe — sans avoir à en rougir. Vos couvertures sont sobres et de bon goût.

2660Est-il trop tard pour que vous pensiez publier avant Noël ?

2661Croyez à mon estime.

2662Alain Grandbois

  • 861

    Plutôt le prix France-Canada. Le 4 novembre, Jean-Paul Pinsonneault écrit à Grandbois : « Cher Mon (…)

2663P.S. Je viens d’apprendre par les journaux que vous êtes lauréat du prix France-Amérique . Permettez-moi, à titre d’écrivain, et d’ancien lauréat — même de moitié — de vous féliciter chaleureusement. Pour ma part, et j’ai déjà obtenu plusieurs prix, aucun ne m’a fait plus plaisir. Le titre seul — France-Amérique — m’enchante.

2664Alain Grandbois

  • 862

    Autographe, 1 f. (11 x 14 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue, annoté au crayon (BNQ, 4 (…)

2665Le 19 novembre 1964.

2666Mon cher Robert,

  • 863

    Après avoir été commissaire associé de la Commission du centenaire de la Confédération (1963-1964) (…)

2667Permets-moi de venir te féliciter, tu me vois fort heureux de ta nomination . Les Canadiens de ton mérite, de ton talent et de ta distinction ne courent pas les rues. (Ceci dit sans aucune flatterie, ce n’est pas mon genre.)

  • 864

    Robert Choquette a publié Suite marine. Poème en douze chants (Montréal, Presses de La Société d’é (…)

2668Je suppose que tu connais un peu Bordeaux. J’y ai fait plusieurs séjours autrefois. C’est une ville assez secrète, mais que l’on apprend à beaucoup aimer. Et puis il y a la mer, tout près, et tu es son poète en quelque sorte officiel  !

  • 865

    Le 1er avril 1937, Robert Choquette a épousé Marguerite Canac-Marquis (décédée le 13 août 1994).

2669Je te souhaite tous les succès, diplomatiques et autres. Veuille bien présenter mes hommages à Margot ta femme.

2670Alain Grandbois

  • 866

    Autographe, 3 f. (14 x 21,5 cm) non paginés, à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur Peter Miller (…)

2671Québec, le 3 décembre 1964.

2672M. Peter Miller,

2673Toronto

2674Cher Monsieur,

2675Je dois tout d’abord m’excuser de ne pas vous avoir écrit plus tôt. C’est impardonnable de ma part. Mais j’ai été très souffrant, avec de trop courtes accalmies, depuis près d’une année. Rien ne m’intéressait plus, même la poésie. Et particulièrement la mienne. Vous comprenez certainement ces états puisque vous êtes poète !

2676Je dois vous dire maintenant combien j’aime votre traduction. C’est un tour de force. C’est une gageure, et vous l’avez remportée. Il est déjà difficile de traduire de la prose, alors, la poésie ! Vous avez fait là un travail magnifique. Tout semble aisé, libre, spontané. Bref, on n’a nullement l’impression d’une traduction. Je vous en félicite vivement, et je vous en remercie de tout cœur.

2677Je me permettrai de vous adresser, ces jours prochains, un exemplaire de Poèmes, parus l’automne dernier, et dont je n’ai pas terminé encore, pour les raisons que je vous donnais plus tôt, le service de presse, de courtoisie et d’amitié. Je vous ferai parvenir aussi, par le même envoi, un recueil de nouvelles.

2678J’espère bien avoir le grand plaisir de vous rencontrer. Peut-être vous arrive-t-il parfois de passer par Québec. Dans ce cas, je serais fort heureux que vous communiquiez avec moi.

2679Encore une fois, merci, et veuillez me croire bien confraternellement vôtre,

2680Alain Grandbois

2681Seriez-vous assez aimable de me faire parvenir, par Contact Press, les exemplaires suivants :

2682Peter Miller

2683Louis Dudeck

2684Alain Grandbois

2685Hardbound (3 ex.)

2686Softbound (6 ex.)

2687Shifty Pattern (6 ex.)

2688The Transparent Sea (4 ex.)

2689Selected Poems

2690Croyez-moi votre très obligé,

  • 867

    Le 7 décembre 1964, Peter Miller écrit à Grandbois : « Cher Monsieur Grandbois, / / Je vous remerc (…)

2691A. G.

  • 868

    Autographe, 1 f. (10,7 x 13,9 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsie (…)

2692Québec, le 9 février 1965.

2693Mon cher Fernand Ouellette,

  • 869

    Fernand Ouellette, Le Soleil sous la mort, Montréal, l’Hexagone, 1965, 64 p.

2694Vous excuserez mon retard, j’ai été fort souffrant. Mais je tiens à vous remercier de l’envoi de vos poèmes . Je les aime beaucoup, et j’aurais aimé avoir fait certains d’entre eux. Votre titre est excellent, et s’adapte et se fond merveilleusement avec votre poésie.

2695Je vous souhaite tous les succès.

2696Bien amicalement, et à bientôt, je l’espère, cher poète,

2697Alain Grandbois

  • 870

    Autographe, 1 f. (9,7 x 13,9 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Br (…)

2698Lundi, le 22 février 1965.

2699Mon cher Jacques Brault,

  • 871

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre. Voir supra, p. 655, n. 2.

  • 872

    Jacques Brault enseigne à l’Université de Montréal depuis 1960, d’abord au Département d’études mé (…)

2700J’ai reçu en effet une lettre de M. Piault , des éditions Seghers, et je dois lui répondre par ce même courrier. Vous me voyez très heureux qu’il vous ait écrit à ce sujet. Mais… Mais il faudrait nous rencontrer, pour les choses que vous me demandez. L’ennui, c’est que je sors aujourd’hui même de l’hôpital, et que je dois y retourner dans une huitaine de jours, pour une intervention chirurgicale. Et je comptais partir pour l’Italie vers la fin de mars. Les médecins exigent du soleil ! Bref, vous voyez que tout cela est assez compliqué, d’autant plus que vos cours ne vous laissent pas entièrement libre ! Cependant, et parmi tout cela, il me semble qu’il serait possible de nous voir. Il s’agit de communiquer. Tout à fait vôtre et amicalement,

2701Alain Grandbois

2702Tel : 681-5545

2703Je suis chez moi tous les matins — sauf l’hôpital —jusqu’à 1 hre.

  • 873

    Autographe, 1 f. (14 x 10,8 cm) écrit recto verso à l’encre bleue. Cachet postal du 23 février 196 (…)

2704Québec, le 23 février 1965.

2705Ma chère Andrée,

2706Veuillez bien m’excuser de tous ces inqualifiables retards. J’aurais aimé, l’autre soir à Québec, vous rencontrer, mais j’étais souffrant. Je sors ce matin de l’hopital, je dois y retourner la semaine prochaine pour un temps X.

  • 874

    Andrée Maillet, Élémentaires (1954-1964), Montréal, Déom, 1964, 59 p.

2707Vos livres m’ont charmé. Je me suis promené avec « Élémentaires  », non avec un élan et un loup, mais avec une rose extraordinaire qui passait d’un blanc nacré au pourpre le plus vif, tout en répandant un parfum singulier. C’est un très beau livre.

  • 875

    Andrée Maillet, Les Remparts de Québec. Roman, Montréal, Éditions du Jour, 1965, 185 p.

2708Vos « Remparts  » m’ont beaucoup intéressé, et amusé. J’admire votre désinvolte, la langue alerte et souple et toujours rebondissante que vous employez, et cette fantaisie qui ne peut appartenir qu’à un poète. Je vous remercie pour vos charmantes attentions à mon égard, et je vous embrasse, non en J. C, je ne suis pas encore rendu là, mais en grande amitié.

2709Alain Grandbois

  • 876

    Autographe, 1 f. (10,7 x 13,9 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques B (…)

2710Le 16 mars 1965.

2711Mon cher Jacques Brault,

  • 877

    Née en 1895, Émilienne Dagenais est décédée à Montréal le 23 février 1965.

  • 878

    La mère d’Alain Grandbois, Bernadette Rousseau-Grandbois (née le 7 octobre 1874), est décédée le 8 (…)

2712Je suis navré d’apprendre la mort de votre mère , et veuillez accepter mes plus profondes sympathies — qui ne sont point du bout des lèvres —. Ce même malheur m’est arrivé, il y a déjà de nombreuses années , et je n’ai jamais pu m’en consoler. Ce sont des blessures qui ne se cicatrisent pas. Je vous souhaite tous les courages.

2713Pourriez-vous venir à Québec ce samedi, le 20 ? Nous pourrions établir une sorte de plan de travail. Je dois partir d’ici deux ou trois semaines, les médecins me l’ordonnent. De sorte que… Et quand devez-vous livrer le manuscrit ? Je dois revenir en juin.

2714J’attends un mot de vous.

2715Amicalement,

2716Alain Grandbois

2717P. S. Je sors de l’Hôtel-Dieu. J’ai pu éviter l’intervention chirurgicale.

2718A. G.

  • 879

    Autographe, 1 f. (9,7 x 13,9 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue ; daté par Jacques Bra (…)

2719Québec, le 6 avril 1965.

2720Mon cher Jacques Brault,

  • 880

    En mai-juin 1965, Grandbois séjournera en France, au Portugal et en Italie.

2721Si monsieur Roger Piault vient à Montréal pour la Semaine du Livre, voulez-vous le saluer de ma part ? Je lui ai écrit, lui disant que nous nous sommes vus et entendus. Je lui ai dit également que je tenterai de le voir à Paris, vers la mi-juin .

  • 881

    Jacques Brault, Mémoire, Montréal, Déom, 79 p. L’exemplaire de Grandbois porte la dédicace : « Pou (…)

2722Et maintenant, à bientôt. Nous nous reverrons à la fin de juin. J’ai relu vos poèmes hier soir. Je les trouve très beaux, et je vous félicite encore.

2723Amicalement,

2724Alain Grandbois

  • 882

    Autographe (brouillon), 3 f. (13,4 x 20 cm) paginés III-V, à l’encre bleue, papier à en-tête du Mu (…)

2725[Printemps 1965?]

2726Une bonne journée, ou soirée, serait pour nous beaucoup plus profitable que dix échanges de lettres. J’ai horreur d’écrire (malgré que je sois écrivain), et je crois que tu m’as dit déjà la même chose. Enfin nous verrons.

2727Rien ne me plairait plus que d’accepter ton hospitalité, et d’aller chez toi passer un jour ou deux, cet été qui vient. Si ton invitation tient, ce serait tout à fait d’accord. Je te téléphonerai une semaine d’avance, de sorte que vous ne serez pas surpris, et si vous avez d’autres invités, tu n’auras qu’à me le dire.

2728L’automne prochain, je repars pour l’Europe, et peut-être aussi pour faire le tour-éclair du monde (par bateau, 4 ou 5 mois). Pas par avion, on ne voit rien par avion, l’Atlantique ça va, je l’ai fait quelquefois, mais pour un écrivain, ou pour un peintre, c’est tout à fait <illisible> !

2729Sois bien assuré, mon cher Freddy, que je suis un de tes meilleurs amis, parce que j’ai beaucoup d’estime pour ton très grand talent, et aussi parce que nous nous sommes rencontrés, il y a déjà 20 ou 30 ans, au <illisible> du Dôme.

2730(Le remercier pour son Pellan.) <incomplet>

  • 883

    Carte postale ( « Vue de la première tour » du fort de San Marino Italie) (10,4 x 14,8 cm), à l’en (…)

2731Le 15 mai 1965.

2732M. Peter Miller,

2733Toronto.

2734Mon cher poète,

2735Ce tout petit mot pour vous dire bonjour. Je suis parti à la hâte de Québec. Je vous écrirai plus tard.

2736Mes hommages amicaux,

2737Alain Grandbois

  • 884

    Carte postale (10,2 x 14,8 cm), à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur Gaston Miron / / 4451 rue (…)

273815 mai 1965 [San-Marino]

2739Mon cher Gaston,

2740Les troupes sont en alerte. Bigre. Bonjour. Amitiés.

2741Alain Grandbois

  • 885

    Carte postale (10,3 x 14,8 cm), à l’encre bleue ; datée par Jacques Brault (BNC, fonds Jacques Bra (…)

2742[San-Marino, le 19 mai 1965]

2743Mon cher Jacques Brault,

2744Ce petit mot, de la plus petite république du monde. Il fait beau et doux. J’ai été très souffrant. Le soleil commence à réparer tout cela.

2745Je reviendrai au Canada vers la fin de juin, tel que convenu. Avec un peu plus de forces, je l’espère. Portez-vous bien, et je vous salue bien amicalement,

2746Alain Grandbois

  • 886

    Cinq cartes postales (10,4 x 14,8 cm) numérotés I-V (I : Chapelle Sixtine, Michel-Ange, Le péché o (…)

2747Le 27 mai 1965.

2748Santa-Margherita.

2749Monsieur Guy Frégault

2750Québec.

2751Mon cher Guy Frégault,

  • 887

    Voir supra, p. 658, n. 11.

2752Je vous avais promis de vous adresser un mot, le voici. Ce n’est naturellement pas au sous-ministre, ni à l’académicien non plus que j’adresse ces quelques lignes, car la carte postale n’est guère protocolaire, mais à l’écrivain-voyageur.

  • 888

    António de Oliveira Salazar (1889-1970) fut président du Portugal, de 1928 à 1968.

2753Bref, jusqu’ici, ce fut un voyage assez merveilleux. Je dis assez, c’est une réserve que vous allez comprendre par la suite. Tout d’abord Lisbonne, où s’amorçait une petite révolution de palais. Sous le soleil, on ne peut prendre les révolutions très au sérieux, du moins ceux qui n’y sont pas engagés. J’ai rencontré durant ces quelques jours deux ou trois écrivains-poètes, dont l’un tout à fait remarquable. Mais il était traqué par la police de Salazar , il lui fallait partir tout de suite, il est venu me demander quelqu’argent, très peu, il s’agissait pour lui de se réfugier dans un petit coin de campagne, il m’a dit qu’il me rembourserait dans deux ou trois semaines, je n’en croyais rien ; à Rome, exactement dix jours après, je recevais une longue lettre de lui, avec l’argent que je lui avais passé. Vous voyez, mon cher Guy, que le romantisme n’est pas mort à l’intérieur des parapets de la vieille Europe. Ni l’honnêteté !

  • 889

    Paul VI, 260e pape (de 1963 à 1978).

2754Ensuite, pour nous (ma femme Marguerite et moi), ce fut une sorte de chassé-croisé en Italie. D’abord Rome. Le Vendredi-Saint, et Pâques. Je suis assez coriace, mais je dois avouer que j’ai été ému. Le midi de Pâques, il y avait bien 5 ou 6 mille personnes à Saint-Pierre du Vatican. Le Saint-Père a parlé, et fort bien, pendant au moins une demi-heure. Sous une pluie agrémentée d’un petit vent glacé. Le lendemain, j’ai dû m’aliter avec une forte grippe, pour deux ou trois jours. Mais ne faut-il pas souffrir pour sa foi, que diable ! (Je plaisante, mais tout cela était véritablement impressionnant.)

2755Ensuite encore, Florence, la belle d’autrefois, que je chérissais parmi toutes les villes de Toscane — quand j’habitais Cannes, j’y allais deux ou trois fois par année — déception immense, ce bruit infernal, nuit et jour. Nous habitons un hôtel charmant, sur l’Arno, devant le Ponte vecchio. Impossible de fermer l’œil, ni le jour, ni la nuit. Et cette odeur d’essence et d’huile brûlée !

2756Et la grippe continuait.

2757Et puis un dottore m’a conseillé les sains rivages de l’Adriatique. Nous sommes donc allés à Rimini. Du soleil tout le jour. Au crépuscule, à la nuit, humidité et froid.

  • 890

    Pour la « grippe continuait ».

2758Et la g. c.

2759Trois jours à San Marino. La plus petite et la plus ancienne république du monde. Dit-on. (Mais vous savez ça aussi bien que moi.) Tout à fait exquis. Nuits très froides.

2760Et la g. c.

2761Retour vers la Méditerranée, avec arrêt à Pise pour trois ou quatre jours. La célèbre tour penche toujours. Je l’avais vue pour la première fois il y a 45 ans. Elle m’a paru plus malade. Mais ce n’est peut-être qu’une illusion d’optique.

2762Et la g. c. Atténuée cependant.

2763Enfin nous sommes à Santa-Marguerita. Il fait vraiment beau.

2764Et la g. disparaît peu à peu. Et voilà.

2765Je ne vous ai pas parlé de la splendeur de Rome, de la beauté de Florence, malgré ses odeurs et ses bruits, des musées, des œuvres d’art, de Michel-Ange, de Vinci, etc., et surtout de ces petites villes adorables engourdies sous le soleil, chacune possédant sa galerie de peintres, et célébrant sa gloire locale, parfois devenue une gloire universelle, vous connaissez encore tout cela.

2766La semaine prochaine, nous partons pour la côte française. Ensuite Paris, Londres, Montréal, Québec et le Musée.

2767Nous vous saluons bien amicalement, et veuillez présenter nos hommages à votre charmante femme.

2768Alain Grandbois.

2769C’est un petit croquis du port [voir infra, p.414]. Très mauvais. On ne peut dessiner avec un stylo. Et un journal sur les genoux en guise de chevalet.

  • 891

    Autographe, 3 f. (13,9 x 21,5 cm) paginés 2-3, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques Brault).

2770Le 8 juillet 1965.

2771Mon cher Jacques Brault,

2772Je vous remercie de votre lettre. J’y réponds un peu en retard, je ne suis arrivé à Québec que le 3 juillet.

  • 892

    Café situé au 171 du boulevard Montparnasse.

2773J’ai rencontré M. Piault à Paris, qui m’avait invité fort gentiment à déjeuner à la Closerie des Lilas . Tout paraît s’arranger tel que convenu. D’autre part, je préférerais que vous veniez, comme vous me le dites, dans la troisième semaine du mois d’août. Et voici pourquoi. Peu avant mon départ de Paris, j’ai eu un accident de taxi, on m’a transporté à la clinique d’urgence de Lariboisière, où l’on a constaté par radiographie une fracture de l’os malaire( !), et deux fractures des côtes dorsales. De sorte que j’ai une joue tuméfiée, et que je suis corseté comme un vieux beau de la belle époque. Tout cela est pénible, et très douloureux. On m’a affirmé, si je suis bien sage — éviter les faux mouvements, etc.—que je serai en bon état d’ici deux ou trois semaines. (À mon âge, les fractures sont lentes à guérir.) Bref, et pour en revenir à des propos plus sérieux, j’aurai le temps de rassembler ce que vous m’avez demandé, de réunir des inédits et des photographies, etc., et je vous confierai la petite plaquette d’Hankéou.

  • 893

    En fait, l’ouvrage de Jacques Brault ne paraîtra qu’en 1968.

2774M. Piault compte sur le manuscrit pour l’automne, afin de pouvoir éditer le livre au printemps 1966 . Ces dates me paraissent convenir. Qu’en pensez-vous ? Écrivez-moi un petit mot. Et si par hasard vous passez par Québec avant le mois d’août, j’espère bien que vous me ferez signe.

2775Bien amicalement, mon cher biographe et confrère.

2776Alain Grandbois

  • 894

    Autographe, 2 f. (13,5 x 21,2 cm) non paginés, papier à en-tête du Musée de la Province, à l’encre (…)

2777[18 août 1965]

2778Mon cher Jacques Brault,

  • 895

    Le 15 août 1965, Jacques Brault écrit à Grandbois : « Mon cher Alain Grandbois, / / Me voici enfin (…)

2779Merci de votre lettre . Je ne suis pas encore tout à fait remis de mon accident. Cette chaleur très humide ne convient pas aux fractures.

2780La semaine prochaine me conviendrait davantage. Samedi le 28 vous irait-il ? Mais je ne pourrai malheureusement pas vous loger. Je rencontrerai avec plaisir votre ami Claude Mathieu.

2781Je dois vous dire que M. Piault de Seghers compte sur le manuscrit pour octobre, il me l’a répété à plusieurs reprises. J’imagine que vous aurez à mettre les bouchées triples.

2782Bien amicalement, et à bientôt je l’espère.

2783Alain Grandbois

  • 896

    Autographe, 1 f.(10,7x 13,9 cm), écrit recto verso à l’encre bleue ; lettre datée par Jacques Brau (…)

2784[22 septembre 1965]

2785Mon cher Jacques Brault,

2786J’ai reçu le cahier et les photos, et je vous en remercie.

2787Je n’ai pas retrouvé la photo de Mao, je l’avais pourtant avant mon départ pour l’Europe. Je l’ai peut-être apportée là-bas, donnée à un journaliste, je n’en sais rien. De toute façon, avec les oscillations de la politique actuelle, il vaut peut-être mieux qu’il en soit ainsi.

2788Je vous ferai parvenir ce que vous m’avez demandé dans le cours de la semaine prochaine. Pour l’instant, je suis perclus de rhumatisme, j’ai peine à écrire lisiblement.

2789Et comment allez-vous, et comment votre travail avance-t-il ?

2790Bien amicalement,

2791Alain Grandbois

  • 897

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2792Mercredi, [20] octobre [1965].

2793Mon cher enfant Victor,

2794Je vous réponds tout de suite, si je ne le faisais pas, cela pourrait prendre un an ou deux, et comme les années, je présume, me sont comptées, etc., etc..

  • 898

    Les employés du Château Frontenac sont en grève depuis le 6 septembre 1965. l’hôtel rouvrira ses p (…)

2795Venez nous voir, je vous en prie, malgré la fermeture du Château . Il y a une petite chambre, chez moi, pour vous. Mar. me disait hier, précisément, que vous tardiez à venir faire votre visite annuelle à Québec.

2796Les feuilles sont splendides, le pourpre et l’or sont partout, il faut que vous vous dépêchiez, un jour d’orage avec vent et pluies peut détruire toute cette féerie.

2797À très bientôt, je l’espère. Secouez votre paresse (!). (Comme si c’était à moi de vous donner ce genre de conseils.)

2798Bonjour, et toujours mes très fidèles amitiés,

2799Alain Grandbois

  • 899

    Photocopie (Université d’Ottawa, Centre de recherche en civilisation canadienne-française, fonds G (…)

2800[1966?]

2801Permettez-nous de venir vous offrir à vous et à votre charmante femme, nos meilleurs vœux de bonne et heureuse année. Et nous espérons avoir le grand plaisir de vous rencontrer bientôt.

2802Alain et Marguerite Grandbois

  • 900

    Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) est l’auteure, notamment, d’un recueil de poèmes intitulé (…)

2803P.S. Ces souhaits sont plutôt tardifs. Mais j’ai été très souffrant durant toute cette période que l’on appelle « les Fêtes », célébrées par moi sur un lit de douleurs, ainsi que l’on s’exprimait du temps de Madame Desbordes-Valmore .

2804A. G.

  • 901

    Autographe, 2 f. (14 x 21,5 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 410/ 9).

2805Le 10 janvier 1966.

2806Mon cher Gaston Miron,

  • 902

    Le 29 décembre 1965, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Cher Alain Grandbois, / / en premier lieu, (…)

2807D’abord, à mon tour , mes meilleurs vœux, et que 1966 vous apporte au moins une partie de la moitié de ce que vous désirez, ce qui est énorme, même si l’on désire peu. Vous me voyez enchanté d’apprendre que vous êtes « capricorne », et j’en profite immédiatement pour vous demander de me donner une petite place dans votre constellation, car depuis Noël, j’ai dû garder la chambre et le lit. Cet accident d’Europe, eh bien, j’ai remis ça, comme on dit dans les milieux distingués. J’ai fait un mouvement maladroit, et voilà. Les côtes d’un descendant d’Adam vieilli sont extrêmement fragiles.

2808J’ai reçu l’exemplaire de L’Âge de la Parole, il était en parfait état. Je vous en remercie. Vous faites de bien belles éditions, et je souhaite — voici Capricorne ! — que vous publiiez vos propres poèmes, dans la même forme, en 1966.

2809J’espère bien vous voir à Québec sous peu. Quant à notre ami Jacques Brault, il semble voué aux calendes grecques, à l’an 2000, etc.

  • 903

    Du vers « Nourrissant la revendication » de « Rivages de l’homme » (Poésie I, p. 198).

2810Je n’ai relevé qu’une autre faute de typo. Page 158,3ème ligne, bas de la page. « Nourisant » au lieu de « Nourrissant  ». Un simple courant d’R, en somme.

2811Je vous serre la main, et à très bientôt je l’espère.

2812Bien amicalement,

2813Alain Grandbois

  • 904

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2814Vendredi, le 4 février 66.

2815M. Victor Barbeau,

2816Montréal.

2817Mon cher enfant, que faites-vous, que devenez-vous ? Vous aviez pourtant l’habitude de venir à Québec en cette saison ! Nous vous attendions, M. et moi. Reprenez-vous, et venez.

2818Je dois vous avouer que j’ai été très souffrant depuis quelques semaines. Cela va mieux.

2819Nos amitiés à Lucile et à vous.

2820Grand-papa

  • 905

    « Pour copie conforme ».

2821p.c.c.

2822Alain Grandbois

  • 906

    Autographe, 3 f. (12,8 x 20,4 cm), dont seul le deuxième est paginé, à l’encre bleue ; en marge in (…)

2823Québec, le 16 août 66.

2824Mon cher Gaston Miron,

2825Pas de veine pour les poètes, vous m’apprenez que vous avez été malade, eh bien moi, je me suis offert une charmante villégiature de plus d’un mois à l’Hôtel-Dieu de Québec, à la suite d’un stupide accident qui a causé une fracture de la colonne vertébrale, laquelle a failli me faire perdre complètement et définitivement l’usage de mes jambes. (Je m’excuse de mon écriture, je suis au lit et c’est la première lettre que j’écris depuis sept semaines.) Je recommence à marcher, dix pas, quinze pas, trois ou quatre fois par jour, à cause de l’ankylose possible, prétendent les petites Esculapons qui me soignent. L’ennui, c’est que c’est extrêmement douloureux, et je ne puis dormir quelques heures sans l’aide de puissants soporifiques.

2826Venez me voir quand vous passerez à Québec. Peut-être devrai-je vous recevoir au lit, comme Louis XIV.

2827Je suis heureux pour le 3ème tirage, et je vous remercie.

2828Continuez-vous de brûler la chandelle par les deux bouts ? C’est la chose la plus captivante du monde, tant que l’on peut tenir.

  • 907

    En collaboration avec H. Gordon Green, Guy Sylvestre prépare une anthologie d’écrivains canadiens. (…)

2829Au sujet de Guy Sylvestre , ça va, si vous êtes d’accord. Amicalement,

2830Alain Grandbois

  • 908

    Autographe, 2 f. (12,6 x 20,1 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

2831Québec, le 15 septembre 1966.

2832Mon cher Gaston Miron,

  • 909

    Le 5 septembre 1966, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Cher Alain Grandbois, / / Ce que vous me d (…)

2833J’ai reçu l’exemplaire de Poèmes et je vous en remercie. Je ne cesse d’en admirer la forme matérielle, et je ne suis pas sans deviner quels efforts et quel travail — avec les moyens du bord ! — cela a dû vous coûter. On ne fait pas mieux en Europe. J’attends cette douzaine, elle est déjà promise à des parents et amis.

  • 910

    Pierre Emmanuel a fait l’éloge d’Alain Grandbois lors d’une première conférence à la Salle des Com (…)

  • 911

    Alain Grandbois a sans doute rencontré Henri Pichette à l’automne de 1958. Dans une lettre du 21 o (…)

  • 912

    Clara Goldschmidt (1897-1982) a épousé André Malraux, à Paris, le 21 octobre 1921. Ils divorceront (…)

  • 913

    Marceline Jeanne Gaffet (connue sous le nom de Claudie Balyne) est décédée à Hyères, le 26 mars 19 (…)

2834Vous n’aurez sans doute pas le temps de venir à Québec avant votre départ. Mais je compte sur vous dès votre retour. Vous me raconterez Francfort et Paris. Si vous rencontrez Pierre Emmanuel , rappelez-lui mon bon souvenir, Henri Pichette , dites-lui que je suis maintenant contre toute guerre, et Madame Clara Malraux , que j’ai été fort affecté d’apprendre la mort de Claudie de Port-Cros.

2835Je vous souhaite le meilleur des voyages.

2836Alain Grandbois

2837Ne vous en excusez pas. Nous sommes tous des velléitaires. Et c’est heureux pour notre équilibre mental. Car si nous commencions de faire tout ce qu’un jour nous nous sommes proposés de faire, nous deviendrions tous dingos.

2838Ma santé ne s’améliore guère. Je souffre beaucoup, seuls des barbituriques me procurent un bout de sommeil. Mais ils me laissent hébété plus que de raison, et quelque peu amnésique. Ainsi va la vie, la fin de la vie. Mais prenez un peu soin de vous. Car vous ne faites que la commencer vraiment.

2839A.

2840New York est une ville étonnante. Mais pour moi, maintenant, ce n’est plus qu’un autre fruit défendu.

  • 914

    Autographe, 1 f. (10,8 x 14 cm), écrit recto verso à l’encre bleue (ANC, fonds « Poetry Australia  (…)

2841Québec, le 1er décembre 66.

2842Monsieur John Glassco

2843Foster

2844Québec

2845Monsieur,

  • 915

    Le 23 novembre 1966, John Glassco écrit à Grandbois : « Monsieur, / / On m’a demandé d’aider le Dr(…)

2846Vous trouverez ci-inclus deux poèmes pour cette revue d’Australie dont vous me parlez .

2847Puis-je espérer que vous me ferez parvenir une copie de cette revue ?

2848Je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

2849Alain Grandbois

2850958, Ave Moncton,

2851Québec

  • 916

    Carte de souhaits (10,4 x 15,3 cm), à l’encre bleue (BNC, Jacques Brault).

2852Le 5 janvier 1967.

2853Mon cher Jacques Brault,

2854Ces vœux que je vous apporte pour le Nouvel An sont un peu tardifs, mais la maladie m’a empêché de le faire plus tôt.

2855Donc, bonne et joyeuse année.

2856Alain Grandbois

  • 917

    Carte de souhaits (14,6 x 23,3 cm), à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

2857Le 5 janvier 1967.

2858Merci pour le tout. Vous excuserez ce retard, j’ai été et je suis encore très souffrant, j’ai l’impression, si je m’en tire, et je n’y tiens pas tellement, que cela sera difficile, long, et superbement ennuyeux.

2859Je vous verrai avec joie quand vous pourrez venir à Québec.

2860Et puis, mes meilleurs souhaits de bonheur et de réussite.

2861Enfin, vous allez publier vos poèmes. J’en suis très heureux.

2862Alain Grandbois

  • 918

    Autographe, 2 f. (12,7 x 19,6 cm) non paginés, à l’encre bleue ; en marge inférieure du second feu (…)

2863Québec, le 26 janvier 67.

2864Mon cher Gaston Miron,

  • 919

    Le 14 janvier 1967, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Cher Alain Grandbois, / / vos souhaits me s (…)

2865Vous me faites sourire avec votre généreuse assertion que je vais retrouver une « forme à faire envie  » ! Envie à qui ? Au pithécanthrope ? Mais je vous remercie tout de même. C’est très gentil à vous.

2866La vie est sans doute la plus forte, et jusqu’à la dernière convulsion même. Mais je n’apprécie pas outre mesure les formes très douloureuses que prend cette force dans ma situation actuelle. Je l’ai adorée, cette vie, mais cet état d’invalide souffrant — et pour qui, pour quoi souffrir ! — ne m’affole pas précisément. D’autant plus que je ne me fais aucune illusion. Les jeux sont faits, ou à peu près, et je dis banco.

2867Merci pour le chèque, j’espère que je vous reverrai bientôt.

2868Alain Grandbois

  • 920

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

2869P.S. J’ai reçu un mot de Jacques Brault . Je vais lui répondre incessamment. Une lettre par jour suffit à ma léthargie. (Ici, j’exagère. Cela ferait 365 lettres par année, sans compter les bissextiles. Je n’en ai pas écrit autant de toute ma vie.)

2870Et, mon cher Gaston, il n’y a pas d’événement poétique à l’échelle mondiale. À cette échelle, il ne peut y avoir de possible que les mini-jupes, le yé-yé, les révolutions peut-être, l’Expo de Montréal, peut-être, et très assurément la profonde sottise humaine.

2871A. G.

  • 921

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2872[29 janvier 1967]

2873Bonjour jeune homme. Je sympathise avec toi, et ce d’autant plus que je suis à peu près immobilisé moi-même. Mais tu as des ressources, pour te distraire en attendant la guérison complète, celles de te réciter les poèmes de Victor Hugo. Il me manque cela.

2874Bonjour, et à bientôt.

2875Alain G.

  • 922

    Photocopie (BNC, fonds Jacques Brault).

2876Le 24 [février?] 67.

2877Mon cher Victor,

2878Voici la procuration, que vous aurez à temps si les postes de Sa Majesté remplissent leur devoir.

  • 923

    Empereur romain (de 161 à 180), Marc Aurèle (121-180) fut un protecteur des arts et des lettres. I (…)

  • 924

    Héros des bandes dessinées du créateur belge Hergé, pseudonyme de Georges Remi (1907-1983).

2879Ma santé a été extrêmement mauvaise durant ces dernières semaines, jours et nuits très douloureux. Petit état de neurasthénie. Marc Aurèle n’a plus aucun pouvoir. Peut-être me mettrai-je à Tintin  !

2880Nous vous embrassons.

2881Alain Grandbois

  • 925

    Autographe, 3 f. (13,7 x 21,4 cm) paginés 2 et 3, papier à en-tête du Musée du Québec, à l’encre b (…)

2882Le 28 février 1967.

2883Mon cher Gaston Miron,

2884Êtes-vous souffrant ? Ou en voyage ? Ou ma lettre vous a-t-elle fâché ? Dans ce dernier cas, j’en serais désolé. J’étais de fort mauvaise humeur quand je vous ai écrit, je n’avais dormi depuis des jours.

2885Je vous ai un peu attendu toutes ces dernières fins de semaines. Je me remets très lentement. Je souffre encore beaucoup. J’ai une montagne de lettres — en retard — à écrire, et je ne sais par quel bout commencer.

  • 926

    Dans sa lettre du 14 janvier 1967 (supra, p. 677, n. 2), Miron citait un vers de « El desdichado » (…)

2886Re. l’Achéron , voici Horace, Odes 1.3. Je vous transcris ces quelques lignes, pour mon plaisir. Vous les connaissez peut-être. Cela peut sembler un peu cuistre, mais il faut bien se distraire.

  • 927

    Nous n’avons pu identifier la source exacte de cette traduction. Le passage cité se retrouve cepen (…)

2887« Dans son audace à tout braver, l’espèce humaine se rue, sacrilège, à travers l’espace défendu ; dans son audace, le fils de Japet a, par ruse néfaste, apporté le feu aux nations. Une fois le feu dérobé au séjour éthéré, la Faim, la cohorte inconnue des Fièvres se sont abattues sur la terre ; et l’inévitable Mort, jadis tardive et lointaine, a pressé son allure. Dédale s’est risqué dans le vide des airs sur des ailes refusées à l’homme. L’effort d’Hercule a forcé l’Achéron. Rien n’est trop ardu aux mortels ; il n’est pas jusqu’au ciel que nous ne visions dans notre folie ; et par notre crime nous ne permettons pas à Jupiter de déposer ses foudres irritées . »

2888Ne croyez-vous pas qu’il y a deux mille ans, les gens savaient écrire aussi bien ( !) qu’aujourd’hui ?

2889Eh bien, bonjour, et j’espère vous revoir bientôt.

2890Amicalement,

2891Alain Grandbois

  • 928

    Autographe, 2 f. (14 x 21,5 cm) dont le second est paginé 2, à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques B (…)

2892Le 1er mars 1967.

2893Mon cher Jacques Brault,

  • 929

    Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

2894Merci pour votre bonne lettre du 16 janvier . Me voici encore en retard. J’ai été très souffrant, incapable de tracer une ligne.

  • 930

    Un fac-similé de cette transcription manuscrite paraîtra dans l’ouvrage de Jacques Brault (op. cit (…)

2895Je vous envoie un petit poème , j’ai tenté de l’écrire avec de l’encre de Chine (noire) je n’ai réussi qu’à me tacher les doigts et à éclabousser mes feuilles de papier. Donc.

  • 931

    Photographie (ibid., p. 96) prise à Cannes, en 1960.

2896Je vous envoie aussi ces deux photos. S’il était possible, j’aimerais que ma femme M. paraisse à mes côtés . Pourriez-vous me les renvoyer ? Et peut-être est-il trop tard !

2897Quand aurai-je le plaisir de vous voir à Québec ? Pour ma part, je ne puis songer à quitter mon appartement, et cela pour un temps que j’ignore, et que le médecin semble ignorer aussi.

2898À bientôt je l’espère.

2899Amicalement,

2900Alain Grandbois

  • 932

    Autographe, 4 f. (14 x 21,5 cm) paginés 2 et 4, à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

2901Le 17 mai 1967.

2902Mon cher Gaston Miron,

  • 933

    Le 24 mars 1967, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Cher Alain Grandbois, / / vous savez bien que (…)

  • 934

    Dans sa lettre du 24 mars 1967, Gaston Miron cite de mémoire un passage de la pièce de Bertold Bre (…)

2903Je vous écris de mon lit, ce qui n’est guère favorable à la belle rondeur des lettres, comme on le disait à la petite école. Tout d’abord, je dois m’excuser de ce retard insensé. Tous les jours, je me promettais de vous répondre , et tous les jours, je remettais au lendemain. Ni force, ni courage. Et suprêmement abruti par la douleur et par les drogues. Mais j’en avais des remords, de sorte que je pensais à vous tous les jours, à vos maux d’estomac, etc., et mon amitié pour vous s’accroissait à la mesure de mon silence. Je vous disais que les aphorismes ou paradoxes de Brecht , c’est très joli, mais ne peuvent guérir « l’œsophagite » (la médecine a de ces termes ! On dirait une araignée de cauchemar), que pour cela, il vous faudrait, du moins pour quelques mois, observer un régime très sévère, renoncer à votre très cher noctambulisme — ici je sais ce dont je parle, j’ai passé près de vingt ans de ma vie à vivre la nuit — vous résigner [à] vous terrer dans votre chambre, et comme compensation ( !), pour vous occuper, pour tromper l’hostilité des circonstances, hostilité provisoire si vous y prenez garde, je vous recommanderais de rassembler vos poèmes, d’en écrire d’autres, d’exalter vos révoltes et de les canaliser, enfin d’oublier l’enchantement, souvent dérisoire, de la magie nocturne.

2904Le 24 mai.

2905Je reprends cette lettre interrompue. Mon mal n’a cessé d’augmenter. Aujourd’hui, un certain répit.

  • 935

    Dans Les Lettres françaises, René Lacôte écrit, à propos de l’Anthologie de la poésie française de (…)

2906Merci pour l’article des Lettres françaises , et pour votre enthousiasme généreux, que je m’efforce en vain de partager.

2907J’aurais beaucoup de choses à vous raconter, qu’il serait fastidieux d’écrire. Et donnez-moi des nouvelles de votre estomac ! Tant qu’aux « redevances », oubliez-les pour le moment. Je conclus hâtivement, on doit venir me chercher pour d’autres examens radiologiques à l’hôpital.

2908À bientôt, et mon amitié, ainsi que celle de M. ma femme.

2909Alain Grandbois

  • 936

    Marcel Dubé a prononcé à l’Institut canadien une conférence intitulée « Alain Grandbois ou l’amour (…)

2910P.S. Pouvez-vous me donner l’adresse de Marcel Dubé à Montréal. Je dois le remercier — depuis 2 ou 3 mois — de choses très aimables qu’il a bien voulu dire à mon propos .

2911A. G.

  • 937

    Autographe, 1 f. (10,8 x 14,1 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNQ, 411/5).

2912Jeudi, le 8 juin 67.

2913Mon cher Victor,

  • 938

    Le 26 mai 1967, l’École des hautes études commerciales a décerné un doctorat honoris causa à Victo (…)

2914Le ciel vous a comblé. Vous n’êtes pas le dernier à vous incliner devant le « bonnet », mais le premier . Je vous en remercie. Tant qu’à moi, peut-être serais-je le dernier à m’incliner devant le vôtre ! (Il est vrai que votre Université fait un peu figure de nouveau riche devant la mienne, maison-mère, fondatrice, etc. Hé, Hé !)

2915De toute façon, nous voici jouant du bonnet. Cela peut devenir inquiétant, à nos âges de super-croulants. (Au fait, est-ce le premier qui couvre votre honorable chef ? Je ne suis pas très au courant des gentillesses universitaires.)

2916Allons-y pour l’accolade. Nous vous embrassons tous les deux, nous deux.

2917Alain Grandbois

  • 939

    Autographe, 1 f. (20,1 x 25,1 cm), à l’encre bleue (BNC, fonds Guy Sylvestre).

2918Québec, le 5 juillet 1967.

2919Mon cher Guy Sylvestre,

  • 940

    Guy Sylvestre préside la Rencontre mondiale de la poésie, lors de l’Exposition universelle de Mont (…)

2920Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour cette « Rencontre Mondiale de Poésie  », et j’accepte avec grand plaisir votre généreuse invitation.

2921Et veuillez bien m’excuser du retard que j’apporte à vous répondre. Un très fâcheux accident — fracture de la colonne vertébrale — m’a tenu depuis des mois en dehors de toutes activités, même épistolaires. Hôpitaux, médecins, traitements, drogues… Tout cela très charmant ! Enfin, je me rétablis peu à peu.

2922Je serai heureux de renouer connaissance avec vous. Les années passent, au galop.

2923Croyez à mes sentiments amicaux,

2924Alain Grandbois

  • 941

    Autographe, 1 f. (10,1 x 12,6 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Guy Sylve (…)

2925Québec, le 12 août 1967.

2926Mon cher Guy Sylvestre,

2927Si toutefois cela peut vous convenir, je compte partir pour Montréal le 5 septembre, et en revenir le 11. Je pourrais ainsi suivre à peu près toutes les rencontres.

2928Pouvez-vous me faire parvenir le programme détaillé des séances ?

2929Je vous remercie, et veuillez croire à mes sentiments les meilleurs.

2930Alain Grandbois

2931958, Ave Moncton,

2932Québec.

  • 942

    Autographe, 1 f. (10,2 x 12,8 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

2933Le 2 septembre 1967.

2934Mon cher Gaston Miron,

2935Je me demande la raison de votre silence. Politique ? Non, j’écarte cette idée. Ou serait-ce le passage à Québec d’un jeune dadais manquant tellement d’humour, mais non d’ambition, qui est venu me voir et qui vous aurait rapporté des propos que j’ai tenus, et qui auraient pu vous blesser justement, si mal interprétés ! Je vous ai déjà dit que la sottise était sans fin, comme l’Éternité. Si je vous vois à Montréal cette semaine, comme je l’espère, je vous raconterai le tout, ce qui ne sera pas sans vous remplir de confusion, car vous serez obligé de vous excuser ! (En souriant, en souriant.)

2936Toujours amicalement,

2937Alain Grandbois

  • 943

    Autographe, 1 f. (10,7x 13,9 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Guy Sylves (…)

2938Lundi, le 18 sep. 1967.

2939Mon cher Guy Sylvestre,

2940Je tiens à venir vous remercier de la gentillesse et de l’amabilité que vous avez bien voulu me témoigner lors de la « Semaine de la Poésie ». Et puis je vous félicite de la façon dont vous avez su diriger, avec tant de tact et de virtuosité — et de patience ! — tout cet ensemble ! Cela ne devait être guère facile.

2941Pour ma part, je suis ravi de ces quelques jours passés à Montréal, et je ne regrette qu’une chose, c’est que mon état de santé ne m’ait pas permis de prendre une plus grande part aux activités de cette Rencontre.

2942Ma femme se joint à moi pour vous exprimer nos sentiments les plus amicaux.

2943Alain Grandbois

2944P.S. Si les hasards vous amènent à Québec, faites-moi le plaisir de communiquer avec moi.

2945A. G.

  • 944

    Carte de souhaits (18,5 x 14,5 cm), à l’encre bleue. Reproduction au recto : « Notre-Dame des Vict (…)

2946[Fin décembre 1967]

2947Permettez-moi, Père Martin, de vous offrir mes meilleurs vœux de bonheur pour Noël et l’année qui vient.

2948Alain Grandbois

  • 945

    Autographe, 1 f. (10,2 x 12,8 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue ; en marge supérieure (…)

2949Le 24 avril 1968.

2950Mon cher Gaston M.,

  • 946

    Le 9 février 1968, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Cher Alain, / / ci-inclus, un chèque (endoss (…)

2951Merci pour tout . Et excusez-moi pour tout. Je sors de l’hôpital. Je pars demain pour Ottawa. Je vous écrirai la semaine prochaine.

  • 947

    Jacques Brault, Alain Grandbois, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », n° 172, 1968,186 p.

2952Quand vous m’avez téléphoné, je n’avais pas encore vraiment lu le livre de Jacques Brault . Les médecins (2) m’entouraient, à la maison. Alors, comme vous voyez, 2 médecins ne sont pas assez nombreux pour vous entourer. C’est un abus de langage. Mais je l’ai lu depuis ce temps, et je l’ai trouvé tout à fait remarquable. D’autant plus que je ne lui avais guère donné de chances. Voulez-vous lui dire que je suis très heureux — et ravi — de son travail.

  • 948

    Le 28 février 1968, Pierre Seghers écrit à Alain Grandbois : « Cher Poète, / / Permettez-moi de vo (…)

2953Je vais lui écrire naturellement, mais la semaine prochaine. Je n’ai pas encore répondu à Seghers . J’ai été très malade, vous savez, et très éloigné de tout.

2954Avec mes amitiés,

  • 949

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

2955Le 24 avril 1968.

2956Mon cher Jean-Guy,

  • 950

    Le 26 avril, Alain Grandbois sera fait Compagnon de l’Ordre du Canada. La cérémonie d’investiture (…)

  • 951

    En septembre 1967, lors de la Rencontre mondiale de la poésie à l’Exposition universelle de Montré (…)

2957Je sors tout droit — enfin, c’est une façon de m’exprimer ! — de l’hôpital. Je pars demain pour Ottawa, où je vais recevoir des honneurs fédéralistes . Je regrette que vous ne soyiez pas là, j’aurais aimé rire avec vous comme nous l’avons fait, en septembre dernier, à Montréal .

2958Je dois vous écrire, je dois écrire aussi à beaucoup de personnes, la semaine prochaine, quand je serai reposé.

2959Croyez-moi votre très fidèle ami.

2960Alain Grandbois

  • 952

    Autographe, 1 f. (10,1 x 12,7 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsie (…)

2961Le 20 mai 1968.

2962Mon cher Gaston Miron,

  • 953

    Le 14 mai 1968, Gaston Miron écrit à Grandbois : « très cher Alain, / / les inventaires sont enfin (…)

  • 954

    Allusion aux manifestations étudiantes à Paris.

2963Merci pour le Tout . Je vous attends avec impatience. J’ai été encore très souffrant. Les médecins sont muets. Ou bien ils ne savent pas, ou ils cachent. Enfin, j’espère vous voir le plus tôt possible. C’est une excellente idée, pour le lancement, que septembre. Et surtout avec les événements actuels [en] France , en ce moment, on ne doit guère songer à la littérature. J’ai hâte de bavarder avec vous.

2964Amitiés,

2965Alain Grandbois

  • 955

    Autographe, 1 f. (10,1 x 12,7 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNC, fonds Jacques B (…)

2966Le 20 mai 1968.

2967Mon cher poète et biographe,

  • 956

    Le 19 juin 1968, Jacques Brault écrira à Grandbois : « Très cher Alain Grandbois, / / Gaston Miron (…)

2968Je ne vous ai pas encore écrit cette lettre que je vous dois, au sujet de votre livre . J’ai de nouveau été très souffrant. Mais je suppose — et je souhaite — que j’aurai le plaisir de vous voir avant votre départ pour la France, que les circonstances actuelles ont dû vous faire remettre, du moins je l’imagine.

2969Veuillez croire en mon amitié,

2970Alain Grandbois

  • 957

    Autographe, 1 f. (10,8 x 14 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue (BNQ, 411/7).

2971[Fin mai 1968]

2972Mon cher Victor,

  • 958

    Le 7 juin 1968, l’Université Laval décernera un doctorat honorifique à Victor Barbeau.

2973Hélas, hélas, j’aurais aimé aller vous voir dans toute votre splendeur, à l’Université , mais la maladie m’oblige à garder la chambre. Mais permettez-moi de vous apporter toutes mes félicitations, bien que vous fussiez « docteur » cinq ou six fois, j’imagine. Cependant, ce doctorat est de mon Aima Mater(!), donc plus précieux.

2974Mes hommages à Lucile, à vous deux l’accolade.

2975Alain G.

  • 959

    Autographe, 2 f. (27,5 x 21 cm), à l’encre bleue ; cachet de réception du « 6 juil 1968 » . Envelo (…)

2976Québec, le 3 juillet 68

2977Le T. R. Père Martin, c.s.c.

2978Montréal

2979Mon Père,

2980Je m’excuse, et je sais que je suis impardonnable de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Cependant, il y a des circonstances atténuantes à ce péché. Je souffre d’une fracture de la colonne vertébrale depuis déjà près de deux ans, mais certaines complications me sont survenues il y a quelque temps. J’ai éprouvé des douleurs intenses, très aiguës, combattues par des drogues et des barbituriques qui me laissent dans une torpeur assez peu réjouissante. Et mon courrier s’accumule !

2981Lorsque vous m’avez téléphoné l’autre semaine, j’étais au lit, et je n’ai pas osé vous demander de venir me voir. J’ai peut-être eu tort, car il est plus facile, comme vous le savez, de traiter les affaires de vive voix que par correspondance, et surtout j’aurais eu le vif plaisir de faire plus ample connaissance avec vous. Mais je ne me sentais pas dans un état assez convenable pour vous recevoir.

2982J’écris à vos collaborateurs MM. Pinsonneault et Charland. Veuillez encore m’excuser, je réclame votre indulgence, et croyez bien, très Révérend Père, à mes sentiments respectueux.

2983Alain Grandbois

2984958 Ave. Moncton

2985Québec

  • 960

    Autographe, 2 f. (12,8 x 20,3 cm) dont le second est paginé 2, à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

2986Le 8 juillet 68.

2987Mon cher Gaston Miron,

2988J’ai beaucoup de chemin à faire pour reprendre le retard de mon courrier, et cela m’effare.

2989Merci pour le chèque. Mais j’aurais préféré vous voir.

2990On me demande deux ou trois choses chez Fides. Quand vous êtes venu chez moi, l’autre semaine, j’avais reçu ces lettres (fin février). Il eût été facile de vous les faire lire. J’étais si abruti par les drogues et l’insomnie que je n’y ai pas pensé. Alors, voici pour les « affaires ».

  • 961

    Jean-Paul Pinsonneault (1923-1978), romancier et dramaturge, a été rédacteur de Mes fiches et de l (…)

2991M. Pinsonneault me demande, toujours fin février, et non répondu :

  1. l’autorisation de reproduire dans une anthologie des poètes canadiens-français cinq poèmes. Je vais répondre demain par l’affirmative. Je ne crois pas que vous y voyiez d’inconvénients, et nous nous arrangerons pour les droits.
  2. Dans une édition de grand luxe, illustrée et à tirage limité (vente 75.00) la publication de Poèmes .

2992Quant à moi, je suis d’accord en principe, et je vais demander à M. P. de communiquer avec vous.

2993Mais tout cela est peut-être trop tard !

2994Quand venez-vous à Québec ? Et l’Europe ? Et votre santé ?

2995Envoyez-moi un mot.

2996Amicalement,

2997Alain Grandbois

2998Jacques Brault a écrit de bien beaux poèmes.

  • 964

    Autographe, 2 f. (14x 10,75 cm), à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dossier « Alain Gra (…)

2999[15 juillet 1968]

3000Monsieur Roland Charland

3001Montréal

3002Cher Monsieur,

3003Veuillez excusez ce retard, je suis souffrant. Et voici. Je connais M. Léopold LeBlanc, et je suis sûr qu’il fera un excellent travail. Permettez-moi de vous féliciter de votre choix.

3004Je vous prie d’agréer l’expression de mes meilleurs sentiments.

3005Alain Grandbois

3006958 Ave. Moncton

3007Québec

  • 965

    Autographe, 1 f. (10,8 x 14 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur (…)

3008Septembre 1968.

3009Mon cher Gaston Miron,

  • 966

    Le 8 septembre 1968, Gaston Miron écrit à Grandbois : « très cher Alain, / / d’abord, un salut de (…)

3010Heureux homme  ! Je vous envie bassement, j’éprouve une cruelle nostalgie des bords de la Seine. Faites un beau voyage. Si vous rencontrez Pierre Seghers, faites-lui toutes mes amitiés. Je lui écrirai cette semaine, ainsi qu’à Jacques Brault. (Négligences très coupables, et que je ne cesse de regretter. Mais j’ai passé un été infernal. Tortures physiques, sans arrêt. Puis le moral cède trop souvent.)

3011Enfin, soignez-vous bien. J’espère vous voir avant votre départ.

3012Toute mon amitié (malgré nos discussions).

3013Alain Grandbois

  • 967

    Autographe, 1 f. (10,8 x 14 cm), carton, écrit recto verso à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur (…)

3014Québec, le 10 octobre 1968.

3015Mon cher Gaston,

  • 968

    Gaston Miron a adressé à Alain Grandbois une copie de sa correspondance avec Jean-Paul Pinsonneaul (…)

3016Merci pour votre mot, et pour cet arrangement avec Fides . J’aurais aimé vous voir dès votre retour, porteur des nouvelles « fraîches » des vieux pays. Enfin ! J’ai deux petites choses à vous demander :

  1. l’adresse personnelle de Marcel Dubé .
  2. Pourriez-vous vous procurer ce numéro de Sept-Jours du 31 août, dont vous m’avez parlé  ! J’ai tenté de le faire, mais vainement à Québec.

3017Venez, cher Gaston, quand il vous conviendra. Je vous vois toujours avec le plus grand plaisir.

3018Amitiés,

3019Alain Grandbois

  • 971

    Lors de sa visite officielle à l’Exposition universelle de Montréal, le président de la République (…)

  • 972

    Le 14 novembre 1968, Gaston Miron écrira à Grandbois : « Très cher Alain Grandbois, / / Que la nei (…)

3020P.S. Je ne doute pas de la « vertu » de la parole du grand Général . Mais cette « vertu », au sens latin du mot, est-elle faste ou néfaste ? Vous vivrez assez longtemps pour le savoir .

3021A. G.

  • 973

    Autographe, 1 f. (26,5 x 19,5 cm), à l’encre bleue (archives des Éditions Fides, dossier « Alain G (…)

3022Le 3 novembre 1969

3023Le Révérend Père Paul A. Martin

3024Montréal

3025Très Révérend Père,

3026Je vous remercie vivement de l’envoi des livres. J’aurais dû vous répondre plus tôt, mais j’ai été très souffrant, et je dois encore garder la chambre. Une assez forte hémorragie, qui m’a laissé dans un état de faiblesse assez pénible, cependant je reprends mes forces peu à peu, et je me ferai le grand plaisir d’assister à l’anniversaire du Nénuphar, le 4 décembre prochain.

  • 974

    Paul-Aimé Martin répondra à Grandbois, le 11 novembre : « J’ai été très heureux d’apprendre par vo (…)

3027Avez-vous abandonné le projet de rééditer Marco Polo, et le livre de luxe  ? J’avais l’intention de me rendre à Montréal et de vous voir à ce sujet, mais les circonstances ne me l’ont pas permis.

3028Veuillez croire, mon Révérend Père, à mes meilleurs sentiments.

3029Alain Grandbois

  • 975

    Photocopie (projet Grandbois, Département d’études françaises, Université de Montréal).

3030Québec, le 7 novembre 68.

3031Mon cher Jean-Guy,

  • 976

    Jean-Guy Pilon a été élu à la Société royale du Canada. Il prononcera son discours de réception à (…)

3032Permettez-moi de vous féliciter de tout cœur. Vous me voyez très heureux de l’honneur qui vous échoit , et que vous méritez pleinement. J’aurais aimé vous voir, ainsi que vos amis, mais mon état de santé ne me permet malheureusement pas de me rendre à Montréal samedi. Mais je penserai à vous. (Je me rappelle ce soir, il y a déjà longtemps, où vous m’aviez invité si gentiment chez vous, vous veniez à peine de vous marier, vous étiez si jeune, si confiant, si neuf devant la vie !)

  • 977

    Dans son discours, Jean-Guy Pilon dira : « Je dois à Alain Grandbois de grandes émotions. Je lui s (…)

3033Sachez aussi que vous ne me devez rien du tout . Si j’ai pu vous recommander, un jour, je l’ai fait pour ma propre satisfaction, car je croyais en vous, en votre talent, ce qui me fait regretter davantage de ne pas me joindre à vous samedi.

3034Veuillez embrasser votre charmante femme pour moi, et croyez toujours à mes sentiments d’estime et d’amitié.

3035Alain Grandbois

3036P.S. Ma femme M. se joint à moi pour vous féliciter.

  • 978

    Autographe (brouillon), 6 f. (10,9 x16,8 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 204/9/11). Maurice (…)

3037[Automne 1968]

3038Mon cher maître,

3039Veuillez m’excuser de ce retard. Je suis très souffrant, — une fracture <illisible> par accident, de la colonne vertébrale, je suis devenu à peu près infirme. Je marche chez moi, mais <illisible>, la douleur est si aiguë. — Et je ne sais comment vous remercier, Madame Genevoix et vous, de votre très généreuse et très aimable invitation, pour le 19 décembre. Je ne puis malheureusement pas l’accepter. Sachez bien que j’aurais été très heureux, et très flatté de rencontrer l’auteur de Raboliot, que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, qui m’avait enchanté, lors de sa publication à Paris, en 1925 ou 26. J’habitais Paris à cette époque — La Sorbonne, etc. — mais d’une façon assez <illisible>. Je fréquentais plus volontiers Montparnasse et Montmartre, et les ateliers libres de peinture, car je me destinais à la peinture à cette époque. Par la suite, mon Dieu, d’autres attraits, les voyages, l’inconnu, le risque — j’étais fort jeune — et l’aventure, tout cela me séduisait énormément. Je vivais au jour le jour — avec un petit revenu familial — sans penser au lendemain. Le choc est venu plus tard. En 1921-22, je vivais à Florence, je faisais de la peinture, du dessin surtout, mon père est venu et m’a dit : « Tu sais, Alain, je t’ai laissé toujours faire tes quatre volontés — ce qui était exact—mais tu n’as en ce moment que ton bachot, il faut que tu reviennes au Canada, prends une « profession quelconque », médecine, droit, génie civil, n’importe quoi, mais dans la vie il faut avoir un diplôme, quel qu’il soit, nous sommes riches, mais demain ? » Mon père avait toujours été généreux et très gentil pour moi. J’étais l’aîné de la famille, etc. (nous avions encore convenu à cette époque les vertus pour les mêmes), de sorte que j’ai fait mes études de droit. (Trois ans à cette époque, médecine, cinq ans, j’étais plus attiré par la médecine, mais deux de plus, quand on a vingt ans, on trouve ça extrêmement long, et je voulais retourner en Europe le plus tôt possible <incomplet>

  • 979

    Autographe (brouillon), 1 f. (10,8 x 16,9), à l’encre bleue avec de nombreuses ratures (BNQ, 204/9 (…)

3040[Mars 1969]

  • 980

    Le 3 février 1969, Pierre de Menthon écrit à Grandbois : « Cher Monsieur, / / Le Secrétariat de l’ (…)

3041Votre si généreuse invitation m’a fait grand plaisir, et je vous remercie, très sincèrement <incomplet>

  • 981

    Autographe, 5 f. (12,8 x 20,2 cm) paginés 1-5, à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

3042Dimanche, 20 juillet 1969.

3043Mon cher poète et Gaston,

3044Il me faut vous écrire une longue lettre, pour des explications. Comme je n’ai pas le goût, ni le don, d’épistolier, et que je suis souffrant par surcroît, veuillez être indulgent pour la calligraphie et le style. J’écris appuyé sur deux oreillers, dans mon lit, et je grogne car c’est une position incommode. Ceci dit, voilà ce qui s’est passé.

  • 982

    Le Prix de l’Académie française (médaille d’or) pour l’ensemble de son œuvre, décerné à Grandbois (…)

3045La remise de la médaille a eu lieu le jeudi, 3 juillet. Le vendredi précédent, vous m’aviez téléphoné, me disant que vous seriez à Québec mercredi le 2. Le Consul m’avait demandé, quelque temps auparavant, si je désirais une grande réception, ou une petite. Je lui ai répondu que j’aimerais plutôt une « miniréception ». Il m’a demandé si je voulais lui faire parvenir une liste des invités que je désirais voir, ce que j’ai fait. Il y avait environ 15 personnes, mais personne de l’extérieur, sauf vous, qui deviez être à Québec, et j’ai votre invitation sur ma bibliothèque, adressée chez moi, puisque vous deviez être à Québec le mercredi. Et voilà !

3046Vous pouvez vous demander maintenant : pourquoi n’ai-je pas fait inviter nos amis de Montréal, ou Rina de Joliette, etc. ? Eh bien, dans le milieu de la semaine, un jeudi, je ne l’ai pas fait par une sorte de pudeur. On ne dérange pas les gens pour venir voir un monsieur recevoir une médaille d’un autre monsieur, un « spectacle » durant une heure environ. Je craignais de les gêner. Venir, c’eût été pour eux beaucoup de temps dépensé, ne pas venir, ils auraient été tenus de s’excuser, etc. De sorte que, ces scrupules aidant, vous étiez le seul invité de Montréal, parce que vous deviez être à Québec.

  • 983

    Le père Paul-Aimé Martin, fondateur de la maison d’édition Fides.

3047Naturellement, j’aurais aimé voir Jean-Guy Pilon, Jacques Brault, le « Père » Fides , Pellan, et d’autres. Mais pour les raisons que je viens de vous donner, je n’ai pas mis leurs noms sur la liste. Il n’y avait même pas un journaliste convoqué. La réception a été charmante, discrète. Je me suis excusé au bout d’une heure, 1h¼ peut-être, et je me suis remis au lit à 7hres, et je le suis encore. Quand vous viendrez à Québec, je vous raconterai des choses amusantes à propos de la médaille. Le « Consul » a un certain sens de l’humour.

  • 984

    Voir la lettre de l’automne 1968, supra, p. 396.

3048Et voici, mon cher Gaston, la mini-chronique de la Médaille. Il me faudrait maintenant écrire à M. Genevoix , de l’Académie, et je n’ai pas encore le courage.

3049Croyez bien à mon amitié, et soyez gentil, téléphonez à nos amis, ceux que j’ai mentionnés plus haut, et à qui je dois des réponses, des lettres, etc. que j’ai été très souffrant, et que je m’en excuse.

3050Avec mon amitié,

3051Alain Grandbois

  • 985

    Autographe, 3 f. (12,2 x 20,4 cm) paginés 2-3, au crayon (CRLG, fonds Roger Duhamel).

3052Lundi, le 16 février [1970].

3053Mon cher Baron,

  • 986

    Allusion à l’allocution de saint Remi, évêque de Reims, à Clovis lors de son baptême : « Courbe la (…)

3054Ma nature de fier Sicambre mord enfin la poussière. La poussière d’hôpital. Ce n’est pas exagérément folâtre, et les réjouissances n’abondent pas. Il y a cependant des compensations. Les nurses sont jolies, jolies, et d’un tendre ! Ah ! De bons, de braves petits cœurs.

3055Je ne parle que de moi, ce qui n’est guère courtois. (Tiens, le titre d’une chanson.) Mais c’est le strict privilège du malade, et je suis convaincu que tu sauras t’en prévaloir avec l’énergie que l’on te connaît aux alentours de 1975 ou 80.

3056Je ne m’informe pas non plus de ta santé, laquelle est insolente, et même outrageante. Fais-moi le plaisir de prendre un petit verre à la mienne. Avec dédicace orale. Cette pensée me réconforte.

3057Mes hommages à Hélène.

3058Amicalement.

3059Alain G.

  • 987

    Autographe, 3 f. (10,9 x 16,8 cm) paginés 2 et 3, à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur Gaston M (…)

3060Le 23 septembre 1970.

3061Mon très cher poète,

  • 988

    Prix de la revue Études françaises décerné à Gaston Miron pour L’Homme rapaillé (Presses de l’Univ (…)

3062Tout d’abord, mes plus vives félicitations pour le « Prix  ». Vous l’avez amplement mérité… Et puis, d’autres plus vives félicitations pour L’homme rapaillé. J’ai beaucoup aimé entre autres certains poèmes de « La vie agonique », je vous parlerai de tout cela quand je vous reverrai.

  • 989

    Le 28 août 1970, Gaston Miron écrit à Grandbois : « Très cher Alain, / / 1. Ci-joint un chèque de (…)

3063Dans un autre ordre, merci pour votre dernier chèque . Je suis très heureux du succès de Poèmes. Si je vous ai fait confiance à l’Hexagone, vous m’avez fait confiance aussi. Et votre présentation était impeccable, ce qui exige beaucoup de travail et de goût.

3064Je vous attends toujours à Québec. Prévenez-moi un peu à l’avance, par téléphone, si possible. Car je suis très souvent à l’hôpital.

  • 990

    « Hier [13 août 1970], M. [Clément] Saint-Germain a rencontré M. Grandbois avec M. Alain Pontaut. (…)

3065Il y a encore autre chose. Un Monsieur Saint-Germain, et Alain Pontault [sic] sont venus me voir, il s’agit d’une édition spéciale pour les « Prix David », ils m’ont demandé mon accord, je leur ai dit de voir mes éditeurs, que j’avais des engagements préalables .

  • 991

    En juin 1969, le père Paul-Aimé Martin a rencontré Grandbois à Québec pour lui proposer de publier (…)

3066Par ailleurs encore, le Père Martin, de Fides, demande un accord pour des « Œuvres complètes » . Je lui ai répondu la même chose que ci-dessus, qu’il fallait vous rencontrer, etc. Cela fait beaucoup d’accords, il nous faudrait apprendre le solfège.

3067Ma femme se joint à moi pour les meilleures salutations.

3068Alain Grandbois

3069P.S. Vous m’excuserez de ne pas vous avoir écrit plus tôt. Une petite révolution organique s’est faite en moi. Le foie, les reins, le cœur, une nouvelle fracture de la clavicule gauche, je ne suis pas sorti de chez moi depuis trois mois.

3070Les médecins ont fini par diagnostiquer mon cas, je fais de « l’ostéoporose ». Mes os s’effritent. Follement gai, n’est-ce pas ?

3071Mon ami Gaston, profitez de votre jeunesse, usez, abusez même. Je vous quitte sur ce bon — ou mauvais — conseil.

3072Amicalement.

3073A. G.

  • 992

    Autographe, 1 f. (20,3 x 25,5 cm), à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur Gaston Miron, / / L’Hex (…)

3074Le 8 décembre 1970.

3075M. Gaston Miron

3076Montréal.

3077Mon cher poète,

  • 993

    Le 24 novembre, Gaston Miron a reçu le prix France-Canada.

  • 994

    Le recueil Les Îles de la nuit sera publié chez Fides, dans la collection « Bibliothèque canadienn (…)

3078Tout d’abord, toutes mes félicitations. J’ai été très particulièrement heureux d’apprendre la nouvelle de votre dernier prix . Ensuite, merci pour le chèque. Mais… mais n’êtes-vous pas un peu imprudent ? Les cinq mille [exemplaires] ne sont pas encore vendus ? J’ai cependant hâte de voir Les Îles en poche.

3079Je vous reverrai bientôt. Marguerite ma femme se joint à moi pour un salut très amical.

3080Alain Grandbois

  • 995

    Autographe, 1 f. (21,5 x 28 cm), à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

3081Samedi, le 20 mars 1971.

3082Mon cher poète,

  • 996

    Après avoir reçu le Prix de la revue Études françaises (mai 1970) et le prix France-Canada (novemb (…)

  • 997

    Louis Grandbois (né le 6 mars 1905) est mort le 28 janvier 1971.

  • 998

    Jean Grandbois (né le 5 janvier 1916) mourra le 1er septembre 1971.

  • 999

    Gaston Miron a fait parvenir à Grandbois un exemplaire de L’Homme rapaillé avec la dédicace : « Po (…)

  • 1000

    Gaston Miron est écrivain résident à l’Université d’Ottawa durant l’année 1970-1971.

  • 1001

    Fille de Gaston Miron, née en juillet 1969.

3083Mes plus vives félicitations. Vos prix sont mérités, ce qui n’est pas toujours le cas. Et puis, vous m’excuserez de ne pas vous avoir écrit plus tôt. La nouvelle année ne m’a pas été favorable. Un de mes frères est mort, l’autre est gravement malade, et quant à moi, je viens de passer plusieurs semaines au lit, avec une broncho-pneumonie. La convalescence est difficile, ma fatigue demeure intense. Tout cela est extrêmement folâtre, n’est-ce pas ! Je suis claustré comme un moine dans sa cellule. (Je veux dire un moine d’autrefois, aujourd’hui on ne le voit plus qu’à la T.V. ou dans les discothèques. Enfin, tout cela les regarde.) Je ne reçois personne, mais j’aimerais bien vous voir. Vous êtes revigorant, mon cher Sylvio . Qu’advient-il de cette édition des Îles de la nuit pour laquelle vous m’aviez fourni une avance aussi généreuse qu’imprudente ? —J’ai reçu également les chèques que vous m’avez fait parvenir. Merci. — Bravo aussi pour votre nomination à Ottawa . Cette dernière ville, quoique l’on en dise, possède des coins charmants. Il suffit de les découvrir. On y mange mal, mais il y a Hull. Il me paraît invraisemblable que votre petite Emmanuelle ait déjà près de deux ans. Il me semble que c’était hier que vous m’annonciez sa naissance. Avec ce nom-là, elle sera sûrement poète — si toutefois il y a encore de la poésie, dans quinze ans ! À très bientôt, je l’espère. Marg, ma femme se joint à moi pour les félicitations et les amitiés.

3084A. G.

3085P.S. Voulez-vous me rappeler votre adresse personnelle à Montréal, carré Saint-Louis ! Je l’ai égarée quelque part dans les fouillis de mes paperasses.

  • 1002

    Autographe (brouillon), 22 f. (12,7 x 20,1 cm), paginés : II-VII, X-XVI, 18, 19, 20 XX et 1-4, à l (…)

3086Dimanche dans la nuit du 16-17 mai 1971.

3087Mon cher Victor,

3088Je vous écris du fond de mon lit, je suis là depuis à peu près deux mois, la colonne vertébrale et des complications, et pour ajouter à ces choses charmantes, une broncho-pneumonie, de sorte que je suis devenu, je me vois dans la salle de bain, un vieillard livide et un dégoûtant. Il paraît, dans les diverses thèses de philosophie que l’on lit (pardon pour l’allitération) qu’il ne faut jamais se haïr soi-même. Eh bien, malgré tous ces philosophes, je me hais profondément, et si je n’avais pas encore conservé, comme des petites pierres précieuses, et malgré ma vie plutôt désordonnée, certaines croyances — catholiques — j’avalerais un tube de ces pastilles — contre la douleur, pour dormir, pour dormir à jamais — dont ma table de chevet est garnie. Voici pour moi.

  • 1003

    Le 115, côte Saint-Antoine, à Montréal, ancienne adresse de Victor Barbeau.

3089Permettez-moi de vous plaindre très sincèrement d’avoir à quitter votre maison. Quand vous me l’avez appris, je dois vous avouer que j’ai ressenti une petite chose au cœur. Je m’étais attaché au « 115  », moins que Lucile et vous naturellement, mais à Montréal, pour moi, c’était la maison la plus accueillante que j’ai connue. Mon caractère, comme le vôtre d’ailleurs, n’est pas des plus faciles. Vous rappelez-vous, une fois, que j’étais parti du « 115 », tout de suite après le dîner, ce qui était à la fois grossier et incongru, car nous n’avions eu aucune discussion, il me semble, qui eût provoqué un tel manque d’usages. Mais j’ai toujours été un garçon assez bizarre et (voir plus haut), mais sans méchanceté.

3090Je vous plains de tout cœur, je ne tiens pas à retourner le fer dans la plaie, mais c’est ainsi.

  • 1004

    Dans la série Les Écrivains québécois, subventionnée par le Ministère de l’Éducation du Québec et (…)

  • 1005

    Victor Barbeau est président de l’Académie canadienne-française, fondée en 1944.

3091Vous allez habiter un 10ème étage. Vous ne me donnez ni votre adresse ni votre numéro, — il faut bien s’exprimer ainsi ! Allez-vous comprendre mon écriture, je suis dans mon lit, ma main tremble, je dois me retourner pour continuer ce bavardage, à gauche et à droite, je ne puis « demeurer » sur le dos, puisque la fracture est là, elle grossit, elle a maintenant la taille d’une prune d’automne, je ne puis dormir beaucoup, malgré les somnifères et autres médecines « contre la douleur » que me donnent les médecins, et malgré même Marguerite, qui tous me conseillent et exigent que je prenne ces drogues. Je me borne à prendre, ce que je fais depuis quelques années, un somnifère. Je ne veux rien prendre davantage, je ne veux pas traîner avant de mourir tout à fait abruti. Déjà l’âge s’est abattu sur moi, creux soudain de la mémoire, un nom ou un mot qui me manquent soudain — on les rattrape 20 secondes plus tard, mais c’est trop tard. Puisque je continue de vous parler de moi — pourquoi les lettres, si nous ne parlons pas de nous, après les salutations conventionnelles. Il m’arrive des choses singulières. Un cinéaste est venu me proposer de faire un film (une heure). J’ai refusé sèchement, il voulait [que je] me promène dans mon village de Saint-Casimir, Mont-Rolland, Montréal, enfin dans tous les endroits où j’ai vécu, le monsieur, il est revenu le lendemain, croyant me séduire en m’offrant la somme considérable de $ 800.00, huit cents dollars. Comme je n’ai ni la santé, ni le goût, ni le physique (j’ai vu Mauriac à la télévision, c’était lamentable, mais il a toujours aimé l’argent). <illisible> le monsieur, gentil garçon par ailleurs, est allé jusqu’à excuser mon écriture, et mon style épistolaire. Je n’oublie pas que vous êtes notre Président . Au risque de vous déplaire, et malgré le mot très gentil que vous m’avez écrit, ma décision est formelle et définitive, quant à l’Académie. Je vous dirai de vive voix pourquoi. Tant que vous êtes là, c’est très bien. Si vous laissez les rênes à d’autres, et quels et quelles qu’ils soient, cela ne va plus.

3092Je regrette que vous n’ayez pu venir à Québec (Kébec, ainsi que nos éblouissants jeunes poètes ont imaginé d’écrire). Pour moi, je ne puis songer à aller à Montréal maintenant. Peut-être si… Mais il vous faudrait me dire où vous passez l’été, ou si vous êtes à Montréal, du haut de votre « dixième », pour admirer la ville !

3093Je ne contemple plus rien, moi. Je relis Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov et même Victor Barbeau. Je deviens sec et hargneux — la douleur, malgré [ce] que disent les Évangélistes, ne rend pas meilleur. Et c’est Marguerite qui en souffre le plus, elle est près de moi. Elle souffre de mon isolement, de mon refus de recevoir des personnes dites de la « société », nous sommes invités à certaines réceptions, je ne peux naturellement m’y rendre, je lui demande de se faire accompagner, s’ils sont invités, par un de ses frères ou cousins, elle s’y refuse, et dans le fond, elle doit m’en blâmer et avec raison. C’est moi qui ai tort. Car elle sent bien que même si je n’étais pas malade, je refuserais d’aller à ces petits cirques, à ces clowns et clowneries qui singent le vrai monde. (Mais où est-il, le vrai monde ?)

  • 1006

    Victor Barbeau, La Face et l’envers : essais critiques, Montréal, Académie canadienne-française, 1 (…)

  • 1007

    À propos de Félix Leclerc, Barbeau écrit : « Je ne connais pas un seul de ses livres qui résiste à (…)

  • 1008

    Le texte de Barbeau s’intitule « Paul Morin. La tour d’ivoire » (ibid., p.119-121). Victor Barbeau (…)

3094Je vous félicite de votre livre . Je crois que je ne vous ai pas écrit depuis ce temps. Où vous ai-je vu ? Je ne me rappelle pas. Vous êtes un peu trop sévère pour Félix Leclere , un peu indulgent pour Paul (Paon d’émail) Morin , un peu louangeur pour Rina Lasnier, laquelle à mon avis fait la timide et la très réservée, mais qui sait fort bien arranger ses petites affaires, comme la plupart des femmes de lettres d’ailleurs.

3095Je m’aperçois que je deviens méchant, que j’attaque vos amitiés, qui ne sont pas nécessairement les miennes, soyez assuré cependant, mon cher Victor, que malgré vos défauts — hélas j’en ai peut-être beaucoup plus que vous — et vos injustices de pamphlétaire, je conserverai l’amitié que je vous porte jusqu’à la fin.

3096J’aimerais bien vous voir. Et Lucile aussi. Vous me manquez tous les deux.

3097Nous vous embrassons, Marguerite et moi, Lucile et vous.

  • 1009

    Voir supra, p. 690, n. 3 et 4.

  • 1010

    Victor Hugo.

3098Ah j’oubliais que vous me demandiez des nouvelles de ma famille. Désastreuses. Un frère mort, un autre très malade , ses enfants également, son aînée est internée, ma filleule, dans un hôpital psychiatrique. Je crains, hélas, pour sa vie, la pauvre a 18 ans et fort jolie, la cadette semble suivre le même chemin noir, mon frère est naturellement ahuri (tout ceci strictement entre nous). Ma sœur Madeleine <illisible> de Marguerite, je ne peux me pencher, je suis devenu bossu mon cher Victor, non pas à la nuque comme les classiques ou romantiques, voir V. H. , mais à la 5ème vertèbre exactement.

3099Je crois que c’est la plus longue lettre que j’ai écrite de ma vie. Déchirez-la, je vous en prie. Et donnez-moi l’adresse, mais je crois que je vous l’ai demandée plus haut, de votre gratte-ciel. Je vous ai expédié une lettre par « express », la correspondance de Montréal me parvient 8 jours plus tard. Et ce n’est pas un « truc » de ceux qui m’écrivent. Je vois l’estampille de la poste de Montréal, par exemple, du 8 avril, je reçois la lettre à Québec le 16 ou 17. L’appareil de la chose publique ne semble pas tourner rond rond. Vous excuserez ces choses qui traînent dans tous les journaux. Je me laisse aller à vous écrire comme si nous parlions ensemble. Cependant, l’avantage ou le désavantage d’une lettre, ce n’est pas le dialogue, mais le monologue. (Encore ces sacrées banalités.) Je suis très fatigué, je vous redis bonjour et bonne nuit, ne manquez pas d’embrasser Lucile pour nous et je vous le demanderai la prochaine fois que je vous verrai si vous l’avez fait.

3100Avec la nuit dépassée, c’est déjà l’aube qui point à travers (ou au, je ne sais pas) de ma fenêtre, avec notre affection,

3101Alain Grandbois

3102pardon un oubli : de l’Académie canadienne-française.

3103P.S. Pour votre gouverne, mon cher Victor, j’ai vu dans trois livres français, ces semaines dernières, le terme canoë, c’était je crois, le thème de nos dernières discussions, le canot, que les Normands et les Bretons de la Côte prononcent « canotte », étant une barque avec des rames.

3104Le canoë, d’écorce autrefois, de toile aujourd’hui, se conduit avec une pagaie. Vous voyez, plus le jour point, je deviens plus fatigué et plus désagréable. Car j’ai appris, dans un monde à peu près civilisé, — non pas celui de notre belle province — qu’il est malséant d’avoir raison contre celui qui a tort, et qu’il ne faut surtout pas appuyer. Mais nous habitons « la Belle province ». Donc, nous nous disputons pour des sottises. Vous vous rappelez sans doute que Mgr de Laval, dans une de ses lettres, disait de Québec, — ah ah ah, notre fameuse métropole de Montréal n’existait pas encore — que dans cette ville [de] Québec, deux bourgeois sur trois « étaient en procès » ! De là, nous les fiers descendants de nos procréateurs, de là je suppose notre goût de la controverse, de la chicane, de la dispute.

  • 1011

    Mesure de notre taille, paru en 1936, est un essai sur l’infériorité économique des Canadiens-fran (…)

  • 1012

    C’est-à-dire cent degrés Fahrenheit.

3105Je pense à tout ceci, Victor, pourquoi n’écrivez-vous pas la suite de votre livre Mesure de notre taille , depuis 20 ans, vous auriez beaucoup de matière à gloser. Je suppose, et je vous comprends, que vous n’avez pas le courage de lire mes inepties jusqu’au bout. Vous allez me croire tout à fait détraqué. Non, non, mais je suis très fatigué, je fais de la fièvre, 100 , je souffre de partout, mes cheveux tombent, je me lavais la tête tous les matins, depuis 3 mois, impossible, je me sens malpropre et répugnant.

3106On en revient toujours à soi. Excusez-moi.

3107A. G.

  • 1013

    Autographe, 2 f. (21,2 x 27,5 cm) paginés 1-2, à l’encre bleue. Enveloppe : « Monsieur Gaston Miro (…)

3108Le 3 août 1971.

3109M. Gaston Miron

3110Montréal.

3111Mon cher poète,

3112Tout d’abord, veuillez excuser ce retard. Mais je plaide certaines circonstances atténuantes. Je me remets très lentement d’une broncho-pneumonie double qui me laisse dans une sorte d’état de prostration fort pénible. Je n’ai pu sortir de chez moi depuis la fin de l’hiver. Je tente de lutter contre la neurasthénie, laquelle est favorisée par d’intolérables insomnies. Le médecin insiste pour que je double ma ration de soporifiques, car je souffre beaucoup physiquement, rhumatismes, douleurs vives à la poitrine, etc. Je ne double rien, je ne tiens pas à devenir tout à fait hébété. Enfin !

  • 1014

    Voir supra, p. 690, n. 2.

3113Laissez-moi vous féliciter, cette fois doublement, pour vos prix , que vous méritez largement. (Et ce n’est pas toujours le cas.) J’ai tenté de vous rejoindre par téléphone, à votre appartement, il y a deux ou trois semaines environ. La « centrale » m’a dit que vous aviez cancellé votre abonnement. Peut-être avez-vous déménagé ? C’est pourquoi je vous adresse ceci à l’Hexagone.

3114Et puis maintenant, j’ai reçu vos chèques, et « l’avance » pour les Îles, que vous deviez publier au printemps, je crois. Avez-vous changé d’avis ? Je le regretterais, mais j’ignore vos motifs, dites-les moi simplement, je les comprendrai sans aucun doute. Et je vous rembourserai.

3115M. ma femme se joint à moi pour les félicitations et salutations. Nos divergences d’opinion n’ont rien à voir, du moins pour nous, avec l’amitié que nous vous portons. Embrassez de notre part votre petite Emmanuelle. Quelles transformations du monde verra-t-elle ! L’imagination la plus vive ne peut le concevoir.

3116Alain Grandbois

  • 1015

    La « Nuit des poètes », le 23 juin, dans le cadre des festivités de la Saint-Jean-Baptiste sur l’I (…)

3117P.S. J’imaginais que vous viendriez à Québec pour la « Nuit de l’Ile d’Orléans  », ou pour vos affaires, et que nous aurions eu le plaisir de vous voir. Écrivez-moi, ou téléphonez-moi, je ne quitte pas la maison. Et venez nous voir, si vous le pouvez.

3118A. G.

3119P.S. 2 Je retrouve, dans mes paperasses, que j’essaie de rassembler, un début de lettre que je vous avais écrite il y a deux mois. Je retrouve aussi un courrier effarant, à quoi je dois répondre. On doit me prendre pour un joli monsieur !

3120A. G.

  • 1016

    Autographe, 2 f. (12,7 x 20,1 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 204/9/1).

3121[Novembre 1971]

  • 1017

    Le 28 octobre 1971, Jacques Brault écrit à Grandbois : « Très cher Alain Grandbois, / / Depuis cet (…)

3122D’abord, vous ne m’importunez pas . Et vous ne m’ennuyez jamais. Mais… mais… Enfin plusieurs « mais ».

3123Je tente de vous expliquer. Il y a environ six mois que je ne suis sorti de chez moi. Retombée de pneumonie, poumons touchés…, je vous fais grâce des détails. Je veux bien tenter de marcher dans les rues de Québec, mais quel sera le jour, la température ? Il y a déjà plus de six mois que je ne suis sorti de chez moi.

3124Je ne doute pas des bonnes intentions de M. Frappier, cependant… Et pour vous, mon cher Jacques Brault, ne m’accordez pas, je vous prie, l’amitié « respectueuse » mais l’amitié tout court. Vous êtes poète. La poésie n’a pas d’âge (!) Je ne suis pas sûr du tout de cette assertion. (Du moins pour une ou deux générations, et j’entends ceci pour les vrais poètes, dont vous êtes, et non pas pour tous les faiseurs de fausse poésie actuelle, qui pullulent trop malheureusement.) <incomplet>

  • 1018

    Autographe, 1 f. (12,6 x 20,1 cm), à l’encre bleue (BNQ, 441). Essayiste et poète, Meery Devergnas (…)

3125[10] novembre 1971.

3126Mademoiselle,

  • 1019

    Série d’articles sur la littérature russe (en particulier Cholokhov, Pasternak, Ehrenbourg, Soljen (…)

  • 1020

    Le 22 octobre 1971, Meery Devergnas écrit à Marguerite Rousseau-Grandbois : « Permettez-moi de vou (…)

3127Tous mes remerciements pour l’envoi des articles . Et puis j’ai lu vos poèmes avec beaucoup d’intérêt . Je vois qu’il est inutile de vous transmettre « le si merveilleux fluide de la poésie ». Vous le possédez.

3128Alain Grandbois

  • 1021

    Autographe, 3 f. (12,6 x 19,8 cm) non paginés, à l’encre bleue (BNQ, 410/9).

3129Le 27 mars 1972.

3130Mon cher poète,

  • 1022

    Voir supra, p. 690, n. 2.

3131Tout d’abord, bravo pour tous ces honneurs , qui, pour une fois, sont mérités. Je vous ai écrit une longue lettre, il y a déjà quelque temps, je ne sais si elle a été interceptée, ou perdue, elle était adressée, à votre nom naturellement, à l’Hexagone, comme celle-ci.

3132Maintenant, voici. Je vous remercie des sommes généreuses que vous m’avez fait parvenir. Mais je ne comprends pas. Pourquoi n’avez-vous pas publié Les Îles de la nuit, tel que nous avions convenu, en édition populaire. Alors, tout cet argent !

3133Je dois vous demander aussi, — pour les impôts — le montant total des sommes que vous m’avez adressées durant l’année 71. Pouvez-vous me répondre le plus vite possible.

3134En attendant, pour moi, les nouvelles sont mauvaises. Je viens de passer un mois au lit. Suites de la bronchopneumonie, complications, etc. Et pour comble —je me tiens à peine debout —je suis forcé de déménager, dans le milieu du mois d’avril. Je vous donnerai ma nouvelle adresse dès que j’aurai reçu un mot de vous.

3135Embrassez pour moi votre petite Emmanuelle.

3136Et répondez-moi aussitôt que possible.

3137Marg. ma femme vous dit bonjour.

3138Avec mes amitiés,

3139Alain Grandbois

3140P.S. Veuillez excuser ce papier, tout déjà est dans les caisses.

  • 1023

    Autographe, 1 f. (20,9 x 27 cm), à l’encre bleue (Université d’Ottawa, Centre de recherche en civi (…)

3141Le 25 juillet 1972

3142Monsieur le Doyen J.-M. Quirion

3143Ottawa

3144Monsieur le Doyen,

  • 1024

    Le samedi 24 juin 1972, Alain Grandbois recevait chez lui le recteur Roger Guindon et le doyen Jos (…)

3145Veuillez tout d’abord m’excuser du retard que j’apporte à vous écrire. J’ai dû passer les dernières semaines au lit, avec une très forte fièvre, ce qui m’a empêché de venir vous remercier plus tôt, de tout cœur, de ces deux grands honneurs que vous m’avez faits, celui de votre venue chez moi, et celui de votre doctorat . Ma femme et moi [avons] été ravis de vous rencontrer.

3146Je conserverai précieusement l’allocution par trop aimable que vous avez rédigée à mon sujet. Elle m’aidera dans mes moments dépressifs.

3147Veuillez bien croire, M. le Doyen, à mes meilleurs sentiments.

3148Alain Grandbois

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