DISSERTATION ALCOOLS APOLLINAIRE MODERNITÉ ET TRADITION. Nous nous proposons dans cette fiche de faire une dissertation sur la question posée par le parcours associé, « Modernité et tradition » à propos du recueil Alcools de Guillaume Apollinaire. Elle doit également permettre de faire un bilan sur le parcours du même titre, c’est-à-dire « modernité poétique? ». Si tu as besoin de revoir la fiche méthode de la dissertation, clique ICI. Sinon, tu peux te rendre directement sur les vidéos méthodologiques dédiées à la dissertation et postées sur notre chaîne Youtube.
DISSERTATION ALCOOLS APOLLINAIRE MODERNITÉ ET TRADITION: LE SUJET
Sujet: Faut-il voir dans Alcools un recueil de la modernité ou de la tradition?
DISSERTATION ALCOOLS APOLLINAIRE MODERNITÉ ET TRADITION : problématique
Problématique: Comment, loin de séparer tradition et modernité, Apollinaire assure-t-il une continuité?
1.Un recueil dans la tradition poétique
A. Le lyrisme
- D’abord, depuis ses origines antiques la poésie s’inscrit dans le lyrisme.
- Par ailleurs, on note l’usage de thèmes romantiques comme dans « Automne », « Rhénane d’automne », « Automne malade ». En effet, cette saison apparaît comme mélancolique. Elle met un terme à l’insouciance de l’été et marque la transition avec l’hiver.
- On constate également la référence au temps qui passe dans « Le Pont-Mirabeau » comme l’ont fait tant de poètes avant Apollinaire. Pensons notamment aux Romantiques comme Lamartine dans « Le Lac ».
- Enfin, nous pouvons citer l’évocation des amours malheureuses comme dans « La chanson du Mal-Aimé ».
B. Influence culturelle et religieuse
- D’abord, Apollinaire s’inscrit dans la suite des fondements de notre civilisation en faisant des références au Christ.
- Il fait également référence à la tradition judéo-chrétienne dans « La Synagogue » et aux valeurs de croyance, de fraternité et de réconciliation.
- De plus, plusieurs poèmes s’apparentent à des prières. Dans la logique chrétienne, Apollinaire a foi en l’avenir même en temps de malheur et de souffrance, il croit que le meilleur peut encore advenir.
- Enfin, il évoque des personnages bibliques tels que « Salomé ».
C. Les références légendaires
Figure légendaire germanique: la Loreley
- Ainsi, la Loreley est une sorcière issue du folklore germanique. Son chant hypnotique faisait s’échouer les navigateurs. Elle est notamment évoquée par le poète allemand Heinrich Heine.
- Or, Apollinaire évoque la Loreley dans le poème éponyme.
- D’ailleurs, cette évocation de la légende germanique transparaît également dans « Nuit Rhénane »
Figure légendaire celtique: Merlin
- Effectivement, ce personnage légendaire apparaît notamment dans le Cycle Arthurien.
- On peut citer « Merlin et la vieille femme ».
2. Mais une grande modernité
A. Une influence urbaine
- D’abord, Apollinaire apparaît comme un poète citadin, il évoque beaucoup la ville.
- Ainsi, « Zone » évoque l’ouvrage moderne qu’est la Tour Eiffel de même que dans le Pont Mirabeau il évoque l’ouvrage humain qu’est le pont Mirabeau.
- En outre, il évoque la prison de la Santé, à Paris dans « A la Santé ». Ainsi, il reste dans cette logique de recueil urbain, marqué par la topographie parisienne, mais il traite également un thème peu poétique: celui de l’enfermement.
- Ensuite, la publicité apparaît comme une référence moderne: « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut » (« extrait de « Zone »)
- Par ailleurs, Apollinaire fait référence à un genre littéraire qui connaît à cette époque un grand engouement: le genre policier: « Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux/ Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières ». (« Zone)
B. Les transports et l’électricité
- Effectivement, Apollinaire se réfère à la modernité du monde qui l’entoure. Ainsi, l’avènement de l’électricité apparaît comme un grand bouleversement, en témoigne ce vers de « Fiançailles »: « « Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore dans le jardin de ma mémoire ».
- Or, ce développement de l’électricité bouleverse les transports urbains, comme la présence du tramway. « « Soirs de Paris ivres du gin /Flambant de l’électricité/ Les tramways feux verts sur l’échine/ Musiquent au long des portées/ De rails leur folie de machines». (extrait de « Voie lactée »)
C. Une liberté de ton
- Ensuite, Apollinaire prend ses distances avec la tradition, il veut lui apporter une approche nouvelle comme en atteste le premier vers de « Zone »: « A la fin tu es las de ce monde ancien ».
- Apollinaire se libère des carcans, et en particulier des normes poétiques. Il mêle les influences et se permet une grande liberté de ton. Prenons l’exemple de « Zone ». Il traite à la fois du thème de la ville, thème moderne, tout en faisant référence à la religion et au Christ qui sont, nous l’avons vu au fondement de la civilisation chrétienne.
3. Une écriture de la continuité, Apollinaire comme passeur de poésie
A. S’affranchir de la ponctuation
- Si initialement Apollinaire avait écrit les poèmes avec la ponctuation, il l’a retirée par la suite. Il offre ainsi au lecteur une plus grande liberté de circulation dans le texte mais aussi une plus grande latitude dans l’interprétation du texte. Ce geste poétique est très fort car Apollinaire s’affranchit ainsi de siècles de tradition poétique.
- Ainsi, prenons un vers à titre d’exemple:
Ex: « Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant » (extrait des « Colchiques »)
1)Soit:
Ex: « Le pré est vénéneux mais joli en automne/
Les vaches y paissant » (extrait des « Colchiques »)
2) Soit:
Ex: « Le pré est vénéneux mais joli / en automne
Les vaches y paissant » (extrait des « Colchiques »)
Ainsi, Apollinaire nous offre la possibilité de nous approprier ou de nous ré-appproprier son texte.
B. Détourner des formes traditionnelles
- En effet, dans la tradition poétique, le quatrain est une strophe de quatre vers en rimes embrassées ou croisées d’alexandrins ou de décasyllabes. Or, Apollinaire reprend cette forme traditionnel et crée une distorsion. Il forge le quatrain d’octosyllabes:
Ex: « La tzigane »
La tzigane savait d’avance A
Nos deux vies barrées par les nuits B
Nous lui dîmes adieu et puis B
De ce puits sortit l’Espérance
- Par ailleurs, Apollinaire va plus loin encore dans la prosodie moderne en faisant usage de vers libres. Citons le poème « Chantre » qui ne porte que sur un vers: « Et l’unique cordeau des trompettes marines ».
C. La continuité avec Verlaine: une poésie musicale
- D’abord, notons que dans sa volonté de favoriser l’émergence d’une poésie musicale, Apollinaire s’inscrit dans l’héritage de Verlaine qui écrivait « de la poésie avant toute chose ».
- Ainsi, « La chanson du mal-aimé » apparaît comme particulièrement musicale non seulement par le fait du jeu des sonorités mais aussi par la référence lexicale au chant.
DISSERTATION ALCOOLS APOLLINAIRE MODERNITÉ ET TRADITION: conclusion
DISSERTATION ALCOOLS APOLLINAIRE MODERNITÉ ET TRADITION
Nous arrivons au terme de cette dissertation. N’hésite pas à poster tes questions ou remarques en commentaires. D’autres fiches peuvent t’intéresser:
–Fiche sur la biographie de Guillaume Apollinaire
–Analyse du Pont Mirabeau
Corrigé
Introduction
« À la fin tu es las de ce monde ancien » : c’est par ce mouvement de rejet de ce qui lui a précédé que Guillaume Apollinaire inaugure son recueil Alcools, publié en 1913, alors que le
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e siècle s’ouvre par de nombreux bouleversements techniques et une transformation de l’espace urbain. La question « la poésie d’Apollinaire s’invente-t-elle en rejetant le passé ? » apparaît donc légitime. La poésie en tant qu’acte créatif (tel que le révèle son étymologie grecque poiesis qui signifie « création ») semble se concevoir pour Apollinaire comme une mise à distance de ce qui a été avant lui. Cela apparaît formellement par l’effacement de la ponctuation ou encore par l’utilisation du vers libre. Pour autant, de nombreux poèmes possèdent encore une facture classique et le poète ne rompt donc pas totalement avec le passé. Rejeter, c’est en effet aussi déporter, mettre ailleurs : le passé, qu’il soit personnel (« son » passé) ou historique (« le passé »), insuffle ainsi une dimension lyrique au sein du recueil. Dans quelle mesure le geste de rupture affirmé dans Alcools conduit-il à un renouveau de la poésie ?
Si Apollinaire rejette le passé pour mettre en valeur le temps présent, le passé revient sans cesse dans sa poésie indubitablement lyrique, de sorte que l’originalité de la poésie d’Apollinaire se conçoit dans sa dimension atemporelle en ce qu’elle s’invente elle-même.
Alcools : un geste poétique de rejet
Se défaire du passé…
Dans le recueil, le poète se présente sous la forme d’une figure errante, et ce dès le poème liminaire « Zone » qui retrace la déambulation nocturne du poète dans une ville qui n’a plus rien d’» antique ». De fait, le titre renvoie à la transformation urbaine que subit Paris au début du
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e siècle en évoquant son extension vers la périphérie. Cette longue échappée illustre donc la volonté de se libérer du passé pour rejoindre un avenir autre, à l’image de l’» émigrant » que mentionne Apollinaire à plusieurs reprises dans le recueil. La première strophe du poème intitulé « Le brasier » affirme ainsi dans un geste symbolique avoir « jeté dans le noble feu […] / Ce passé ».
Pour se tourner vers un monde nouveau
La poésie de G. Apollinaire rend compte du bouleversement vécu à l’orée du
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e siècle par ses contemporains. Tout change en effet : la ville vit désormais au sein d’un rythme frénétique induit par les communications et les transports. Dans « Le voyageur » il rend compte des « Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses ». Il s’agit bien pour l’artiste de retranscrire dans son œuvre cette métamorphose provoquée par le monde moderne. Or, celle-ci est marquée par un renouvellement des pratiques artistiques : le monde change et l’on ne peut plus le voir de la même manière.
La poésie comme recomposition du monde moderne
Inventer, c’est composer une réalité nouvelle. À la manière de l’esthétique cubiste, le poète va multiplier les points de vue au sein même de sa pratique poétique. « L’émigrant de Landor Road » commence par un récit à la troisième personne (« Le chapeau à la main il entra du pied droit ») avant de proposer à la troisième strophe un monologue lyrique à la première personne qui restitue la parole de l’émigrant. Cette alternance permet de faire jaillir des images multiples qui répondent à la complexité de l’être humain. En outre, en supprimant la ponctuation, il met en avant un style heurté. Les vers sont désormais juxtaposés, obligeant le lecteur à chercher lui-même un sens. Le poète fragmente les expériences vécues : « Zone », qui évoque un moment de désolation, constitue ainsi une méditation sans cesse entrecoupée, restituée par l’agencement fragmentaire aux dépens de la strophe traditionnelle.
André du Bouchet dans « L’avril » (1995) propose quant à lui, un vers continuellement interrompu qui cherche à appréhender un monde qui se dérobe toujours.
Cependant, malgré la marche du monde, le passé ne peut s’effacer de la poésie d’Apollinaire qu’il entend véritablement comme un principe de vitalité poétique. Apollinaire « rejette » ainsi pleinement le passé vers sa poésie : celui-ci est au cœur de sa poétique.
L’obsession du passé
La fuite du temps
S’inscrivant dans une longue tradition poétique, Apollinaire fait l’amer constat de ce qui a été et ne sera plus. Le poète est impuissant face au temps qui passe. Le court poème « L’adieu » traduit en un quintil poignant ce sentiment d’écoulement du temps : « […] L’automne est morte souviens-t-en / Nous ne nous verrons plus sur terre / Odeur du temps brin de bruyère […] ». La synesthésie de ce dernier vers rend pleinement sensible ce temps qui a été et n’est plus. Il n’y a rien que le poète puisse faire, même la saison, qui fait l’objet d’une personnification, « est morte ». Il n’y a pas de retour en arrière possible, si ce n’est poétique.
Paul Verlaine dans « Colloque sentimental » (1869) saisit le dialogue de deux vieux amants, figures déjà spectrales qui « évoqu[ent] un passé » qui n’est plus.
Le lyrisme du souvenir personnel
Chez Apollinaire, la figure du poète est donc mélancolique : son propre passé devient matière poétique. En évoquant des amours passés, le recueil s’inscrit ainsi pleinement dans la tradition élégiaque. C’est ce que laisse entendre aussi son titre ambivalent : l’alcool conduisant à l’affliction, le sentiment nostalgique est prégnant, notamment dans « La chanson du mal-aimé » qui se termine sur ce chant poétique qui évoque un temps révolu « Je me souviens d’une autre année / […] J’ai chanté ma joie bien aimée / Chanté l’amour ». La poésie sublime dès lors le passé.
Le lyrisme du souvenir personnel
Chez Apollinaire, la figure du poète est donc mélancolique : son propre passé devient matière poétique. En évoquant des amours passés, le recueil s’inscrit ainsi pleinement dans la tradition élégiaque. C’est ce que laisse entendre aussi son titre ambivalent : l’alcool conduisant à l’affliction, le sentiment nostalgique est prégnant, notamment dans « La chanson du mal-aimé » qui se termine sur ce chant poétique qui évoque un temps révolu « Je me souviens d’une autre année / […] J’ai chanté ma joie bien aimée / Chanté l’amour ». La poésie sublime dès lors le passé.
Vers le passé lointain
Il n’y a pas que sa vie passée qu’Apollinaire ressasse : une place essentielle est faite au passé légendaire. Son lyrisme est ainsi empreint de merveilleux où hier et autrefois font l’objet d’un traitement important. Un poème tel que « La Loreley » qui se réfère à un temps légendaire lui permet de développer le thème du sacrifice amoureux.
Le mouvement surréaliste puisera lui aussi dans la mythologie. La sirène, la fée, la créature sont au cœur de la poétique d’André Breton.
Le passé, loin d’être révolu, devient un matériau poétique qui signifie l’éternel retour des angoisses : le passé s’inscrit dans le présent. En réalité, Apollinaire refuse la linéarité du temps et son écriture poétique dépasse le clivage entre passé, présent et futur.
Une poésie de la régénération, qui « s’invente » elle-même
Circularité du temps
Les poèmes regroupés dans le recueil, rédigés sur près d’une quinzaine d’années, ne sont pas organisés chronologiquement, « Zone » étant de manière significative le dernier poème qu’il a composé, et pourtant placé en ouverture du recueil. Il s’ouvre sur le mot « fin » alors que le dernier vers du dernier poème (« Vendémiaire ») se ferme sur l’aube « le jour naissait à peine ». Cet agencement paradoxal refuse toute fin et renvoie au début de l’œuvre. Les images récurrentes de la nuit et du jour, des saisons signifient en permanence cette conception circulaire du temps.
L’écho comme principe organisateur
Pour Apollinaire, tout revient donc sans cesse. L’inquiétude, les angoisses sont susceptibles d’un sempiternel retour, à l’image de la Seine dont l’onde dans « Le pont Mirabeau » est restituée par l’hétérométrie des vers et les effets d’enjambements comme aux vers 8 à 10 : « Tandis que sous / Le pont de nos bras passe / Des éternels regards l’onde si lasse ». Un fonctionnement spéculaire se retrouve souvent au sens même de l’architecture des poèmes. On peut prendre pour exemple la section « Rhénanes » qui s’ouvre et se referme sur l’ambiance nocturne de « Nuit rhénane » et « Les femmes » tandis que « La Loreley » en semble le pivot , traitant à la fois de la mort et de l’amour. Alcools ne présente ainsi pas une lecture progressive ; ce qui compte, ce sont les échos créés entre les différents poèmes.
Le pouvoir de régénération de la poésie
Il ne faut pas oublier que l’alcool est un agent purificateur : en ce sens, la poésie transcende ce que le réel nous impose. Le recueil poétique se veut donc une expérience alchimique où la poésie tire sa force d’elle-même et non des expériences vécues ou à vivre. Il s’agit bien de « s’inventer » : la poésie d’Apollinaire se génère d’elle-même. Le recueil s’achève sur « Vendémiaire », véritable hymne à la vie renouvelée. Le monde entier converge en effet dans la bouche (métonymie de la parole poétique) du poète, qui est complètement gorgé de ce renouveau.
Conclusion
Alcools est un véritable appel à la nouveauté qui procure une ivresse au poète. Apollinaire écarte ainsi dans un mouvement de refus ce qui a été avant, et ce afin de se tourner pleinement vers son époque en pleine transformation. À ce monde nouveau correspond une écriture nouvelle, il s’agit de voir autrement. Pour autant, le passé ne s’efface pas complètement : le souvenir est tenace. Poète malheureux, Apollinaire se situe dans une longue lignée de poètes mélancoliques devant la fuite du temps. L’écriture poétique vient alors rappeler ce passé qui n’est plus et le rend, de la sorte, éternel.
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