Plusieurs sortes de comique apparaissent tout au long de la pièce.
. Le comique de mots et de répétitions:
– Acte 1 Scène 1: La première confrontation entre Argan et Toinette avec: «coquine», «carogne», «chienne», «traîtresse»
– Acte 1 Scène 5: ou encore «pendarde» lors d’une autre confrontation, au sujet du devenir d’Angélique. C’est par le langage employé par Argan que l’on comprend la relation maître/servant(e), topoi de la comédie.
– Acte 2 Scène 6: Lorsque Thomas Diafoirus prend le pouls d’Argan, s’ensuit un cours de courtes répliques entre lui et son père, le comique apparaît dans la rapidité de l’échange (stychomythie) mais dans l’introduction également de mots latins comme «Bene» ou «Optime», rendant la situation cocasse.
– Acte 2 Scène 8: Scène entre Argan et son autre fille, Louison avec la répétition quasi systématique de «Mon Papa» de la part de celle-ci. Là encore un comique de répétition.
– Acte 3 Scène 5: Le refus de l’ordonnance du médecin provoque un échange entre Argan et Monsieur Purgon. Le comique apparaît ici par les très brèves interventions de Toinette qui accentue la culpabilité d’Argan: «il a to
L’art de la comédie repose sur les procédés suivants : le comique de geste, le comique de situation, le comique de mots, le comique de caractère. On les retrouve dans le Malade imaginaire de Molière.
Repères : malade imaginaire : étude
Dans l’article précédent, nous avons analysé le monologue d’Argan dans la scène 1 de l’acte 1. Aujourd’hui, nous allons rappeler les quatre formes de comiques que l’on retrouve chez Molière en général et dans Le Malade imaginaire en particulier.
Comiques
Nous lisons cette pièce en entier avec la problématique suivante : comment Molière entreprend-il, par le spectacle et la comédie, de corriger les mœurs ? On voit que le comique s’incarne dans le spectacle pour toucher la finalité recherchée, celle de faire réfléchir sur notre condition d’homme. Pour cela, l’art de la comédie repose sur les procédés suivants :
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Le comique de geste,
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Le comique de situation,
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Le comique de mots.
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Comique de caractère.
Reprenons-les ensemble, si vous le voulez bien.
Comique de geste
C’est le procédé le plus usuel qui rapproche la comédie de la farce. Le jeu du personnage est au centre du rire. Il faut se replacer dans le contexte des pièces de l’époque. La scène sur tréteaux ou dans les théâtres doit être vue de tous. Pour cela, on crée des personnages qui incarnent non une personnalité, mais un stéréotype. À ce stéréotype, on lui associe à une gestuelle déterminée et excessive. Pourquoi ? Il doit être reconnaissable et identifiable par tous.
C’est pourquoi celui qui est malade doit faire la grimace ; celui qui se prétend le maître doit donner des coups de bâton et, à l’inverse, celui qui est le valet doit les recevoir. Dans Le Malade imaginaire, Argan poursuit la servante Toinette son bâton à la main :
« Toinette
Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante est en droit de le redresser.
Argan, courant après Toinette
Ah ! Insolente, il faut que je t’assomme.
Toinette, se sauve de lui
Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer>
Argan, en colère court après elle autour d’une chaise son bâton à la main
Viens, viens que je t’apprenne à parler. »
(acte 1, scène 5)
Comique de situation
Le procédé tient dans le fait que le spectateur comprend parfaitement le caractère incongru de la situation alors que certains des personnages sont laissés délibérément dans l’ignorance parce que l’on se joue d’eux. Le temps d’avance du spectateur constitue un des ressorts de la comédie. Dans Le Malade imaginaire, on retrouve ce comique lorsque Toinette se fait passer au nez et à la barbe d’Argan pour un médecin. Le comique de situation s’étend presque sur tout l’acte 3. Cette circonstance a pour objet de faire durer le plaisir du spectateur qui participe à la machination menée. Ainsi dans cette pièce, c’est Toinette qui tisse sa toile avec méthode.
Il lui faut trois scènes pour amener la mystification. Elle devance une quelconque objection du maître sur le leurre :
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en prévenant Béralde :
Toinette à Béralde :
« c’est une imagination burlesque, cela sera peut-être plus heureux que sage. Laissez-moi faire ; agissez de votre côté. Voici notre homme. (acte 3, scène 2) :
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en évoquant la question de sa ressemblance avec le faux médecin Toinette, Argan, Béralde
« Je ne le connais pas ; mais il me ressemble comme deux gouttes d’eau, et si je n’étais sûre que ma mère était honnête femme, je dirais que ce serait quelque petit frère, qu’elle m’aurait donné depuis le trépas de mon père. (acte 3, scène 7)
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en faisant des aller-retour audacieux entre les deux personnages qu’elle joue pour achever de tromper son maître. Toinette donne de la vraisemblance à son travestissement avec le jeu du déguisement.
Ainsi le faux médecin sort de scène pour un motif fallacieux (acte 3, scène 8) et Toinette revient sous prétexte d’avoir été appelée (acte 3, scène 9). L’imposteur réapparaît alors (acte 3, scène 10).
Il faut à Toinette une scène supplémentaire, celle où le faux-médecin ferait des avances à la servante, pour emporter la conviction totale du maître. (acte 3, scène 10).
Il faut aussi souligner que le comique de situation trouve son apogée dans le 3e intermède à la fin de la scène, avec la cérémonie d’intronisation d’Argan en médecin.
Comique de mots
Cela peut-être des insultes dans la bouche du maître ou des répétitions comme avec le fameux drelin drelin drelin de l’acte 1, scène 1. Mais cela peut être aussi plus subtil, comme des jeux de mots. Molière passe encore par Toinette qui n’a pas sa langue dans sa poche.
« Toinette, par dérision
Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant et , je me dédis de tout ce que je disais hier. Voici Monsieur Diafoirus le père, et Monsieur Diafoirus le fils, qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien gendrés ! « (acte 2, scène 4)
Molière joue avec le nom gendre, le mari de sa fille, pour en faire un verbe dans le sens de bien pourvu d’un gendre, qui est un mot qui n’existe pas. C’est un néologisme.
Comique de caractère
La personnalité d’Argan est au centre du rire. Il se laisse persuader par ses médecins qu’il est malade alors qu’il est bien portant. Nous reviendrons sur cette curieuse maladie dans des articles à venir.
Il reste à présenter la comédie du valet qui se joue dans Le Malade imaginaire.
Repère à suivre : la comédie du valet qui se joue dans Le Malade imaginaire
« TOINETTE.
Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.
ARGAN, bas à Béralde.
Cela est admirable !
TOINETTE.
Vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaît, la curiosité que j’ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes ; et votre réputation, qui s’étend partout, peut excuser la liberté que j’ai prise.
ARGAN.
Monsieur, je suis votre serviteur.
TOINETTE.
Je vois, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aie ?
ARGAN
Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.
TOINETTE.
Ah, ah, ah, ah, ah ! J’en ai quatre-vingt-dix.
ARGAN.
Quatre-vingt-dix ?
TOINETTE.
Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.
ARGAN.
Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans.
TOINETTE.
Je suis médecin passager qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatisme et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine : c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et l’envie que j’aurais de vous rendre service.
ARGAN.
Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
TOINETTE.
Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy ! ce pouls-là fait l’impertinent. Je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?
ARGAN.
Monsieur Purgon.
TOINETTE.
Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
ARGAN.
Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.
TOINETTE.
Ce sont tous des ignorants : c’est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN.
Du poumon ?
TOINETTE.
Oui. Que sentez-vous !
ARGAN.
Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE.
Justement, le poumon.
ARGAN.
Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.
TOINETTE.
Le poumon.
ARGAN.
J’ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE.
Le poumon.
ARGAN.
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE.
Le poumon.
ARGAN.
Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’étaient des coliques.
TOINETTE.
Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?
ARGAN.
Oui, Monsieur.
TOINETTE.
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?
ARGAN.
Oui, Monsieur.
TOINETTE.
Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas et vous êtes bien aise de dormir ?
ARGAN.
Oui, Monsieur.
TOINETTE.
Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?
ARGAN.
Il m’ordonne du potage.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
De la volaille.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGANT.
Du veau.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Des bouillons.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Des œufs frais.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Et le soir de petits pruneaux, pour lâcher le ventre.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Et surtout de boire mon vin fort trempé.
TOINETTE.
Ignorantus, ignoranta, ignorantum ! Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps tandis que je serai en cette ville.
ARGAN.
Vous m’obligez beaucoup.
TOINETTE.
Que diantre faites-vous de ce bras-là ?
ARGAN.
Comment ?
TOINETTE.
Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que de vous.
ARGAN.
Et pourquoi ?
TOINETTE.
Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter ?
ARGAN.
Oui ; mais j’ai besoin de mon bras.
TOINETTE.
Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais en votre place.
ARGAN.
Crever un œil ?
TOINETTE.
Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt ; vous en verrez plus clair de l’œil gauche.
ARGAN.
Cela n’est pas pressé.
TOINETTE.
Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui mourut hier.
ARGAN.
Pour un homme qui mourut hier ?
TOINETTE.
Oui, pour aviser, et voir ce qu’il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu’au revoir.
ARGAN.
Vous savez que les malades ne reconduisent pas. »
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Utilisation de la gradation, afin d’intensifier l’importance du médecin.
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Amplification de l’importance du médecin par l’utilisation de l’accumulation.
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Épanalepse.
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Complément circonstanciel de but.
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L’adverbe « trop » souligne l’excès.
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Comique d’opposition qui met en exergue le caractère arbitraire des ordonnances et contre-ordonnances.
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Allitération en [b].
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Énumération avec répétition de conjonction de coordination.
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Asyndète. Dans cette tirade sans réplique possible, Molière condamne les médecins.
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Adjectif possessif : montre le mépris de Toinette et la mise à distance qu’elle installe entre elle et les médecins.
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Confirmation de l’« Ignorantus, ignoranta, ignorantum ».
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Allitération en [v].
L’essentiel à retenir du texte :
- Toinette utilise un dernier recours pour éviter le malheur d’Angélique. Elle éclaire Argan. On constate son rôle dans le dénouement final. Elle montre finalement à Argan que tous ses soi-disant symptômes sont au final des indicateurs de bonne santé. Molière utilise le comique de répétition pour montrer que les prescriptions des médecins sont aléatoires.
- La scène présente trois mouvements principaux : Toinette (déguisée en médecin) arrive chez Argan dans le but de l’ausculter à domicile. Toinette prescrit à Argan un régime alimentaire et lui donne des conseils à suivre, la scène prend fin avec un échange sur propositions d’amputations diverses et des adieux entre le médecin et son patient.
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