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Les deux chiens et l’âne mort

LES DEUX CHIENS ET L’ÂNE MORT

               Les vertus devraient être sœurs,
               Ainsi que les vices sont frères :
Dès que l’un de ceux-ci s’empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s’en manque guères :
        J’entends de ceux qui n’étant pas contraires
               Peuvent loger sous même toit.
A l’égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment (1) placées
Se tenir par la main sans être dispersées.
L’un est vaillant, mais prompt (2); l’autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux le Chien se pique (3) d’être
               Soigneux (4) et fidèle à son maître ;
               Mais il est sot, il est gourmand :
Témoin ces deux Mâtins qui dans l’éloignement
Virent un Âne mort qui flottait sur les ondes.
Le vent de plus en plus l’éloignait de nos Chiens.
Ami, dit l’un, tes yeux sont meilleurs que les miens.
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes (5).
J’y crois voir quelque chose. Est-ce un Bœuf, un Cheval ?
               Hé qu’importe quel animal ?
Dit l’un de ces Mâtins ; voilà toujours curée.
Le point est de l’avoir ; car le trajet est grand ;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau ; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
               Bientôt à sec, et ce sera
               Provision pour la semaine.
Voilà mes Chiens à boire ; ils perdirent l’haleine,
               Et puis la vie ; ils firent tant
               Qu’on les vit crever à l’instant.
L’homme est ainsi bâti (6) : Quand un sujet l’enflamme
L’impossibilité disparaît à son âme.
Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ?
S’outrant (7) pour acquérir des biens ou de la gloire ?
               Si j’arrondissais mes États !
Si je pouvais remplir mes coffres de ducats !
Si j’apprenais l’hébreu, les sciences, l’histoire !
               Tout cela, c’est la mer à boire (8) ;
               Mais rien à l’homme ne suffit :
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit
Il faudrait quatre corps ; encor loin d’y suffire
A mi-chemin je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
               Mettre à fin ce qu’un seul désire.

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XXV.

Les deux Chiens & l’Aſne mort.

LEs vertus devroient eſtre ſœurs,
Ainſi que les vices ſont freres :
Dés que l’un de ceux-cy s’empare de nos cœurs,

Tous viennent à la file, il ne s’en manque gueres ;
J’entends de ceux qui n’eſtant pas contraires
Peuvent loger ſous meſme toit.
À l’égard des vertus, rarement on les void
Toutes en un ſujet eminemment placées
Se tenir par la main ſans eſtre diſperſées.
L’un eſt vaillant, mais prompt ; l’autre eſt prudent, mais froid.
Parmy les animaux le Chien ſe pique d’être
Soigneux & fidele à ſon maiſtre ;
Mais il eſt ſot, il eſt gourmand :
Témoin ces deux mâtins qui dans l’éloignement
Virent un Aſne mort qui flotoit ſur les ondes.
Le vent de plus en plus l’éloignoit de nos Chiens.

Amy, dit l’un, tes yeux ſont meilleurs que les miens.
Porte un peu tes regards ſur ces plaines profondes.
J’y crois voir quelque choſe : Eſt-ce un Bœuf, un Cheval ?
Hé qu’importe quel animal ?
Dit l’un de ces maſtins ; voila toujours curée.
Le point eſt de l’avoir ; car le trajet eſt grand ;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Beuvons toute cette eau ; notre gorge alterée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bien-toſt à ſec, & ce ſera
Proviſion pour la ſemaine.

Voila mes Chiens à boire ; ils perdirent l’haleine,
Et puis la vie ; ils firent tant
Qu’on les vid crever à l’inſtant.
L’homme eſt ainſi baſti : Quand un ſujet l’enflâme
L’impoſſibilité diſparoiſt à ſon ame.
Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ?
S’outrant pour acquerir des biens ou de la gloire ?
Si j’arrondiſſois mes eſtats !
Si je pouvois remplir mes coffres de ducats !
Si j’apprenois l’hebreu, les ſciences, l’hiſtoire !
Tout cela, c’eſt la mer à boire ;
Mais rien à l’homme ne ſuffit :
Pour fournir aux projets que forme un ſeul eſprit

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Il faudroit quatre corps ; encor loin d’y ſuffire
À my chemin je crois que tous demeureroient :
Quatre Mathuſalems bout à bout ne pourroient
Mettre à fin ce qu’un ſeul deſire.

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