Poètes
« Je trahirai demain »
Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
Marianne Cohn, « Je trahirai demain », 1943.
Repris dans Pierre Seghers, La résistance et ses poètes : France, 1940-1945, Paris, Éditions Seghers, 1974.
© Éditions Seghers, 1974.
Je trahirai demain est un poème que Marianne Cohn[1], une résistante allemande incarcérée en France, aurait écrit en 1943, durant sa première incarcération, qui dura 3 mois à Nice. Les circonstances de l’écriture de ce poème demeurent cependant assez floues puisque c’est un enfant qui, après la mort de la résistante, a donné la lettre contenant le texte du poème à la responsable du Mouvement de la jeunesse sioniste (MJS), Jeanne Latchiver.
L’hypothèse a donc été émise qu’il aurait été écrit durant la première arrestation de la jeune femme à Nice, en 1943. Le poème parle d’une nuit durant laquelle Marianne Cohn se dit qu’elle préfère s’ôter la vie plutôt que de parler et de livrer des Juifs et des confrères résistants à la Gestapo. Elle parle donc d’une autre forme de trahison, celle faite à la vie. Elle comprend qu’elle ne pourra plus profiter de ce dont elle a joui toute sa vie. Ce texte était souvent proposé à l’épreuve d’histoire des arts du brevet des collèges dans les collèges lyonnais avant la disparition de cette épreuve.
Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
Ce texte est en vers libres et sans rimes. Il est composé de phrases simples avec principalement un sujet, un verbe et un complément. Le rythme de ce poème s’appuie sur les nombreuses répétitions comme « je trahirai demain pas aujourd’hui » (l.1 , l.9 , l.18) et sur les anaphores « pour » (l.13 à l.17) , « la lime » (l.19 à l.22)[2].
Notes et références
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Résistante allemande, arrêtée puis torturée et exécutée par la Gestapo à Annemasse pour avoir conduit des enfants juifs vers la Suisse.
Marianne Cohn est née à Mannheim en 1922, dans une famille d’universitaires de gauche d’origine juive mais plutôt détachée de la tradition juive et fortement assimilée. Cette famille est bouleversée par l’irruption du nazisme. Entre 1934 et 1944, elle connaît plusieurs exils : la famille part pour l’Espagne, Marianne et sa sœur sont envoyées à Paris.
Dès 1941, la jeune Marianne entre en résistance puis participe à la construction du MJS (mouvement de la jeunesse sioniste).
De septembre 1942 à janvier 1944, sous le pseudonyme de Colin, elle a pour tâche de faire passer des enfants juifs vers la Suisse.
Arrêtée en 1943, elle est relâchée au bout de trois mois. C’est de cette période que l’on date – sans en être absolument sûr – la composition du poème « Je trahirai demain ».
Le 31 mai 1944, elle est à nouveau arrêtée à Annemasse (probablement dénoncée) alors qu’elle a en charge une trentaine d’enfants et que seulement 200 mètres les séparent de la frontière suisse. Malgré la torture, elle ne livre aucune information à la Gestapo et refuse la proposition d’évasion de son réseau par crainte des représailles sur les enfants.
Emmenée dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944 par la Gestapo, elle est assassinée à coups de bottes et de pelles.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez‑moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour
abjurer
1
, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La
lime
2
est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
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